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Cour fédérale

 

Federal Court



 

Date: 20111018

Dossier : IMM-507-11

Référence : 2011 CF 1153

Ottawa (Ontario), le 18 octobre 2011

En présence du juge en chef par intérim

ENTRE :

 

SAMUEL GUERRERO ORTEGA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR], sollicitant le contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR], datée du 20 janvier 2011. La SPR a rejeté la demande d'asile et a conclu que le demandeur n'avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, cette demande est rejetée.

I.          Faits allégués par le demandeur

[3]               Le demandeur, Samuel Ortega, est un citoyen du Mexique dont la demande d’asile repose sur des allégations de menaces de mort de la part de criminels. Le 15 octobre 2008, le demandeur se trouvait seul dans une salle de classe libre lorsqu’un homme bien habillé et portant des bijoux s’est approché de lui pour lui parler. L’homme l’aurait incité à participer dans le trafic de drogue, lui promettant des milliers de dollars et lui offrant un téléphone portable dispendieux. Le demandeur refusa et l’homme le critiqua et l’insulta avant de quitter la salle.

 

[4]               Le 18 octobre 2008, trois hommes ont accosté le demandeur, l’ont maltraité, insulté et menacé de mort. Un des hommes aurait également pris environ soixante pesos du portefeuille du demandeur ainsi que sa carte d’assurance sociale, sur laquelle était inscrit son numéro de téléphone portable. Le demandeur aurait téléphoné à la police à plusieurs reprises, mais celle-ci ne serait jamais venue enquêter.

 

[5]               Le 20 octobre 2008, le demandeur aurait reçu un premier appel menaçant sur son téléphone portable. Il serait par la suite allé faire une plainte par écrit au bureau municipal du Procureur de la justice, où il aurait dicté sa dénonciation à un employé avant de la relire et de la signer. Le demandeur n’a pas reçu une copie de sa dénonciation et n’en aurait pas demandé une depuis.

 

[6]               Le 30 octobre 2008, après avoir reçu deux autres menaces de mort par téléphone, le demandeur aurait changé son numéro de téléphone portable. Cinq jours plus tard, le demandeur aurait reçu un autre appel menaçant, cette fois à son domicile où il habitait avec ses parents. Après d’autres appels, ses parents auraient changé de numéro de téléphone, sans toutefois demander un numéro confidentiel. Les appels auraient continué par la suite, à une moyenne de trois appels par semaine, pendant deux ans, jusqu’au jour de l’audience le 12 janvier 2011, et ce, même après que le demandeur ait quitté le pays le 17 janvier 2009 et soumis sa demande d’asile au Canada.

 

II. Décision contestée

[7]               Après avoir examiné la preuve et le témoignage du demandeur, la SPR a identifié plusieurs contradictions, omissions et non-plausibilités qui l’ont mené à conclure que ni le demandeur ni son histoire n’étaient crédibles. Le tribunal a également conclu que le demandeur n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État et n’a pas pris les mesures suffisantes pour obtenir cette protection. Finalement, le tribunal a conclu que la possibilité de refuge interne [PRI] serait une option raisonnable dans les circonstances particulières de ce cas.

 

III. Positions des parties

[8]               Le demandeur se défend de toutes contradictions en expliquant qu’elles étaient dues à sa nervosité et que ce sont par ailleurs des erreurs superficielles et insuffisantes pour mettre en doute ses allégations. Il affirme que le tribunal a commis une erreur en se basant que sur des considérations secondaires et non pas sur l’élément principal de sa revendication : les menaces de mort dirigées contre lui. En ce qui a trait à la protection de l’État, le demandeur affirme que le tribunal n’a pas considéré que le Mexique « est un pays où il n’existe aucune garantie et où les mêmes autorités ont besoin de protection. Dans ce cas, dans un pays comme le Mexique, [le demandeur] n’avait rien à faire » (Dossier de la partie demanderesse au p 85, au para 31). Finalement, le demandeur affirme que dans ce pays considéré selon lui comme étant le plus dangereux au monde, où l’armée a été incapable de freiner l’action des narcotrafiquants, l’existence d’une PRI est inconcevable.

