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Date : 20111121

Dossier : T-269-11

Référence : 2011 CF 1337

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 21 novembre 2011

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

 

MAO YE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

CITOYENNETÉ ET

IMMIGRATION CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, M. Mao Ye, est devenu un résident permanent du Canada le 1er juin 2005. Le 3 février 2009, il a demandé la citoyenneté canadienne. Dans une décision datée du 22 décembre 2010, un juge de la citoyenneté a rejeté la demande au motif qu’il n’était pas convaincu que le demandeur avait résidé pendant les 1 095 jours requis au cours des quatre ans (1 460 jours) qui avaient précédé la date de sa demande. Plus précisément, le juge a conclu que le demandeur avait résidé 978 jours de moins que le minimum requis. Le juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur n’avait pas satisfait à l’exigence en matière de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29 (la Loi sur la citoyenneté ou la Loi).

 

[2]               Le demandeur cherche à faire infirmer cette décision, en soulevant les questions suivantes :

1.         Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur en appliquant le critère de la présence physique énoncé dans la décision Re Pourghasemi (1993), 62 F.T.R. 122, 39 ACWS (3d) 251 (1re inst.) [Re Pourghasemi], plutôt que le critère qualitatif énoncé dans la décision Re Koo (1992), [1993] 1 CF 286, [1992] ACF n° 1107 (QL) (1re inst.) [Re Koo]?

 

a.                   Les affirmations et la conduite du juge lors de l’entrevue ont-elles fait naître une crainte raisonnable de partialité?

 

[3]               Il s’agit d’un appel en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté. Les appels interjetés en vertu de cette disposition sont instruits au moyen d’une demande fondée sur le dossier dont disposait le juge de la citoyenneté, et ils sont régis par les dispositions des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles) qui visent les demandes : alinéa 300c) des Règles; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Wang, 2009 CF 1290, 87 Imm LR (3d) 184. Il n’y a pas d’autres appels des décisions de la Cour. Si l’affaire n’est pas renvoyée pour nouvel examen, le demandeur débouté qui satisfait aux critères prévus par la loi peut présenter une nouvelle demande.

 

[4]               La citoyenneté est attribuée au demandeur qui satisfait aux critères énoncés à l’article 5 de la Loi sur la citoyenneté. Une certaine période de résidence est requise. En vertu de l’alinéa 5(1)c), la personne qui demande la citoyenneté doit démontrer qu’elle a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout.

 

[5]               La Loi sur la citoyenneté ne comporte aucune définition des mots « résident » et « résidence ».

 

[6]               Dans la présente affaire, le juge de la citoyenneté a appliqué l’interprétation de l’alinéa 5(1)c) de la Loi énoncée dans la décision Re Pourghasemi, précitée. Il a exigé que le demandeur démontre 1095 jours de présence physique au Canada. Il ne manquait pas que quelques jours au demandeur; la preuve démontre qu’il n’a été présent au Canada que 117 jours au cours des quatre ans qui ont précédé sa demande de citoyenneté.

 

[7]               Au fil des ans, la Cour fédérale a donné son adhésion à trois modes d’interprétation des mots « résident » et « résidence » utilisés dans la législation. Pour simplifier les choses, on peut regrouper en deux catégories les trois courants jurisprudentiels : « l’approche quantitative » et « l’approche qualitative ». Le critère énoncé dans la décision Re Pourghasemi, précitée, appliqué par le juge de la citoyenneté en l’espèce, fonde l’approche quantitative et consiste à se demander si le demandeur a été physiquement présent au Canada pendant 1 095 jours au cours des quatre dernières années. Ce critère est celui de la « présence physique ». L’approche qualitative a été exposée dans la décision Papadogiorgakis (Re), [1978] 2 CF 208, 88 DLR (3d) 243 [Re Papadogiorgakis], puis étoffée dans la décision Re Koo, précitée. Le critère dans la décision Re Koo, utilisé pour la première fois par la juge Reed, permet au juge de la citoyenneté d’analyser six facteurs en vue d’établir si le demandeur a « centralisé son mode d’existence » au Canada et satisfaisait ainsi à l’obligation de résidence, et ce, même s’il y a été présent moins des 1095 jours requis.

 

[8]               Dans la décision Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 164 FTR 177, 87 ACWS (3d) 432 (1re inst.), le juge Lutfy a relevé les divergences sur ce point qui existaient dans la jurisprudence et a conclu que, si un juge de la citoyenneté adhérait à l’une ou l’autre des trois écoles jurisprudentielles contradictoires et appliquait correctement aux faits d’espèce les principes de l’approche privilégiée, sa décision ne devrait pas être annulée.

