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Date : 20111125


Dossier : IMM-5113-10

Référence : 2011 CF 1368

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

CATALINA AVELDANO GARCIA

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Catalina Aveldano Garcia sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 18 août 2010, par laquelle un commissaire de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande d’asile, parce que sa crainte d’un enlèvement était dépourvue d’un minimum de fondement et qu’elle bénéficiait d’une protection de l’État.

 

[2]               La SPR a relevé des incohérences dans la demande de Mme Garcia et n’a pas ajouté foi à son témoignage. Elle a conclu, d’une part, que la demande était dépourvue d’un minimum de fondement et, d’autre part, qu’en dépit de l’existence de preuves documentaires contradictoires sur la situation des victimes de violence conjugale, la protection qu’assurait l’État mexicain était efficace et appropriée, car le gouvernement faisait de sérieux efforts pour lutter contre cette forme de violence. La SPR a dit être convaincue que, si Mme Garcia retournait au Mexique et sollicitait la protection des autorités, cette protection serait raisonnablement assurée.

 

[3]               Mme Garcia soutient que la SPR a commis un certain nombre d’erreurs sur le plan de l’appréciation des faits. Elle soutient aussi que la SPR a commis une erreur en analysant le caractère adéquat de la protection de l’État sous l’angle de la violence conjugale, alors qu’elle était la cible de criminels qui cherchaient à la faire participer contre son gré à des actes criminels en la soumettant à des menaces et à un enlèvement express.

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, je ferai droit à la demande de contrôle judiciaire.

 

Le contexte

[5]               Mme Garcia est citoyenne du Mexique et originaire de Mexico. Elle a eu trois enfants avec son conjoint, Moises Sanchez Cedillo (Moises), avant qu’ils se séparent en 2006. Elle a travaillé brièvement comme agente de police avant de commencer à travailler comme gestionnaire de la perception, des comptes et de la paye au sein du bureau de son ex-conjoint, qui supervisait l’administration de condominiums dans lesquels vivaient des résidants fortunés.

 

[6]               Moises a dit à Mme Garcia qu’on l’avait enlevé le 26 juillet 2008, pendant une sortie avec leur fille. Il a ajouté qu’elle allait devoir collaborer avec les ravisseurs, sans quoi sa famille à elle serait en danger. Elle a commencé à recevoir des menaces par téléphone, et son automobile a été vandalisée. Le 28 juillet 2008, elle a rencontré « El Chato » et un autre individu qui, selon elle, était peut-être Daniel Venegas Martinez, le chef du gang criminel. Les deux hommes ont exigé qu’elles fournissent des renseignements financiers et bancaires au sujet des bâtiments qu’elle gérait.

 

[7]               Mme Garcia affirme avoir été enlevée le 7 août 2008, dépouillée de ses vêtements de dessus, agressée et enfermée à clé dans une pièce. Lorsqu’elle a repris conscience, elle s’est échappée et s’est présentée à la police, vêtue seulement de sa blouse et de ses sous-vêtements. Elle avait déjà signalé les appels de menace, mais pas les dommages causés à son automobile. Après qu’elle eut signalé son enlèvement, la police l’a ramenée en automobile chez elle. Elle a été enlevée une autre fois le 10 août 2008 et, à cette occasion, elle a été entraînée de force dans une automobile, et on l’a menacée une fois de plus de lui faire du mal si elle n’obtempérait pas. Ses ravisseurs l’ont relâchée dans un endroit très éloigné.

 

[8]               Pendant cette période, Mme Garcia a consulté sa psychologue au Mexique pour l’aider à faire face au traumatisme subi. Après le second enlèvement, Mme Garcia s’est cachée et elle a fui le pays le 16 septembre 2008.

 

[9]               L’audition de la demande de Mme Garcia s’est déroulée dans le cadre de deux audiences, qui ont eu lieu les 29 avril et 15 juillet 2010. Elle a déclaré qu’elle croyait être prise pour cible parce qu’elle était une femme et qu’elle était susceptible de subir de l’extorsion, menacée et victimisée. Elle a ajouté qu’au Mexique les femmes sont vulnérables et que la police ne les protège pas.

