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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20111101


Référence : 2011 CF 1249

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er novembre 2011

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

Dossier : T-1619-09

ENTRE :

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

COMPAGNIE D’ASSURANCE VIE RBC

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

Dossier : T-484-10

ET ENTRE :

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

INDUSTRIELLE ALLIANCE PACIFIQUE, ASSURANCE ET SERVICES FINANCIERS INC.

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

 

 

 

Dossier : T-485-10

ET ENTRE :

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

INDUSTRIELLE ALLIANCE, ASSURANCE ET SERVICES FINANCIERS INC.

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

Dossier : T-879-10

ET ENTRE :

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

BMO SOCIÉTÉ D’ASSURANCE-VIE

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit de quatre requêtes que les défenderesses Compagnie d’assurance vie RBC, Industrielle Alliance Pacifique, Assurance et services financiers inc., Industrielle Alliance Assurance et services financiers inc. et BMO Société d’assurance-vie [collectivement les assureurs] ont présentées en vue de faire annuler les ordonnances ex parte prononcées par la Cour le 6 octobre 2009, le 12 avril 2010 et le 7 juin 2010. Les ordonnances, rendues en vertu du paragraphe 231.2(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5suppl.) [la Loi], autorisaient le ministre du Revenu national à adresser aux assureurs des demandes péremptoires de communication de renseignements et de documents.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, les requêtes seront accueillies.

 

Partie I – Contexte factuel

[3]               Le 6 octobre 2009, le juge Yvon Pinard a accordé au ministre du Revenu national [le ministre] l’autorisation ex parte d’adresser une demande péremptoire à la Compagnie d’assurance vie RBC [CAVRBC]. La demande péremptoire, qui a été signifiée le 5 novembre 2009, exigeait la communication de [traduction] « tous les renseignements et documents ayant trait aux titulaires de police 10-8 de la Compagnie d’assurance vie RBC », y compris les noms, les numéros d’assurance sociale et les numéros d’entreprise ou de fiducie. La demande péremptoire a été adressée après que le ministre eut affirmé que ces renseignements étaient exigés pour permettre de vérifier si les personnes visées respectaient la Loi. Le 19 novembre 2009, CAVRBC a décidé de contester l’ordonnance prononcée par le juge Pinard.

 

[4]               Le 12 avril 2010, j’ai accueilli deux requêtes ex parte que le ministre avait présentées pour obtenir l’autorisation d’adresser des demandes péremptoires semblables à Industrielle Alliance Pacifique, Assurance et services financiers inc. et à Industrielle Alliance Assurance et services financiers inc. [collectivement IA]. La première demande péremptoire exigeait la communication de [traduction] « la liste de tous les prêts non remboursés […] consentis à des particuliers, à des sociétés ou à des fiducies » relatifs à la stratégie 10-8 d’IA au cours d’une période précise, y compris les noms, les numéros de police, les numéros d’assurance sociale, les numéros d’entreprise ou de fiducie; les montants dus sur les prêts, la valeur de rachat des polices et les intérêts sur les prêts de tous les titulaires de police 10-8. La deuxième demande péremptoire exigeait la communication d’« [u]ne liste de tous les prêts […] souscrit par toute personne physique, fiducie et/ou compagnie, faisant l’objet de la Stratégie 10-8 » au cours d’une période précise. Le 30 avril 2010, IA a décidé de contester les deux ordonnances que j’avais prononcées.

 

[5]               Le 7 juin 2010, le juge Richard Mosley a prononcé une ordonnance par laquelle il autorisait le ministre à adresser une demande péremptoire à BMO Société d’assurance‑vie [BMO]. La demande péremptoire exigeait la communication de [traduction] « tous les renseignements et documents » concernant les titulaires de police 10-8 de BMO au cours d’une période précise. Le 14 juillet 2010, BMO a décidé de contester l’ordonnance prononcée par le juge Mosley.

 

[6]               La demande péremptoire autorisée par l’ordonnance du juge Mosley a été signifiée à BMO en même temps qu’une autre demande non autorisée au préalable par la Cour. Cette dernière demande péremptoire exigeait la communication de [traduction] « tous les renseignements et documents […] ayant trait aux plans d’investissement 10-8 de BMO Société d’assurance‑vie (auparavant AIG Vie du Canada) » au cours d’une période précise, et a été contestée au moyen d’une demande de contrôle judiciaire, introduite le 12 juillet 2010 par BMO. Bien que les parties traitent la demande de contrôle judiciaire avec les quatre requêtes décrites ci‑dessus dans leurs observations conjointes, je prononcerai des motifs distincts pour la demande de contrôle judiciaire.

 

[7]               Toutes les demandes péremptoires concernent des stratégies d’assurance‑vie à effet de levier élaborées à l’intention des particuliers fortunés, appelées les stratégies 10-8. Une stratégie 10‑8 comporte deux éléments essentiels : une police d’assurance‑vie assortie d’un compte d’investissement, et un prêt garanti par la police d’assurance-vie égal au solde du compte d’investissement. Le terme « stratégie 10‑8 » fait référence aux taux d’intérêt applicables à ces éléments : le titulaire de la police paie des intérêts de 10 % sur le prêt et reçoit un rendement de 8 % sur l’investissement qu’il fait dans la police d’assurance‑vie. La stratégie 10‑8 crée un avantage fiscal, parce que les intérêts de 8 % versés au client sont libres d’impôt dans le cadre de la police d’assurance‑vie, et que les intérêts de 10 % payables sur le prêt peuvent être déduits du revenu imposable du client s’ils servent à produire un revenu.

 

[8]               Chacun des assureurs avait fourni au ministre des renseignements et des documents relatifs à leurs stratégies 10-8, quoique BMO ne se soit exécutée qu’après avoir reçu les deux demandes péremptoires. Tous les assureurs avaient refusé de fournir au ministre les noms des titulaires de police 10‑8 ou d’autres renseignements qui auraient permis d’identifier ces titulaires. Le ministre a donc introduit les requêtes ex parte susmentionnées pour être autorisé à adresser aux assureurs les diverses demandes péremptoires dans le but d’obtenir des renseignements sur l’identité des titulaires de police 10‑8. Je constate cependant que chacune des demandes péremptoires vise l’obtention de renseignements beaucoup plus vastes que la seule identité des titulaires de police 10‑8 au cours d’une période donnée.

