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Cour fédérale

 

Federal Court

Date: 20111018


Dossier : IMM-1214-11

Référence : 2011 CF 1162

Ottawa (Ontario), le 18 octobre 2011

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

 

JORGE OCHOA DOMINGUEZ

CARLA ERICKA VILLAGOMEZ GONZALEZ

ZURY NAHID OCHOA VILLAGOMEZ

 

 

partie demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

partie défenderesse

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (« SPR » ou « tribunal ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, selon laquelle les demandeurs n’ont pas la qualité de « réfugiés au sens de la Convention » ni de « personnes à protéger », au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. La SPR en est arrivée à cette conclusion au motif qu’il n’y avait pas de lien entre la situation des demandeurs et la définition que donne la Convention d’un « réfugié », parce que les demandeurs n’étaient pas crédibles et enfin parce qu’ils n’ont pas réfuté la présomption à l’effet qu’ils pouvaient bénéficier de la protection de leur pays.

 

[2]               Après avoir examiné le dossier et considéré les représentations écrites et orales des parties, la Cour estime que son intervention n’est pas justifiée, dans la mesure où les demandeurs n’ont pas démontré que la SPR avait erré dans son appréciation de leur crédibilité ainsi que de la protection dont ils auraient pu se prévaloir auprès des autorités de leur pays.

 

Faits

[3]               La demandeure principale, Carla Ericka Villagomez Gonzalez, son époux, Jorge Ochoa Dominguez, ainsi que leur fille Zury Nahid Ochoa Villagomez, sont tous citoyens du Mexique.

 

[4]               La demandeure allègue avoir travaillé dans une boutique hors taxes à l’aéroport international de Mexico entre les mois de décembre 2006 et décembre 2008. Or, le 16 avril 2008, un passager l’aurait abordée et lui aurait demandé de sortir un sac d’une zone sécurisée en échange d’une somme d’argent. La demandeure a refusé et a porté plainte auprès d’un policier en fournissant une brève description de ce passager. Le policier n’aurait cependant pas été en mesure de retrouver cette personne.

 

[5]               Un événement similaire se serait reproduit en mai 2008. Cette fois, après avoir constaté l’incapacité des policiers de retrouver la personne en question, la demandeure se serait présentée au Ministère public pour y déposer une plainte. Les policiers du Ministère public l’auraient alors informée qu’il ne pouvait ouvrir une enquête en l’absence de preuve.

 

[6]               Une semaine plus tard, un incident similaire se serait reproduit, à la différence près que la demandeure aurait alors été menacée de représailles si elle refusait l’offre qui lui était faite. Malgré tout, la demandeure a refusé de faire ce qu’on lui demandait.

 

[7]               Le 28 mai 2008, la demandeure a rendu visite à ses parents et à ses deux sœurs qui résident à Montréal. Puis, elle est retournée au Mexique le 16 juillet 2008, croyant que ses problèmes se seraient résorbés. Elle a par ailleurs obtenu un transfert à une autre boutique de l’aéroport, à son retour au travail le 28 juillet.

 

[8]               Vers la fin octobre 2008, la demandeure allègue avoir de nouveau été approchée par un passager, toujours en vue de sortir un sac de la zone sécurisée, la menaçant de représailles si elle refusait de collaborer. La demandeure dit alors avoir alerté sa superviseure, qui lui aurait recommandé un transfert dans un autre aéroport. Les autorités policières ou aéroportuaires n’ont pas été avisées de cet incident par la superviseure.

 

[9]               Suite à ce dernier incident, la demandeure aurait reçu plusieurs appels anonymes visant à l’intimider, parfois même alors qu’elle ne se trouvait pas dans sa ville de résidence. Son époux aurait également été poursuivi par deux hommes le 15 décembre 2008. Elle se serait de nouveau rendue au Ministère public pour y déposer une plainte à deux reprises, le 18 novembre 2008 et le 6 janvier 2009.

 

[10]           Après avoir déposé sa dernière plainte, la demandeure dit s’être réfugiée dans l’État de Morelos, avant de quitter le Mexique pour se rendre au Canada le 15 janvier 2009 et y demander l’asile en compagnie de son conjoint et de sa fille.

