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Date : 20111020


Dossier : T‑1407‑10

Référence : 2011 CF 1197

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 octobre 2011

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

 

MUGFORD, KAITLIN

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE PREMIER MINISTRE

DU NUNATSIAVUT

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 19 juillet 2010 par laquelle l’Office d’appel de l’effectif des Inuit (l’Office) a rejeté la demande d’inscription au registre du Gouvernement Nunatsiavut formée par la demanderesse sous le régime du chapitre 3 de l’Accord du 22 janvier 2005 sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador (l’Accord). La demanderesse sollicite un jugement déclaratif rétablissant ses droits de bénéficiaire de l’Accord.

 

LES FAITS

Le contexte

[2]               La demanderesse, Kaitlin Mugford, est née le 7 février 1990. Son père a présenté en son nom la même année, peu après sa naissance, une demande d’inscription à la Labrador Inuit Association qui a été rejetée.

 

[3]               La demanderesse a formé en 2006 une demande d’inscription au registre du Gouvernement Nunatsiavut, où elle présentait son ascendance comme suit :

Nom

Lien avec la demanderesse

Lieu de naissance

Lieu de résidence

Proportion d’ascendance inuite

Richard Mugford

Père

Goose Bay

Ottawa (jusqu’à son décès)

56 %

Jody Labelle

Mère

Ottawa

Ottawa

0 %

Lawrence Mugford

Grand-père paternel

Cat Trap Brook

Goose Bay (jusqu’à son décès)

43 %

Hilda Mugford

Grand-mère paternelle

Paradise River (Labrador)

Goose Bay

68 %

 

[4]               Par lettre en date du 12 janvier 2007, le chef du Service des inscriptions du Gouvernement Nunatsiavut, Don Dicker, a avisé la demanderesse qu’elle remplissait les critères d’admissibilité prévus à la partie 3.3 de l’Accord et que sa demande d’inscription était par conséquent accueillie.

 

[5]               M. Dicker a adressé à la demanderesse une autre lettre, en date du 14 août 2009, pour lui rappeler que, selon l’article 3.11.4 de l’Accord, quiconque a été inscrit au registre pendant sa minorité doit y demander de nouveau son inscription dès qu’il atteint la majorité (c’est‑à‑dire à son 19e anniversaire) et doit satisfaire aux critères d’inscription à ce moment. À cette lettre était joint un formulaire de demande que M. Dicker l’invitait à remplir.

 

[6]               La demanderesse a présenté cette nouvelle demande, qui est datée du 15 novembre 2009. Le 25 du même mois, M. Dicker a envoyé à la demanderesse une lettre l’informant que sa demande était incomplète et la priant de lui communiquer les renseignements manquants. Cette lettre précisait que le Comité de l’effectif de Rigolet et Upper Lake Melville (le Comité) se prononcerait sur sa demande quand il aurait reçu ces renseignements.

 

[7]               La demanderesse a été avisée par lettre en date du 17 mars 2010 que le Comité avait rendu une décision préliminaire selon laquelle elle ne remplissait pas les critères d’admissibilité. [TRADUCTION] « [L]es renseignements que vous avez inscrits au champ 2.3 de votre demande, lui expliquait‑on, montrent que vous n’êtes pas rattachée aux Terres des Inuit du Labrador. » Cette même lettre informait la demanderesse qu’il lui était permis de produire à l’appui de sa demande des renseignements complémentaires que le Comité prendrait en considération avant de donner un caractère final à sa décision préliminaire.

 

[8]               Le 19 avril 2010, la demanderesse a transmis au Comité un courriel qu’elle avait reçu de M. Dicker, où celui‑ci déclarait ne pas comprendre comment on pouvait rejeter cette nouvelle demande d’inscription au registre, alors que la situation de la demanderesse quant à l’admissibilité n’avait pas changé depuis l’accueil de sa demande de 2007.