 

La décision faisait l’objet du contrôle

[10]           La SPR a eu des doutes au sujet de la crédibilité de la demanderesse, car elle a conclu que celle‑ci avait donné des réponses différentes à des moments différents; plus précisément :

 

·      la fuite, après le premier enlèvement : la SPR a fait remarquer que les détails décrits lors des séances de consultation mentionnaient seulement qu’elle avait repris connaissance au sol, alors qu’il avait été question dans son témoignage et dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) d’une fuite par une fenêtre;

 

·      la prétention d’absence de protection de l’État : la SPR a conclu que la police était disposée à l’aider en consignant sa plainte et en la ramenant chez elle en automobile, mais que la demanderesse n’avait pas suffisamment attendu pour voir si la police l’aiderait; cela étant, la SPR a conclu que cela amoindrissait la crédibilité de la demanderesse;

 

·      la question de savoir si elle avait rencontré Martinez;

 

·      la question de savoir si sa fille avait été enlevée comme son ex-époux, car la demanderesse n’avait pas mentionné dans son exposé circonstancié que sa fille avait été enlevée elle aussi;

 

·      la question de savoir si l’on pouvait se servir de la base de données de l’IFE pour retrouver Mme Garcia à n’importe quel endroit au Mexique : la SPR a conclu que, d’après la preuve documentaire, les informations de l’IFE étaient strictement confidentielles, et elle a donc rejeté la prétention de la demanderesse selon laquelle d’autres personnes pouvaient y avoir accès; la SPR a conclu que ce fait amoindrissait également la crédibilité de la demanderesse;

 

·      la question de savoir si son automobile avait été endommagée : la SPR a jugé peu vraisemblable que la demanderesse n’ait pas signalé l’incident à la police et qu’elle ne l’ait fait qu’à la compagnie d’assurance.

 

En conséquence, la SPR a conclu que la demande de la demanderesse était dépourvue d’un minimum de fondement.

 

[11]           La SPR a également analysé la question de la disponibilité d’une protection de l’État et elle a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni de preuve claire et convaincante que cette protection était inadéquate au Mexique. La demanderesse n’avait fait qu’une seule plainte à la police et celle-ci avait collaboré avec elle et s’était montrée disposée à l’aider en consignant sa plainte et en la ramenant chez elle en automobile. La SPR a fait remarquer que la demanderesse n’avait pas signalé à la police les trois incidents dans lesquels son automobile avait été vandalisée, pas plus que son second enlèvement, et elle a conclu qu’« aucune information ne donne à penser que la police n’a pas déployé d’efforts sérieux et véritables pour faire enquête sur les allégations de la demandeure d’asile et pour appréhender l’auteur des infractions dont elle a été victime. La décision qu’elle a prise de se cacher et de quitter le Mexique par la suite a empêché l’État de prendre d’autres mesures de protection qui étaient peut-être imminentes ».

 

[12]           La demanderesse a prétendu qu’au Mexique, les femmes ne sont pas prises au sérieux et que la police ne les protège pas, mais la SPR a conclu que la preuve documentaire indiquait le contraire. Le Mexique a adopté des lois de nature civile, administrative et pénale qui interdisent la violence conjugale à l’endroit des femmes. La SPR a également mentionné brièvement que le Mexique avait adopté une loi fédérale : la Loi générale sur l’accès des femmes à une vie exempte de violence. Elle a ensuite analysé de manière exhaustive les dispositions législatives que le Mexique avait mises en place contre la violence conjugale.

 

[13]           Dans ce contexte, la SPR n’a trouvé aucune preuve convaincante que la demanderesse s’exposerait à une menace à sa vie, à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou à un risque de torture si elle retournait au Mexique.

 

[14]           La SPR a donc conclu que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugiée ou celle de personne à protéger.

 

Les dispositions législatives et réglementaires applicables

[15]           Les dispositions applicables de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] sont les suivantes :

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

107. (1) La Section de la protection des réfugiés accepte ou rejette la demande d’asile selon que le demandeur a ou non la qualité de réfugié ou de personne à protéger.

