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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20111118


Dossier : IMM-2294-11

Référence : 2011 CF 1324

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

IGOR GUZUN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 8 mars 2011par la Section de la protection des réfugiés, Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu que le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

 

[2]               La demande sera rejetée pour les motifs énoncés ci‑dessous.

 

I.          Les faits

 

[3]               Le demandeur, Igor Guzun, a 29 ans et est citoyen de la Moldavie. Il craint d’être persécuté s’il retourne dans ce pays en raison de son orientation sexuelle.

 

[4]               Le demandeur prétend que, lorsqu’il fréquentait l’Académie d’études économiques de la Moldavie, il se faisait harceler en raison de son orientation bisexuelle. Il allègue aussi qu’il a été battu par des voisins et des collègues homophobes, et qu’il a été contraint de quitter son emploi.

 

II.         La décision faisant l’objet du contrôle

 

[5]               La Commission a d’abord traité des questions de procédure. L’audience précédente avait été ajournée faute de temps et le conseil n’était pas disponible pour cause de maladie. La présidente croyait toutefois que le demandeur avait choisi en connaissance de cause de poursuivre l’audience en l’absence du conseil. Il a avisé la Commission qu’il souhaitait mener l’audience à terme. Après avoir posé quelques questions et expliqué les options s’offrant au demandeur, la présidente a suspendu la séance afin que le demandeur puisse s’entretenir avec ses amis venus lui prêter un soutien moral. À la reprise de l’audience, le demandeur a réitéré qu’il souhaitait poursuivre l’audience plutôt que la reporter.

 

[6]               Dans le cadre de son examen, la Commission a relevé des aspects minant la crédibilité de l’allégation du demandeur selon laquelle il était pris pour cible en raison de ses relations bisexuelles ou homosexuelles. Elle a relevé des incohérences et des omissions touchant à des éléments importants de la demande d’asile. Par ailleurs, le demandeur n’a pas produit certains éléments de preuve documentaire qu’il lui était raisonnablement possible d’obtenir. La Commission a cerné les lacunes suivantes, entre autres :

•           le Formulaire de renseignements personnels (le FRP) du demandeur ne contenait aucun détail au sujet d’une agression survenue après la collation des grades, en juin 2004, et aucun document n’a été produit pour étayer cette allégation, par exemple un rapport médical ou un rapport de police;

•           vu les renseignements contradictoires, la Commission n’a pu conclure que, en 2006 et 2007, le demandeur avait été forcé de quitter son emploi en raison de son orientation sexuelle;

•           un certificat médical indiquant que le demandeur a été traité à la suite d’une dislocation de l’épaule ne précise pas si la blessure résulte d’une agression survenue en mars 2007, comme le demandeur l’allègue;

•           le demandeur n’a pas expliqué de façon satisfaisante pourquoi il était retourné à Chisinau après que lui et son ami Sergey aient été battus à l’extérieur d’un café en octobre 2007;

•           les renseignements selon lesquels il est actuellement membre d’une église de Toronto qui offre un groupe de soutien pour les personnes bisexuelles et homosexuelles ne sont pas suffisants.

 

III.       Les questions en litige

 

[7]               Les questions suivantes sont soulevées en l’espèce :

 

a)         La Commission a‑t‑elle enfreint le principe de justice naturelle ou d’équité procédurale en tenant l’audience malgré l’absence du conseil du demandeur?

 

b)         La conclusion de la Commission quant à la crédibilité du demandeur est‑elle raisonnable?

 

IV.       La norme de contrôle

 

[8]               Les questions d’équité procédurale commandent la norme de la décision correcte (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) v Khosa, 2009 CSC 12, 2009 CarswellNat 434, au paragraphe 43).

 

[9]               La conclusion de la Commission quant à la crédibilité est examinée selon la norme de la décision raisonnable (Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 346, 2008 CarswellNat 694, au paragraphe 7). Suivant l’arrêt Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47, le caractère raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

V.        Analyse

 

Question a) : La Commission a‑t‑elle enfreint le principe de justice naturelle ou d’équité procédurale en tenant l’audience malgré l’absence du conseil du demandeur?

