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 Date : 20111214

Dossier : IMM-1089-11

Référence : 2011 CF 1424

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2011

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

MOHAMMAD RATIB ABEER   

 

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision, en date du 19 janvier 2011, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu’il n’est ni un réfugié au sens de la Convention (Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, [1969] R.T. Can. no 6) ni une personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiées, 2001, ch. 27 (LIPR).  

 

[2]               La demande est fondée sur deux motifs : un manquement à l’équité procédurale qui serait imputable à la conduite de l’audience et, subsidiairement, des conclusions quant à la crédibilité déraisonnables. Pour les raisons qui suivent, la demande est accueillie pour le premier motif. Le deuxième motif n’a pas besoin d’être abordé.

 

[3]               Les tribunaux reconnaissent depuis longtemps l’existence d’un lien entre l’équité procédurale et la doctrine de la déférence. La déférence repose sur l’hypothèse que la juridiction inférieure a respecté la norme d’équité requise. Comme l’a affirmé le juge Binnie dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59 :

Il peut exister plus d’une issue raisonnable.  Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

 

[4]               En conséquence, si la Cour arrive à la conclusion qu’il y a eu manquement à la justice naturelle, elle ne sera pas tenue de faire montre de déférence et elle devra, sauf dans des circonstances exceptionnelles, annuler la décision. Consulter Thamotharem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 16, [2006] 3 RCF 168, le juge Edmond Blanchard, et Benitez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461, [2007] 1 RCF 107, le juge Richard Mosley, pour obtenir deux exemples de l’application de ce principe.

 

[5]               En l’espèce, l’audience de la Commission ne cadre pas bien, pour utiliser la formulation employée dans l’arrêt Khosa, avec les pratiques et les procédures établies qui sont essentielles pour assurer la justice naturelle. Certes, le manquement à la justice naturelle est, en soi, suffisant pour accueillir la demande, mais il est également évident que ce manquement a eu une incidence importante sur le deuxième volet de l’argumentation, à savoir les conclusions de fait déraisonnables. En formulant cette dernière observation, je ne déroge pas à la norme de contrôle applicable aux questions de justice naturelle, à savoir que la décision contrôlée soit correcte et que la présente décision ne repose que sur ce motif.

 

[6]               Le demandeur est un citoyen de l’Afghanistan qui a présenté une demande d’asile à la Section de la protection des réfugiés (la SPR) lorsqu’il est arrivé au Canada. À son audience, il était représenté par Me Z. Khedri, une avocate autorisée à exercer en Ontario par le Barreau du Haut‑Canada. Le demandeur avait demandé qu’un interprète parlant le dari soit présent pour l’aider à témoigner.

 

[7]               Bien que le demandeur ait fait une demande de services d’interprète en dari, la Commission a retenu les services d’une interprète parlant le farsi. Celle-ci a expliqué à la Commission que le farsi, la langue parlée en Iran, était la langue générique et que le dari, parlé en Afghanistan, était un dialecte. L’interprète a ajouté que les locuteurs des dialectes se comprennent, mais qu’elle ne parlait le dialecte dari et elle ne s’est pas exprimée dans ce dialecte.  

 

[8]               Le demandeur a indiqué à la Commission que, dans ces circonstances, il préférerait que l’audience se déroule en anglais. Il ne recourrait par conséquent aux services de l’interprète que lorsqu’il aurait besoin d’aide supplémentaire.

 

[9]               Avant la tenue de l’audience formelle, le commissaire a signalé à l’avocate du demandeur qu’il avait de la difficulté à la suivre lorsqu’elle s’exprimait en anglais. Il lui a donc demandé de parler en dari, et de faire appel à l’interprète parlant le farsi afin que cette dernière transmette en anglais à la Commission les observations et les questions de l’avocate. Selon la Commission, l’avocate du demandeur « s’exprime en anglais avec un très fort accent » et « le tribunal a eu du mal à comprendre son anglais. » En conséquence, il a demandé à la traductrice d’interpréter en anglais les observations de l’avocate.

 

[10]           Le commissaire et l’avocate ont pris cet arrangement lors d’une conversation en privé et en l’absence du demandeur.  La conversation a en fait été enregistrée.