 

 

 

Preuve

 

(2) Si elle estime, en cas de rejet, qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable, la section doit faire état dans sa décision de l’absence de minimum de fondement de la demande.

 

 

[Non souligné dans l’original.]

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country…

 

107. (1) The Refugee Protection Division shall accept a claim for refugee protection if it determines that the claimant is a Convention refugee or person in need of protection, and shall `otherwise reject the claim.

 

No credible basis

 

(2) If the Refugee Protection Division is of the opinion, in rejecting a claim, that there was no credible or trustworthy evidence on which it could have made a favourable decision, it shall state in its reasons for the decision that there is no credible basis for the claim.

 

(Emphasis added)

 

Les dispositions applicables des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228, sont les suivantes :

 

7. Le demandeur d’asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s’en procurer.

 

28. (1) Tout document utilisé dans une procédure doit être rédigé en français ou en anglais ou, s’il est rédigé dans une autre langue, être accompagné d’une traduction française ou anglaise et de la déclaration du traducteur.

 

[Non souligné dans l’original]

 

7. The claimant must provide acceptable documents establishing identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they were not provided and what steps were taken to obtain them.

 

28. (1) All documents used at a proceeding must be in English or French or, if in another language, be provided with an English or French translation and a translator’s declaration.

 

 

 

(Emphasis added)

 

La norme de contrôle applicable

[16]           Pour ce qui est des conclusions quant à la crédibilité, la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité : Jiang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 775, aux paragraphes 9 et 10; Higbogun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 445, au paragraphe 21. C’est également la raisonnabilité qui s’applique aux conclusions quant à la protection de l’État : Zepeda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, au paragraphe 10.

 

[17]           Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte : Pacheco Silva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 733, au paragraphe 8.

 

Les questions en litige

[18]           Je formulerais les questions en litige en ces termes :

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans sa conclusion quant à la crédibilité?

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son analyse relative à la protection de l’État?

 

Analyse

[19]           La demanderesse dit avoir été victime de menaces et de deux enlèvements. Elle dit avoir pris la fuite après le premier enlèvement et avoir été relâchée après le second. Elle occupait le poste de gestionnaire de la perception, des comptes et de la paye au sein du bureau de son ex‑conjoint, qui supervisait l’administration de condominiums où vivaient des résidants fortunés. Elle dit que les enlèvements visaient à l’obliger à collaborer en fournissant des renseignements au sujet des comptes relatifs aux condominiums qu’elle gérait.

 

[20]           Pour bien saisir le contexte dans lequel s’inscrit la prétention de double enlèvement de la demanderesse, il est nécessaire de comprendre le phénomène des enlèvements express au Mexique. Le 2009 Human Rights Report: Mexico du Département d’État des États‑Unis décrit qu’un [traduction] « enlèvement express » consiste à détenir une victime pendant une courte période, habituellement pour obtenir de force un paiement. Il est dit dans ce document que de nombreux cas d’enlèvement ne sont pas signalés par peur de représailles et qu’il s’agit d’un grave problème au Mexique.

 

[21]           La SPR n’a pas ajouté foi à ce que disait la demanderesse, parce qu’elle a décidé que le témoignage de celle‑ci sur son premier enlèvement ne concordait pas avec la version traduite (de l’espagnol vers l’anglais) du rapport d’une psychologue, que la demanderesse consultait pour faire face au traumatisme causé par les enlèvements et les menaces.

 

[22]           La SPR a ajouté :

[…] En substance, la demandeure d’asile a présenté des renseignements contradictoires en ce qui concerne son enlèvement. Bien que je n’aie pas demandé à la demandeure d’asile d’expliquer cette contradiction, il est évident que la valeur probante de cette information est réduite du fait que des renseignements trompeurs ont été fournis soit dans le rapport psychologique de la demandeure d’asile, soit dans son témoignage. Par conséquent, j’accorde peu de crédibilité à cette information. […]

 

[23]           La SPR a relevé aussi d’autres incohérences qui l’ont amenée à conclure à une absence de minimum de fondement.

