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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 Date : 20111213


Dossier : IMM-2169-11

Référence : 2011 CF 1464

Ottawa, Ontario, le 13 décembre 2011

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

ALDO IVAN GANDARILLA MARTINEZ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Au préalable

[1]               Le seuil du caractère raisonnable d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] est très élevé. L’arrêt Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 CF 589 (CA), précise que le fardeau de preuve incombe au demandeur lorsque celui-ci remet en question la PRI. Selon l’arrêt Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 CF 164 (CA), au paragraphe 15, « [i]l ne faut rien de moins que l'existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d'un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l'existence de telles conditions […] ».

 

II. Introduction

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la SPR, rendue le 1 mars 2011, selon laquelle le demandeur n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention tel que défini à l’article 96 ni la qualité de personne à protéger selon l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

 

III. Faits

[3]               Monsieur Aldo Ivan Gandarilla Martinez est citoyen du Mexique et résidait dans la ville de Delicias dans l’État de Chihuahua.

 

[4]               Dans la nuit du 25 mai 2009, monsieur Gandarilla Martinez allègue avoir observé trois individus entreposant des armes à feu dans des boîtes dans la cour de la maison voisine à la sienne.

 

[5]               Le lendemain, monsieur Gandarilla Martinez aurait prévenu anonymement les autorités du Ministère public.

 

[6]               Le jour suivant, monsieur Gandarilla Martinez aurait été averti par un ami travaillant au Ministère public que deux personnes identifiées, comme les frères Antonio et Oscar Avila, et exerçant des activités criminelles avaient obtenu, avec l’aide d’un commandant du Ministère public, l’enregistrement de son appel téléphonique anonyme de même que l’enregistrement vidéo, capté avec une caméra de surveillance, montrant le demandeur effectuer la dénonciation. Les frères Avila auraient été en mesure d’identifier monsieur Gandarilla Martinez puisque l’un des frères aurait étudié à la même école que lui.

 

[7]               Monsieur Gandarilla Martinez se serait réfugié immédiatement, avec son épouse et leur fils, chez un oncle résidant à Estacion Consuelo, dans l’état de Chihuhua. Le lendemain de sa fuite, il serait retourné à son domicile pour constater que celui-ci avait été vandalisé et que son chien avait été tué. Une lettre de menaces aurait été laissée sur les lieux.

 

[8]               Pour des raisons économiques, monsieur Gandarilla Martinez a quitté son pays d’origine, non accompagné de sa famille, pour le Canada, le 7 juin 2009. Il y a demandé l’asile le 17 juillet 2009.

 

[9]               Le 8 avril 2010, le frère de monsieur Gandarilla Martinez a été tué par balle et des coups de feu ont été tirés en direction de la maison de son frère où se trouvaient la belle-sœur, l’épouse et le fils de monsieur Gandarilla Martinez.

 

IV. Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[10]           La SPR ne remet pas en question la crédibilité du demandeur et tient compte de sa nervosité et de son état d’anxiété attesté par un rapport psychologique déposé en preuve.

 

[11]           La SPR déduit qu’il y a une PRI au Mexique, plus particulièrement dans des villes éloignées des États de Chihuahua, de Monterrey ou Veracruz ou encore la ville de Mexico DF. Les éléments suivants appuient cette conclusion :

a)      Il est peu probable que les frères Avila, persécuteurs du demandeur, aient un intérêt à rechercher le demandeur, qui ne détient aucune preuve à leur endroit, partout au Mexique;

b)      Aucun membre de la famille du demandeur ou de son entourage n’a été menacé ou n’a été questionné afin de retrouver le demandeur;

c)      Aucun indice ne relie le décès du frère du demandeur à sa situation personnelle, le demandeur ayant lui-même admis faire une supposition;

d)      Le rapport psychologique déposé en preuve par le demandeur n’établit pas que l’état psychologique du demandeur fasse obstacle à son retour au Mexique.

 

V. Points en litige

[12]           1) La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant à la viabilité d’une PRI?