 

[9]               Le 22 avril 2010, la demanderesse a présenté au Comité, par l’intermédiaire d’un avocat, des observations complémentaires où elle faisait notamment valoir :

a.       qu’elle dépassait le minimum requis de 25 % pour ce qui concerne l’ascendance inuite;

b.      qu’on avait accueilli sa demande d’inscription au registre en 2007;

c.       qu’elle remplissait le critère du rattachement aux Terres des Inuit du Labrador énoncé à l’article 3.1.2 de l’Accord, puisque son père était né dans la région du règlement des Inuit du Labrador.

 

[10]           Le Comité a rejeté la demande d’inscription de la demanderesse par lettre en date du 10 mai 2010, où l’on peut lire le passage suivant :

[TRADUCTION] Le Comité aimerait vous faire observer que, aux termes de l’article 3.1.1 de l’Accord, le terme « Inuit » s’entend de tous les membres du peuple autochtone du Labrador, auparavant appelés Esquimaux, qui a traditionnellement utilisé et occupé, et utilise et occupe actuellement, la région des revendications territoriales des Inuit du Labrador. Autrement dit, il s’agit des personnes qui, considérées collectivement, sont les Inuit de la région des revendications territoriales des Inuit du Labrador, région définie par la carte jointe en annexe 1‑A à l’Accord sur les revendications territoriales. Il y a bien sûr d’autres Inuit partout dans le Nord canadien, mais l’Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador ne s’applique pas à eux. Donc, le terme « Inuit », pour l’application de l’Accord, ne désigne pas les Inuit de la Terre de Baffin, ni ceux du Nord québécois, ni ceux du Sud du Labrador. L’ascendance liée aux régions susdites [sic] exclut celle dont vous faites état au champ 2.3 de votre demande. Votre grand-mère Hilda Heard Mugford est née dans la région susdite, ce qui vous laisse une proportion d’ascendance de 10,75 %. Se fondant sur ces renseignements fournis par vous, le Comité rejette votre demande en vertu de l’article 3.3.3 de l’Accord, qui dispose que vous devez avoir au moins 25 % d’ascendance inuite.

 

 

[11]           Cette lettre avisait aussi la demanderesse de son droit de recourir devant l’Office contre la décision du Comité, ce que la demanderesse a fait le 28 mai 2010. Dans une lettre confirmant le dépôt de son avis de recours, la demanderesse a prié l’Office de lui communiquer, le cas échéant, les règles de procédure qu’il avait établies pour les recours.

 

[12]           L’Office a répondu à la question de la demanderesse sur la procédure par une lettre en date du 19 juillet 2010, où l’on trouve le passage suivant :

[TRADUCTION]

 

L’Office n’a pas de règles de procédure proprement dites. Il suit les dispositions du chapitre 3 de l’Accord sur les revendications territoriales et celles de la Beneficiaries Enrolment Act.

 

Il se réfère aussi à un guide interne établi à l’intention du Service des inscriptions, du Comité de l’effectif et de l’Office d’appel, qui donne des lignes directrices générales mais ne constitue pas un ensemble de règles de procédure pour les audiences de ce dernier.

 

L’Office prend des décisions de procédure au besoin et au cas par cas.

 

Il est à noter que cette lettre porte la même date que celle qui avisait la demanderesse de la décision de l’Office sur son recours. L’Office a donc rendu sa décision sans donner à la demanderesse la possibilité de se faire entendre ni de produire des éléments d’appréciation supplémentaires sur son ascendance et son rattachement à la région du règlement des Inuit du Labrador.

 

[13]           La demanderesse a produit devant la Cour un affidavit de sa grand-mère paternelle, Hilda Mugford, dont l’Office ne disposait pas au moment de sa décision. Cet affidavit contient des éléments d’appréciation touchant l’ascendance inuite de la demanderesse qui ne figuraient pas au dossier sur la base duquel l’Office s’est prononcé. Mme Mugford y déclare que les arrière‑grands‑parents paternels de la demanderesse – c’est‑à‑dire ses parents à elle – étaient inuit et habitaient dans la région des revendications territoriales des Inuit du Labrador. L’affidavit porte aussi que le grand-père de la demanderesse, Lawrence Mugford, est né dans cette même région.

