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Date : 20111215

Dossier : IMM‑7331‑11

Référence : 2011 CF 1484

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

 

BAKOME COLETTE BODIKA‑KANINDA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

 

          MOTIFS DE L’ORDONNANCE

le juge Lemieux

 

I.          Introduction et contexte

[1]               Le samedi 3 décembre 2011, j’ai accordé un sursis au renvoi de la demanderesse en Afrique du Sud en attendant la décision concernant sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire et si elle est accueillie, jusqu’à la décision concernant la demande de contrôle judiciaire. Les présents motifs expliquent les raisons pour lesquelles le sursis a été accordé.

 

[2]               L’instance sous‑jacente à laquelle la demande de sursis est greffée est une demande de contrôle judiciaire de la décision du 8 août 2011 d’un agent d’examen des risques avant renvoi (agent d’ERAR) qui a conclu que la demanderesse ne serait pas exposée à un risque au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et de la protection des réfugiés, 2001, ch. 27 (LIPR), si elle était renvoyée en Afrique du Sud.

 

[3]               La demanderesse est née en République du Congo, anciennement le Zaïre, mais en 1999 elle a perdu la citoyenneté de ce pays après avoir obtenu la citoyenneté de l’Afrique du Sud, où elle avait immigré au début des années 1990 avec son époux, dont elle a divorcé en 2004.

 

[4]               En 2005, elle s’est engagée dans une union de fait avec J.B., qui a duré jusqu’en août 2007. Elle a mis fin à cette union parce qu’au cours de cette période il l’a agressée sexuellement. Pendant cette union, la demanderesse a travaillé comme pharmacienne en Arabie Saoudite, tout en revenant fréquemment en Afrique du Sud.

 

[5]               Elle a finalement fui J.B. et l’Afrique du Sud après que J.B. soit entré par effraction dans sa maison armé d’un fusil, menaçant de la tuer ainsi que ses enfants. Elle a quitté l’endroit et elle est allée rester pendant une courte période chez son fils. En septembre 2007, elle est retournée en Arabie Saoudite et est arrivée au Canada en décembre 2007 où elle a présenté une demande d’asile après que sa maison à Cape Town ait été vandalisée en mai 2008 par des personnes qu’elle soupçonne d’être à la solde de J.B.

 

[6]               Sa demande d’asile a été rejetée pour plusieurs raisons : (1) le retard à présenter une demande; (2) son retour volontaire en Afrique du Sud au cours de sa relation avec J.B. marquée par l’oppression; (3) son défaut de demander l’asile dans les nombreux pays où elle s’est rendue pendant cette relation; (4) l’absence d’éléments de preuve corroborant l’existence même de J.B., et notamment une déclaration faite aux autorités canadiennes en mars 2007, lorsqu’elle a présenté une demande de visa pour venir au Canada pour une visite selon laquelle elle était mariée au Zaïre et n’avait pas divorcé.

 

[7]               Plus particulièrement, la commissaire de la Section de la protection des réfugiés (SPR) était préoccupée par le fait que la demanderesse n’avait présenté aucun élément de preuve quant à l’existence de J.B. La commissaire a accordé à la demanderesse deux semaines pour présenter des éléments de preuve. La demanderesse a présenté un affidavit souscrit par son fils et une photographie d’elle avec un homme. La commissaire n’a accordé aucune force probante à ce dernier élément de preuve parce que l’identité de la personne figurant sur la photographie n’était pas connue et que cette preuve ne permettait pas de conclure à l’existence d’une union de fait. Elle n’a accordé aucun poids aux déclarations contenues dans l’affidavit du fils parce qu’il portait une date postérieure à celle de la fin de l’audience. Un juge de notre Cour a refusé d’accorder une autorisation d’en appeler de la décision de la commissaire.

 

II.        Décision de l’agent d’ERAR

[8]               L’agent d’ERAR a indiqué que le risque allégué par la demanderesse était le même que celui invoqué devant la SPR.

 

[9]               Il a reconnu que la demanderesse avait fourni de nouveaux éléments de preuve, à savoir : (1) un rapport psychologique du Dr Young; (2) un rapport de police daté du 2 décembre 2010; (3) quatre affidavits souscrits par des personnes en Afrique du Sud; (4) des rapports sur la situation du pays concernant la protection accordée aux femmes en Afrique du Sud, victimes de violence conjugale.