 

[9]               De son côté, le défendeur avance que les trois conclusions de la SPR – l’absence de crédibilité, l’existence de protection étatique et la PRI – étaient raisonnables et chacune est suffisante en soi pour rejeter la demande d’asile. Le défendeur souligne que le demandeur n’attaque pas les nombreux éléments qu’a retenus la SPR, ne démontre pas d’erreur révisable et se limite à réitérer les explications et arguments soumis à l’audition. Au sujet de la protection étatique et de la PRI, le demandeur ne fait que réitérer ses allégations générales quant au danger au Mexique sans discuter de sa situation particulière.

 

IV. Questions en litige

[10]           Les questions en litige sont les suivantes :

1.      La SPR a-t-elle erré dans l’appréciation de la crédibilité du demandeur?

2.      La SPR a-t-elle erré dans son évaluation de l’existence de la protection de l’État?

3.      La SPR a-t-elle erré en décidant que le demandeur avait une PRI au Mexique?

 

V. Norme de contrôle applicable

[11]           La norme de contrôle applicable aux questions de crédibilité, de protection de l’État et de PRI est la norme de la décision raisonnable (Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 1320, [2010] ACF 1638). La Cour ne peut donc substituer son jugement à celui de la SPR et n’interviendra pas tant que la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

 

VI. Analyse

[12]           Au sujet de la crédibilité, le tribunal s’est penché sur cinq des contradictions, omissions et non-plausibilités du témoignage qu’il a jugé les plus importantes. Plusieurs de ces constatations relèvent du fait qu’en réponse à la question 31 du Formulaire de renseignements personnels [FRP], où il est demandé d’indiquer tous les événements importants et les raisons qui l’ont amené à demander l’asile, le demandeur n’a fourni qu’un très bref récit de quatre paragraphes, avec l’ajout d’un seul autre élément au début de l’audience. Le demandeur a ensuite soulevé de nouvelles allégations qui ne se trouvaient pas dans son FRP. Le demandeur ne mentionne par exemple qu’un seul appel menaçant dans son FRP. Il raconte pourtant à l’audience en avoir reçu huit lorsqu’il était au Mexique et que ses parents continuent de recevoir environ trois appels menaçants par semaine depuis son départ. Le demandeur a également témoigné avoir déposé une plainte écrite à la police, mais ne l’a pas mentionné dans son FRP et n’a pas tenté d’en obtenir une copie pour les fins de l’audience. Questionné sur ces omissions, le demandeur n’a pu fournir d’explication satisfaisante.

 

[13]           Le demandeur ne pouvait non plus expliquer pourquoi ses parents auraient changé de numéro de téléphone après les premiers appels menaçants, sans toutefois demander un numéro confidentiel. De plus, les parents n’auraient pas changé de numéro par la suite, et ce, bien qu’ils recevaient sans cesse des appels depuis plus de deux ans. Les parents du demandeur auraient également porté plainte à la police, mais le demandeur a omis d’inclure ce fait dans son FRP et n’a pas obtenu copie de cette plainte, ni même une lettre de ses parents pour corroborer son témoignage. Finalement, le demandeur s’est contredit lors de son témoignage au sujet des suivis qu’il aurait entrepris suite à sa plainte. Il a d’abord témoigné qu’il n’en a pas effectué, pour ensuite dire qu’il a posé quelques questions et fait d’autres appels, sans les avoir mentionnés dans son FRP.