 

[10]           Le demandeur soutient que la Commission n’aurait pas dû tenir l’audience en l’absence du conseil inscrit au dossier. Le conseil, qui était malade, avait préparé une requête d’ajournement qui a été présentée à la présidente de l’audience. Dans ses observations écrites, le demandeur indique que la commissaire lui a fait croire qu’il serait avantageux pour lui de poursuivre l’instruction. Il s’agit d’une observation sans fondement, et il est heureux que cet argument n’ait pas été invoqué durant l’audition de la présente affaire. Le demandeur prétend qu’il se sentait anxieux et confus face à cette décision. Ses amis anglophones lui ont donné des conseils pendant la pause, mais ils n’avaient aucune formation, accréditation ou connaissance en matière de droit des réfugiés. Il a agi sous la contrainte et n’a pas pris une décision en connaissance de cause.

 

[11]           Le défendeur soutient que la décision de la Commission montre que le demandeur a pris une décision éclairée. Ce dernier a dit à la commissaire qu’il souhaitait poursuivre en vue de « mettre un terme » à l’affaire. Il y a eu des échanges à ce sujet et la séance a été suspendue afin que le demandeur puisse consulter ses amis. Le demandeur a indiqué de nouveau qu’il souhaitait poursuivre.

 

[12]           Il ressort de la transcription de l’audience que la commissaire a traité la demande écrite d’ajournement. Elle a posé des questions au demandeur pour savoir à quel moment il avait été informé de la requête. C’est le demandeur qui a insisté pour poursuivre l’instruction et parvenir à une conclusion la journée même. Il a également insinué qu’il n’était pas satisfait de son conseil. Après lui avoir donné le temps de consulter ses amis, la commissaire a vérifié si le demandeur souhaitait toujours poursuivre. Selon le dossier, le demandeur a eu la possibilité de choisir en connaissance de cause de procéder sans le conseil et de renoncer à la demande d’ajournement.

 

[13]           Le droit à un conseil dans une instance en matière d’immigration et d’asile n’est pas un droit absolu. Si l’absence du conseil prive la personne de son droit à une audience équitable, cependant, le contrôle judiciaire doit être accordé (voir le résumé de la jurisprudence fourni par le juge Sean Harrington dans Mervilus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1206, [2004] A.C.F. no 1460, aux paragraphes 17 à 22).

 

[14]           Dans Nemeth c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 590, 28 Imm. L.R. (3d) 262, la Cour était saisie d’une affaire où les demandeurs d’asile avaient renoncé à leur droit à un conseil, parce que le conseil ne pouvait être présent à la date d’audience prévue. Comme les demandeurs ont choisi de procéder, il n’y a pas eu manquement à l’obligation d’équité sur ce point. La Cour a néanmoins conclu que des questions d’équité avaient été soulevées durant l’audience. La Cour a souligné que la Commission aurait dû être « consciente de la possibilité que les revendicateurs fussent mal préparés pour présenter eux‑mêmes leur cas » et que « la liberté de la Commission de procéder à l’instruction malgré l’absence d’un avocat ne la dispense évidemment pas de l’obligation primordiale de garantir une audience équitable ». Dans ce cas particulier, il a été jugé que les demandeurs n’avaient pu exercer leurs droits dans le cadre de la demande d’asile.

 

[15]           En l’espèce, le demandeur ayant pris la décision de poursuivre, il ne semble pas avoir été privé de son droit à une audience équitable. Il lui a été possible de présenter le reste de ses observations en réponse aux questions de la commissaire, laquelle semblait « consciente de la possibilité » qu’il soit « mal préparé pour présenter » lui‑même son cas. Par exemple, la commissaire a expressément expliqué au demandeur qu’il avait la possibilité de présenter une plaidoirie à la fin de l’audience, soulignant que, si le conseil avait été présent, il aurait été avisé en conséquence. La commissaire a demandé si le demandeur souhaitait lui présenter d’autres renseignements.