 

                        [traduction]

AVOCATE DU DEMANDEUR D’ASILE : J’essaie de parler lentement.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :  Non, ce que je veux proposer est quelque chose […] Dès qu’arrive votre tour de poser des questions, nous pourrions peut-être procéder de cette façon : vous pourriez poser la question en dari et, ensuite, madame l’interprète pourrait traduire votre question […]

 

AVOCATE DU DEMANDEUR D’ASILE : Pas de problème, d’accord […]

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : En anglais. Maintenant, le problème qui se pose est qu’il y aura une coupure. Vous allez poser la question en dari et il la comprendra immédiatement, puis vous retraduirez pour moi. D’accord? Comme […] il va entendre la question dans votre langue, le dari, mais il y aura une coupure, parce qu’il y aura la version anglaise entretemps.

 

Mais plutôt que j’aie à vous interrompre en disant je suis désolé, veuillez répéter, je ne vous comprends pas […] J’espère que vous ne vous en formaliserez pas si nous faisons cela.

 

AVOCATE DU DEMANDEUR D’ASILE : Non. Parfois, je ne vous comprends pas non plus, alors […]

 

 

[11]           La mise en œuvre de l’entente entre la Commission et l’avocate a ensuite fait l’objet d’une discussion :

                        [traduction]

AVOCATE DU DEMANDEUR D’ASILE : D’accord. Donc, vous voulez que je pose des questions, que je lui pose les questions en dari et que l’interprète vous les traduise en anglais.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Attendez, j’aimerais simplement répéter ce que j’ai dit. Normalement, quand c’est à votre tour de poser des questions, vous les posez en anglais […]

 

AVOCATE DU DEMANDEUR D’ASILE : Oui.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Madame l’interprète traduit en dari.

 

AVOCATE DU DEMANDEUR D’ASILE : Oui.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Il répond en dari, elle parle en anglais. Ce que je veux faire est que vous parliez en dari. Donc, plutôt que de traduire immédiatement votre question en dari […] Je me perds.

 

C’est simple. Regardez, vous posez une question en dari […] vous ne parlez pas, vous parlez en dari lorsque vous lui poser des questions et elle retraduit votre dari en anglais parce que je comprends mieux son anglais que le vôtre.  

 

AVOCATE DU DEMANDEUR D’ASILE : D’accord.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Et d’autre part, vous comprenez mieux la question posée directement par vous, parce qu’elle ne vient pas de l’interprète.

 

[12]           Vu cette discussion, on pouvait présager que l’exécution de l’entente serait problématique. En fin de compte, le demandeur, malgré sa demande de traduction, répondrait en anglais aux questions du commissaire. À cet égard, il a été constaté que le demandeur, même s’il ne parlait pas l’anglais couramment, avait une connaissance de base de cette langue. Comme il ressort de l’extrait suivant de la transcription, il y avait cependant des limites à cette compréhension :

                        [traduction]

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Parle-t-il mieux que vous; parle-t-il mieux que vous?

 

AVOCATE DU DEMANDEUR D’ASILE : Peut-être comme moi.

 

[13]           Si le commissaire ne pouvait pas comprendre l’anglais de l’avocate, il est légitime de se demander comment il pouvait comprendre le témoignage du demandeur d’asile. En effet, la transcription du témoignage du demandeur abonde en phrases interrompues et décousues, ce qui laisse planer le doute, l’ambiguïté et parfois la confusion quant au fond de la preuve présentée par le demandeur.

 

[14]           Le demandeur a ensuite été amené dans la salle d’audience et la discussion suivante a eu lieu entre le commissaire, l’interprète et le demandeur :

 

                        [traduction]

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : D’accord. Vous savez quoi, je pourrais vouloir qu’il soit assis là parce que son anglais n’est pas parfait et peut-être que si je suis plus près de lui, je le comprendrai un peu mieux, parce qu’il s’adressera davantage à moi qu’à l’interprète, au moins au début.

 

Donc, vous parlez, Madame l’interprète, un peu le farsi, c’est bien ce que vous dites?

 

INTERPRÈTE : Non, je parle le farsi […]

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Oh, vous parlez le dari.

