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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20111027

Dossier : IMM-6291-10

Référence : 2011 CF 1188

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2011

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

Naleen Dileep K. DELTHALAWE GEDARA

et

Anura Priyantha KUDADEWAGE

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de Tracey Ann Martineau, une commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Les demandeurs sont Naleen Dileep K. Delthalawe Gedara (Naleen) et Anura Priyantha Kudadewage (Anura). La Commission a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               Les demandeurs sont citoyens du Sri Lanka. Ils sont des hommes Cinghalais, soit le groupe ethnique majoritaire. Les demandeurs travaillaient ensemble pour une compagnie de souliers : Naleen était l’assistant‑gérant des importations et Anura était commis aux droits de quai. En novembre 2007, les demandeurs soutiennent qu’ils ont été approchés par M. Lal pour autoriser une cargaison de souliers qui comprenaient des bottes camouflées. Les demandeurs ont avisé M. Lal qu’ils avaient besoin de l’autorisation du ministère de la Défense pour autoriser la cargaison. Les demandeurs ont plus tard reçu un appel aléatoire d’un journaliste, qui posait des questions au sujet de la cargaison de bottes camouflées et qui soutenait que cette cargaison avait été commandée par le ministre Mervyn Silva et qu’elle était destinée aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul.

 

[3]               M. Lal n’a pas obtenu l’autorisation nécessaire, alors les demandeurs ont refusé d’autoriser la cargaison. Après avoir refusé de traiter la cargaison, les demandeurs soutiennent que M. Lal a tenté de les soudoyer, leur demandant de ne pas inscrire sur les documents que la cargaison contenait des bottes camouflées. Les demandeurs ont une fois de plus refusé et ils soutiennent qu’ils ont alors été menacés et battus par M. Lal et ses hommes de main.

 

[4]               Les demandeurs se sont ensuite cachés et ont tenté de s’enfuir, demandant des visas pour le Canada en janvier 2008. La première demande a été rejetée. Cependant, avec l’aide de Subash Enterprises, ils ont obtenu des visas canadiens et sont arrivés à Montréal le 17 mars 2008. Le 2 avril 2008, les demandeurs ont présenté leurs demandes d’asile fondées sur une crainte de persécution en raison de leur opinion politique, à cause de l’incident susmentionné. Le 20 mai 2008, ils ont signé des formulaires de renseignements personnels conjoints (FRP).

 

[5]               Le 16 septembre 2010, leurs demandes d’asile au sens des articles 96 et 97 de la Loi ont été entendues par la Commission.

 

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[6]               La Commission a tiré diverses conclusions au sujet de la crédibilité des demandeurs et elle a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. En raison du manque de détails dans leurs témoignages, du défaut de modifier leurs FRP afin d’y ajouter les menaces que leurs familles ont reçues après que les demandeurs ont quitté le Sri Lanka et d’un manque de preuve liant le ministre Silva à la cargaison, la Commission n’était pas convaincue que le ministre Sylva était impliqué ou que quiconque cherchait toujours les demandeurs.

 

[7]               De plus, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption que l’État du Sri Lanka était capable de les protéger, puisqu’ils n’ont pas présenté de preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État à les protéger.

 

[8]               Par conséquent, la Commission a rejeté la demande des demandeurs au sens de l’article 96 de la Loi : la crainte des demandeurs était fondée sur un incident et ne relevait pas des motifs précisés dans la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. La Commission a aussi rejeté la demande des demandeurs au sens de l’alinéa 97(1)a) de la Loi parce qu’il n’existait aucune preuve que, en fonction de motifs substantiels, les demandeurs feraient face à de la torture. Finalement, en fonction de la preuve, la Commission a conclu que les demandeurs seraient en mesure d’obtenir la protection de l’État au sens de l’alinéa 97(1)b) de la Loi.

 

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[9]               Les principales questions soulevées dans la demande en l’espèce sont les suivantes :

I.                    La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne fournissant pas des motifs justifiant son rejet d’éléments de preuve et ses conclusions sur la crédibilité?

II.                 La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demandeurs pouvaient se prévaloir de la protection de l’État?

III.               La Commission a‑t‑elle commis une erreur en considérant que les demandeurs avaient illégalement obtenu leurs visas canadiens?

IV.              La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en imposant une obligation légale aux demandeurs de mettre à jour leurs FRP?

 

 

 

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I.          La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne fournissant pas des motifs justifiant son rejet d’éléments de preuve et ses conclusions sur la crédibilité?

 

[10]           Les demandeurs soutiennent que la Commission n’a pas rendu de décision au sujet de leur crainte subjective parce qu’elle n’a pas fourni de motifs pour son rejet d’éléments de preuve. Ce défaut, selon les demandeurs, est une erreur de droit qui justifie le contrôle judiciaire. Cependant, le défendeur a raison lorsqu’il soutient que les conclusions de fait et de crédibilité de la Commission méritent une grande déférence et qu’on ne peut pas facilement les modifier (Weerasinghe c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 927, au paragraphe 17).

 

[11]           Les conclusions de fait et de crédibilité de la Commission sont raisonnables parce qu’elles relèvent des issues possibles. La Commission n’avait pas l’obligation de mentionner chaque élément de preuve dans sa décision (Byaje c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 90, au paragraphe 19). Ses conclusions au sujet de la crédibilité des demandeurs étaient appuyées par diverses parties de sa décision, où elle cible les déclarations dans le témoignage des demandeurs auxquelles elle a accordé moins de poids, à quels endroits il manquait des détails et où elle avait relevé des contradictions. La cour de révision n’a pas à repasser chacun des motifs de la Commission qui l’ont entraînée à tirer ses conclusions sur la crédibilité : « il est tout à fait raisonnable que la Commission en vienne à une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur si son récit est contradictoire et incohérent ou s’il est tout simplement invraisemblable » (Weerasinghe, précité, au paragraphe 18). Par conséquent, la Commission a donné des motifs suffisants et les demandeurs n’ont pas établi que les conclusions de crédibilité de la Commission étaient déraisonnables.

