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Date : 20111216


Dossier : T-585-11

Référence : 2011 CF 1490

Ottawa (Ontario), le 16 décembre 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

ENTRE :

 

CHARLES DESJARDINS

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               M. Desjardins doit plus de deux millions de dollars en impôts impayés et en pénalités et intérêts. Sur ce montant, plus de 70 p. 100 représentent des pénalités et des intérêts. M. Desjardins a demandé au ministre d'exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu pour renoncer à la totalité des pénalités et des intérêts par ailleurs payables pour les années d'imposition 1999 à 2007.

 

[2]               M. Desjardins n'a pas obtenu gain de cause au premier et au second palier administratif, de sorte qu'il a saisi notre Cour d'une demande de contrôle judiciaire en vue de faire annuler la décision qui a été rendue au second palier administratif. Il est de jurisprudence constante que la norme de contrôle applicable en la matière est celle de la décision raisonnable (Cartier-Smith c Canada (Procureur général), 2006 CF 1175, 2006 DTC 6707; Russ c Canada (Douanes et Agence des douanes et du revenu), 2006 CF 294, 2006 DTC 6196; 3651541 Canada Inc c Canada (Procureur général), 2007 CF 1255, 2008 DTC 6021; et Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

 

[3]               La Loi ne précise pas les circonstances dans lesquelles la personne autorisée à prendre une décision au nom du ministre peut renoncer aux pénalités et aux intérêts. La Circulaire d'information en matière d'impôt sur le revenu no IC07‑1 de l'Agence du revenu du Canada intitulée Dispositions d'allègement pour les contribuables précise toutefois la procédure à suivre et énumère certains des facteurs non exhaustifs dont on peut tenir compte pour accorder un allègement au contribuable.

 

[4]               Le paragraphe 23 de la Circulaire prévoit que le ministre peut accorder un allègement lorsque l'incapacité de payer du contribuable s'explique par des circonstances exceptionnelles, des actions de l'Agence du revenu du Canada ou une incapacité de payer ou des difficultés financières. L'article 27 prévoit que, lorsque l'incapacité de payer tous les montants dus est confirmée, il peut être approprié d'envisager la possibilité de renoncer aux intérêts ou de les annuler, en tout ou en partie, pour permettre au contribuable de régler son compte. Une des situations envisagées est celle dans laquelle le paiement des intérêts accumulés causerait une incapacité prolongée (difficultés financières) à subvenir à des besoins essentiels comme la nourriture, les soins médicaux, le transport ou le logement.

 

[5]               Le paragraphe 28 de la Circulaire précise que, de façon générale, on ne considérera pas l'annulation d'une pénalité en raison d'une incapacité de payer ou de difficultés financières à moins que des circonstances exceptionnelles aient empêché l'observation, comme une catastrophe naturelle ou causée par l'homme, des troubles publics ou l'interruption de services telle qu'une grève des postes, une maladie grave ou un accident grave ou des troubles émotifs sévères. Le paragraphe 33 énumère les facteurs dont on doit tenir compte, à savoir : a) la question de savoir si le contribuable a respecté, par le passé, ses obligations fiscales; b) la question de savoir si le contribuable a, en connaissance de cause, laissé substituer un solde en souffrance qui a engendré des intérêts sur arriérés; c) la question de savoir si le contribuable a fait des efforts raisonnables et n'a pas été négligé dans la conduite de ses affaires en vertu du régime d'autocotisation; d) la question de savoir si le contribuable a agi avec diligence pour remédier à tout retard ou à toute omission.

 

[6]               Les demandes d'allègement des contribuables comportent deux paliers. Un bureau de l'Agence du revenu du Canada examine la demande initiale et formule une recommandation à un chef d'équipe qui est chargé de prendre une décision. En l'espèce, la décision en cause était négative. En pareil cas, le contribuable peut présenter une demande au second palier. Le dossier est confié à un fonctionnaire de l'Agence du revenu du Canada qui n'est pas intervenu au premier palier. Ce fonctionnaire procède à un examen complet du dossier et tient compte des renseignements complémentaires fournis. Dans le cas qui nous occupe, le dossier a été transmis, avec un résumé de la recommandation du fonctionnaire, au directeur du Bureau des services fiscaux de l'île de Vancouver qui, après avoir examiné le dossier, a refusé d'accorder l'allègement demandé par M. Desjardins.