 

La décision contestée

[11]           Le tribunal n’a pas remis en question le fait que la demandeure ait occupé un emploi à l’aéroport international de Mexico, non plus que l’infiltration de cet aéroport par des organisations criminelles. En revanche, le tribunal a jugé invraisemblable que les policiers affectés à un aéroport d’une telle envergure aient jugé impossible d’ouvrir une enquête sur les faits allégués par la demandeure sous prétexte que cette dernière n’avait subi aucune menace ou agression physique et qu’elle ne pouvait identifier les individus lui ayant proposé de collaborer à des activités criminelles, et ce, à trois reprises. Aux yeux du tribunal, il était raisonnable de croire qu’une tentative d’infiltration par le crime organisé d’un aéroport international n’aurait pas été prise à la légère, compte tenu du fait qu’il ne s’agissait pas simplement de la commission d’un crime, mais également d’un bris sérieux de la sécurité. En outre, le tribunal s’est dit d’avis que l’aéroport de Mexico était fort probablement doté d’un système de caméras de surveillance, ce qui aurait dû permettre aux policiers d’identifier les individus se livrant aux activités dénoncées par la demandeure et d’ouvrir une enquête. Voici comment le tribunal s’est exprimé à cet égard :

Le tribunal ne peut conclure autrement qu’il est improbable que certains faits, tels qu’allégués par la demandeure, soient survenus. Le tribunal ne croit pas la demandeure lorsque celle-ci déclare avoir subi des menaces et qu’elle a été abordée par des membres du crime organisé pour collaborer avec ces derniers. Le tribunal considère que la demandeure n’a pas réussi à convaincre le tribunal quant à la survenance même de certains faits allégués, soit les menaces subies et les tentatives de recrutement par des membres du présumé crime organisé. Le tribunal considère improbable que les trois fois où la demandeure s’est présentée auprès de la police à l’aéroport international de Mexico (2 fois auprès de la police fédérale et une fois auprès du bureau du Ministère public), aucun rapport d’enquête ou d’incidents n’a été ouvert. L’aéroport international de Mexico est le plus gros au pays et conséquemment, l’un des plus modernes. Il est peu probable qu’à trois reprises, des policiers aient jugé non-nécessaire d’ouvrir un dossier et d’enquêter davantage à ce sujet.

 

Dossier du demandeur, à la p. 13 (p. 7 de la décision).

 

[12]           Le tribunal a également trouvé peu vraisemblable que la superviseure de la demandeure ait omis de contacter la police après avoir été avisée par une de ses employés qu’elle avait été victime de tentative de corruption de la part de personnes appartenant possiblement à des réseaux criminalisés.

 

[13]           Subsidiairement, le tribunal a estimé que la demandeure aurait pu se prévaloir de la protection des autorités mexicaines, et qu’elle aurait dû faire plus de démarches pour obtenir le soutien d’autres organismes ou institutions étatiques pour déposer une plainte et obtenir leur protection. S’appuyant sur la jurisprudence, le tribunal a maintenu que le défaut de solliciter la protection de l’État est fatal à une demande d’asile. Enfin, le tribunal a soutenu que la protection de l’État mexicain est adéquate et que la demandeure ne peut se fonder sur une crainte subjective pour réfuter l’existence d’une telle protection.

 

Questions en litige

[14]           La présente affaire soulève essentiellement deux questions :

a.       La SPR a-t-elle erré en concluant à l’absence de crédibilité de la demandeure?

b.      La SPR a-t-elle erré en concluant que la demandeure pouvait se prévaloir de la protection de l’État mexicain?

 

 

Analyse

 

a)      L’absence de crédibilité

 

[15]           Les demandeurs ont soutenu que la décision du tribunal quant à leur crédibilité ne reposait pas sur la preuve au dossier, et que le commissaire ne leur avait pas donné l’occasion de répondre à ses préoccupations.