2) La SPR a-t-elle erré en omettant de qualifier le demandeur de personne vulnérable?

 

VI. Dispositions législatives pertinentes

[13]           Les dispositions législatives suivantes de la LIPR sont pertinentes :

Définition de « réfugié »

 

A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Personne à protéger

      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Person in need of protection

(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

 

VII. Position des parties

[14]           La partie demanderesse fait valoir que la conclusion de PRI viable est déraisonnable. Premièrement, elle prétend que la SPR n’a pas tenu compte de la preuve documentaire voulant que les persécuteurs puissent retrouver le demandeur grâce au manque de protection des renseignements, consignés dans les bases de données des institutions publiques mexicaines, advenant un retour au Mexique. Deuxièmement, la partie demanderesse prétend également que le rapport psychologique n’a pas été suffisamment pris en compte par la SPR à titre de preuve de la non-viabilité d’une PRI. Troisièmement, elle affirme que la SPR aurait dû appliquer les Directives sur les procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la CISR (Directives no 8).

 

[15]           La partie défenderesse fait valoir que les éléments sur lesquels se base la SPR pour conclure à une PRI, sont raisonnables. Au sujet de la preuve documentaire, elle fait valoir qu’en plus de ne pas avoir été convenablement produite au soutien de l’affidavit, elle n’est d’aucun secours au demandeur puisque celui-ci a admis que ses persécuteurs ne le rechercheraient pas. Dans la même perspective, elle précise que la SPR n’a aucune obligation de commenter l’ensemble de la preuve versée au dossier. En outre, l’analyse de la preuve documentaire plus récente n’appuie pas l’argument de la partie demanderesse.

 

[16]           Par ailleurs, la partie défenderesse argumente que le rapport psychologique n’est pas contraire aux conclusions de la SPR. En réponse à l’argument du demandeur relatif aux Directives no 8, elle souligne qu’il revenait au demandeur de présenter une demande d’adaptation des procédures en raison de son état vulnérable. D’ailleurs, elle insiste sur le fait que la SPR a tenu compte du rapport psychologique et fait preuve de sensibilité et de respect lors de l’interrogatoire.

 

VIII. Analyse

            1) La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant à la viabilité d’une PRI?

[17]           La problématique est relative à la viabilité de la PRI. Il importe de faire preuve de déférence concernant des conclusions découlant de l’appréciation de la preuve menant à la conclusion d’une PRI (Navarro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 358).

 

[18]           Dans Kumar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 601, le juge Richard Mosley a résumé ainsi, le test à appliquer, en vue de déterminer si une PRI est envisageable :

[20]      Pour que la Commission puisse conclure que le demandeur a une PRI viable et sûre, le critère à deux volets suivant, qui a été énoncé et appliqué dans les arrêts Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.), et Thirunavukkarasu, précité, doit être rempli :

 

(1) la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d'être persécuté dans la partie du pays où il existe une PRI;

 

(2) la situation dans la partie du pays où il existe une PRI doit être telle que, compte tenu de toutes les circonstances y compris de sa situation personnelle, il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur, de s'y réfugier.

 

[19]           Quant au premier volet du test à savoir si le demandeur risque d’être persécuté dans une autre partie du pays, la SPR répond par la négative. La partie demanderesse affirme que cette conclusion est erronée puisque la SPR n’a pas tenu compte de la preuve documentaire versée au dossier.

 

[20]           Dans l’affaire Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 FTR 35, [1998] ACF no 1425 (QL/Lexis), la Cour explique de la manière suivante les critères d’appréciation de la preuve :

[15]      La Cour peut inférer que l'organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée " sans tenir compte des éléments dont il [disposait] " du fait qu'il n'a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l'organisme. Tout comme un tribunal doit faire preuve de retenue à l'égard de l'interprétation qu'un organisme donne de sa loi constitutive, s'il donne des motifs justifiant les conclusions auxquelles il arrive, de même un tribunal hésitera à confirmer les conclusions de fait d'un organisme en l'absence de conclusions expresses et d'une analyse de la preuve qui indique comment l'organisme est parvenu à ce résultat.