 

[24]           Je considère que la conclusion de la SPR à propos du rapport de la psychologue joue un rôle crucial dans sa conclusion quant à l’absence d’un minimum de fondement. Le rapport est important en ce sens qu’il s’agit d’un document établi par une spécialiste sur ce que la demanderesse a déclaré peu après son enlèvement.

 

La Commission a-t-elle commis une erreur dans sa conclusion quant à la crédibilité?

[25]           La demanderesse conteste la conclusion d’absence de minimum de fondement que la SPR a tirée et elle s’oppose avec vigueur à chacune des conclusions de fait de cette dernière.

 

[26]           Le défendeur fait état de la jurisprudence relative au paragraphe 107(2) de la LIPR et concernant les conclusions d’« absence de minimum de fondement » et il fait remarquer qu’il incombe à la demanderesse de fournir une preuve digne de foi ou de confiance à l’appui de sa demande d’asile, ce qu’elle n’a pas fait.

 

[27]           Le défendeur soutient que la SPR s’est acquittée convenablement de ses obligations; les divergences n’étaient pas minimes et avaient trait aux incidents mêmes qui se situaient au cœur de la demande d’asile de la demanderesse.

 

[28]           Le défendeur ne conteste pas que le rapport psychologique n’a pas été entièrement traduit. Il signale qu’il incombe à la demanderesse de produire auprès de la SPR des documents exacts et complets, et aussi d’en fournir une version traduite aux termes des Règles de la Section de la protection des réfugiés.

 

[29]           Selon le défendeur, la SPR a conclu avec raison, eu égard aux éléments de preuve qui lui ont été soumis, qu’il n’y avait aucune preuve digne de foi ou de confiance qui permettait de rendre une décision favorable.

 

[30]           Dans la décision Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 238 (CA), la Cour écrit :

Le concept de la crédibilité des éléments de preuve et celui de la crédibilité du demandeur sont évidemment deux choses différentes, mais il est évident que lorsque la seule preuve soumise au tribunal qui relie le demandeur à sa demande est celle que ce dernier fournit lui-même (outre, peut-être, les dossiers sur différents pays dont on ne peut rien déduire directement à l’égard de la revendication du demandeur), la perception du tribunal que le demandeur n’est pas un témoin crédible équivaut en fait à la conclusion qu’il n’existe aucun élément crédible sur lequel pourrait se fonder le second palier d’audience pour faire droit à la demande.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[31]           La décision Ouedraogo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 21, comporte aussi une description utile de l’absence de minimum de fondement, plus précisément au paragraphe 18 :

18        Dans l’arrêt Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), la Cour d’appel fédérale a énoncé que s’il n’y a aucun élément de preuve crédible sur lequel la Commission aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié, conclure à l’absence de minimum de fondement est justifié :

Enfin, bien que je ne puisse pas accepter la thèse de l’avocate de M. Rahaman, je reconnais que la Commission ne devrait pas systématiquement statuer qu’une revendication n’a pas un minimum de fondement lorsqu’elle conclut que le revendicateur n’est pas un témoin crédible. Comme j’ai tenté de le démontrer, la Commission doit, suivant le paragraphe 69.1(9.1), examiner tous les éléments de preuve qui lui sont présentés et conclure à l’absence de minimum de fondement seulement s’il n’y a aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié au revendicateur.

Pour ces motifs, je conviens avec le juge Teitelbaum que, ayant pris en considération tous les témoignages et documents qui lui avaient été présentés, la Commission n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a statué que la revendication de M. Rahaman n’avait pas un minimum de fondement. Par conséquent, je rejetterais l’appel et répondrais ce qui suit à la question certifiée :

La question de savoir si une conclusion qu’un revendicateur du statut de réfugié n’est pas un témoin crédible entraîne l’application du paragraphe 69.1(9.1) dépend d’une évaluation de tous les témoignages et documents produits en preuve. S’il n’y a aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel chacun des membres de la Commission aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié au revendicateur, une conclusion que ce dernier n’était pas un témoin crédible justifiera la conclusion d’absence de minimum de fondement.

