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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20111017


Dossier : T-72-11

Référence : 2011 CF 1168

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 octobre 2011

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PETER M. COLLINS

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, le contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) datée du 17 décembre 2010. Le Tribunal avait ordonné au demandeur de verser une indemnité à un détenu sous responsabilité fédérale de l’Établissement de Bath parce que le Service correctionnel du Canada (SCC) n’avait pas pris de mesures d’adaptation tenant compte de sa déficience (2010 CHRT 33).

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande est accueillie.

 

I.          Contexte

 

[3]               Le défendeur, Peter M. Collins, purge une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre au premier degré. Il est incarcéré à l’Établissement de Bath, un pénitencier à sécurité moyenne situé près de Kingston, en Ontario. Il souffre de maux de dos chroniques qui sont la conséquence de blessures subies à la colonne vertébrale lors d’accidents de motocyclette et de voiture. Depuis les années 1980, le SCC lui fournit divers appareils destinés à l’aider à composer avec sa déficience et ses maux.

 

[4]               Par mesure de précaution et de sécurité, les délinquants détenus dans des établissements fédéraux sont tenus, selon la Directive du commissaire no 566-4 (DC 566-4), de se soumettre à la procédure de « dénombrement debout » au moins une fois toutes les 24 heures. Il s’agit d’un dénombrement officiel des détenus, qui doivent se tenir debout dans leur cellule en faisant face à l’employé procédant au dénombrement, afin de montrer non seulement qu’ils sont présents, mais également qu’ils sont en vie et ne sont pas blessés.

 

[5]               Même si au départ, aucune directive ou politique officielle ne prévoyait la possibilité d’être exempté de cette procédure, le SCC avait, dans les faits, décidé de tenir compte des besoins particuliers du défendeur en ne l’obligeant pas à se lever pendant le dénombrement debout.

 

[6]               Le 30 novembre 2005, cette mesure d’adaptation a pris fin lorsque le défendeur, pour la première fois, a reçu d’une agente de correction du SCC l’ordre de se lever et de se soumettre à la procédure de dénombrement sans aucune aide. Le défendeur a alors informé l’agente en question qu’il était incapable, pour des raisons médicales, de se tenir debout. Celle-ci lui a répondu qu’il devait demander une exemption au directeur de l’établissement, à défaut de quoi il risquait d’être accusé d’une infraction disciplinaire chaque fois qu’il omettrait de se lever pour le dénombrement.

 

[7]               Par conséquent, en novembre 2005, le défendeur a demandé à être exempté de l’application de la procédure. Il a consulté le médecin de l’Établissement de Bath, la Dre Wyatt, à qui il a fait savoir que le dénombrement debout l’obligeait à rester debout durant 20 à 30 minutes. Sur la foi de cette information, la Dre Wyatt a adressé au personnel de sécurité de l’établissement une recommandation écrite où l’on pouvait lire ce qui suit : [traduction] « Il peut y avoir des occasions lors desquelles, en raison de son état de santé, le détenu doit rester couché ou assis, ou doit se tenir debout en se soutenant pendant le dénombrement debout. »

 

[8]               La recommandation a été reçue par le chef d’unité par intérim responsable de la santé et de la sécurité des délinquants et du personnel, Ian Chinnery. Dans une note de service, ce dernier a expliqué à la Dre Wyatt la raison et l’importance de la procédure de dénombrement debout de l’établissement. Selon lui, il serait difficile pour le personnel d’appliquer une mesure laissant au défendeur le choix de se lever ou non dans le contexte d’un établissement à sécurité moyenne.

 

[9]               Le chef des Services de santé de l’Établissement de Bath, Brian Blasko, a également informé la Dre Wyatt que la procédure de dénombrement debout n’obligeait les détenus à rester debout que durant une à deux minutes, et non 20 à 30 minutes comme le laissait entendre le défendeur.

 

[10]           Ces renseignements supplémentaires ont amené la Dre Wyatt à modifier sa recommandation comme suit : [traduction] « [I]l peut y avoir des moments où le dos de M. Collins rende la position debout ou assise difficile. Cependant, je reconnais que la sécurité prime et, par conséquent, M. Collins sait qu’actuellement, il doit se tenir debout d’une façon ou d’une autre pendant le dénombrement. »

 

[11]           En avril 2006, le défendeur a déposé un grief selon la procédure interne en application de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20. Il  prétendait que M. Chinnery s’était interposé à tort dans la recommandation faite par la Dre Wyatt, qu’il avait fait preuve de partialité à son endroit et qu’il avait agi d’une façon punitive pour lui infliger délibérément un préjudice moral. Le grief du défendeur s’est rendu jusqu’au troisième et dernier palier de la procédure, mais il a chaque fois été rejeté.