 

[9]               Le 24 février 2010, dans une ordonnance rendue en application de l’article 54 des Règles des Cours fédérales, la protonotaire Martha Milczynski a enjoint au ministre de produire tous les documents pertinents ayant trait à l’ordonnance prononcée par le juge Pinard. Avant que la protonotaire Milczynski ne rende son ordonnance, le ministre avait accepté de produire seulement certains documents que la CAVRBC avait créés et lui avait fournis, un article de presse et un exposé sur les stratégies 10‑8, accessible à tous. Le ministre avait refusé de produire d’autres documents parce qu’ils étaient protégés ou non pertinents, et n’avait pas même soumis les documents à l’examen de son avocat. N’étant pas d’accord avec le ministre, la protonotaire Milczynski a tiré la conclusion suivante : [traduction] « La Cour et la CAVRBC ont besoin de connaître tous les faits qui étaient à la connaissance du ministre au moment de l’audience. […] Les renseignements demandés sont pertinents lorsqu’il s’agit de savoir si le ministre a fait une divulgation franche et complète des faits quand il a présenté sa requête ex parte. » La protonotaire a donc enjoint au ministre de communiquer son dossier à la CAVRBC et a accordé à la CAVRBC les dépens afférents à la requête.

 

[10]           Après le prononcé de l’ordonnance de la protonotaire Milczynski, le ministre a communiqué certains documents à la CAVRBC. Toutefois, il a encore refusé d’en produire d’autres, à savoir des documents concernant une demande de décision anticipée en matière d’impôt [DAMI] présentée par un autre assureur à propos de sa stratégie 10‑8 et des discussions internes sur l’examen de la demande de DAMI effectué par le Comité de la disposition générale anti‑évitement [DGAE], ainsi que le questionnaire que le ministre avait élaboré à l’intention des titulaires de police 10‑8. Le ministre a refusé de produire ces documents, invoquant encore une fois le privilège de non‑divulgation et le caractère non pertinent des documents dans le cadre de la requête.

 

[11]           Une DAMI est un document accessible à tous, publié par l’Agence du revenu du Canada [ARC]. Une demande de DAMI est généralement présentée dans le but d’obtenir une explication sur la manière dont l’ARC appliquera les dispositions de la Loi dans un contexte précis. La présente demande de DAMI, soumise par un assureur tiers en 2007, fournissait de l’information détaillée sur la stratégie 10‑8 que proposait l’assureur, qui voulait savoir si ladite stratégie était conforme à la Loi. Contrairement à une interprétation technique où elle examine un scénario hypothétique, l’ARC examine un scénario concret et précis pour rendre une DAMI.

 

[12]           Cette demande de DAMI avait été examinée par le Comité de la DGAE, un comité spécialisé qui relève de la Division des décisions de l’ARC. Le Comité de la DGAE évalue les applications potentielles de la DGAE, une disposition d’exception qui permet à l’ARC et au ministre de prendre des mesures en cas d’évitement fiscal abusif. La DGAE ne doit servir qu’en dernier recours, quand aucune autre disposition de la Loi ne s’applique. Après avoir examiné la demande de DAMI, le Comité de la DGAE avait conclu que la stratégie 10‑8 proposée était conforme à la Loi selon toute vraisemblance, et qu’il ne croyait pas que la DGAE puisse être appliquée avec succès.

 

[13]           Puisque le ministre refusait obstinément de produire les documents concernant l’examen de la demande de DAMI effectué par le Comité de la DGAE, les assureurs ont présenté une deuxième requête en divulgation. Le 13 janvier 2011, la protonotaire Roza Aronovitch a enjoint au ministre de produire les documents susmentionnés, soulignant que [traduction] « le ministre souhaitera peut-être, à l’audience, faire valoir sur le fond que les documents dont la production est demandée au moyen d’une assignation à comparaître ne sont pas pertinents, mais comme cette question a déjà été tranchée, elle n’a pas à être soulevée à ce stade‑ci ».

 

[14]           Après le prononcé de l’ordonnance de la protonotaire Aronovitch, le ministre a produit les documents en question, qui jettent un tout autre éclairage. Pour les motifs exposés ci‑dessous, ces documents montrent que la Cour n’était pas en mesure d’apprécier le contexte global dans lequel s’inscrivaient les requêtes ex parte présentées par le ministre. Par conséquent, les ordonnances doivent être annulées.

 

[15]           Les quatre requêtes ont été regroupées avec la demande de BMO le 13 janvier 2011. L’audience était fondée sur un dossier conjoint et des observations écrites conjointes des deux parties. Les motifs qui suivent porteront sur les quatre requêtes présentées par les assureurs.

 

Partie II – La preuve

[16]           Pour les différentes requêtes ex parte, la preuve était composée des éléments suivants :

·        Requête concernant la CAVRBC : affidavit de Randy Jacobs, agent de l’ARC, qui déclare que [traduction] « l’ARC tente de vérifier si certains contribuables, qui sont clients de la CAVRBC et qui participent à la stratégie 10‑8, respectent les obligations et les devoirs prévus par la Loi de l’impôt sur le revenu » et que « l’ARC ne connaît pas l’identité des titulaires de police de la CAVRBC qui ont participé à la stratégie 10‑8. Le ministre cherche à déterminer si les titulaires de police de la CAVRBC qui ont participé à la stratégie 10‑8 ont respecté les obligations et les devoirs que leur impose la Loi. »

·        Requêtes concernant IA : deux affidavits à peu près identiques de Michel Lévesque, agent de l’ARC, qui déclare que « [d]epuis 2008, l’ARC a entrepris de vérifier si les contribuables qui ont souscrit comme clients aux produits généralement connus sous le nom de “programmes 10/8” auprès de compagnies d’assurance ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la Loi de l’impôt sur le revenu », et que « les informations recherchées et décrites au paragraphe 11 de ma dénonciation serviront à vérifier si chacune des personnes physiques, fiducies ou compagnies ayant participé à la Stratégie 10/8 décrite aux sous‑paragraphes 9I, 9II, 9III A. à J. inclusivement ont respecté quelque devoir ou obligations prévu par la LIR ».

·        Requête concernant BMO : affidavit de Linda Szeto, agente de l’ARC, qui déclare qu’elle [traduction] « tente de vérifier si certains contribuables qui sont clients de BMO Société d’assurance‑vie et qui participent au programme 10‑8 respectent les obligations et les devoirs prévus par la Loi de l’impôt sur le revenu », que « l’ARC examine actuellement le programme 10‑8, que certaines compagnies d’assurance, y compris BMO Société d’assurance‑vie, offrent à leurs titulaires de police » et que « dans le but de vérifier si des titulaires de police inconnus ayant participé au programme 10‑8 ont respecté les devoirs et les obligations que leur impose la Loi de l’impôt sur le revenu, le ministre exige que BMO Société d’assurance‑vie lui fournisse les renseignements indiqués dans la demande péremptoire ».