 

[16]      Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait. [La Cour souligne].

 

[21]           Ainsi, pour réussir dans l’argumentation, selon laquelle la SPR a délibérément écarté la preuve, il ne suffit pas de prétendre que ce tribunal a omis de mentionner cette preuve. Encore, faut-il que cet élément de preuve soit pertinent et important quant à l’issue du litige?

[22]           Les preuves en question invoquées par la partie demanderesse font partie du Cartable national de documentation du Mexique du 26 novembre 2010.

 

[23]           La première preuve est l’onglet 3.6 MEX41642.EF, intitulé Information sur le code unique d'inscription de la population (Clave Unica de Registro de Poblacion - CURP), daté du 24 juin 2003.

 

[24]           L’analyse de cette preuve révèle que le CURP ne permet pas de retracer un demandeur au Mexique puisque l’adresse de l’individu n’est pas un renseignement qui peut être obtenu à partir du CURP comme l’indique le passage suivant :

L'information de la base de données principale des CURP renferme les renseignements fournis lors de l'assignation du CURP (nom, date de naissance, lieu de naissance et sexe) ainsi que le nom du bureau d'enregistrement et du registre auprès duquel la personne a enregistré son CURP (ibid. 12 juin 2003). La base de données des CURP ne contient aucune autre information, comme l'adresse de la personne (ibid. 18 juin 2003a) [...]

 

[25]           La deuxième preuve se rapporte à l’onglet 14.1, intitulé Mexique : questions choisies sur la possibilité de refuge intérieur (juillet 2003-juillet 2005) du même Cartable de documentation :

Jim Hodgson, secrétaire de l'Église Unie du Canada pour la région des Caraïbes et de l'Amérique Latine, mentionne que la présentation de la carte d'électeur est [traduction] « nécessaire pour effectuer un certain nombre de transactions courantes, avec les banques, les autorités gouvernementales ou la police notamment » (28 juin 2005). Selon lui, étant donné l'usage répandu de la carte d'électeur à titre de pièce d'identité et le manque de protection des informations contenues dans les bases de données des institutions publiques en général il est facile de retrouver quelqu'un au Mexique (Hodgson 28 juin 2005; ibid. 2 août 2005). Toujours selon Jim Hodgson, l'utilisation répandue de la carte d'électeur fait de la banque de données de l'IFE un moyen efficace pour la police de retrouver la trace d'une personne (ibid.). La Direction des recherches n'a pu trouver d'exemples concrets d'une telle utilisation de cette base de données parmi les sources d'information consultées.

[...]

 

Privacy International, organisme sans but lucratif de Londres qui effectue des recherches sur la question de la surveillance et de la violation de la vie privée par les gouvernements ou les entreprises et travaille à sensibiliser le public à ces problèmes (5 janv. 2005), soutient que le CURP donne l'accès direct à un éventail de données personnelles (16 nov. 2004). Toutefois, aucun cas particulier de l'utilisation du CURP pour retracer une personne n'a été trouvé parmi les sources d'information consultées par la Direction des recherches. [La Cour souligne].

 

[26]           Du reste, toujours dans le même Cartable de documentation du 26 novembre 2010, l’onglet 2.4, intitulé Mexique : situation des témoins des crimes et de la corruption, des femmes victimes de violences et des victimes de discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, datant de février 2007, à la section 3.3 Possibilité de retrouver les personnes qui ont fui des situations violentes, révèle ce qui suit :