 

[12]           En août 2006, la DC 566-4 a été modifiée afin de prévoir la possibilité d’accorder une exemption officielle à l’égard de la procédure de dénombrement debout pour des raisons médicales. La nouvelle directive était ainsi libellée :

Les détenus qui, pour des raisons médicales ou à cause de limitations physiques, ne sont pas en mesure, selon le chef des Services de santé ou le titulaire d’un poste équivalent, d’obéir à un ordre de se tenir debout donné dans le cadre d’un dénombrement ne sont pas tenus de le faire. Le cas échéant, le détenu doit toutefois être éveillé et doit signaler sa présence au personnel d’une autre façon, habituellement par un signe de la main.

 

[13]           Indépendamment de cette modification, les 28 mai 2007 et 19 novembre 2007, le défendeur a été accusé de ne pas s’être soumis au dénombrement debout, ainsi que l’agente du SCC l’en avait prévenu.

 

[14]           En décembre 2007, le défendeur a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne. Avant le début de l’audience du Tribunal, le SCC a reconnu que le défendeur était atteint d’une déficience et qu’il n’avait pas à se tenir debout lors du dénombrement.  Ne restait donc au Tribunal qu’à trancher la question de la réparation.

 

II.         Décision du Tribunal

 

[15]           Le Tribunal a accordé au défendeur une indemnité de 7000 dollars pour le préjudice moral qu’il a subi du fait de l’acte discriminatoire, suivant l’alinéa 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (LCDP). Il a accepté le témoignage de M. Collins, qui affirmait que la station debout lui causait des douleurs supplémentaires. Ce dernier avait d’ailleurs également éprouvé une certaine angoisse face à la possibilité de faire l’objet d’accusations ou d’autres mesures punitives pour ne pas avoir obtempéré aux ordres des agents de correction le sommant de se lever pour le dénombrement debout.

 

[16]           De plus, le défendeur a reçu 2500 dollars à titre d’indemnité spéciale en vertu du paragraphe 53(3).  Cette indemnité spéciale peut être accordée si l’acte discriminatoire était délibéré ou inconsidéré. Le Tribunal a conclu que le personnel du SCC n’avait pas suffisamment tenu compte des douleurs physiques susceptibles d’être causées à M. Collins lorsqu’il a cherché à faire renverser les recommandations initiales de la Dre Wyatt.  De l’avis du Tribunal, [traduction] « [l]es employés du SCC auraient dû savoir que le fait d’agir de cette façon constituait une pratique discriminatoire » et [traduction] « [i]l était […] inconsidéré de leur part d’agir de cette façon ».

 

[17]           Selon le Tribunal, la préoccupation essentielle de M. Chinnery était d’appliquer la directive plutôt que de répondre aux besoins du défendeur attribuables à sa déficience. La Dre Wyatt, qui ne connaissait pas la DC 566-4, a fait preuve d’une grande retenue face à l’information et aux indications fournies par le personnel du SCC. Compte tenu des modifications ultérieures apportées à sa directive, même le SCC a fini par reconnaître la mesure d’adaptation demandée par M. Collins.

 

[18]           En revanche, le Tribunal a estimé qu’il ne s’agissait pas d’un acte discriminatoire intentionnel. Il a considéré non fondée l’allégation de M. Collins, selon qui M. Chinnery était motivé par le désir de décider personnellement à quel moment M. Collins devait se tenir debout et de lui causer ainsi des souffrances supplémentaires. Il n’y avait pas de raison de douter du témoignage de M. Chinnery, qui avait déclaré qu’il avait eu pour unique intention d’appliquer la directive du SCC.

 

III.       Dispositions applicables

 

[19]           L’article 53 de la LCDP prévoit les réparations suivantes :

 

 

Rejet de la plainte

 

53. (1) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur rejette la plainte qu’il juge non fondée.