 

[17]           Toutefois, de nombreux autres éléments de preuve ont été divulgués à la suite des ordonnances prononcées par la protonotaire Milczynski et la protonotaire Aronovitch.

 

[18]           Les éléments de preuve suivants ont été divulgués en réponse à l’ordonnance de la protonotaire Milczynski :

·        Décision rendue le 6 décembre 2004 en réponse à une demande concernant la déductibilité des intérêts payés sur un prêt, selon laquelle [traduction] « à part la question du caractère raisonnable du taux d’intérêt, étant donné que ce genre d’arrangement ne respecte pas l’objet et l’esprit des dispositions de la Loi sur les polices d’assurance exonérées, nous avons transmis le dossier au ministère des Finances pour examen ».

·        Courriels échangés par divers agents de l’ARC, dont voici des extraits :

o       À propos de la stratégie qui consiste à utiliser des vérifications ciblées pour alerter l’industrie des préoccupations suscitées par les stratégies 10-8 : [traduction] « Nous devons absolument appuyer nos doutes sur un fondement technique quelconque avant de nous lancer dans ce projet, sinon nous pourrions très mal paraître. […] il vaudrait mieux corroborer nos soupçons à l’aide de mesures efficaces et opportunes »; « Les agents des Finances savent que les dispositions législatives concernant les titulaires de police soulèvent certaines questions. Il y a environ huit ou neuf ans, ils voulaient entreprendre la révision de la politique fiscale sur les titulaires de police (nous avons assisté aux réunions), mais le projet n’a jamais décollé (il était trop ambitieux) […] il semble que la réforme de la politique soit maintenant envisagée de nouveau. » [Non souligné dans l’original.]

o       Réaction d’un agent ayant appris que les organismes de gouvernance de l’assurance recevaient des demandes de renseignements de la part d’assureurs qui voulaient obtenir des précisions sur l’intérêt que l’ARC portait aux stratégies 10‑8 et sur ses préoccupations à leur égard : [traduction] « C’est une bonne chose. En fait, j’en suis ravi. Il y a longtemps qu’on aurait dû s’intéresser au régime d’imposition des titulaires de police. »

o       Directives données à des vérificateurs de première ligne à l’occasion du lancement du programme de vérification des stratégies 10-8 : [traduction] « Rassemblez les faits. Vous devrez être en mesure de répondre aux questions suivantes. Notez bien que vous n’aurez pas besoin de connaître les noms des participants. »

o       Dans un compte rendu sur l’état d’avancement du programme de vérification des stratégies 10‑8 : [traduction] « [information biffée] a fourni les noms des participants. Nous avons choisi 20 dossiers et commencé une vérification à titre d’essai. »

 

[19]           Les éléments de preuve additionnels suivants ont été divulgués après l’ordonnance rendue par la protonotaire Aronovitch à la suite de la deuxième requête en divulgation :

·        Mémoire produit par F. Lee Workman, gestionnaire, Secteurs des organismes de bienfaisance et des institutions financières, à l’intention du Comité de la DGAE :

[traduction]

o       « Tous les prêts consentis dans le cadre d’une facilité de prêt garanti ne seront pas des “avances sur police” aux termes du paragraphe 148(9), la cession de la police en vue de la garantie d’un prêt consenti dans le cadre d’une facilité de prêt garanti ne sera pas comprise dans la disposition des intérêts dans la police aux termes de l’alinéa f) de la définition de “disposition” au paragraphe 148(9) et, sous réserve que les avances qui seront consenties au titulaire de police par l’assureur dans le cadre d’une facilité de prêt garanti constitueront de l’argent emprunté aux fins prévues à l’alinéa 20(1)c), les intérêts payés sur les avances seront déductibles pour le titulaire de police. »

o       « La seule façon de contester les avantages fiscaux que les opérations proposées permettront de réaliser sera de refuser une partie des intérêts que le titulaire de police veut déduire en application de l’alinéa 20(1)c) au motif que le taux d’intérêt de 10 % n’est pas raisonnable. »

o       « Il peut raisonnablement être affirmé que la police exonérée a été achetée avant tout à des fins d’assurance (et à des fins d’investissement dans la mesure permise par les dispositions sur les polices exonérées). »

o       « Il peut raisonnablement être affirmé que, pour avoir une avance de son assureur, le titulaire de police a fait des démarches pour obtenir une facilité de prêt garanti essentiellement dans le but de recevoir du financement. »

o       « C’est le fait que l’emprunt est contracté à un taux annuel de 10 % qui donne à penser que l’opération n’a pas été entreprise de bonne foi à des fins non fiscales, car le taux est probablement supérieur au taux que le titulaire de police accepterait de payer sur un prêt que lui consentirait une banque à laquelle une police d’assurance aurait été cédée comme garantie. Le caractère raisonnable du taux de 10 % n’est toutefois pas une question qui relève de la DGAE. »

o       « La cession en garantie de la police à l’assureur en vue de garantir le prêt est une pratique commerciale courante. »

o       « Étant donné que la question de savoir si une opération ou une série d’opérations a été mise au point essentiellement à des fins non fiscales est une question de fait, il peut être difficile de convaincre un tribunal que la série d’opérations est une opération d’évitement. »

o       « Selon les notes explicatives que le ministère des Finances a publiées relativement à l’article 245, « [l]e paragraphe 245(3) ne permet pas de “requalifier” une opération afin de déterminer s’il s’agit ou non d’une opération d’évitement. Autrement dit, il ne permet pas de considérer une opération comme une opération d’évitement parce qu’une autre opération, qui aurait pu permettre d’obtenir un résultat équivalent, se serait traduite par des impôts plus élevés. »

o       « Le fait que l’impôt soit différé sur le rendement de 8 % réalisé sur le solde du compte du prêt garanti est conforme au libellé, à l’objet et à l’esprit de l’article 12.2 et de l’article 306 du Règlement. »

o       « La série d’opérations proposée ne constitue pas un usage abusif de la définition du terme “avance sur police” ni de l’économie de la Loi en ce qui concerne les avances sur police. »

o       « Si le prêt en question n’est pas une “avance sur police” du point de vue du droit, il serait alors difficile de soutenir que les opérations proposées constituent un usage abusif des dispositions de la Loi portant sur les avances sur police. »

o       « Nous ne croyons pas que la DGAE peut être appliquée avec succès en vue de déterminer à nouveau les implications de ces opérations mais, à notre avis, il faudrait examiner certaines préoccupations d’intérêt général dans le but de proposer des modifications. » [Non souligné dans l’original.]