Aucun des informateurs ne connaissait de cas où des témoins de crimes ou de corruption aient été retrouvés par leurs agresseurs à l'aide des bases de données ou des registres gouvernementaux (CDHFFV 28 nov. 2006; PGR 21 nov. 2006; ibid . 22 nov. 2006a; ibid . 24 nov. 2006). En particulier, Jorge Rosas Garcia du SIEDO, Beatriz Gonzalez Dominguez de l'AFI et Carlos Garduno du SDHAVSC n'avaient pas connaissance de cas où des groupes criminels aient utilisé des registres nationaux tels que la base de données de l'Institut électoral fédéral (Instituto Federal Electoral — IFE) pour retrouver des personnes qui s'étaient réinstallées ailleurs (ibid . 21 nov. 2006; ibid. 22 nov. 2006a; ibid . 24 nov. 2006). D'après Octavio Diaz Garcia du SFP, même si de gros efforts ont été faits pour améliorer le contenu des registres nationaux tels que celui de l'IFE, il n'existe toujours pas au Mexique de base complète de données personnelles d'identification (21 nov. 2006). Les deux registres nationaux les plus importants sont la base de données de l'IFE qui contient entre autres choses les adresses des personnes, et la base des codes uniques d'inscription de la population (Clave Unica de Registro de Poblacion — CURP) qui contient les dates de naissance des personnes (SFP 21 nov. 2006).

 

La loi interdit au grand public l'accès aux registres nationaux, dont la base de données de l'IFE (PGR 21 nov. 2006; ibid . 22 nov. 2006a). De plus, les agents de police fédéraux ne peuvent consulter la base de données de l'IFE que sur présentation d'une ordonnance de la cour et d'une permission écrite du ministère public (ibid. 21 nov. 2006). Dans le cas de la base de données des passeports, les organismes fédéraux d'application de la loi comme l'AFI ne peuvent y accéder qu'après en avoir fait une demande écrite à l'instance appropriée du ministère public (ibid . 22 nov. 2006a).

 

[27]           Ces extraits ne contredisent en rien la conclusion de la SPR. En effet, il importe de constater que la SPR, quant au premier volet du test relatif à la PRI, a basé une grande partie de l’analyse sur le fait que la famille proche du demandeur (son épouse et son fils) aussi bien que sa famille plus étendue n’ont pas été menacées ou, d’une quelconque façon, inquiétées, par ses persécuteurs. En effet, la SPR constate l’absence de liens entre le décès du frère du demandeur et la situation de ce dernier pour cause d’invraisemblance. Elle tient également compte de la preuve testimoniale comme le démontre le procès verbal :

Q.          Alors pourquoi per…pourquoi perdraient-ils leur temps à s’en prendre à vous, à vous rechercher au risque peut-être d’avoir des problèmes s’ils assassinent quelqu’un là de…selon vous?

 

R.         Peut-être ils ne perdraient pas leur temps à me rechercher mais il y a quelque chose que je sais, c’est, je sais que s’ils apprennent que je suis dans ma province ou dans ma ville, que ils vont vraiment faire bon, s’en prendre à moi. Ça c’est clair.

 

Même bon, quelque part dans mon pays, c’est, ça serait facile pour eux de me retrouver au Mexique

 

[...]

 

Q.                Et pourquoi, selon vous, on aurait attendu là autant de mois après votre départ pour s’en prendre à votre frère, si vous le savez là mais…

 

R.                 Moi, je suis toujours basé sur des suppositions. Je pense que, je pense que voyant que je ne retournais pas au Mexique, ils ont décidé de le tuer pour bon, pour m’obliger ou pour faire retourner.

 

Q.        Mais entre-temps là, durant tous les dix (10) mois entre votre départ et l’assassinat de votre frère, est-ce que les membres de votre famille ont eu des problèmes?

 

R.         Non. Non.

 

(Dossier du tribunal [DT] aux pp 192 et 196).

 

[28]           En soulignant que « les frères Avila n’ont que très peu, sinon aucun intérêt à perdre du temps à retrouver le demandeur qui ne les a pas dénoncé[s] directement et ne détient aucune preuve contre eux », la SPR critique la vraisemblance du récit (Décision au para 15). En effet, celle-ci ne s’attarde même pas aux moyens de retracer le demandeur partout au Mexique, mais bien à la possibilité qu’il soit vraiment recherché.