 

[10]           Aux fins des présents motifs, je dois me concentrer sur l’analyse des affidavits faite par l’agent d’ERAR. Il a écrit ce qui suit :

Quant aux 3 autres affidavits au dossier, il s’agit des documents ou les auteurs clament avoir été témoins de la vie commune et tumultueuse de la demanderesse avec Johnson Buthelezi. Ils affirment qu’ils ont vu la demanderesse battue par son conjoint, mais sans qu’aucun d’entre eux n’alerte la police. Même si j’accepte que la demanderesse a eu une vie commune avec Johnson Buthelezi, j’accorde peu de valeur probante à ces documents. En effet, les auteurs de ces témoignages n’expliquent pas pourquoi en 2007 la demanderesse s’est présentée à l’ambassade canadienne comme mariée à François Bodika‑Kaninda.

 

Même se j’accepte, de par leurs date de production, que les documents fournis constituent des nouveaux éléments de preuve, je ne leur accorde aucune valeur probante. Ces documents ne prouvent pas un fait qui était inconnu de la demanderesse au moment de l’audience et ils ne sont pas capables de contredire un fait établi par la Commission, en l’occurrence l’absence de crainte subjective de la part de la demanderesse qui a miné sa crédibilité.

 

La jurisprudence qualifie une preuve de « fait nouveau » ou de « nouveau élément de preuve » que si et seulement si celle‑ci (la preuve) est en corrélation avec soit les conditions générales du pays, soit avec la situation personnelle du demandeur plutôt que de se baser sur la date ou la preuve a été produite. Ceci est pour empêcher qu’un demandeur débouté ne fabrique facilement de « nouveaux » affidavit et de preuves documentaires afin de contrer le verdict de la Commission et ainsi soutenir sa demande d’asile, transformant ainsi une demande ERAR en un appel de la décision de la Commission. Je trouve que c’est ici le cas.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

III.       Analyse et conclusions

[11]           Le critère en trois volets pour obtenir un sursis est bien connu. Il incombe à la demanderesse d’établir : (1) l’existence d’une question grave; (2) l’existence d’un préjudice irréparable; (3) que la balance des inconvénients penche en sa faveur.

 

[12]           En l’espèce, le critère visant à établir l’existence d’une question grave, le critère n’est pas exigeant. La demanderesse n’est pas tenue d’établir qu’elle a une cause solide. Le critère consiste plutôt à établir que les questions soulevées ne sont ni frivoles ni vexatoires. À mon avis, les questions en litige sont les suivantes :

a.       La question de savoir si l’agent d’ERAR a mal interprété la preuve du Dr Young sur la question de la crainte subjective de la demanderesse;

b.      La question de savoir si l’agent d’ERAR a procédé à une analyse appropriée en ce qui concerne la présentation de nouveaux éléments de preuve en vertu de l’article 113 de la LIPR;

c.       La question de savoir si l’agent d’ERAR a tiré des conclusions de fait erronées concernant les affidavits de Mwabi, de Mukeba et de Ntumba, plus particulièrement concernant la question de savoir si ces affidavits ne contredisaient pas les conclusions de la SPR quant à la question de l’existence de J.B. et des plaintes faites à la police (voir Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, au paragraphe 13);

d.      La question de savoir si l’agent d’ERAR a omis d’examiner l’efficacité des lois de l’Afrique du Sud concernant la violence conjugale.

 

[13]           La demanderesse a établi le préjudice irréparable comme suit : (1) le Dr Young, qui a évalué la demanderesse à deux reprises, déclare que la demanderesse risque de tenter de se suicider si elle était renvoyée en Afrique du Sud; (2) la preuve par affidavit démontre que J.B. existe et qu’il était extrêmement violent envers la demanderesse; (3) après la rupture de la relation, J.B. a continué à harceler la demanderesse.

 

[14]           Étant donné qu’elle a établi l’existence d’un préjudice irréparable ainsi que l’existence de questions graves, elle a démontré que la balance des inconvénients favorise la demanderesse.

 

« François Lemieux »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 15 décembre 2011

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

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