·        Note de service envoyée par Margaret McCreary, spécialiste en assurance, à la Section de la DGAE et du soutien technique : [traduction] « La législation fiscale en matière de polices d’assurance est désuète et ne tient pas compte des nouveaux produits d’assurance. […] Pendant des années, les compagnies d’assurance ont emprunté une approche conventionnelle et adapté leurs produits à l’intention, si ce n’est au libellé exact, de la législation. […] les grands assureurs voient leur part de marché reculer, et ils craignent que la conception des nouveaux produits offerts par leurs concurrents ne respecte plus désormais l’esprit de la législation. Le fait de réaliser un nombre restreint de vérifications ciblées indiquera très bien à l’industrie que l’ARC se préoccupe de l’orientation qu’elle prend. »

·        Autres courriels échangés par des agents de l’ARC :

o       Après une réunion du Comité de la DGAE au cours de laquelle les stratégies 10‑8 avaient été discutées : [traduction] « La discussion était intéressante, et il a été décidé que l’ARC n’émettrait pas de décision : si elle le faisait, elle enverrait à l’industrie de l’assurance le message que l’arrangement nous pose problème. Le personnel des Finances s’intéresse certainement à ce genre d’arrangement dans une perspective stratégique [...] En ce qui concerne la demande de DAMI, nous n’émettrons pas de décision, l’ARC et le ministère des Finances croient que ce produit va à l’encontre de la politique fiscale au chapitre des polices exonérées, la question de savoir si le taux d’intérêt de 10 % respecte le critère du taux raisonnable énoncé à l’alinéa 20(1)c) n’est pas claire, et nous ne rejetons pas l’idée d’une possible application de la DGAE jusqu’à ce qu’une vérification ait été réalisée dans un dossier précis. »

o       Dans des informations à jour sur le plan de vérification portant sur les stratégies 10‑8 : [traduction] « J’ai dit que nous lancerions au début de l’an prochain une opération éclair de vérifications visant un certain nombre d’assureurs offrant le produit dans le but d’obtenir des échantillons de contrats pour examiner les déductions d’intérêts aux termes de l’alinéa 20(1)c) et envisager l’application de la DGAE. » [Non souligné dans l’original.]

 

Partie III – Dispositions législatives applicables

[20]           Les requêtes se rapportent à l’article 231.2 de la Loi :

231.2 (3) Sur requête ex parte du ministre, un juge peut, aux conditions qu’il estime indiquées, autoriser le ministre à exiger d’un tiers la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une personne non désignée nommément ou plus d’une personne non désignée nommément — appelée « groupe » au présent article —, s’il est convaincu, sur dénonciation sous serment, de ce qui suit :

 

a) cette personne ou ce groupe est identifiable;

 

b) la fourniture ou la production est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente loi;

[…]

 

(5) Le tiers à qui un avis est signifié ou envoyé conformément au paragraphe (1) peut, dans les 15 jours suivant la date de signification ou d’envoi, demander au juge qui a accordé l’autorisation prévue au paragraphe (3) ou, en cas d’incapacité de ce juge, à un autre juge du même tribunal de réviser l’autorisation.

 

 

(6) À l’audition de la requête prévue au paragraphe (5), le juge peut annuler l’autorisation accordée antérieurement s’il n’est pas convaincu de l’existence des conditions prévues aux alinéas (3)a) et b). Il peut la confirmer ou la modifier s’il est convaincu de leur existence.

231.2 (3) On ex parte application by the Minister, a judge may, subject to such conditions as the judge considers appropriate, authorize the Minister to impose on a third party a requirement under subsection 231.2(1) relating to an unnamed person or more than one unnamed person (in this section referred to as the “group”) where the judge is satisfied by information on oath that

 

 

 

(a) the person or group is ascertainable; and

 

(b) the requirement is made to verify compliance by the person or persons in the group with any duty or obligation under this Act.

 

[…]

 

 (5) Where an authorization is granted under subsection 231.2(3), a third party on whom a notice is served under subsection 231.2(1) may, within 15 days after the service of the notice, apply to the judge who granted the authorization or, where the judge is unable to act, to another judge of the same court for a review of the authorization.

 

(6) On hearing an application under subsection 231.2(5), a judge may cancel the authorization previously granted if the judge is not then satisfied that the conditions in paragraphs 231.2(3)(a) and 231.2(3)(b) have been met and the judge may confirm or vary the authorization if the judge is satisfied that those conditions have been met.

 

Partie IV – Questions en litige

[21]           Trois questions sont soumises à la Cour dans les présentes requêtes :

1.      Le ministre a‑t‑il omis de faire une divulgation complète et franche des faits dans ses requêtes ex parte?

2.      Le ministre a-t‑il présenté des demandes péremptoires en vue de vérifier si la Loi était respectée?

3.      Le paragraphe 231.2(3) de la Loi porte‑t‑il une atteinte injustifiable à l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés?

 

Partie V – Examen

1.         Divulgation complète et franche

i.          Le droit

[22]           Étant donné qu’il s’agit de requêtes ex parte, le demandeur a l’obligation de faire une divulgation complète et franche des faits à la Cour. Il est bien établi que, pour s’acquitter de ce fardeau, la partie à une audience ex parte doit présenter tous les faits importants, même ceux qui sont contraires à son intérêt.

 

[23]           La Cour a déjà examiné une disposition législative semblable dans Canada (Commissaire de la concurrence) c Compagnie de brassage Labatt Limitée et autres, 2008 CF 59, 323 FTR 115. Dans cette affaire, la juge Anne Mactavish a fait remarquer que, dans les instances ex parte, « [l]es freins et contrepoids ordinaires du système accusatoire » sont absents, et que la Cour est donc « à la merci » de la partie qui sollicite la réparation en cause (aux paragraphes 23 et 24). Elle a ajouté qu’il n’y avait pas « de situation plus chargée de possible injustice et de possible abus des pouvoirs de la Cour qu’une demande d’injonction ex parte » (Watson c Slavik, dans Labatt, précitée, au paragraphe 24). Cette injustice potentielle est la raison pour laquelle la partie qui dépose une requête ex parte doit « informer la Cour des points de fait ou de droit qui sont connus d’elle et qui favorisent l’autre partie » (Friedland dans Labatt, précitée, au paragraphe 25).