 

[29]           À la lumière de ce qui précède, la preuve documentaire n’est d’aucun secours au demandeur puisque, comme démontré, elle est peu probante et non contradictoire (Yada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 140 FTR 264). Le raisonnement du juge Marie-Josée J. Bédard dans Villegas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 699, s’applique au cas présent : 

[20]      La preuve documentaire invoquée par les demandeurs repose sur  l’opinion de deux personnes et est contredite par  la preuve documentaire plus récente. Bien qu’il soit vrai que la preuve invoquée par les demandeurs contredise la conclusion de la Commission, la conclusion de la Commission est néanmoins conforme à la preuve documentaire plus récente faisant partie et servant d’appui à l’extrait cité par la Commission. Je considère donc que la Commission n’avait pas l’obligation de mentionner de façon spécifique la preuve documentaire invoquée par les demandeurs. La Commission pouvait faire le tri entre les éléments favorables aux demandeurs et ceux qui l’étaient moins et il lui appartenait de soupeser cette preuve. L’appréciation de la preuve faite par la Commission était raisonnable et conséquemment ne justifie pas l’intervention de la Cour.

 

[30]           Des motifs non contredits par la preuve sous-tendent l’analyse de la SPR pour étayer la conclusion d’une PRI et il n’est guère possible, en conséquence, de conclure que la décision est déraisonnable malgré l’absence de référence à la preuve documentaire.

[31]           Quant au deuxième volet du test à savoir s’il serait déraisonnable d’exiger que le demandeur trouve refuge ailleurs au Mexique, le demandeur allègue que la SPR a erré en ce qu’elle n’a pas suffisamment tenu compte du rapport psychologique déposé en preuve. La SPR motive ainsi sa décision sur ce point particulier :

[17]      […] Dans son analyse quant à savoir s’il serait trop sévère ou non de s’attendre à ce que le demandeur s’établisse dans une autre ville au Mexique, le tribunal [tient] compte du rapport psychologique déposé en preuve. Ce dernier conclut que le demandeur manifeste des symptômes d’anxiété intense et qu’il manifeste une profonde répugnance (réluctance) à l’idée de retourner au Mexique où il appréhende ne pas pouvoir maintenir la paix d’esprit qu’il a pu regagner au Canada. À la lecture de ce rapport, il semble au tribunal que la psychologue ne se prononce toutefois pas précisément sur la détérioration possible de l’[é]tat de santé du demandeur s’il devait retourner au Mexique ou sur les conséquences pratiques d’un tel retour […]

 

[32]           La SPR, par ce paragraphe semble se référer au paragraphe suivant du rapport psychologique de la psychologue Marta Valenzuela, daté du 10 février 2011 :

Mr.Gandarilla’s symptoms are rising as his hearing date approaches. At present, Mr. Gandarilla manifests a profound reluctance of returning to Mexico. His narrative reflects his experience of a country where criminal individuals have the benefit of impunity related to crimes committed against less powerful citizens. Fear, disappointment and powerlessness in obtaining justice and protection from the authorities contribute to his apprehension that he and his family will continue being the target of persecution and crime in his country of origin he is in serious danger and that, most certainly, he will not be able to maintain the peace of mind he has been able to gain since living in Canada.

 

(Dossier du demandeur [DD] à la p 54).

 

[33]           La lecture de l’intégralité du rapport ne contredit pas la conclusion de la SPR. Celle-ci va même jusqu’à mentionner, dans sa décision, que la preuve présentée relative à l’état psychologique du demandeur ne permet pas de déterminer que le demandeur serait inapte à gagner sa vie ou à mener une existence normale.

[34]           Le seuil du caractère raisonnable d’une PRI est très élevé. L’arrêt Thirunavukkarasu, ci-dessus, précise que le fardeau de preuve incombe au demandeur lorsque celui-ci remet en question la PRI. Selon l’arrêt Ranganathan, ci-dessus, « [i]l ne faut rien de moins que l'existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d'un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l'existence de telles conditions […] ».