 

[16]           S’agissant tout d’abord de la prétention voulant que les demandeurs n’aient pas eu la possibilité de réagir aux interrogations du tribunal, un examen attentif du dossier révèle qu’il n’en est rien. En effet, la transcription de l’audition révèle que le commissaire a explicitement manifesté son incrédulité eu égard au fait que les autorités n’auraient pris aucune mesure suite aux dénonciations de la demandeure (Dossier du tribunal, aux pp 349-351 et 358). Les demandeurs étaient représentés lors de l’audition, et ils ont pu faire valoir tous les faits relatifs à leur revendication. L’affidavit de la demandeure principale est d’ailleurs muet sur cette question, et les représentations finales de l’avocat des demandeurs n’apportent aucun éclairage nouveau à cet égard.

 

[17]           Qui plus est, le commissaire n’avait aucune obligation de faire état de ses préoccupations quant à la crédibilité des demandeurs lors de l’audition. C’est aux demandeurs qu’il revenait de présenter une preuve crédible corroborant leurs allégations. La jurisprudence de cette Cour est claire à l’effet que la SPR n’est pas tenue de confronter un revendicateur avec les conclusions d’invraisemblance qu’elle a tirées (voir, entre autres, Ding c Canada (MCI), 2002 CFPI 1216 au para 5, [2002] ACF no 1643 (CF)(QL); Tekin c Canada (MCI), 2003 CFPI 357 au para 14, [2003] ACF no 506 (CF)(QL)).

 

[18]           C’est à la SPR qu’il incombe, à titre de maître des faits et de tribunal spécialisé, d’apprécier la preuve soumise ainsi que la plausibilité du récit d’un revendicateur et d’en tirer les conclusions qui s’imposent (Kumar c Canada (MEI), (1993) 39 ACWS (3d) 1027, [1993] ACF no 219 (CAF)(QL); Aguebor c Canada (MEI) (1993), 42 ACWS (3d) 886 (CAF), 160 NR 315 (CAF)). La SPR pouvait se fonder sur les invraisemblances relevées dans le témoignage des demandeurs pour conclure à l’absence de crédibilité. En cette matière, la Cour se doit de faire preuve d’une grande déférence. Il ne suffira pas d’établir qu’une conclusion différente aurait pu être tirée de la preuve soumise; l’intervention de la Cour ne sera justifiée que dans l’hypothèse où la solution retenue n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] 1 RCS 190).

 

[19]           Pour toutes les raisons qui précèdent, la Cour est donc d’avis que la décision du tribunal quant à l’absence de crédibilité de la demandeure était raisonnable et ne justifie pas l’intervention de la Cour.

 

b) La protection de l’État

[20]           Ayant conclu à l’invraisemblance du récit exposé par la demandeure, le tribunal n’était pas tenu de se prononcer sur l’existence de la protection étatique. Quoi qu'il en soit, le tribunal pouvait conclure que les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption suivant laquelle les autorités mexicaines étaient en mesure de les protéger. D’une part, la preuve documentaire révèle que le Mexique fait des efforts sérieux pour protéger ses citoyens, que la corruption afflige tout particulièrement les forces policières locales et étatiques par opposition à la police fédérale, et que plusieurs fonctionnaires et membres des forces de l’ordre ont été démis de leur fonction et poursuivis dans le cadre d’opérations anticorruption. D’autre part, les demandeurs n’ont pas assuré le suivi de leurs plaintes et n’ont pas épuisé tous les recours à leur disposition. Encore une fois, il est difficile de croire qu’aucune autorité étatique ne serait intervenue après avoir été informée des tentatives de corruption dont la demandeure allègue avoir été victime, étant entendu que ces gestes constituent non seulement des actes criminels, mais également des atteintes sérieuses à la sécurité de l’aéroport le plus important du pays.

 

[21]           Les questions relatives à la protection de l’État, faut-il le rappeler, sont également assujetties à la norme de la raisonnabilité. Compte tenu de la preuve qui était devant elle ainsi que du caractère peu plausible des allégations de la demandeure, le tribunal pouvait conclure que la présomption de la protection étatique n’avait pas été repoussée.

 

[22]           Par voie de conséquence, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Les parties n’ont soumis aucune question pour fins de certification, et aucune ne sera certifiée.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1214-11

 

INTITULÉ :                                       JORGE OCHOA DOMINGUEZ ET AL.

                                                            et    MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 11 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      le 18 octobre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Cristina Marinelli

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Evan Liosis

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cristina Marinelli

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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