 

La décision contrôlée

[14]           L’Office a donc avisé la demanderesse par lettre en date du 19 juillet 2010 du rejet de sa demande d’inscription au registre du Gouvernement Nunatsiavut. Il y déclarait avoir examiné la ligne généalogique et la situation de résidence de la demanderesse, en se fondant sur les renseignements qu’elle lui avait communiqués à lui-même, ainsi qu’au Service des inscriptions et au Comité.

 

[15]           La lettre expliquait que les critères d’admissibilité à l’inscription au registre du Gouvernement Nunatsiavut sont énoncés à la partie 3.3 de l’Accord, et que l’Office est également tenu de prendre en considération les définitions et dispositions interprétatives dudit Accord aux fins de l’application de ces critères.

 

[16]           Cette même lettre reproduisait la définition du terme « Inuit » et les dispositions interprétatives contenues dans la partie 3.1 de l’Accord, ainsi que les dispositions de sa partie 3.3 concernant les critères d’admissibilité :

Partie 3.1 Définitions et interprétation

 

3.1.1    Dans le présent chapitre :

 

[...]

 

« Inuit » s’entend de tous les membres du peuple autochtone du Labrador, parfois appelés Esquimaux, qui a traditionnellement utilisé et occupé et utilise et occupe actuellement les terres, les eaux et la glace de mer de la région des revendications territoriales des Inuit du Labrador ou de toute région [...]

 

3.1.2 Aux fins du présent chapitre, un particulier qui n’est pas résident permanent de la région du règlement des Inuit du Labrador est rattaché à la région du règlement des Inuit du Labrador :

a) s’il est né dans la région des revendications territoriales des Inuit du Labrador; ou

b) s’il est l’enfant d’un particulier qui est né dans la région des revendications territoriales des Inuit du Labrador; ou

c) s’il est le petit-enfant d’au moins deux particuliers :

(i) qui sont nés dans la région des revendications territoriales des Inuit du Labrador; et

(ii) qui sont résidents permanents de la région des revendications territoriales des Inuit du Labrador ou étaient résidents permanents de la région des revendications territoriales des Inuit du Labrador lors de leur décès; et

d) s’il a des rapports avec la région des revendications territoriales des Inuit du Labrador ou avec une région et a des liens de parenté étroits avec des Inuit ou des Kablunângajuit qui sont résidents permanents de la région des revendications territoriales des Inuit du Labrador et si ces rapports et ces liens sont reconnus par des Inuit ou des Kablunângajuit, autres que des parents de ce particulier, qui sont résidents permanents de la région des revendications territoriales des Inuit du Labrador.

 

Partie 3.3 Critères d’admissibilité

 

3.3.1    Un particulier est admissible à l’inscription au registre si ce particulier satisfait aux critères.

 

3.3.2    Un particulier est inscrit au registre si, à la date d’entrée en vigueur, il est vivant et :

a) est citoyen canadien ou résident permanent du Canada en vertu de la législation fédérale;

b) est Inuk selon les coutumes et traditions des Inuit et est d’ascendance inuite ou est Kablunângajuk; et

c) est soit :

(i) résident permanent de la région du règlement des Inuit du Labrador; ou

(ii) résident permanent d’un lieu hors de la région du règlement des Inuit du Labrador mais est rattaché à la région du règlement des Inuit du Labrador.

 

3.3.3    Un particulier qui a au moins un quart d’ascendance inuite est admissible à l’inscription au registre si ce particulier est citoyen canadien ou résident permanent du Canada en vertu de la législation fédérale, malgré toute disposition contraire de l’article 3.3.2 ou 3.3.4.

 

 

[17]           L’Office formulait ensuite sa décision en ces termes :

[TRADUCTION] L’Office conclut que vous ne pouvez faire état ni de l’ascendance inuite, ni du rattachement par la résidence à la région des revendications territoriales des Inuit du Labrador, qui vous rendraient admissible à l’inscription comme bénéficiaire. En conséquence, votre demande d’inscription au registre du Gouvernement Nunatsiavut est par la présente rejetée.