THÈSE DE M. DESJARDINS

 

[7]               Au premier palier, M. Desjardins a insisté sur les troubles émotifs sévères et la souffrance morale grave consécutifs à la toxicomanie de celle qui était à l’époque son épouse, au stress attribuable à son divorce et aux questions de garde des enfants ainsi qu'à la dépression dont il souffrait. Malgré le fait qu'il a été invité à le faire, M. Desjardins n'a soumis aucun avis médical au sujet de sa dépression.

 

[8]               Au second palier, M. Desjardins a insisté sur son incapacité de payer et sur ses difficultés financières. Il a expliqué qu'il était insolvable et qu'un agent de perception des impôts avait d'ailleurs laissé entendre qu’étant donné qu'il ne pourrait jamais rembourser sa dette en totalité, il devait envisager la possibilité de faire faillite. La faillite n'est pas une option que M. Desjardins peut envisager étant donné qu'il gagne sa vie comme administrateur ou dirigeant de plusieurs sociétés cotées en bourse de la Colombie-Britannique. Il ne pourrait continuer à occuper les postes en question s'il était un failli non libéré. Environ 35 p. 100 des gains qu'il a réalisés à ce titre ont fait l'objet d'une saisie-arrêt, ce qui l'empêche de régler ses impôts actuels. Si le fisc renonçait aux intérêts et aux pénalités, le demandeur pourrait être en mesure de payer l'impôt qu'il doit.

 

[9]               La décision à l'examen a été prise par M. Richard Soderquist, directeur de la Direction du recouvrement des recettes, Agence du revenu du Canada, Bureau des services fiscaux de Victoria. M. Soderquist a refusé d'accorder l'allègement demandé, et ce, pour plusieurs raisons. Il s'est dit d'avis que M. Desjardins avait été négligent dans la conduite de ses affaires en vertu du régime d'autocotisation et qu'il avait, en connaissance de cause, laissé substituer un solde en souffrance qui avait engendré des intérêts sur arriérés. Il avait l'habitude depuis des années de ne pas produire ses déclarations à temps, il avait conservé des comptes de placements actifs, avait contribué au REER de sa conjointe malgré le fait qu'il avait un solde négatif et il avait transféré des fonds à sa conjointe de fait actuelle alors qu'il avait un solde débiteur.

 

[10]           Il n'avait pas non plus justifié ses allégations qu'il avait été empêché de remplir ses obligations en matière de déclaration en raison de circonstances liées à son état de santé. Cette conclusion n'a pas été fortement contestée devant le Tribunal.

 

[11]           Selon M. Desjardins, on n'a pas accordé suffisamment d'importance au fait qu'au cours des trois dernières années, il avait produit ses déclarations de revenus à temps (sans toutefois payer en totalité les impôts qu'il devait). Il a ajouté que jusqu'à 9 000 $ par mois faisaient l'objet d'une saisie-arrêt en raison des frais d'intérêts excessifs accumulés, de sorte qu’il n'avait pratiquement fait aucun progrès en vue de réduire sa dette générale, laquelle comprend des sommes dues tant pour la période antérieure à 1998 qu'à celle relative aux années d'imposition 1999 à 2007 inclusivement.

 

[12]           De plus, en 2008, il a fait des paiements volontaires d'impôt de près de 300 000 $. On ne pourrait guère qualifier ses paiements de « volontaires » étant donné qu'ils se rapportaient à une entente aux termes de laquelle M. Desjardins avait exercé une option d'achat d’actions dont 75 p. 100 du produit avaient été appliqués au remboursement de ses impôts.

 

[13]           L'examen au second palier a été effectué par un coordonnateur en matière d'allègement pour les contribuables, Darren Marr, qui a recommandé dans son rapport de refuser la demande d'allègement de M. Desjardins. Suivant M. Desjardins, l'analyse de M. Marr était entachée de graves erreurs. M. Marr avait faisait observer que le solde dû par le contribuable s'élevait à 2 026 723,56 $ pour diverses années comprises entre 1994 et 2009. Il avait également précisé que les intérêts totaux accumulés pour cette période s'élevaient à 680 011,71 $ et que les pénalités se chiffraient à 183 558,53 $. Ces chiffres étaient erronés en ce sens qu'ils portaient sur les intérêts et les pénalités accumulés pour la période comprise entre 1999 et 2007. Sur les 2 026 723,56 $ dus, la partie imputable aux intérêts se chiffre en fait à 1 193 763,69 $ et les pénalités à 225 979,07 $. Ces chiffres ont amené M. Desjardins à citer la décision du juge von Finkenstein dans l'affaire Dick c Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CF 560, 2005 DTC 5241, dans lequel le juge a estimé, en vertu de la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable qui était applicable à l'époque, que l'Agence n'avait pas tenu compte du fait que les pénalités et les intérêts dus dépassaient largement l'impôt exigible et que, vu son alcoolisme chronique, sa toxicomanie et son âge, il était peu probable que M. Dick ait jamais gagné les montants qui lui étaient réclamés.