 

INTERPRÈTE : Il s’agit de la langue farsi ou persane, peu importe comment vous voulez l’appeler.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Je comprends.

 

INTERPRÈTE : Le dari est un dialecte du farsi parlé en Afghanistan; nous parlons tous les deux le farsi, mais des dialectes différents. Je parle un dialecte iranien et lui, un dialecte afghan. Nous parlons tous les deux la même langue.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Sauf qu’il appelle son dialecte le dari.

 

INTERPRÈTE : Il l’appelle le dari, je l’appelle… Je l’appelle… le désignerai sous le nom de la langue, à savoir, le farsi ou le persan.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Donc vous diriez, même s’il affirme parler le dari, vous diriez qu’il parle le farsi.  

 

INTERPRÈTE : Ce n’est pas quel nom vous choisissez de l’appeler. Oui, il choisit d’utiliser le dialecte comme nom de la langue. Tout comme je précise, en raison de mes études en linguistique, que le dari est un dialecte du farsi, qui est la langue internationale, c’est-à-dire la langue générique. Le dari est l’un des nombreux dialectes du farsi.

 

[15]           Des problèmes se sont posés en plein milieu de l’instruction. Non pas tant en raison de l’anglais du demandeur, mais en raison du fait que le commissaire ne parvenait pas à comprendre l’avocate du demandeur :

                        [traduction]

            PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Répétez, excusez-moi, Maître?

Vous savez quoi, cette fois adressez-vous à l’interprète, parce que je ne vous comprends pas.

 

AVOCATE DU DEMANDEUR D’ASILE : Cette preuve, je ne sais pas si je peux vous donner ce document. Le client a parlé devant moi avec son père, il a appelé. Le père a affirmé avoir les documents, mais ils sont dans tous les documents qu’il doit trouver.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Je dois vous demander de répéter. Je ne vous comprends pas, Maître, et c’est de ma faute.  

 

AVOCATE DU DEMANDEUR D’ASILE : Toujours pas?

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Pouvez-vous parler par l’intermédiaire de l’interprète? Vraiment, je ne vous comprends pas.

 

AVOCATE DU DEMANDEUR D’ASILE : Bien sûr.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Je ne comprends tout simplement pas votre anglais.

 

AVOCATE DU DEMANDEUR D’ASILE : Pas de problème.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Effectivement et cela me permettra de comprendre ce que vous dites. Donc, pouvons-nous essayer cela maintenant? Pouvez-vous parler par l’intermédiaire de l’interprète?

 

AVOCATE DU DEMANDEUR D’ASILE : Bien sûr.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Merci.

 

AVOCATE DU DEMANDEUR D’ASILE : Mais puis-je demander à l’interprète si elle a compris ce que j’ai dit.

 

INTERPRÈTE : C’est bien, j’ai tout compris.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Bien, vous avez compris, mais ce n’est pas mon cas. Vous comprenez l’anglais, mais je ne comprends pas et j’ai en fait besoin de comprendre tout ce qu’elle dit. Pouvez-vous la comprendre […] La comprenez-vous lorsqu’elle parle en dari?

 

[…]

 

INTERPRÈTE : Il semble que vous ne comprenez pas non plus. Le jour où le client est venu à mon bureau […]

 

AVOCATE DU DEMANDEUR D’ASILE : Je suis désolée, je crois que vous êtes fatigué.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Je ne suis pas fatigué. J’ai seulement besoin de vous comprendre parfaitement, Maître.

 

[16]           À mon avis, la façon dont il a été convenu de procéder ne permettait pas une présentation ordonnée et équitable de la preuve et il est donc justifié d’annuler la décision.

 

[17]           Les procédures instruites devant des offices fédéraux doivent se dérouler dans l’une ou l’autre des deux langues officielles. Des services de traduction sont mis à la disposition des témoins, et non des avocats. Dans la procédure qui s’est déroulée en l’espèce, on a exigé que l’avocate du demandeur s’exprime en dari, bien que l’interprète soit Persane, alors que le reste de la procédure se déroulait en anglais, ce qui a eu pour effet de créer une situation qui a porté atteinte au sérieux d’une demande fondée sur la Convention et qui, au mieux, a été une source de confusion. Celui qui a été oublié dans tout cela, c’est le demandeur qui a témoigné en anglais, malgré sa demande de services de traduction en dari. Le commissaire a fait ce qu’il a pu dans ces circonstances difficiles, mais le fait demeure que la procédure n’était pas conforme aux exigences en matière d’équité procédurale.  

