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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20111213

Dossier : IMM-7203-10

Référence : 2011 CF 1414

Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2011

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

Enola Feria DARCY

Annamay Keyara DARCY

 

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision de Cynthia L. Summers, une commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 19 octobre 2010, dans laquelle il a été conclu que les demanderesses n’étaient pas des réfugiées au sens de la Convention et de l’article 96 de la Loi, ni des personnes à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la Loi.

 

[2]               Enola Feria Darcy (la demanderesse principale) et sa fille mineure, Annamay Keyara Darcy, sont citoyennes de Sainte‑Lucie. Leur demande d’asile présentée en application des articles 96 et 97 de la Loi est fondée sur l’abus qu’elles ont subi de la part de M. Andy Stanley, l’ex-conjoint de fait de la demanderesses principale, et sur le manque de protection à Sainte‑Lucie contre ce type d’abus.

 

[3]               La Commission a conclu que la demanderesse principale n’avait pas déployé des efforts raisonnables pour se prévaloir de la protection de l’État qui lui était offerte à titre de victime de violence familiale à Sainte-Lucie.

 

[4]               L’affaire soulève les questions suivantes :

1.                  La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve de la vulnérabilité supplémentaire des demanderesses si elles retournaient à Sainte-Lucie?

2.                  La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demanderesses n’ont pas réfuté la présomption de l’existence de la protection de l’État à Sainte‑Lucie?

 

* * * * * * * *

 

[5]               La première question porte sur l’appréciation des faits de la Commission et, par conséquent, doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 57 [Dunsmuir]).

 

[6]               En ce qui a trait à la deuxième question, il est établi que l’évaluation de la Commission au sujet de la protection de l’État soulève des questions mixtes de fait et de droit et doit aussi être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable (Hinzman c. M.C.I.; Hughey c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CAF 171, au paragraphe 38; Gaymes c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 801, au paragraphe 9; S.S.J. c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 546, au paragraphe 16).

 

[7]               En contrôlant la décision de la Commission en fonction de la norme de la décision raisonnable, la Cour ne devrait pas intervenir à moins que la Commission ait tiré une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable et intelligible, qui ne relève pas des issues possibles acceptables (voir Dunsmuir, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 59 [Khosa]). Comme la Cour suprême du Canada l’a conclu dans l’arrêt Khosa, aux paragraphes 59 et 61, « la cour de révision ne peut […] substituer l’issue qui serait à son avis préférable […] Les cours de révision ne peuvent [pas non plus] substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue ».

 

* * * * * * * *

 

1.  La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve de la vulnérabilité supplémentaire des demanderesses si elles retournaient à Sainte-Lucie?

[8]               Les demanderesses soutiennent que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte du danger supplémentaire qui s’est ajouté depuis leur départ – qui, à leur avis, constitue une revendication de statut de réfugié sur place. Réciproquement, le défendeur a soutenu qu’aucune revendication sur place ne peut être soulevée à ce sujet, parce que les demanderesses n’ont pas fourni une preuve suffisante permettant de prouver qu’elles courraient un danger si elles retournaient à Sainte‑Lucie.

[9]               Le problème avec la revendication sur place est qu’elle est basée sur la naissance de la demanderesse, qui est née au Canada, et sur le fait que M. Stanley serait encore plus dangereux maintenant qu’il connaît la paternité de l’enfant. Cependant, M. Stanley savait déjà que la demanderesse était enceinte lorsqu’elle a quitté Sainte-Lucie. De plus, M. Stanley était déjà dangereux et avait déjà menacé de tuer les demanderesses de nombreuses fois avant qu’elles quittent Sainte‑Lucie : dans son témoignage, la demanderesse principale a expliqué que c’étaient le comportement de M. Stanley et ses menaces envers elle et ses enfants qui avaient servi de déclencheur et qui l’avaient motivée à quitter Sainte-Lucie. De plus, bien que les demanderesses soutiennent que ce niveau de danger a augmenté, il est toujours lié au même type et à la même source de danger – la violence familiale et les menaces de mort de la part de M. Stanley.

 

[10]           Bien que la Commission n’ait pas explicitement mentionné les observations des demanderesses au sujet du danger accru, elle a traité de façon générale de la question de la protection de l’État offerte aux victimes de tels dangers à Sainte‑Lucie. Cela s’éloigne d’autres affaires où le défaut de la Commission de traiter une revendication sur place d’un demandeur a constitué une erreur susceptible de révision. Par exemple :

-  Dans Manzila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 165 F.T.R. 313, la Cour a annulé une décision de la Section des réfugiés parce qu’elle n’avait pas traité des activités du demandeur depuis son arrivée au Canada – activités qui auraient eu de sérieuses répercussions dans son pays d’origine, où il y avait eu un important changement de régime depuis son départ.

-  Dans un même ordre d’idées, dans Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 197 F.T.R. 303, la Cour a annulé une décision de la Section du statut de réfugié parce que celle-ci n’avait pas examiné le traitement que les autorités chinoises réservait aux nouveaux immigrants illégaux par rapport aux passeurs de clandestins – un risque auquel le demandeur faisait face parce qu’il avait été, à tort, visé par les médias télévisés canadiens comme capitaine et propriétaire d’un bateau de passage de clandestins.

 

[11]           Contrairement à ces deux affaires, la Commission en l’espèce a bien traité de la question de la protection de l’État offerte aux demanderesses en raison de leur crainte d’être victimes de violence familiale.