 

[9]               Au cours des deux dernières années, certains de mes collègues ont tenté de rallier la Cour à l’un ou l’autre des critères. Dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Takla, 2009 CF 1120, 359 FTR 248, le juge Mainville a statué que l’approche qualitative devrait être le seul critère. Par contraste, dans la décision Martinez-Caro c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 640, 98 Imm LR (3d) 288 [Martinez-Caro], le juge Rennie a procédé à une analyse minutieuse de la question de l’interprétation législative appropriée de l’alinéa 5(1)c) de la Loi et a conclu que le critère de la présence physique était le seul critère correct.

 

[10]           À mon avis, la question a fait beaucoup de chemin dans le sens d’une résolution avec la décision Martinez-Caro, précitée, de mon collègue le juge Rennie. Sa décision diffère des autres décisions citées, parce que, pour la première fois, un juge de la Cour a procédé à une analyse rigoureuse de l’alinéa 5(1)c) en appliquant des principes modernes bien établis d’interprétation des lois. Le juge Rennie a conclu qu’une application des principes d’interprétation des lois amenait à retenir le critère de la présence physique, et non l’approche qualitative. Bien que je puisse ergoter sur son choix de la norme de contrôle de la décision correcte, son analyse et sa conclusion sont convaincantes. J’adopte ses motifs et sa conclusion quant à cette question.

 

[11]           En somme, en ce qui concerne cette question, le juge de la citoyenneté n’a pas commis d’erreur en appliquant le critère de la présence physique. L’interprétation que le juge a donnée de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté comme exigeant une présence physique pendant 1 095 jours n’est pas déraisonnable. Autrement dit, si la norme de contrôle est la décision raisonnable, conformément à ce qui a été établi dans la décision Lam, précitée, le juge n’a pas commis d’erreur. En outre, si la norme de contrôle est la décision correcte, j’adopte le raisonnement de mon collègue le juge Rennie dans la décision Martinez-Caro, précitée, et je conclus que l’application de l’exigence d’une présence physique correspond à l’interprétation correcte de l’alinéa 5(1)c). Que ce soit selon la norme de la décision raisonnable ou selon celle de la décision correcte, le juge de la citoyenneté n’a pas commis d’erreur en appliquant le critère de la présence physique aux faits qui lui avaient été présentés.

 

[12]           En ce qui concerne la deuxième question, le demandeur soutient que les actes du juge de la citoyenneté ont révélé un esprit fermé ou ont constitué un manquement à l’équité procédurale. En particulier, le demandeur signale trois problèmes :

 

1.                  au début de l’audience, le juge a informé le demandeur que celui-ci n’avait pas vécu assez longtemps au Canada pour obtenir la citoyenneté;

 

2.                  le juge a induit le demandeur en erreur durant l’examen des connaissances aux fins de l’obtention de la citoyenneté en faisant certains gestes trompeurs et des pauses inhabituelles, et ce, pour tenter, selon le demandeur, de faire échouer ce dernier;

 

3.                  le juge n’a pas envoyé la décision officielle au demandeur à l’intérieur du délai de trois mois.

 

Je ne suis pas convaincue que la conduite décrite ci-dessus s’élève au niveau d’un manquement à l’équité procédurale. Les remarques qui auraient été faites au demandeur au début de son entrevue n’étaient rien de plus qu’une affirmation de fait; le demandeur n’avait pas été physiquement présent pendant suffisamment de jours pour satisfaire aux exigences de la Loi sur la citoyenneté. Le demandeur a réussi l’examen des connaissances aux fins de l’obtention de la citoyenneté, bien qu’il croie que le juge a suggéré, de manière déplacée, des réponses incorrectes. Enfin, le léger retard à communiquer la décision officielle au demandeur n’était pas important. J’admets que le juge de la citoyenneté semble avoir été brusque avec le demandeur et peut-être impoli envers lui. Cependant, je ne suis pas convaincue que le comportement du juge équivaut à un manquement à l’équité procédurale.

 

[13]           Pour ces motifs, l’appel sera rejeté.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que l’appel de la décision du juge de la citoyenneté est rejeté.

 

                                                                                                               « Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-269-11

 

INTITULÉ :                                       MAO YE c. CITOYENNETÉ ET

IMMIGRATION CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 21 NOVEMBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 21 NOVEMBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mao Ye

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Suran Bhattacharyya

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

S/O

 

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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