 

[35]           La décision de la SPR se doit d’être distinguée des décisions invoquées par le demandeur au soutien de son argument. Ainsi, les raisonnements dans les affaires Cepeda-Gutierrez, ci-dessus, ou Javaid c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 FTR 233, s’inscrivent dans une perspective de sanctionner les inférences de faits tirés de façon arbitraire faisant abstraction de la preuve versée au dossier. À titre d’exemple, dans Cepeda-Gutierrez, le rapport psychologique n’était pas mentionné dans les motifs du tribunal de première instance. La Cour a accueilli les contrôles judiciaires, car il était nécessaire d’approfondir l’examen de ces preuves, nœud central du dossier. 

 

            2) La SPR a-t-elle erré en omettant de qualifier le demandeur de personne vulnérable?

[36]           Ces Directives ont pour principal objectif « de mettre en place des adaptations d'ordre procédural pour les personnes que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) identifie comme étant vulnérables » (section 1.1 des Directives no 8) dans un souci de prendre pleinement en considération la fragilité et la vulnérabilité résultante de circonstances personnelles et particulières. Ces Directives permettent que l’audience soit adaptée en intégrant l’état de vulnérabilité de l’individu afin que celui-ci ne soit pas désavantagé dans son témoignage.   

[37]           Ce moyen d’adaptation procédural est à l’image des lignes directrices concernant la persécution fondée sur le sexe. À ce sujet, le juge Denis Pelletier dans l’affaire Newton c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 182 FTR 294, exprimait :

[17]      Les lignes directrices sont un outil dont le tribunal de la SSR peut se servir pour évaluer les éléments de preuve présentés par les femmes qui affirment avoir été victimes de persécution fondée sur le sexe. Les lignes directrices ne créent pas de nouveaux motifs permettant de conclure qu'une personne est victime de persécution. Dans cette mesure, les motifs restent les mêmes, mais la question qui se pose alors est celle de savoir si le tribunal était sensible aux facteurs susceptibles d'influencer le témoignage des femmes qui ont été victimes de persécution [...] [La Cour souligne].

 

(Également, Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 31 au para 22).

 

[38]           Malgré le fait que la partie demanderesse n’ait pas déposé de demande pour adapter la procédure, conformément à la section 5.1 des Directives no 8, la SPR, au paragraphe 11 de sa décision, a avancé les raisons pour lesquelles le demandeur n’est pas une personne vulnérable, et ce, en tenant compte du rapport psychologique. À la lecture du procès-verbal du cas en première instance, la Cour considère que la SPR a pris soin d’interroger le demandeur avec délicatesse et respect (Décision au para 11). Ce faisant, elle a respecté l’esprit des Directives (Munoz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1273, 302 FTR 67). Il ne ressort pas de l’examen du témoignage des indices dénotant une capacité diminuée du demandeur à témoigner.

 

 

 

IX. Conclusion

[39]           La décision de la SPR n’est pas entachée d’une erreur susceptible de révision. Il était raisonnable, en regard du contexte et des circonstances de l’affaire, de conclure à une PRI. La preuve documentaire n’a pas été arbitrairement exclue. Dans le même ordre d’idée, le rapport psychologique a été considéré par la SPR tant comme moyen de déterminer si le demandeur était une personne vulnérable qu’au moment de déterminer si l’état psychologique du demandeur pouvait être un obstacle à son retour au Mexique.

 

[40]           Le demandeur a été, non seulement entendu, mais également écouté. La Cour ne peut, en conséquence, substituer son raisonnement à celui de la SPR.

 

[41]           Pour l’ensemble des raisons précédemment exposées, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE le rejet de la demande de contrôle judiciaire du demandeur. Aucune question à certifier.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2169-11

 

INTITULÉ :                                       ALDO IVAN GANDARILLA MARTINEZ

c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATON

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 1 décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 13 décembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alain Joffe

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Catherine Brisebois

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Alain Joffe, avocat

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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