 

[18]           Les failles de l’instruction ont aussi eu une incidence directe et considérable sur la question centrale de la crédibilité. Avant de formuler ses conclusions sur la crédibilité, la Commission a fait observer ce qui suit :

[…] certaines réserves à émettre quant au comportement du demandeur d’asile. À l’audience, il lui est fréquemment arrivé d’afficher un grand sourire et de rire au moment de répondre aux questions. Bien que le tribunal ait trouvé qu’il était un jeune homme agréable et aimable, il n’en demeure pas moins que ce comportement traduisait un manque de sérieux chez lui, comme s’il prenait ces démarches à la légère. Compte tenu du fait que le demandeur d’asile affirme craindre pour sa vie en Afghanistan, le tribunal se serait attendu à ce que son attitude soit plus posée.

 

[19]           Sur cette base, le commissaire a tiré une conclusion défavorable à l’égard de la crédibilité du demandeur.

 

[20]           Le dossier indique que le comportement du demandeur concordait avec son véritable caractère et qu’il a peut-être réagi à la situation stressante en riant. Ce type de comportement s’est produit lorsqu’il a témoigné sur son arrestation et sa détention à la frontière canadienne :

 

                        [traduction]

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Vous êtes resté environ deux semaines ou quelque chose comme ça. Vous avez fait une histoire au sujet de l’entrevue, au sujet de votre entrevue à la frontière. Je veux simplement que vous sachiez que je ne m’intéresse pas à cette entrevue, aussi, je ne crois pas que je vous poserai de questions à ce sujet. Si on oublie que les Canadiens vous ont donné du fil à retordre, pourquoi voulez-vous venir au Canada?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Pour moi, c’est également une question que, je veux dire lorsque vous regardez la réalité, je ne sais pas exactement […] Il revient à l’agent (inaudible) et même si je lui ai remis mon passeport et que je lui ai expliqué que je n’ai pas de visa, mais que j’ai bien un passeport, et c’est pour cette raison que je veux revendiquer le statut.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Donc, de toute façon, la question était que si les Canadiens vous ont donné du fil à retordre, pourquoi n’avez-vous pas fait marche arrière, n’êtes-vous pas retourné dans l’État de Washington et n’avez-vous pas revendiqué le statut de réfugié aux États-Unis?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Le fait est que la loi, la réglementation et la réalité canadiennes ne doivent pas donner du fil à retordre aux gens, c’est ce que j’ai décidé. Moi [ph] il s’agit de problèmes avec la personne, pas avec le Canada.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Ou avec l’adjoint [ph]. Je suis sûr que les Américains pourraient être tout aussi difficiles si vous entriez dans leur pays sans visa.

 

DEMANDEUR D’ASILE : Oui, mais j’ai expliqué que c’est mon passeport, que je suis un étudiant et que je n’ai pas de visa. Mais le problème est survenu aux douanes […] au service des douanes, la deuxième nuit, lorsqu’ils m’ont passé les menottes et que je suis parti à rire.  

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Si vous riez au nez des policiers, il est probable qu’ils ne soient pas très contents. En tout cas, OK, fort bien. Ce qu’il faut retenir c’est que les É.-U. ont signé le protocole de 1967 relatif aux réfugiés et ils accueillent, ont la réputation d’accueillir les réfugiés et, effectivement, je sais qu’ils accueillent à peu près le même pourcentage […] en fin de compte, de réfugiés que le Canada. Donc, je […] je précise que, à moins que vous ou votre avocate ne soyez pas d’accord, les États‑Unis sont, tel qu’il a été signalé, un pays qui admet les réfugiés, comme le fait le Canada. Donc, j’aimerais savoir pourquoi vous n’êtes pas resté aux É.-U. et n’avez pas fait une demande d’asile là-bas. Cette question me préoccupe.