 

 

 

Plainte jugée fondée

 

(2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

 

 

 

 

 

 

a) de mettre fin à l’acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables, notamment :

 

 

 

(i) d’adopter un programme, un plan ou un arrangement visés au paragraphe 16(1),

 

(ii) de présenter une demande d’approbation et de mettre en œuvre un

 

programme prévus à l’article 17;

 

b) d’accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont l’acte l’a privée;

 

 

 

 

 

c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte;

 

 

 

 

d) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des frais supplémentaires occasionnés par le recours à d’autres biens, services, installations ou moyens d’hébergement, et des

dépenses entraînées par l’acte;

 

e) d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.

 

 

 

 

 

Indemnité spéciale

 

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

 

 

 

 

Intérêts

 

(4) Sous réserve des règles visées à l’article 48.9, le membre instructeur peut accorder des intérêts sur l’indemnité au taux et pour la période qu’il estime justifiés.

 

 

Complaint dismissed

 

53. (1) At the conclusion of an inquiry, the member or panel conducting the inquiry shall dismiss the complaint if the member or panel finds that the complaint is not substantiated.

 

Complaint substantiated

 

(2) If at the conclusion of the inquiry the member or panel finds that the complaint is substantiated, the member or panel may, subject to section 54, make an order against the person found to be engaging or to have engaged in the discriminatory practice and include in the order any of the following terms that the member or panel considers appropriate:

 

(a) that the person cease the discriminatory practice and take measures, in consultation with the Commission on the general purposes of the measures, to redress the practice or to prevent the same or a similar practice from occurring in future, including

 

(i) the adoption of a special program, plan or arrangement referred to in subsection 16(1), or

 

(ii) making an application for approval and implementing a plan under section 17;

 

 

 

(b) that the person make available to the victim of the discriminatory practice, on the first reasonable occasion, the rights, opportunities or privileges that are being or were denied the victim as a result of the practice;

 

(c) that the person compensate the victim for any or all of the wages that the victim was deprived of and for any expenses incurred by the victim as a result of the discriminatory practice;

 

(d) that the person compensate the victim for any or all additional costs of obtaining alternative goods, services, facilities or accommodation and for any expenses incurred by the victim as a result of the

discriminatory practice; and

 

 

(e) that the person compensate the victim, by an amount not exceeding twenty thousand dollars, for any pain and suffering that the victim experienced as a result of the discriminatory practice.

 

Special compensation

 

(3) In addition to any order under subsection (2), the member or panel may order the person to pay such compensation not exceeding twenty thousand dollars to the victim as the member or panel may determine if the member or panel finds that the person is engaging or has engaged in the discriminatory practice wilfully or recklessly.

 

Interest

 

(4) Subject to the rules made under section 48.9, an order to pay compensation under this section may include an award of interest at a rate and for a period that the member or panel considers appropriate.

 

 

IV.       Questions en litige

 

[20]           La présente demande soulève deux questions :

a)         Était-il raisonnable, de la part du Tribunal, d’accorder au défendeur une réparation pour préjudice moral en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP?

b)         Était-il raisonnable, de la part du Tribunal, d’accorder au défendeur une réparation additionnelle en vertu du paragraphe 53(3)?

 

V.        Norme de contrôle

 

[21]           Il faut appliquer la norme de la décision raisonnable lorsque le Tribunal applique sa loi habilitante aux faits (voir Brown c. Canada (Commission de la capitale nationale), 2009 CAF 273, 2009 CarswellNat 2931, au para. 5). La norme de la raisonnabilité s’applique également aux questions de droit faisant intervenir l’interprétation de sa loi habilitante par le Tribunal et aux questions générales de droit à l’égard desquelles le Tribunal a acquis une connaissance spécialisée (voir Tahmourpour c. Canada (Procureur général du Canada), 2010 CAF 192, 2010 CarswellNat 2399, au paragraphe 8).

 

[22]           Comme l’écrivait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47, le caractère raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

VI.       Analyse

 

Question A :     Était-il raisonnable, de la part du Tribunal, d’accorder au défendeur une réparation pour préjudice moral en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP?

 

[23]           Le demandeur soutient qu’une indemnité a été accordée au titre du préjudice moral sans examen de la preuve. En particulier, il signale que personne n’a témoigné pour dire que le fait pour M. Collins de rester debout durant le dénombrement lui avait infligé des douleurs supplémentaires suffisantes pour étayer la conclusion du Tribunal. Aux dires du demandeur, le défendeur a simplement décrit les douleurs chroniques au dos qu’il ressentait déjà.