 

[24]           Comme la juge Mactavish l’a souligné dans Labatt, précitée, ce devoir de divulgation complète et franche est essentiel à l’exercice convenable du pouvoir discrétionnaire :

L’article 11 de la Loi sur la concurrence prévoit un contrôle judiciaire autonome portant sur les pouvoirs d’enquête étendus conférés au commissaire par la Loi sur la concurrence. À cette fin, l’article 11 ne dit pas que la Cour doit agir comme simple « organe d’enregistrement » […]

 

Certes, la Cour doit effectivement être d’avis que les deux conditions sont remplies […] avant que ne soit rendue une ordonnance de production de documents selon la Loi. Cependant, pour que la Cour exerce comme il convient le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l’article 11 de la Loi sur la concurrence, et pour qu’elle soit en mesure de contrôler sa propre procédure et d’empêcher l’abus de telles procédures, elle doit aussi être pleinement informée des circonstances entourant la demande. [Aux paragraphes 50 et 51]

 

[25]           Mon collègue, le juge Luc Martineau, a aussi examiné une ordonnance conservatoire rendue en vertu de la Loi dans Canada (Revenu national) c Robarts, 2010 CF 875, 374 FTR 87. Dans cette décision, le juge Martineau s’est exprimé ainsi :

Dans toutes les affaires ex parte, le demandeur est tenu de soumettre à l’attention de la Cour tous les faits en litige, même ceux qu’il juge inutiles ou inopportuns, ainsi que toute la jurisprudence pertinente. […] La communication complète et honnête exige effectivement que le ministre révèle « ce qui pourrait être raisonnablement considéré comme étant les points faibles […] »

 

Bien que l’omission [dans la divulgation du ministre] ait vraisemblablement été faite sans intention malveillante, elle mine sérieusement la demande ex parte que le ministre a présentée [...] [Aux paragraphes 35 et 41]

 

[26]           La Cour d’appel fédérale a examiné l’obligation de divulgation au cours d’une instance portant sur l’application de l’article 231.2 dans R c Derakhshani, 2009 CAF 190, 2010 DTC 5043. Dans cette décision, la Cour fédérale a souligné à l’unanimité l’importance d’une divulgation complète et franche des faits pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 231.2(3) :

Il est utile de rappeler que l’existence d’une discrétion judiciaire est essentielle à la validité constitutionnelle de ce type de disposition qui est assimilable à une saisie, même lorsqu’utilisée dans un contexte réglementaire (voir non-criminel) [...] C’est cette discrétion, confiée à un juge indépendant, qui protège les individus à l’encontre de l’utilisation abusive de ce genre de pouvoir, et le rend conforme aux exigences de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés [...]

 

Le fait que l’information puisse être obtenue autrement n’exclut pas la possibilité qu’une demande puisse être autorisée, mais il s’agit là d’une information qui doit être fournie au juge. Un juge ne doit pas être laissé dans le noir sur un point aussi important que celui-ci. [Aux paragraphes 19 et 29; non souligné dans l’original.]

 

[27]           Il me semble que l’aspect le plus élémentaire de l’obligation de faire une divulgation complète et franche consiste à divulguer à la Cour tout renseignement ayant déjà été fourni (voir Labatt, précitée, aux paragraphes 93 et 94).

 

[28]           Conformément à l’article 399 des Règles des cours fédérales, la Cour peut annuler une ordonnance ex parte si elle a été rendue sur le fondement de faits « de nature à induire en erreur, incomplets ou incorrects » (voir Canada (Commissaire de la concurrence) c Air Canada, [2001] 1 CF 219, 186 FTR 48, au paragraphe 14). Bien que les requêtes ex parte aient été présentées en application du paragraphe 231.2(3) de la Loi, l’article 399 des Règles s’applique néanmoins (voir Air Canada, précitée, au paragraphe 5).

 

[29]           Toutefois, le manquement à cette obligation n’entraînera pas automatiquement l’annulation d’une ordonnance. Une ordonnance ex parte sera annulée seulement si la non‑divulgation est substantielle et si la divulgation des renseignements aurait influé sur l’appréciation discrétionnaire du juge ayant rendu l’ordonnance ex parte (voir Labatt, précitée, aux paragraphes 31 et 98).

 

[30]           La Cour conserve le pouvoir discrétionnaire de maintenir une ordonnance ex parte malgré les failles de la divulgation :

[traduction] Il ne faut pas oublier que l’obligation de divulgation a pour objectif premier de priver la personne qui n’a pas observé la règle d’un avantage obtenu de façon irrégulière; elle sert ensuite de moyen de dissuasion, et fait en sorte que la personne qui présente une requête ex parte réalise qu’elle a une obligation de divulgation et comprenne les conséquences auxquelles elle s’expose si elle ne respecte pas cette obligation.

 

[…] En exerçant son pouvoir discrétionnaire, la cour doit tenir compte du degré de culpabilité quant à la non‑divulgation, ainsi que de l’importance et de la signification que les renseignements non divulgués à la cour ont pour l’issue de l’affaire. [Sherwood Dash Inc c Woodview Products Inc, [2005] OTC 1061, 2005, aux paragraphes 39 et 40.]

 

ii.         Observations des parties

[31]           Les assureurs soutiennent que le ministre a omis de faire une divulgation complète et franche des faits dans ses requêtes ex parte. Il était tenu de présenter un portrait équilibré de la situation à la Cour et de divulguer tout fait susceptible de jouer contre lui. Les assureurs s’appuient sur plusieurs décisions, dont Robarts, précitée, au paragraphe 35, et Labatt, précitée, aux paragraphes 25 et 26.

 

[32]           De plus, le ministre ne peut affirmer que les renseignements étaient dénués d’importance pour justifier leur non‑divulgation :

[traduction] L’obligation s’étend au dépôt, devant le tribunal, de toutes les pièces qui intéressent l’évaluation de la demande et ce n’est pas répondre à une plainte de non-divulgation que d’affirmer que, si les documents pertinents avaient été soumis au tribunal, sa décision aurait été la même. Le critère de la non-divulgation substantielle est un critère objectif et il n’appartient pas au demandeur ou à ses conseillers de trancher la question; partant, le demandeur ne saurait s’excuser plus tard en disant qu’il ne savait tout simplement pas, ou qu’il ne croyait pas, que les faits étaient pertinents ou importants. [Steven Gee, Mareva Injunctions and Anton Piller Relief, 3éd. (London, FT Law & Tax, 1995) au paragraphe 98, dans Labatt, précitée, au paragraphe 31.]

 

[33]           Les assureurs font également remarquer qu’une partie ne peut avancer l’excuse qu’elle n’avait pas l’intention de tromper la Cour en ne divulguant pas tous les renseignements dont elle disposait, citant à cet égard l’arrêt R c Morelli, 2010 CSC 8, [2010] 1 RCS 253, au paragraphe 59.