 

[16]           Puisque le demandeur a pris la décision éclairée de poursuivre et qu’il a pu exercer ses droits, la Commission n’a pas manqué à son obligation d’équité en poursuivant l’instruction sans le conseil.

 

 

Question b) : La conclusion de la Commission quant à la crédibilité du demandeur est‑elle          raisonnable?

[17]           Le demandeur conteste les conclusions défavorables de la Commission quant à la crédibilité pour deux motifs. Premièrement, il n’était pas loisible à la Commission de douter de sa crédibilité en raison des soi‑disant incohérences et omissions liées au FRP, surtout que l’audience a justement pour but de donner au demandeur la possibilité de fournir des précisions à l’appui de sa demande d’asile. Deuxièmement, le demandeur maintient qu’il n’était pas raisonnable d’interpréter l’absence de certains documents comme un défaut de produire une preuve documentaire corroborante. Il souligne qu’une procuration avait été donnée à la Commission pour qu’elle obtienne des documents de la Moldavie, des documents médicaux et des lettres à l’appui de la communauté GLBT.

 

[18]           Je conviens que la Commission ne devrait pas accorder trop d’importance aux incohérences mineures ou ajouts fondés sur le FRP (voir Feradov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 101, 2007 CarswellNat 180, aux paragraphes 18 et 19; Mohacsi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 429, 2003 CarswellNat 941, au paragraphe 20). L’omission d’un fait important dans le FRP du demandeur d’asile peut toutefois justifier une conclusion défavorable quant à la crédibilité (voir Akhigbe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 249, 2002 CarswellNat 498, au paragraphe 12; Khalifa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 369, 2004 CarswellNat 649, au paragraphe 18).

 

[19]           En l’espèce, il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité à la lumière des omissions et incohérences liées au FRP. Celles‑ci touchaient à des aspects importants de l’allégation du demandeur selon laquelle il se faisait persécuter en Moldavie en raison de ses relations bisexuelles, par exemple des détails concernant les agressions, la raison de sa démission, le moment où sa famille a été mise au courant de ses relations et la raison pour laquelle il est retourné à un endroit où il s’était fait agresser. Par moments, la commissaire a semblé faire du zèle dans l’analyse de certaines incohérences, mais dans l’ensemble, la conclusion défavorable de la Commission quant à la crédibilité appartient aux issues acceptables.

 

[20]           En ce qui concerne la preuve documentaire, il est permis à la Commission d’accorder un poids limité à certains documents (voir, par exemple, Dzey c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 167, [2004] A.C.F. no 181). Il n’était pas déraisonnable d’exiger une preuve documentaire étayant les aspects importants de la demande d’asile, y compris des renseignements supplémentaires au sujet des agressions dont le demandeur prétend avoir été victime et des problèmes liés à son emploi.

 

[21]           Compte tenu des incohérences liées au FRP, et en l’absence d’éléments de preuve documentaire corroborant les aspects importants de la demande d’asile, la conclusion défavorable que la Commission a tirée à l’égard de la crédibilité appartient aux issues possibles acceptables.

 

VI.       Conclusion

 

[22]           Puisque le demandeur a pris une décision éclairée, la Commission n’a pas enfreint le principe de justice naturelle en procédant à l’instruction en l’absence du conseil inscrit au dossier. En outre, les conclusions sur la crédibilité fondées sur les incohérences liées au FRP et les documents à l’appui étaient raisonnables dans les circonstances, puisqu’elles touchent à des aspects importants de la demande d’asile.

 

[23]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2294-11

 

INTITULÉ :                                       IGOR GUZUN c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 3 NOVEMBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 18 NOVEMBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robin Morch

 

POUR LE DEMANDEUR

Marina Stefanovic

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robin Morch

Avocat et notaire

Ballantrae (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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