 

II.                 La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demandeurs pouvaient se prévaloir de la protection de l’État?

 

[12]           Les demandeurs soutiennent aussi que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les demandeurs pouvaient se prévaloir de la protection de l’État au Sri Lanka. Ils sont d’avis que la Commission a omis de tenir compte d’éléments de preuve objective. Cependant, ils ne critiquent pas l’application par la Commission de la présomption de l’existence d’une protection de  l’État établie dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. Ils contestent plutôt les conclusions de fait de la Commission au sujet de l’État du Sri Lanka. La norme de contrôle applicable à ces conclusions est celle de la décision raisonnable (Byaje, précitée, au paragraphe 16). Les demandeurs n’ont pas établi de quelle façon ces conclusions étaient déraisonnables : la Commission a examiné la preuve documentaire et ses conclusions relevaient des issues acceptables. Comme le défendeur l’a souligné, une seule visite au poste de police ne prouve pas que les demandeurs ont fait tout ce qui était nécessaire pour demander la protection de l’État et ne réfute pas la présomption de l’existence de cette protection (Flores Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] 4 R.C.F. 636 (C.A.F.)). Par conséquent, il n’était pas déraisonnable pour la Commission de conclure que les demandeurs n’avaient pas fourni de preuve convaincante de l’incapacité de leur État de les protéger.

 

III.       La Commission a‑t‑elle commis une erreur en considérant que les demandeurs avaient illégalement obtenu leurs visas canadiens?

 

[13]           La déclaration de la Commission selon laquelle les visas des demandeurs avaient été obtenus illégalement est une conclusion de fait qui mérite la déférence et qui ne devrait être annulée que si elle est déraisonnable (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190). En raison de la façon dont les demandeurs ont obtenu leurs visas, il n’était pas déraisonnable pour la Commission d’utiliser le terme « illégalement ». Peu importe, cette conclusion n’a eu aucune répercussion sur la décision de la Commission. Par conséquent, la Commission n’a pas commis d’erreur en mentionnant que les demandeurs avaient obtenu illégalement leurs visas. Même si elle l’avait fait, une telle erreur n’aurait pas justifié que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie.

 

IV.       La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en imposant une obligation légale aux demandeurs de mettre à jour leurs FRP?

 

[14]           Enfin, les demandeurs contestent la supposée création par la Commission d’une obligation de modifier leurs FRP afin d’y inclure des renseignements et des événements qui se sont déroulés après la déclaration initiale des demandeurs en 2008. Les demandeurs soutiennent qu’aucune obligation légale du genre n’existe. Par conséquent, ils croient que la Commission a commis une erreur en imposant cette obligation et en tirant des conclusions négatives quant à leur crédibilité parce qu’ils ne s’étaient pas conformés à cette obligation. À l’inverse, le défendeur souligne le paragraphe 6(4) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228, comme disposition qui génère cette obligation. Le défendeur souligne divers documents, en particulier des instructions sur la façon de compléter les formulaires de FRP et le « Guide à l’intention du demandeur », où il est écrit que si des renseignements importants n’ont pas été inclus dans le FRP, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié doit être avisée. Après avoir examiné les sources mentionnées par le défendeur, je conclus que les demandeurs ont tort lorsqu’ils soutiennent que la Commission a simplement créé cette obligation de modification.

 

[15]           Bien que les demandeurs citent la décision Erdos c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2003 CF 955, à l’appui de leur argument selon lequel un FRP n’a pas à documenter tout le dossier des demandeurs, la Cour a ajouté au paragraphe 24 qu’« [i]l est admis en droit que l’omission d’un fait significatif ou important dans le FRP d’un revendicateur peut conduire la Commission à mettre en doute la crédibilité du revendicateur ».

 

[16]           Dans un même ordre d’idées, bien que les demandeurs se fondent sur la décision Lahocsinsky c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 275, à l’appui de leur argument selon lequel un demandeur est fautif lorsqu’il fournit des modifications à la dernière minute avant l’audience et que de telles modifications peuvent entraîner une conclusion défavorable en matière de crédibilité, ils ne mentionnent pas que la Commission dans Lahocsinsky n’a pas cru les renseignements contenus dans le FRP modifié et que le FRP a été modifié une journée avant l’audience, sans raison valable. Inversement, comme le défendeur le soutient, en l’espèce, les demandeurs ont eu deux ans après le dépôt de leurs FRP originaux et avant la date d’audience pour apporter des modifications. Si leurs familles avaient été menacées, de tels événements importants auraient dû être inclus, comme le prévoient le paragraphe 6(4) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, les documents d’information donnés aux demandeurs et la décision de la Cour fédérale Prak c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 1516.

 

[17]           Par conséquent, la Commission n’a pas eu tort, dans les circonstances, de tirer des conclusions négatives au sujet du défaut des demandeurs d’ajouter de tels renseignements, en particulier après qu’ils eurent affirmé au début de l’audience que les FRP étaient complets et véridiques.

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[18]           Pour tous les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[19]           Les avocats des parties s’entendent qu’il n’y a pas de question à certifier et je suis d’accord.


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, selon laquelle les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

Traduction certifiée conforme,

Evelyne Swenne, traductrice

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6291-10

 

INTITULÉ :                                       Naleen Dileep K. DALTHALAWE GEDARA et Anura Priyantha KUDADEWAGE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 27 octobre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dan Bohbot                                          POUR LES DEMANDEURS

 

Gretchen Timmins                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dan Bohbot                                                      POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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