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Date : 20111102

Dossier : IMM‑863‑11

Référence : 2011 CF 1252

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

 

AVETIS GHALOGHLYAN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande concerne une décision relative à des motifs d’ordre humanitaire (décision CH) prise à l’égard d’un jeune qui est venu au Canada dans les circonstances suivantes :

[traduction]

Le demandeur est un citoyen de l’Arménie âgé de 19 ans. Il a été envoyé au Canada, en mars 1999, afin de rendre visite à sa tante du côté maternel. Il était alors âgé de 7 ans.

 

Les parents du demandeur, qui se trouvaient en Arménie, ont alors décidé qu’il devrait demeurer au Canada. Ils ont pris cette décision, croyant que c’était dans l’intérêt supérieur de leur enfant en raison de sa santé fragile.

 

Les parents du demandeur ont signé un document qui confiait la tutelle de leur enfant à sa tante au Canada. Il était âgé de 8 ans lorsque cette décision a été prise pour lui. Cela fait maintenant plus de 10 ans qu’il est ici. En décembre 2008, la tante du demandeur a présenté une demande CH pour le demandeur. Selon les éléments de preuve fournis à l’appui de la demande, le demandeur avait grandi au Canada et il y était établi. Il avait vécu toute son enfance avec sa tante canadienne qu’il considère comme une mère.

 

(Mémoire du droit et des arguments du demandeur, p. 35 et 36)

 

[2]               Le principal motif donné par l’agent qui a rejeté la demande de dérogation du demandeur est que celui‑ci n’éprouverait pas de difficulté s’il retournait en Arménie parce qu’il habiterait avec ses parents qui l’entoureraient de leurs soins attentionnés. Sur cette question de fait, le demandeur prétend que sa demande de dérogation a été rejetée parce que la décision a été rendue sans tenir compte de tous les éléments de preuve qu’il avait à présenter et, par conséquent, en violation de l’obligation d’agir équitablement à son endroit.

 

[3]               L’argument avancé par le demandeur relativement au manquement à l’obligation d’agir équitablement est que la décision CH défavorable a été rendue avant de lui donner l’occasion de présenter des renseignements mis à jour permettant d’établir l’existence d’un changement important dans sa situation familiale en Arménie. Ainsi qu’il est énoncé dans l’affidavit du demandeur présenté à l’appui de la présente demande, les renseignements à jour en sa possession qu’il souhaitait fournir étaient que son père avait maintenant pris sa retraite de l’armée russe et, comme il était admissible à un logement pour retraités en Russie, les parents du demandeur avaient décidé d’y déménager aux frais de l’armée russe. Ces renseignements à jour sont importants, car si le demandeur devait retourner en Arménie après le déménagement de ses parents en Russie, il ne pourrait pas aller habiter avec eux et bénéficier de leurs soins étant donné qu’il ne peut se rendre en Russie (dossier de la demande, p. 14). Le demandeur a découvert à l’automne 2010 ce changement important par rapport aux éléments de preuve qu’il avait fournis, mais il n’a pas immédiatement communiqué l’information aux fins d’examen, car il attendait la confirmation du déménagement imminent de ses parents (dossier de la demande, p. 15).

 

[4]               L’argument concernant l’équité met l’accent sur la séquence des événements non contestés relatifs à la présentation des éléments de preuve à l’appui de la demande de dérogation du demandeur fondée sur l’existence de motifs d’ordre humanitaire. La demande du demandeur porte la date du 22 décembre 2008. En réponse à sa demande, le demandeur a reçu de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) une lettre datée du 23 avril 2009 dans laquelle il était écrit :

[traduction] Veuillez prendre note que notre bureau traite actuellement un volume élevé de demandes. Le traitement de votre demande pourrait prendre de 30 à 42 mois. Nous vous prions de ne pas communiquer avec notre bureau pour une mise à jour de votre demande. Nous vous tiendrons au courant si une entrevue ou des renseignements supplémentaires sont nécessaires.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(Dossier certifié du tribunal, p. 19)

 

[5]               En ce qui concerne la possibilité offerte au demandeur de présenter des renseignements supplémentaires, les dossiers du Système de soutien des opérations des bureaux locaux (SSOBL) du défendeur contiennent la note suivante au sujet d’une lettre rédigée le 21 octobre 2010 et portant cette même date :

[traduction] Lettre envoyée au client lui demandant de remplir et de retourner le formulaire de mise à jour de l’historique du client, ainsi que tout autre renseignement qu’il désirerait voir pris en considération dans le cadre de sa demande CH.

 

(Dossier du défendeur, p. 7)

 

Par ailleurs, dans le dossier concernant la présente demande, l’agent présente par affidavit la preuve corroborante suivante :

[traduction] Il est indiqué dans les notes du Système de soutien des opérations des bureaux locaux (SSOBL) concernant le no de dossier 3122‑3820‑8085 qu’une lettre a été envoyée au demandeur à [son adresse à Ottawa] le 21 octobre 2010. Une copie de la lettre a été conservée au dossier. Dans ladite lettre, le demandeur a été prié de remplir un formulaire de l’historique du client et avisé qu’il disposait de 30 jours pour présenter tout autre renseignement devant être pris en considération dans le cadre de sa demande.

 

(Dossier du défendeur, p. 2)

 

Il n’y a pas de doute que l’adresse figurant sur la lettre de demande de renseignements supplémentaires envoyée par l’agent est l’adresse que le demandeur a fournie à des fins de communications concernant sa demande.