 

[34]           Les assureurs comparent les ordonnances visées par le présent contrôle au pouvoir du commissaire de la concurrence d’ordonner, sous réserve d’autorisation judiciaire, la divulgation de renseignements, et soulignent les observations de la Cour :

[L]a Cour doit effectivement être d’avis que les deux conditions sont remplies – c’est-à-dire qu’une enquête selon l’article 10 est en cours et que la société concernée détient des renseignements qui intéressent ladite enquête – avant que ne soit rendue une ordonnance de production de documents selon la Loi. Cependant, pour que la Cour exerce comme il convient le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l’article 11 de la Loi sur la concurrence, et pour qu’elle soit en mesure de contrôler sa propre procédure et d’empêcher l’abus de telles procédures, elle doit aussi être pleinement informée des circonstances entourant la demande [Labatt, précitée, au paragraphe 51]

 

[35]           Enfin, le pouvoir discrétionnaire qu’a la Cour de maintenir des ordonnances ex parte malgré les failles de la divulgation est exceptionnel et restreint, et ne devrait pas être exercé simplement parce que les ordonnances auraient probablement été prononcées si la divulgation avait été complète, affirment les assureurs, qui renvoient à Sherwood Dash, précité, aux paragraphes 37 à 39.

 

[36]           Les quatre ordonnances ex parte doivent donc être annulées au motif que le ministre a omis de faire une divulgation complète et franche des faits. En particulier, le ministre avait l’obligation de divulguer les documents et les courriels qui se rapportaient à l’examen de la demande de DAMI effectué par le Comité de la DGAE et au projet de vérification des titulaires de police 10‑8 de l’ARC, ainsi que la grande quantité de renseignements sur les stratégies 10‑8 qui lui avaient déjà été communiqués avant qu’il ne présente les requêtes ex parte.

 

[37]           De son côté, le ministre affirme avoir demandé les ordonnances ex parte dans le but de vérifier si les titulaires de police 10‑8 respectaient la Loi, et soutient que les documents du Comité de la DGAE tout comme les discussions internes n’étaient pas pertinents à cette fin.

 

[38]           Pour que les ordonnances ex parte soient annulées, ajoute le ministre en invoquant Labatt, précitée, au paragraphe 34, les assureurs doivent démontrer que la divulgation faite à l’audience était « trompeuse, inexacte ou incomplète ». S’appuyant sur Papa (Re), 2009 CF 49, [2009] 4 CTC 93, aux paragraphes 21 à 23, le ministre affirme également que les assureurs doivent montrer que les ordonnances n’auraient pas été rendues si la divulgation avait été complète. Les assureurs ne s’étant pas acquittés de ce lourd fardeau, je devrais par conséquent refuser d’exercer mon pouvoir discrétionnaire pour annuler les ordonnances.

 

iii.        Analyse

[39]           À mon avis, le ministre n’a pas respecté l’obligation qui lui incombait de faire une divulgation complète et franche à deux égards. Premièrement, il n’a pas divulgué la grande quantité de renseignements que les assureurs lui avaient déjà fournis avant qu’il ne présente les requêtes ex parte. Ces documents donnaient beaucoup d’information sur les stratégies 10‑8 des assureurs et, mis à part l’identité des titulaires de police 10‑8 et les renseignements personnels sur ces derniers, ils répondaient totalement aux demandes péremptoires que le ministre voulait faire autoriser sur requête ex parte.

 

[40]           La deuxième omission, plus troublante encore, du ministre tient à ce qu’il n’a pas divulgué des documents et des renseignements internes qui donnaient à penser que les stratégies 10‑8 respectaient la lettre de la Loi, si ce n’est son esprit. Ces documents – dont la plupart n’ont été communiqués aux assureurs qu’après le dépôt de deux requêtes distinctes – sont assurément importants, et ils auraient certainement influé sur l’issue des requêtes ex parte s’ils avaient été divulgués à la Cour.

 

[41]           Plus précisément, la preuve divulguée après que les protonotaires eurent rendu leurs ordonnances comprend les faits importants énoncés ci‑dessous, lesquels n’ont pas été divulgués à la Cour au moment de la présentation des requêtes ex parte :

a)      Le fait que le ministère des Finances a refusé de modifier la Loi pour remédier au problème des dispositions désuètes sur les titulaires de police.

b)      La demande de DAMI qui avait été présentée, laquelle fournissait beaucoup de renseignements sur un régime 10‑8 particulier, donnés expressément pour permettre de déterminer si le régime était conforme à la Loi.

c)      Le fait que le Comité de la DGAE avait déterminé que les stratégies 10‑8 respectaient vraisemblablement la lettre de la Loi, ci ce n’est son esprit.

d)      La décision qui avait été prise d’envoyer un message à l’industrie en refusant de répondre à la demande de DAMI et de prendre des mesures pour paralyser la souscription de polices 10‑8, en partie par la réalisation d’une opération éclair de vérifications.

 

[42]           Le fait que le ministre a décidé d’entreprendre une opération éclair de vérifications pour envoyer un message à l’industrie de l’assurance est nettement pertinent dans le cadre de l’exercice de pondération auquel la Cour doit se livrer pour décider de rendre ou non les ordonnances. Pour que la Cour soit en mesure de contrôler sa propre procédure et d’empêcher l’abus de telles procédures, elle doit être pleinement informée des circonstances entourant la demande (voir Labatt, précitée, aux paragraphes 47, 51 et 52).

 

[43]           Bien que le paragraphe 231.2(6) de la Loi n’énonce pas explicitement que la Cour peut annuler une autorisation déjà accordée au motif que la divulgation était incomplète, j’estime que l’article 399 des Règles des Cours fédérales me confère le pouvoir inhérent de le faire (voir Air Canada, précitée, au paragraphe 5). La Cour conserve le pouvoir de contrôler sa propre procédure et de remédier à tout abus qui découlerait d’une ordonnance ex parte rendue à la lumière d’une divulgation incomplète ou trompeuse.

 

[44]           Je souligne également que, si le ministre avait divulgué dans ses requêtes ex parte tous les faits importants dont il disposait, les ordonnances auraient pu être rendues quand même. Cependant, j’aurais posé de nombreuses questions au ministre sur les renseignements qu’il avait déjà reçus, sur la position de l’ARC à l’égard des stratégies 10‑8 et sur l’objectif que poursuivait le ministre en procédant aux vérifications des titulaires de police 10‑8. Comme c’était le cas dans Derakhshani, précité, le fait que des éléments de preuve aient été omis dans les requêtes ex parte n’exclut pas la possibilité que les demandes soient autorisées, mais l’information doit être fournie au juge. Autrement, les requêtes ex parte deviennent un exercice d’enregistrement automatique, et la Cour ne peut exercer comme il se doit son pouvoir discrétionnaire.