 

[14]           Étant donné que M. Soderquist disposait de tout le dossier, on ne peut affirmer avec certitude qu'il n'était pas d'avis que le montant dû était composé principalement d'intérêts et de pénalités. Même si tel était le cas, il ne s'agit qu'un des facteurs dont on doit tenir compte.

 

[15]           M. Desjardins a 18 ans de moins que M. Dick. Bien que ses revenus fluctuent, suivant sa dernière déclaration, il a gagné plus d'un demi-million de dollars. De plus, il possède encore plus d'options d'achat d'actions qu'en 2008, année au cours de laquelle les options qu'il a exercées lui ont rapporté près de 400 000 $. M. Desjardins a minimisé le fait qu'entre décembre 2007 et juillet 2010, il avait transféré plus de 300 000 $ à sa conjointe de fait actuelle. Cet argent lui a par la suite été rétrocédé, mais il a tout perdu au jeu, au casino de River Rock ! L'avocat du ministre a tout à fait raison de dire que, par son mode de vie, M. Desjardins a fait peu de cas du fisc.

 

[16]           Son argument que la saisie-arrêt de son salaire l'a empêché de payer en entier l'impôt qu'il doit pour les années en cours est totalement absurde.

 

[17]           La thèse de M. Desjardins est qu'il s'est repris en main et qu'on aurait dû tenir compte de ce facteur lors de l'examen de ses antécédents en matière de non-conformité. C'est peut-être vrai, mais les faits n'appuient pas sa thèse. À sa décharge, signalons qu'il a payé environ 9 000 $ par mois par suite de la saisie-arrêt de son salaire, et qu'il a payé de son plein gré près de 300 000 $ de plus et a produit à temps ses trois dernières déclarations de revenus. En revanche, il y a peu de raisons de croire qu'il paierait 9 000 $ par mois sans la saisie-arrêt; de plus, son paiement volontaire de près de 300 000 $ n'avait rien de volontaire puisqu'il faisait suite à une entente qu'il avait conclue avec l'Agence et, bien qu'il ait produit à temps ses déclarations des trois dernières années, il n'a pas payé en totalité l'impôt qu'il devait. Abstraction faite de son train de vie de riche, force est de constater qu'il a perdu 300 000 $ au jeu au casino. Sa situation inspire peu de sympathie.

 

[18]           Le paragraphe 21 de la circulaire d'information IC07‑1 s'appuie sur le bon sens :

21. Les contribuables ne devraient pas utiliser la capacité de l'ARC de renoncer ou d'annuler les pénalités et les intérêts comme un moyen de réduire ou de régler de façon arbitraire leur impôt à payer.

21. The ability of the CRA to waive or cancel penalties and interest is not to be used by taxpayers as a way to arbitrarily reduce or settle their tax debt.

 

[19]           La décision était bien articulée et elle était transparente. Elle est raisonnable au sens du paragraphe 47 de l'arrêt Dunsmuir, précité et il ne m'appartient pas de réévaluer la preuve.

 

[20]           Il y a quelque chose de louche dans l’attitude de M. Desjardins. Il refuse de faire faillite pour ne pas perdre son gagne-pain, du moins pour un certain temps, ajoutant que le gouvernement n'obtiendra rien s’il fait faillite. Il affirme que le gouvernement devrait faire un compromis. En revanche, la ministre affirme que l'intégrité du système de déclaration volontaire revêt une telle importance qu'elle préférerait ne rien recevoir et laisser M. Desjardins faire faillite « pour encourager les autres ».


ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS QUI ONT ÉTÉ EXPOSÉS,

LA COUR :

1.                  REJETTE la demande de contrôle judiciaire;

2.                  ADJUGE les dépens au ministre et fixe les dépens en question au montant total de 4 500 $.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-585-11

 

INTITULÉ :                                       CHARLES DESJARINS c MRN

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 6 DÉCEMBRE 2011

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 16 DÉCEMBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard B. Wong

 

POUR LE DEMANDEUR

Pavanjit Mahil Panhder

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Thorsteinssons SRL, avocats fiscalistes

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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