 

[Souligné dans l’original.]

 

[Renvoi omis.]

 

[32]           La SPR a lu, dans les notes de la psychologue, la description faite par la demanderesse de sa fuite; cette description donnait à penser qu’on l’avait laissée blessée au sol, ce qui différait de son témoignage selon lequel elle avait pris la fuite par une fenêtre. Cependant, la traduction était manifestement incomplète. Les notes de la psychologue, en espagnol, relatent ensuite les détails de la fuite, lesquels correspondent au témoignage de la demanderesse.

 

[33]           L’erreur de traduction saute aux yeux. La traduction en anglais du compte rendu de la séance que la demanderesse a eue le 8 août 2008 avec la psychologue est d’une longueur d’une page environ et se termine au beau milieu d’une phrase. L’original – en espagnol - s’étend sur deux pages et demie.

 

[34]           La SPR n’a pas tenu compte de la survenance de l’enlèvement – l’élément fondamental de la demande de la demanderesse – à cause d’une traduction incomplète et elle a relevé une incohérence inexistante, étant donné que la version espagnole du rapport correspond au témoignage de la demanderesse. De plus, la SPR reconnaît ne pas avoir soumis la contradiction à l’attention de la demanderesse.

 

[35]           Je conclus qu’on n’a pas donné à la demanderesse la possibilité d’expliquer cette contradiction évidente.

 

[36]           Dans la décision Muthusamy c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 1333, au paragraphe 4, le juge Cullen écrit :

Qui plus est, la Commission a tiré une conclusion défavorable du défaut de traduction appropriée des documents d’identification du requérant. Au cours de l’audience, elle n’a pas porté cette question à l’attention du requérant. Selon un principe de justice naturelle bien établi, on doit savoir à quoi on s’attend. Si la Commission devait s’appuyer sur les documents d’identifications traduits, mais se préoccupait de l’exactitude de la traduction et de leur authenticité, elle était tenue d’éveiller l’attention du requérant sur cela. Ne pas le faire et fonder alors sa décision sur une question à laquelle le requérant n’a pas répondu est une violation de la justice naturelle.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[37]           Dans la décision Santos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 937, au paragraphe 18, le juge Mosley conclut lui aussi que la SPR aurait dû prévenir le demandeur des doutes qu’elle avait au sujet de la fiabilité de sa preuve documentaire, laquelle était importante pour sa demande.

 

[38]           La SPR tente d’excuser cette erreur en disant qu’il s’agit d’une incohérence peu importante qu’elle aurait pu admettre, n’eût été d’autres incohérences, mais elle s’en est manifestement servie pour montrer que la demande de la demanderesse était dépourvue d’un minimum de fondement. La SPR ne peut invoquer ce motif pour tirer une conclusion défavorable à la demanderesse et soutenir ensuite que l’incohérence est trop peu importante pour constituer une erreur sur le plan de l’équité procédurale.

 

[39]           Le fait que la SPR n’a pas confronté la demanderesse à la contradiction et ne lui a pas donné une occasion de remédier à l’erreur de traduction est une erreur susceptible de contrôle.

 

[40]           Je trouve également problématique l’emploi que fait la SPR de la disposition d’« absence de minimum de fondement ». Le dossier, pour ce qui est de questions telles que la sécurité du système d’IFE de la police, révèle que l’on a soumis à la SPR des preuves contraires. Celle‑ci se doit d’apprécier les éléments de preuve et de faire pencher la balance d’un côté plutôt que de l’autre. Cela ne veut pas dire que la demande présentée est totalement dépourvue d’éléments de preuve crédibles, étant donné surtout que les aspects importants du récit de la demanderesse sont corroborés dans son FRP, le témoignage qu’elle a fait de vive voix, la plainte faite à la police et le rapport psychologique, dressé quelques jours à peine après l’enlèvement signalé.

 

La protection de l’État

[41]           La demanderesse conteste la conclusion de la SPR selon laquelle la protection de l’État est adéquate.