 

[45]           Je suis convaincue que ces renseignements étaient importants et, parce qu’ils n’ont pas été présentés dans les requêtes ex parte, la Cour n’était pas en mesure de rendre une décision éclairée. C’est pourquoi les ordonnances doivent être annulées.

 

2.         Objet des demandes péremptoires

i.          Le droit

[46]           Aux termes de l’alinéa 231.2(3)b), lorsqu’il demande l’autorisation d’adresser une demande péremptoire à une personne non désignée nommément, le ministre doit avoir comme objectif de « vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente loi ». Pour accorder l’autorisation demandée, le juge doit être convaincu que deux conditions sont réunies : l’exigence concernant l’objet de la demande est respectée, et le groupe de personnes est identifiable.

 

[47]           Peu de décisions ont porté sur l’exigence concernant l’objet de la demande énoncée à l’alinéa 231.2(3)b) de la Loi. Il semble que les larges pouvoirs de vérification que la Loi confère au ministre expliquent pourquoi les tribunaux ne se sont pas souvent penchés sur la question :

Conséquemment, le ministre du Revenu national doit disposer, dans la surveillance de ce régime de réglementation, de larges pouvoirs de vérification des déclarations des contribuables et d’examen de tous les documents qui peuvent être utiles pour préparer ces déclarations. Le Ministre doit être capable d’exercer ces pouvoirs, qu’il ait ou non des motifs raisonnables de croire qu’un certain contribuable a violé la Loi. Il est souvent impossible de dire, à première vue, si une déclaration a été préparée de façon irrégulière. Les contrôles ponctuels ou un système de vérification au hasard peuvent constituer le seul moyen de préserver l’intégrité du régime fiscal. [McKinlay, précité, au paragraphe 36]

 

[48]           La décision la plus directe sur l’exigence concernant l’objet de la demande énoncée à l’alinéa 231.2(3)b) a été rendue par la juge Johanne Gauthier dans Ministre du Revenu national c Chambre immobilière du Grand Montréal, 2006 CF 1069, 303 FTR 29 : « Le texte de la loi est clair. Les renseignements et documents demandés doivent l’être pour vérifier si les personnes qui font l’objet de l’enquête ont respecté quelques devoirs ou obligations prévus à la loi. Selon la jurisprudence, l’information doit être “pertinente à l’enquête » (au paragraphe 61).

 

[49]           Dans Succession Nadler c Canada (Procureur général), 2005 CF 935, [2005] 4 CTC 7, la juge Johanne Gauthier a souligné que « [l]a Loi n’exige pas que la tierce partie à qui il est demandé de communiquer les renseignements soit informée de l’objet de la demande péremptoire » (au paragraphe 9). La juge était convaincue que la demande péremptoire était valide pour les motifs suivants : « Celle-ci indique comme il se doit le nom du contribuable concerné, précise la disposition législative applicable et donne une description des renseignements requis, ce qui suffit à Canada-Israel Securities Ltd. pour être en mesure de préparer sa réponse » (au paragraphe 9).

 

[50]           De même, dans Ministre du Revenu national c Banque Toronto Dominion, 2004 CF 169, 253 FTR 90, je me suis exprimée ainsi :

Il n’appartient pas à une institution financière à qui la demande est transmise de juger de la pertinence des renseignements requis aux termes de cette demande. Elle souligne que le mécanisme mis en place aux termes des paragraphes 231.2(2) et (3) de la L.I.R. a la double qualité d’exiger de l’Agence des Douanes et Revenu du Canada de justifier l’obtention des renseignements requis lorsque la demande vise des personnes non désignées nommément tout en permettant à l’institution financière à qui la demande est transmise de respecter ses obligations envers ses clientes. [Au paragraphe 15]

 

[51]           Le ministre peut néanmoins poursuivre plus d’un objectif lorsqu’il adresse une demande péremptoire. Lorsqu’un objectif secondaire, comme la vérification d’un contribuable désigné nommément, est suffisamment lié à l’objectif qui consiste à vérifier si des personnes non désignées nommément se conforment à la loi, l’alinéa 231.2(3)b) est quand même respecté (voir Whitewater Golf Club Inc c Ministre du Revenu national, 2009 CF 739, [2009] 6 CTC 51, aux paragraphes 15 et 16.

 

ii.         Observations des parties

[52]           Les assureurs soutiennent que les demandes péremptoires ont été adressées dans un but illégitime : il s’agissait en fait d’une recherche à l’aveuglette, menée en vue de paralyser la souscription de polices 10‑8. Les assureurs affirment que le ministre n’a pas réussi à établir, dans ses requêtes ex parte, qu’il avait besoin des renseignements ou des documents demandés pour vérifier si la Loi était respectée et qu’il n’a allégué aucun manquement précis à la Loi.

 

[53]           Les assureurs font valoir que le ministre était tenu d’agir de bonne foi en exerçant les pouvoirs que lui confère l’article 231.2, et renvoient à cet égard à la décision Chambre immobilière du Grand Montréal, précitée, au paragraphe 48.

 

[54]           De plus, conformément au paragraphe 231.2(3), le ministre doit montrer que les renseignements ou les documents demandés sont nécessaires pour qu’il puisse vérifier si la Loi est respectée, évoquant encore une fois la décision Chambre immobilière du Grand Montréal, précitée. Les assureurs soutiennent qu’en réalité, les renseignements ou les documents demandés ne sont pas nécessaires pour que la conformité à la Loi des stratégies 10‑8 puisse être vérifiée, et qu’ils ont déjà fourni assez d’information pour permettre au ministre de déterminer, sans mener de vérification, que leurs stratégies 10‑8 respectent la Loi.

 

[55]           Le ministre affirme que rien dans le dossier ne contredit les éléments de preuve produits avec les requêtes ex parte voulant qu’il ait besoin des renseignements ou des documents demandés pour mener des vérifications ciblées des titulaires de police 10‑8 en vue de vérifier s’ils respectent la Loi. Le ministre n’est pas tenu de justifier sa décision de mener des vérifications, et le programme de vérification qui cible les titulaires de police 10‑8 ne prouve en rien sa mauvaise foi.

 

iii.        Analyse

[56]           Comme je l’ai dit plus tôt, je suis convaincue que les ordonnances doivent être annulées uniquement en raison de la divulgation incomplète. Je commenterai toutefois la question du véritable objectif que poursuivait le ministre en adressant les demandes péremptoires étant donné qu’elle a été pleinement débattue devant moi.