 

[21]           Beaucoup plus tard, l’avocate du demandeur est revenue à une question examinée auparavant par le commissaire, soit l’arrestation et la détention du demandeur d’asile à son arrivée au Canada :

 

                        [traduction]

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Avez-vous ri et souri comme vous le faites maintenant? Est-ce bien ce que vous avez fait? Est-ce que ça pourrait être la différence?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Non, à l’époque, je ne pouvais pas parler même, même lors de l’entrevue avec l’agent. Vous pouvez le voir dans ma première entrevue, je ne pouvais même pas parler en dari. Beaucoup d’erreurs ont été commises et lorsque je lis cette entrevue, je pense qu’en fait ce n’est pas moi.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : C’est juste que […] ce pourrait-il que vous sachiez que le fait de rire et de sourire peut donner l’impression aux gens que vous ne prenez pas les choses au sérieux. Cela ne vous a-t-il jamais traversé l’esprit?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Oui, peut-être, mais encore une fois, c’est ma façon de m’exprimer. Je ne peux pas pleurer. Mais au moins, je […] parce que je vis dans la violence, j’essaie de faire […] d’être joyeux, sinon c’est difficile de […]

 

[22]           Il ne s’agissait pas d’un cas isolé. Il existe d’autres exemples où l’intégrité des constatations de fait et des conclusions sur la crédibilité est remise en question par un manque de précision du langage.  Par exemple :

                        [traduction]

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Donc, de toute façon, la question était que si les Canadiens vous ont donné du fil à retordre pourquoi n’avez-vous pas fait marche arrière, n’êtes-vous pas retourné dans l’État de Washington et n’avez-vous pas revendiqué le statut de réfugié aux États-Unis?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Le fait est que la loi, la réglementation et la réalité canadiennes ne doivent pas donner du fil à retordre aux gens, c’est ce que j’ai décidé. Moi [ph] il s’agit de problèmes avec la personne, pas avec le Canada.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Ou avec l’adjoint [ph]. Je suis sûr que les Américains pourraient être tout aussi difficiles si vous entriez dans leur pays sans visa.

 

DEMANDEUR D’ASILE : Oui, mais j’ai expliqué que c’est mon passeport, que je suis un étudiant et que je n’ai pas de visa. Mais le problème est survenu aux douanes […] au service des douanes, la deuxième nuit, lorsqu’ils m’ont passé les menottes et que je suis parti à rire.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Vous êtes parti?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Je suis parti à rire, à rire. Et l’agent m’a demandé pourquoi je riais et j’ai répondu parce que les gens vont et viennent sans menottes et vous m’avez passé les menottes; c’est parce que je ris, c’est pourquoi je dois être dans cette situation.

 

[23]           Deux observations découlent de ces échanges. Premièrement, des problèmes graves et évidents se sont posés quant à la capacité de l’avocate du demandeur à conduire l’instance en anglais. Deuxièmement, le demandeur a donné à la Commission une explication plausible de son comportement. Loin de laisser entendre un manque de crédibilité, son explication témoignait de son angoisse, de sa manière de réagir face au stress et de l’importance qu’il accordait au fait de dissimuler ses inquiétudes ou ses faiblesses. Par conséquent, des motifs crédibles expliquaient son comportement et concordaient avec des événements passés

 

[24]           Les nuances de la preuve et du témoignage se sont perdues dans la façon mal avisée de procéder, et aucune conclusion sur la crédibilité ne pouvait être tirée sans risque d’erreur. Le commissaire n’était pas en mesure de se servir du témoignage pour tirer une conclusion négative exagérée relativement à la crédibilité du demandeur.  

 

[25]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour être réexaminée par un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission. 

 

[26]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et la Cour estime que l’affaire n’en soulève aucune.

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour être réexaminée par un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et la Cour estime que l’affaire n’en soulève aucune.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                   IMM-1089-11

 

INTITULÉ :                                                  MOHAMMAD RATIB ABEER c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                          Le 5 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
       LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 14 décembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Paul Dineen

POUR LE DEMANDEUR

 

Mme Rafeena Rashid

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Chapnick & Associates
Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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