 

LES DISPOSITIONS APPLICABLES DE L’ACCORD SUR LES REVENDICATIONS TERRITORIALES DES INUIT DU LABRADOR

[18]           La partie 3.11 de l’Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador, fait le 22 janvier 2005, énonce dans les termes suivants la marche à suivre pour demander l’inscription à titre de bénéficiaire :

Partie 3.11 Procédures d’inscription

 

3.11.1 Quiconque désire s’inscrire à titre de bénéficiaire doit en faire la demande au comité approprié et fournir tous les renseignements nécessaires à l’appui de sa demande.

 

[…]

 

3.11.4 Quiconque a été inscrit au registre pendant sa minorité doit faire une nouvelle demande d’inscription au registre dès qu’il atteint la majorité et doit satisfaire aux critères d’inscription à ce moment.

 

 

[19]           La partie 3.1 de l’Accord définit le terme « Inuit » aux fins des demandes d’inscription et contient des dispositions interprétatives concernant le critère du rattachement à la région du règlement des Inuit du Labrador :

Partie 3.1 Définitions et interprétation

 

3.1.1    Dans le présent chapitre :

 

[...]

 

« Inuit » s’entend de tous les membres du peuple autochtone du Labrador, parfois appelés Esquimaux, qui a traditionnellement utilisé et occupé et utilise et occupe actuellement les terres, les eaux et la glace de mer de la région des revendications territoriales des Inuit du Labrador ou de toute région [...]

 

3.1.2 Aux fins du présent chapitre, un particulier qui n’est pas résident permanent de la région du règlement des Inuit du Labrador est rattaché à la région du règlement des Inuit du Labrador  :

a) s’il est né dans la région des revendications territoriales des Inuit du Labrador; ou

b) s’il est l’enfant d’un particulier qui est né dans la région des revendications territoriales des Inuit du Labrador; ou

c) s’il est le petit-enfant d’au moins deux particuliers :

(i) qui sont nés dans la région des revendications territoriales des Inuit du Labrador; et

(ii) qui sont résidents permanents de la région des revendications territoriales des Inuit du Labrador ou étaient résidents permanents de la région des revendications territoriales des Inuit du Labrador lors de leur décès; et

d) s’il a des rapports avec la région des revendications territoriales des Inuit du Labrador ou avec une région et a des liens de parenté étroits avec des Inuit ou des Kablunângajuit qui sont résidents permanents de la région des revendications territoriales des Inuit du Labrador et si ces rapports et ces liens sont reconnus par des Inuit ou des Kablunângajuit, autres que des parents de ce particulier, qui sont résidents permanents de la région des revendications territoriales des Inuit du Labrador.

 

 

[20]           La partie 3.3 de l’Accord énonce les critères d’admissibilité à l’inscription comme bénéficiaire :

Partie 3.3 Critères d’admissibilité

 

3.3.1 Un particulier est admissible à l’inscription au registre si ce particulier satisfait aux critères.

 

3.3.2 Un particulier est inscrit au registre si, à la date d’entrée en vigueur, il est vivant et :

a) est citoyen canadien ou résident permanent du Canada en vertu de la législation fédérale;

b) est Inuk selon les coutumes et traditions des Inuit et est d’ascendance inuite ou est Kablunângajuk; et

c) est soit :

(i) résident permanent de la région du règlement des Inuit du Labrador; ou

(ii) résident permanent d’un lieu hors de la région du règlement des Inuit du Labrador mais est rattaché à la région du règlement des Inuit du Labrador.

 

3.3.3 Un particulier qui a au moins un quart d’ascendance inuite est admissible à l’inscription au registre si ce particulier est citoyen canadien ou résident permanent du Canada en vertu de la législation fédérale, malgré toute disposition contraire de l’article 3.3.2 ou 3.3.4.

 

 

[21]           La partie 3.10 de l’Accord confère à l’Office la compétence pour entendre des recours contre les décisions des comités de l’effectif. Elle précise que les recours en question revêtent la forme d’une nouvelle instruction complète :

Partie 3.10 Office d’appel de l’effectif des Inuit

 

3.10.1 À la date de la publication du registre en vertu de l’article 3.7.1, le Gouvernement Nunatsiavut établit l’office d’appel de l’effectif des Inuit afin d’entendre et de décider :

a) tous les appels dont il est question à l’article 3.10.9;

b) toutes les questions qui lui sont renvoyées par la Cour fédérale; et

c) les demandes dont il est question à l’article 3.11.12.