 

[14]           Le demandeur tente de justifier ces contradictions par son état de nervosité lors de l’audience. Toutefois, il ne clarifie pas ces contradictions et ne justifie pas davantage ses omissions. Il soutient plutôt que le tribunal s’est penché sur des considérations secondaires et qu’il a ignoré l’élément principal de sa revendication, c’est-à-dire les menaces de mort faites contre lui. La Cour ne partage pas cette opinion. Le tribunal a justement soulevé des omissions et non-plausibilités concernant la nature et le nombre de menaces reçues. Il s’est également penché sur d’autres éléments qui touchent le cœur de la question de peur, telles les réactions du demandeur et de sa famille face aux menaces téléphoniques et leurs suivis auprès de la police. Face à un récit invraisemblable et faute de preuve pour corroborer ces allégations, il était raisonnable pour la SPR de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 62, [2007] ACF 97). La Cour ne doit intervenir que si la SPR a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou si elle a rendu sa décision sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait (Aguebor c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1993] ACF 732, 160 NR 315 (CA)). Tel n’est pas le cas en l’espèce.

 

[15]           Les conclusions de la SPR quant à la suffisance de la protection de l’État et de la PRI sont tout aussi raisonnables. D’une part, la SPR a analysé en détail la question de la protection de l’État au Mexique et elle n’a omis aucun élément important. Le tribunal a noté les quelques articles de journaux déposés par le demandeur décrivant les horreurs commises par certains groupes criminels. Toutefois, le tribunal souligne en contrepoint les efforts continus du gouvernement mexicain et le progrès décrit dans le cartable national de documentation sur le Mexique. La SPR conclut que le demandeur n’a pas présenté de preuve claire et convaincante que l’État était incapable de protéger le demandeur (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, [1993] ACS 74).

 

[16]           Le tribunal s’est donc penché sur les démarches prises par le demandeur pour obtenir cette protection. Le demandeur témoigne avoir appelé la police, mais que celle-ci n’est pas venue, et d’avoir déposé une plainte écrite sans faire de suivi. Il exprime avoir eu peur et qu’il n’a pas entrepris d’autres démarches, car il croyait devoir payer un pot-de-vin pour obtenir de l’aide. Le tribunal souligne que ni la crainte subjective du demandeur ni l’inaction possible de certains policiers locaux ne suffisent dans ce cas pour justifier les quelques démarches du demandeur (Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1050, [2005] ACF 1297; Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 134, [2008] ACF 182). Le tribunal a tenu compte de la situation particulière au Mexique, des quelques mesures prises par le demandeur et de ses échanges avec la police, mais a conclu que le demandeur n’a pas pris toutes les mesures raisonnables dans les circonstances pour demander la protection de l’État. La Cour ne peut rien reprocher à cette conclusion de la SPR.

 

[17]           Pour ce qui est de la PRI, les allégations générales du demandeur quant aux dangers au Mexique ne suffisent pas pour répondre à son fardeau de démontrer qu’il ne pouvait bénéficier d’une PRI dans ce pays (Rasaratnam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1991] ACF 1256, [1992] 1 CF 706 (CA); Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1993] ACF 1172, [1994] 1 CF 589 (CA)). Le tribunal a ainsi conclu qu’il était raisonnable pour le demandeur de déménager dans une autre ville du Mexique pour échapper aux quelques individus dont il ne connaît ni le nom, ni l’identité et contre lesquels il ne possède aucune preuve tangible pour les inculper ou témoigner contre eux. La Cour adhère à cette conclusion raisonnable.

 

[18]           En conséquence, la décision de la SPR se justifie en faits et en droit. Elle a apprécié la preuve documentaire, a expliqué ses conclusions et n'a pas ignoré des faits qui avaient été portés à sa connaissance. Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[19]           Aucune question ne sera certifiée.

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n'a été proposée et aucune n'est certifiée.

 

 

                                                                                                                 « Simon Noël »

Juge en chef par intérim

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-507-11

 

INTITULÉ :                                       SAMUEL GUERRERO ORTEGA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 5 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge en chef par intérim Noël

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 octobre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Claude Brodeur

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Isabelle Brochu

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Claude Brodeur

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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