 

[6]               Le défendeur prétend que le demandeur qui présente une demande de dérogation fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est tenu de présenter les éléments de preuve additionnels à mesure qu’ils surviennent et que l’agent saisi de la demande n’est pas tenu de vérifier si le demandeur a des renseignements supplémentaires à fournir avant de rendre sa décision. En l’espèce, je n’accorde aucun poids à cet argument puisque l’agent se souciait expressément d’obtenir des renseignements additionnels avant qu’une décision ne soit rendue; tel était l’objet de la lettre du 21 octobre 2010.

 

[7]               Sans être au courant des renseignements à jour dont disposait le demandeur, l’agent a rejeté sa demande de dérogation par une lettre en date du 17 janvier 2011, après un délai de traitement de seulement 21 mois. Le demandeur jure ne pas avoir reçu la lettre de demande. En fait, il n’a découvert qu’une lettre lui avait été envoyée que lorsqu’il a reçu les motifs de décision de l’agent le 20 avril 2011 (dossier de la demande, p. 15). Il n’y a aucune raison de douter de la véracité des éléments de preuve présentés par affidavit par le demandeur ou par l’agent dans le cadre de la présente demande.

 

[8]               Le défendeur prétend que le fait que le demandeur n’ait pas reçu la lettre de demande n’a aucune incidence sur la preuve selon laquelle la lettre a été envoyée et que, par conséquent, le fait de rendre la décision sans les éléments de preuve à jour du demandeur ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle judiciaire. En appui à cet argument, le défendeur invoque la décision Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 935, où le juge Barnes tire la conclusion suivante au paragraphe 12 :

[…] lorsqu’une lettre est envoyée correctement par un agent des visas à une adresse (électronique ou autre) fournie par un demandeur, que cette adresse n’a pas fait l’objet d’une révocation ou d’une révision, et qu’on n’a reçu aucun indice de la possibilité que la communication ait échoué, le risque de défaut de livraison repose sur les épaules du demandeur, et non du défendeur. Par conséquent, la présente demande doit être rejetée.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Le défendeur prétend que l’expression « envoyée correctement » fait simplement allusion à l’adresse de correspondance fournie par le demandeur. Toutefois, au paragraphe 5 de la décision Alavi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 969, le juge Hughes élabore cette interprétation avant de conclure qu’une preuve d’envoi est requise :

[traduction] Le principe qui se dégage de ces affaires [Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 935; Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 75; Abboud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 876; et, Yazdani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 885], qui visent toutes des lettres envoyées par l’ambassade traitant la demande au demandeur ou au représentant du demandeur, est que le ministre doit assumer le soi‑disant « risque » qu’une lettre n’ait pas été envoyée s’il ne peut prouver que la lettre en cause a été envoyée par ses représentants. Cependant, une fois que le ministre prouve que la lettre a bel et bien été envoyée, c’est le demandeur qui assume le risque que la lettre n’a pas été reçue.

 

Ainsi, en tenant compte des décisions rendues dans les affaires Kaur et Alavi, je conclus que le principe à appliquer dans les cas d’envoi de documents est le suivant : sur preuve que, selon la prépondérance des probabilités, un document a été envoyé, il existe une présomption réfutable que le demandeur concerné l’a reçu, et l’affirmation du demandeur voulant qu’il n’ait pas reçu le document ne réfute pas, à elle seule, la présomption.

 

[9]               La question qui se pose est donc la suivante : que faut‑il pour prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’un document a été envoyé? À mon avis, afin de conclure qu’un document a été « envoyé correctement », au sens où cette expression est employée dans la décision Kaur, il doit avoir été envoyé à une adresse fournie par le demandeur, par un moyen qui permet de vérifier que le document a bel et bien été acheminé au demandeur.

 

[10]           Par exemple, en ce qui concerne les documents, il est possible de prouver qu’une lettre a été acheminée en l’envoyant par courrier recommandé et en produisant de la documentation attestant la manière dont l’envoi a été fait, ou en produisant un affidavit souscrit par la personne qui a posté la lettre. On peut prouver qu’une télécopie a été acheminée en produisant un relevé des messages envoyés par télécopie confirmant l’envoi. L’envoi d’un courriel peut être prouvé par la production d’une copie papier de la boîte d’envoi de l’expéditeur indiquant que le message en cause a été envoyé à l’adresse de courriel fournie à des fins d’envoi, et qu’il n’y a pas eu d’avis d’échec de livraison, c’est‑à‑dire que le courriel n’est pas « revenu ». D’autres preuves qu’un document a été acheminé pourraient suffire; la décision dans chacun des cas varie selon les éléments de preuve présentés.

 

[11]           En l’espèce, puisqu’il n’y a aucune preuve confirmant que la lettre de demande a été acheminée au demandeur, je conclus que la présomption réfutable établie par la décision Kaur ne s’applique pas. En conséquence, comme le demandeur n’a pas dûment reçu un avis lui demandant de présenter les importants éléments de preuve supplémentaires en sa possession avant que soit rendue la décision visée par la présente demande, je conclus que l’agent a manqué à son obligation d’agir équitablement envers lui, et que, par conséquent, cette décision est entachée d’une erreur susceptible de contrôle judiciaire.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la décision contestée soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑863‑11

 

INTITULÉ :                                                   AVETIS GHALOGHLYAN c.
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 27 octobre 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 2 novembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Laura Setzer

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Peter Nostbakken

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Immigration Ottawa

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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