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Date : 20111219


Dossier : IMM-3927-11

Référence : 2011 CF 1497

[traduction française certifiée, non révisée]

 

Toronto (Ontario), le 19 décembre 2011

 

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

 

WORKU DESSIE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

        

  MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Worku Dessie allègue qu'il craint d'être persécuté en Éthiopie en raison de ses activités au sein du Parti de l'Unité pour la Démocratie et la Justice [PUDJ], qui s'oppose au régime actuellement au pouvoir dans ce pays. À la clôture de l'audience sur la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Dessie, j'ai informé les parties que j’accueillerais la demande. Voici les motifs de ma décision.

 

Analyse

 

[2]               La Commission a conclu que l’ajout de deux détails avait « embelli » le récit de M. Dessie sur la persécution. Elle n'a cependant pas conclu en termes clairs et non équivoques que son récit n'était pas véridique. En effet, l'avocate du défendeur convient que la Commission aurait reconnu que M. Dessie a été arrêté, détenu par les forces du gouvernement en 2009 et fait l'objet de mauvais traitements de leur part en raison de ses activités politiques au sein du PUDJ.

 

[3]               La question déterminante dans la présente demande est donc celle de savoir si la conclusion de la Commission selon laquelle M. Dessie ne craint pas avec raison d'être persécuté en Éthiopie était raisonnable. À mon avis, elle ne l'était pas, puisqu'il ressort des motifs que la Commission a ignoré des éléments de preuve importants qui appuyaient l'allégation de M. Dessie.

 

[4]               Les motifs fournis par la Commission en l'espèce étaient brefs et seulement deux paragraphes étaient consacrés à la question du risque prospectif. Après avoir examiné l'allègement des tensions politiques en Éthiopie au paragraphe 8 des motifs, la Commission poursuit au paragraphe suivant en affirmant que « [c]ertains rapports crédibles sur l’Éthiopie indiquent que, à moins qu’une personne soit un activiste de premier plan au sein des partis de l’opposition, elle n’est pas susceptible d’attirer l’attention des autorités ». Les motifs indiquent ensuite qu’« aucun élément de preuve objectif n’indique que les membres de l’opposition font l’objet d’une persécution régulière » [non souligné dans l'original].

 

[5]               La Commission disposait cependant de nombreux éléments de preuve montrant que les membres ordinaires de l'opposition étaient régulièrement persécutés en Éthiopie et que les mauvais traitements du gouvernement envers ses opposants ne se limitent pas aux membres des partis de l'opposition, mais s’étendent à ceux qui sont simplement soupçonnés de sympathiser avec les partis d'opposition.

 

[6]               Des rapports du Département d'État des États-Unis, du Home Office du Royaume-Uni et d'Amnesty International confirment tous les arrestations arbitraires, la détention et la torture à grande échelle des membres et des partisans des partis de l'opposition se poursuivant en 2009 et en 2010. En effet, le rapport du Département d'État des États‑Unis indique que des centaines de membres et de partisans de l'opposition ont été arrêtés en seulement trois mois en 2009.

 

[7]               Il est vrai que la Commission n'est pas tenue de mentionner tous les éléments de preuve versés au dossier et elle sera présumée avoir considéré l’ensemble des éléments de preuve qui lui ont été présentés (voir, par exemple, Hassan c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] ACF no 317, 36 ACWS (3d) 635 (CAF)).

 

[8]               Cela dit, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de la Commission est importante, plus une cour de justice sera disposée à inférer que la Commission a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments dont elle disposait : voir Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 FTR 35, [1998] ACF n  1425 (QL), aux paragraphes 14 à 17. La preuve en l'espèce était directement pertinente pour la question au cœur de la présente affaire et était donc très importante.

 

[9]               Par ailleurs, il ne s'agit pas ici simplement d’une situation dans laquelle la Commission n’a pas mentionné expressément des éléments de preuve qui sont contraires à ses conclusions. En l'espèce, la Commission a déclaré de façon assez catégorique qu'il n'y avait « aucun élément de preuve objectif » pour indiquer que des membres de l'opposition sont régulièrement persécutés en Éthiopie, alors qu'il existait en effet de nombreux éléments de preuve au dossier menant à la conclusion opposée. Cela mène à l'inférence inévitable selon laquelle des parties importantes de la preuve sur la situation du pays ont été ignorées.

 

Conclusion

 

[10]           Par conséquent, je conclus que la décision de la Commission était déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

Certification

 

 

[11]           Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et aucune n’est soulevée en l’espèce.

 

 


JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que :

 

            1.         La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

 

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                         IMM-3927-11

 

INTITULÉ :                                        WORKU DESSIE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 19 décembre 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE Mactavish

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 19 décembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Max Berger

POUR LE DEMANDEUR

 

Amy King

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Max Berger Professional Law Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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