 

[42]           Le défendeur réplique que la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau de prouver qu’il lui avait été impossible d’obtenir une protection de l’État. Il fait remarquer que la seule fois où la demanderesse l’a demandée, cette protection était disponible, car la police a consigné la plainte et a conduit la demanderesse chez elle. Au lieu de cela, soutient-il, la demanderesse n’a fait aucun effort pour faire un suivi auprès de la police. Elle s’est cachée une semaine seulement après avoir porté plainte à la police et a quitté le Mexique un mois plus tard. La demanderesse est tenue de faire des efforts raisonnables pour solliciter la protection de l’État : Romero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 977, au paragraphe 25.

 

[43]           Le critère relatif à la protection de l’État est décrit dans la décision Flores c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 723, au paragraphe 10 :

[…] Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans Carrillo, l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 précise que la protection aux réfugiés est une protection supplétive fournie en l’absence de protection par l’État dont le demandeur a la nationalité. Lorsque cet État est une société démocratique, telle que le Mexique, même si le demandeur fait face à des problèmes importants, dont la corruption et autres formes de criminalité, la qualité de la preuve nécessaire pour réfuter la présomption sera plus élevée. Il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation : Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[44]           La demanderesse soutient qu’en ce qui concerne la protection de l’État, le critère minimal n’est pas le même pour toutes les démocraties, surtout dans le cas du Mexique. Il incombe seulement aux demandeurs d’asile, dit-elle, de solliciter une protection si l’on considère que celle-ci est raisonnablement assurée : Chagoya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 721, au paragraphe 5; Shimokawa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 445, au paragraphe 21; Mendoza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 795, au paragraphe 16.

 

[45]           Il est inutile que j’apprécie la question du degré de protection de l’État assuré au Mexique, car je conclus que la SPR a omis d’examiner si la police est en mesure d’offrir une protection adéquate à une femme prise pour cible par un gang de ravisseurs, comme le soutient la demanderesse.

 

[46]           La SPR s’est plutôt concentrée sur les efforts faits par le Mexique pour aider les femmes victimes de violence conjugale. Son analyse ne traite pas de la situation de la demanderesse, car les personnes qui l’ont persécutée appartiennent au crime organisé.

 

[47]           La SPR n’a fait qu’une brève mention de la Loi générale sur l’accès des femmes à une vie exempte de violence, laquelle exige que les autorités fédérales et locales préviennent, sanctionnent et éliminent la violence faite aux femmes. Elle n’a pas vérifié si cette loi avait été appliquée ou reportée, même s’il y avait une preuve documentaire sur le sujet. Elle n’a pas non plus tenu compte des problèmes d’enlèvement au Mexique qui, selon le 2009 Human Rights Report: Mexico du Département d’État des États‑Unis, est un grave problème dans ce pays.

 

[48]           J’estime que la SPR s’est méprise sur la question de la protection de l’État et que, sur ce point, elle n’a pas procédé à une analyse qui était pertinente à l’égard de la demande d’asile de la demanderesse et des circonstances la concernant.

 

Conclusion

[49]           Je conclus que la SPR a manqué à l’équité procédurale en omettant de donner à la demanderesse une occasion d’expliquer l’évidente contradiction entre la traduction incomplète du rapport de la psychologue et son témoignage.

 

[50]           Je conclus par ailleurs que l’analyse que la SPR a faite au sujet de la protection de l’État était déraisonnable, car elle a principalement porté sur la protection qu’assure l’État contre la violence conjugale, plutôt que contre les actes criminels dont la demanderesse a fait état.

 

[51]           La demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et l’affaire sera renvoyée pour qu’un décideur différent rende une nouvelle décision.

 

[52]           Ni la demanderesse ni le défendeur n’ont proposé de question de portée générale à certifier, et je n’en certifie aucune.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée pour qu’un décideur différent rende une nouvelle décision.

 

2.           Je ne certifie aucune question de portée générale.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5113-10

 

 

INTITULÉ :                                       CATALINA AVELDANO GARCIA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 13 AVRIL 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 25 NOVEMBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Vasanthi Venkatesh

 

POUR LA DEMANDERESSE

Khatidja Moloo

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER : 

 

Vasanthi Venkatesh

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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