                       

                        […]

 

3.10.10 Un appel est instruit comme une nouvelle audience au cours de laquelle l’appelant peut présenter une preuve additionnelle.

 

 

[22]           La partie 3.12 autorise la personne directement touchée par une décision de l’Office à en demander le contrôle judiciaire devant notre Cour :

Partie 3.12 Contrôle judiciaire des décisions de la commission et de l’office

 

3.12.1 Aucune ordonnance, aucune décision ni aucun jugement de la commission ou de l’office n’est susceptible d’appel. Toute ordonnance, toute décision ou tout jugement de la commission ou de l’office est définitif et n’est pas susceptible de contrôle judiciaire, sauf pour ce qui est permis par la présente partie.

 

3.12.2 Malgré les articles 3.5.8 et 3.10.6, le particulier directement touché par une ordonnance, une décision ou un jugement de la commission ou de l’office peut faire une demande de contrôle judiciaire de l’ordonnance, de la décision ou du jugement dans les 30 jours francs à compter de la date à laquelle il a reçu l’ordonnance, la décision ou le jugement ou dans tout autre délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut accorder.

 

3.12.3 Après l’audition d’une demande en vertu de l’article 3.12.2, la Cour fédérale peut :

a) ordonner à la commission ou à l’office d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

b) décider qu’une décision, une ordonnance, un acte ou une procédure de la commission ou de l’office est invalide ou illégal;

c) annuler, infirmer ou infirmer et renvoyer pour décision conformément à toute instruction qu’elle estime appropriée, une décision, une ordonnance, un acte ou une procédure de la commission ou de l’office; ou

d) prohiber ou restreindre une décision, une ordonnance, un acte ou une procédure de la commission ou de l’office.

 

3.12.4 La Cour fédérale peut accorder une mesure dont il est question à l’article 3.12.3 si elle est convaincue que la commission ou l’office :

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer;

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était tenu de respecter selon la loi;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages; ou

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[23]           La demanderesse met en litige les questions suivantes :

a.       Le défendeur a‑t‑il commis une erreur de droit?

b.      Le défendeur a‑t‑il violé les principes de l’équité procédurale?

c.       Le défendeur a‑t‑il fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée?

d.      Le défendeur a‑t‑il agi d’autres façons contraires à la loi?

e.       Quelle est la mesure corrective qui convient?

 

[24]           Le défendeur admet qu’il n’a pas été permis à la demanderesse de faire valoir tous ses moyens de recours devant l’Office, et que la Cour est saisie d’éléments d’appréciation dont ce dernier ne disposait pas et qui auraient pu influer sur sa décision si Mme Mugford s’était vu accorder la possibilité de les lui présenter. En conséquence, soutient le défendeur, la Cour devrait accueillir la présente demande à ce seul motif, et renvoyer l’affaire devant l’Office pour réexamen sous la forme d’une nouvelle instruction complète, où la demanderesse aurait la faculté de produire la totalité des éléments d’appréciation qu’elle veut invoquer.

 

LA NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[25]           La demanderesse soutient que la norme de contrôle applicable à la présente espèce est celle de la décision correcte, au motif que l’Office n’a pas exercé valablement sa compétence. La Cour suprême, fait-elle valoir, a posé en principe que les questions touchant véritablement à la compétence relèvent de cette norme : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9. Le défendeur pour sa part, citant lui aussi Dunsmuir, soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité.

 

[26]           La Cour conclut que la décision de l’Office doit être contrôlée suivant la norme du caractère raisonnable, au motif qu’il interprétait et appliquait l’Accord, et avait à trancher des questions relevant de son expertise. Dans la tâche de contrôle qui lui incombe ici, la Cour devra donc se rappeler que « [l]e caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »  : Dunsmuir, précité, paragraphe 47.

 

[27]           Cependant, pour ce qui concerne les questions d’équité procédurale, la Cour appliquera la norme de la décision correcte.