 

[12]           Par conséquent, le défaut de la Commission de traiter en particulier des observations des demanderesses au sujet du danger accru ne rend pas automatiquement sa décision déraisonnable.

 

2.  La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demanderesses n’ont pas réfuté la présomption de l’existence de la protection de l’État à Sainte‑Lucie?

[13]           La Commission a conclu que les demanderesses pourraient se prévaloir d’une protection de l’État adéquate si elles retournaient à Sainte‑Lucie.

 

[14]           La Commission s’est fondée sur deux conclusions principales pour cette décision : le défaut des demanderesses de déployer des efforts raisonnables pour obtenir la protection de l’État, et le caractère adéquat de la protection contre la violence familiale à Sainte‑Lucie. En tirant ces conclusions, la Commission a mentionné des preuves documentaires fournies par les demanderesses et a reconnu que la violence familiale était un problème dans ce pays. Cependant, elle a ensuite examiné le défaut de la demanderesse principale de déployer des efforts raisonnables pour obtenir la protection de l’État pendant les cinq ans au cours desquels elle a été victime de violence familiale à Sainte‑Lucie, en plus des extraits de la preuve qui mentionnaient des efforts dans la loi et de la part d’organismes non policiers de régler le problème de la violence familiale dans la pays. La Commission a donc conclu que les demanderesses pourraient se prévaloir d’une protection de l’État adéquate si elles retournaient à Sainte-Lucie.

 

[15]           Il convient de noter que la demanderesse principale n’a demandé la protection de la police à Sainte‑Lucie qu’une seule fois et elle n’a pas déposé de plainte aux policiers au sujet du peu d’aide qu’elle a reçu cette fois-là. De plus, sauf pour le fait qu’elle ait laissé sa fille chez sa mère, la demanderesse principale n’a pas demandé l’aide d’autres ressources dans le pays, y compris les médecins qu’elle a consultés pendant ses deux grossesses et après avoir subi une agression. À l’audience, la demanderesse principale a expliqué qu’elle ne savait pas qu’il existait des centres d’appui ou des cliniques juridiques, et que [traduction] « […] à l’époque, j’étais jeune, je ne me suis pas donné la peine de chercher de l’aide appropriée, ça ne m’importait pas. »

 

[16]           De plus, il existait des preuves au sujet du fait que des groupes tant gouvernementaux que non gouvernementaux avaient pris des mesures pour réduire le problème de la violence familiale à Sainte‑Lucie. Cette preuve, jointe au fait que la demanderesse principale n’avait approché la police qu’une seule fois, ne satisfait pas au critère de la « preuve claire et convaincante » que la protection de l’État n’est pas disponible ( Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, au paragraphe 57). Comme la Cour l’a expliqué dans la décision Baku c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 1163 [Baku], au paragraphe 15 :

[…]  un commissaire doit évaluer la demande d’un demandeur en fonction de la situation particulière de ce demandeur, et de la capacité de l’État à le protéger compte tenu de sa situation.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[17]           Par conséquent, la Commission pouvait conclure que les demanderesses n’avaient pas présenté une preuve claire et convaincante que des personnes vivant la même situation qu’elles avaient été déçues par les autorités. La Commission était au courant du problème de violence familiale à Sainte‑Lucie. Cependant, la Commission a entrepris une analyse détaillée de la situation actuelle à Sainte‑Lucie et a conclu que le pays prend des mesures pour surmonter ce problème et que, bien qu’il reste du travail à faire, de bons résultats avaient été atteints. Par conséquent, la conclusion de la Commission était raisonnable parce qu’elle était fondée sur la preuve dont la Commission était saisie.

 

[18]           De plus, dans sa décision, la Commission a mentionné d’autres ressources que les policiers sur lesquelles les demanderesses pouvaient se fier pour obtenir une protection à Sainte‑Lucie. Cependant, les demanderesses ont soutenu que l’évaluation du caractère adéquat de la protection de l’État devait se limiter à la disponibilité de la protection offerte par les policiers. Réciproquement, le défendeur s’est fondé sur la décision Baku pour soutenir que la protection de l’État peut aussi provenir d’autres sources. Je suis du même avis. Dans la décision Baku, la Cour s’est fondée sur la jurisprudence existante pour soutenir qu’« il est possible de demander la protection de l’État à d'autres organismes que la police, comme, par exemple, des organismes administrés par l’État » (au paragraphe 13).

 

[19]           En résumé, la Commission a examiné la preuve documentaire et a tenu compte des observations et des arguments des demanderesses. Compte tenu de toute la preuve, elle a conclu que les demanderesses n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État. Par conséquent, je ne peux pas conclure que la décision de la Commission était déraisonnable : ses conclusions au sujet du caractère adéquat de la protection de l’État relevait des issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, en fonction de la preuve dont elle était saisie. Sa décision était donc raisonnable puisqu’elle était justifiée, transparente et intelligible.

* * * * * * * *

 

[20]           Pour tous les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[21]           Je conviens avec les avocats des parties qu’il n’y a pas de question à certifier.

 

 


 

JUGEMENT

 

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7203-10

 

INTITULÉ :                                       Enola Feria DARCY, Annamay Keyara DARCY c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 13 décembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Vasanthi Venkatesh                              POUR LES DEMANDERESSES

 

Sybil Thompson                                    POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Vasanthi Venkatesh                                          POUR LES DEMANDERESSES

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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