 

[57]           L’affirmation des assureurs selon laquelle le ministre était tenu de désigner l’article précis de la Loi qui, selon lui, n’avait pas été observé est sans fondement. Dans McKinlay, précité, la Cour suprême a statué que « [l]e Ministre doit être capable d’exercer ces pouvoirs [de vérification], qu’il ait ou non des motifs raisonnables de croire qu’un certain contribuable a violé la Loi. Il est souvent impossible de dire, à première vue, si une déclaration a été préparée de façon irrégulière » (au paragraphe 36). Par conséquent, le ministre n’était pas tenu de préciser davantage l’objet des demandes péremptoires dans la mesure où les renseignements exigés sont « pertinents » lorsqu’il s’agit de vérifier si quelque devoir ou obligation prévu par la Loi est respecté. Le ministre n’est pas obligé, aux termes du paragraphe 231.2(3), de montrer qu’il a des motifs raisonnables de croire qu’une certaine disposition de la Loi n’a pas été observée.

 

[58]           À l’audience, les assureurs ont reconnu que le ministre avait un objectif valable de vérification en adressant les demandes péremptoires, mais ils ont affirmé que cet objectif valable était étranger à l’objectif primaire, qui consistait à paralyser la souscription de polices 10‑8. J’en conviens.

 

[59]           À mon avis, l’objectif principal que le ministre visait en adressant les demandes péremptoires n’était pas suffisamment lié à l’objectif valable de vérification. Contrairement à ce qu’affirme le ministre, des éléments de preuve m’indiquent que l’objectif poursuivi au moyen de la vérification ciblée de titulaires de police 10‑8 particuliers ne consistait pas simplement à vérifier le caractère raisonnable du taux d’intérêt payable de 10 % ni la possible application de la DGAE, mais plutôt à envoyer un message à l’industrie. Je ne suis pas convaincue qu’en tentant d’« envoyer un message », le ministre poursuit un objectif d’application de la Loi valable respectant l’alinéa 231.2(3)b) de la Loi, ni que cet objectif est suffisamment lié à son objectif valable de vérification.

 

[60]           De surcroît, je ne suis pas convaincue que le ministre a réellement besoin des renseignements demandés pour vérifier si la Loi est respectée. Dans les requêtes ex parte, les seuls éléments de preuve concernant le caractère nécessaire des renseignements demandés étaient de simples affirmations faites par des personnes qui avaient souscrit des affidavits pour le compte du ministre et qui n’étaient apparemment pas au courant du contexte dans lequel les requêtes étaient déposées. Non seulement les assureurs avaient fourni au ministre une quantité d’information substantielle, mais la CAVRBC avait également communiqué au ministre l’identité de certains de ses titulaires de police 10‑8. Bien sûr, il n’appartient pas à la Cour de remettre en question la décision du ministre de soumettre un contribuable à une vérification (voir Chambre immobilière du Grand Montréal, précitée, au paragraphe 28). Cependant, le ministre ne peut avancer qu’il est incapable de soumettre à une vérification l’un ou l’autre des titulaires de police 10‑8 ni de déterminer autrement si les stratégies 10‑8 sont conformes à la Loi parce que c’est tout simplement inexact. En outre, même si elle avait été présentée par un autre assureur, la demande de DAMI fournissait assez de renseignements concrets pour permettre au ministre de tirer une conclusion – et, en fait, le ministre a conclu que les stratégies 10‑8 étaient probablement conformes à la Loi.

 

[61]           Le ministre était donc déjà en mesure d’évaluer les stratégies 10‑8 et leur conformité à la Loi. Encore une fois, la question du véritable objectif que poursuivait le ministre en présentant ses requêtes ex parte se pose.

 

[62]           Si, comme les délégués du ministre l’affirmaient dans leurs courriels internes, « [i]l y a longtemps qu’on aurait dû s’intéresser au régime d’imposition des titulaires de police », la bonne façon de s’y intéresser serait par la voie de modifications législatives. Utiliser l’article 231.2 en vue de poursuivre des objectifs politiques plutôt qu’en vue de faire respecter les obligations en matière d’impôt constitue un mauvais usage des pouvoirs du ministre – pouvoirs que les tribunaux ont maintes fois qualifiés d’« intrusifs ». Le ministre n’avait pas le loisir de demander une autorisation ex parte sous prétexte de vérifier si la Loi était respectée alors que son véritable objectif était d’obtenir, au moyen de vérifications, ce que le ministère des Finances avait refusé de faire par la voie de modifications législatives.

 

3.         Constitutionnalité du paragraphe 231.2(3) de la Loi

[63]           La question relative à la Charte est soulevée dans le contexte particulier des requêtes en cause et s’imbrique dans les deux premières questions en litige. Ayant conclu ci‑dessus que les ordonnances ex parte doivent être annulées, je n’ai pas besoin d’examiner cette question.

 

Partie VI – Conclusion

[64]           En raison de la divulgation incomplète des faits dans les requêtes ex parte, les présentes requêtes sont accueillies, et les ordonnances ex parte sont annulées, avec dépens.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que les requêtes sont accueillies et que les ordonnances ex parte sont annulées, avec dépens.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                      T-1619-09, T-484-10, T-485-10 et T-879-10

                                                           

 

INTITULÉ :                                       MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                            -et-

                                                            COMPAGNIE D’ASSURANCE VIE RBC

                                                            No du dossier de la Cour : T-1619-09

                                                            _____________________________________________

                                                           

                                                            MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                            -et-

INDUSTRIELLE ALLIANCE PACIFIQUE, ASSURANCE ET SERVICES FINANCIERS INC.

No du dossier de la Cour : T-484-10

                                                            _____________________________________________

                                                           

                                                            MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                            -et-

INDUSTRIELLE ALLIANCE, ASSURANCE ET SERVICES FINANCIERS INC.

                                                            No du dossier de la Cour : T-485-10

                                                            _____________________________________________

                                                           

                                                            MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                            -et-

BMO SOCIÉTÉ D’ASSURANCE-VIE

No du dossier de la Cour : T-879-10

                                                            _____________________________________________

                                                           

                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               11 ET 12 OCTOBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE :                                               1ER NOVEMBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Margaret Nott

Samantha Hurst

Ian Demers

Pierre Lamothe

Christopher Bartlett

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Mahmud Jamal

Pooja Samtani

David Mollica

Hermant Tilak

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Services du droit fiscal

Bureau régional de l’Ontario

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Box 50, 1 First Canadian Place

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

 

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