 

ANALYSE

[28]           Le défendeur admet que l’Office n’a pas instruit équitablement le recours de la demanderesse. La nouvelle instruction permettra à cette dernière de produire des éléments d’appréciation concernant son ascendance inuite, selon la définition de l’Accord, et son rattachement à la région du règlement des Inuit du Labrador, aussi au sens de l’Accord.

 

[29]           La Cour se rend compte que l’Accord est complexe et difficile à comprendre. Elle a conclu de son examen de ce texte que la demanderesse est admissible à l’inscription comme bénéficiaire si elle remplit l’un ou l’autre des deux critères d’admissibilité : il n’est pas obligatoire qu’elle satisfasse aux deux. Elle doit produire un supplément d’éléments d’appréciation pour prouver qu’elle a au moins un quart d’ascendance inuite, comme l’exige l’article 3.3.3 de l’Accord, étant entendu que le terme « Inuit », pour l’application dudit Accord, s’entend des membres du peuple autochtone « qui a traditionnellement utilisé et occupé » la région des revendications territoriales des Inuit du Labrador. Elle n’a pas à établir que ses ancêtres soient nés ou décédés dans cette région, mais seulement qu’ils l’ont « traditionnellement utilisé[e] et occupé[e] ». Si elle satisfait à ce critère, elle n’est pas tenue de prouver que ses ancêtres étaient « rattaché[s] » à la région du règlement des Inuit du Labrador sous le régime de l’article 3.1.2.

 

[30]           La demanderesse a établi, par le moyen de l’affidavit de sa grand-mère, Hilda Mugford, qu’il existe des éléments d’appréciation touchant son grand-père paternel et ses arrière‑grands‑parents paternels qui pourraient prouver qu’elle a l’ascendance inuite requise. Cependant, la Cour ne peut prononcer de jugement déclaratif sur l’ascendance de la demanderesse sans être saisie des éléments d’appréciation qu’elle produirait devant l’Office. La Cour note que ce dernier est un tribunal spécialisé, possédant l’expertise nécessaire pour établir si les ancêtres de la demanderesse ont « traditionnellement utilisé et occupé » la région des revendications territoriales des Inuit du Labrador. Par conséquent, il faut renvoyer la présente affaire devant l’Office afin de donner à la demanderesse la possibilité de produire tous les éléments d’appréciation qu’elle souhaite faire valoir. La Cour note que la demanderesse a sollicité le renvoi de l’affaire devant le Comité; cependant, la Cour n’est autorisée à la renvoyer que devant l’Office.

 

[31]           La Cour conclut en outre que, en plus d’avoir manqué à l’équité procédurale, l’Office a motivé sa décision de manière insuffisante et inintelligible. Ses motifs, en effet, n’expliquent pas sa conclusion selon laquelle la demanderesse ne pouvait faire état de l’ascendance ou du rattachement à la région dont dépendait son admissibilité à l’inscription comme bénéficiaire de l’Accord. En conséquence, la décision de l’Office ne peut être dite raisonnable. Cependant, ici encore, la mesure corrective applicable est le renvoi de l’affaire devant l’Office pour réexamen sous forme de nouvelle instruction complète.

 

LES DÉPENS

[32]           La demanderesse a droit aux dépens partie-partie, à taxer suivant le tarif B des Règles des Cours fédérales. Il n’y a pas de raison, dans la présente espèce, de s’écarter de la règle normale.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE COMME SUIT : La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’Office est annulée, et l’affaire est renvoyée devant l’Office pour instruction complète du recours, dans laquelle il sera permis à la demanderesse de produire la totalité des éléments d’appréciation qu’elle voudra faire valoir. Les dépens sont adjugés à la demanderesse.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑1407‑10

 

INTITULÉ :                                       MUGFORD, KAITLIN c.

                                                            LE PREMIER MINISTRE DU NUNATSIAVUT

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 octobre 2011, par vidéoconférence

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 octobre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Violet Ford

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Raman Balakrishnan

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Violet Ford Law Office

Stittsville (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

O’Dea, Earle Law Offices

St. John’s (Terre‑Neuve)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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