 

[24]           De plus, le demandeur conteste la conclusion du Tribunal voulant que [traduction] « [s]i le fait de se lever ne lui causait aucun problème, la Dre Wyatt n’aurait pas inscrit une note dans son dossier médical et n’aurait pas émis de recommandation ». Selon le demandeur, le Tribunal n’a pas pris en considération ou a mal compris le témoignage oral de la Dre Wyatt, qui affirmait s’être fiée aux dires du défendeur, lequel l’avait induite en erreur quant à la durée de la procédure de dénombrement debout. À l’appui de son argument, le demandeur invoque la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35, 1998 CarswellNat 1981, au paragraphe 17, ajoutant que le témoignage de la Dre Wyatt était essentiel et que le Tribunal aurait dû en traiter explicitement.

 

[25]           Le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour le Tribunal de conclure qu’il avait éprouvé un préjudice moral supplémentaire. Tous reconnaissaient qu’il avait des limitations sur le plan médical en raison de ses maux de dos chroniques, et notamment, du fait que ses douleurs s’aggravaient avec l’âge et que par moment, il était cloué au lit. Le Tribunal a fait siennes les conclusions médicales de la Dre Wyatt, à savoir qu’il était parfois difficile pour M. Collins de rester debout ou assis. La Dre Wyatt a seulement indiqué qu’elle n’avait pas reçu du défendeur toute l’information relative à la procédure administrative du dénombrement debout; cela n’a pas influencé directement la qualification globale de son état. La Dre Wyatt a même laissé entendre que la description du défendeur était juste. Le défendeur affirme qu’il était donc raisonnable de la part du Tribunal de conclure qu’une procédure obligeant une personne à se tenir debout alors qu’elle éprouve déjà des difficultés à le faire pour des raisons médicales aurait pour effet de lui infliger un préjudice moral supplémentaire.

 

[26]           À titre subsidiaire, le défendeur avance que puisque le demandeur a omis de le contre‑interroger sur le fait qu’il ait affirmé que la procédure de dénombrement debout prenait de 20 à 30 minutes, il ne peut tenter maintenant d’attaquer sa crédibilité. Avant de le faire, il faut en aviser le témoin (voir, par exemple, R. c. Paris, (2000), 138 O.A.C. 287, 150 C.C.C. (3d) 162). Je ne suis pas convaincu que ces arguments subsidiaires portant sur les attaques à la crédibilité soient appropriés dans le cadre d’un contrôle judiciaire et en marge du contre-interrogatoire effectif du témoin.

 

[27]           Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que la recommandation faite par la Dre Wyatt était en partie fondée sur de l’information inexacte fournie par le défendeur. C’est une chose de conclure qu’une personne peut éprouver de la difficulté à rester debout durant 20 minutes, mais la situation est toute autre lorsque la personne n’a qu’à rester debout durant une à deux minutes. Par ailleurs, aucune preuve ne permet de croire que la station debout était la principale cause des douleurs au dos du défendeur. En fait, la preuve semble indiquer que les maux de dos sont principalement causés par un état préexistant attribuable à un accident de motocyclette.

 

[28]           Puisque les conséquences de l’état de santé du défendeur ont été reconnues, le fait de conclure qu’il a subi un préjudice moral justifiant le versement d’une indemnité appartient aux issues possibles acceptables. Toutefois, dans les circonstances, je ferais passer le montant de l’indemnité de 7000 dollars à 500 dollars, compte tenu de l’information inexacte fournie par le défendeur à la Dre Wyatt.

 

Question B :     Était-il raisonnable, de la part du Tribunal, d’accorder au défendeur une réparation additionnelle en vertu du paragraphe 53(3)?

 

[29]           L’indemnité spéciale visée au paragraphe 53(3) peut être accordée si un acte discriminatoire est délibéré ou inconsidéré. Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable, en l’espèce, d’accorder l’indemnité parce qu’il n’y avait pas de fondement factuel justifiant cette mesure et que le Tribunal a fait appel à tort à un critère de négligence pour déterminer si l’acte discriminatoire posé par le SCC était délibéré ou inconsidéré.

 

(i)         Fondement factuel

 

[30]           Le demandeur conteste la conclusion du Tribunal selon laquelle les employés du SCC ont omis de tenir compte de la déficience du défendeur et de la recommandation de la Dre Wyatt. Selon lui, le Tribunal aurait dû reconnaître que la déclaration inexacte faite par le défendeur quant à la durée de la procédure de dénombrement debout était à l’origine de la recommandation initiale de la Dre Wyatt.

 

[31]           Cela dit, les arguments présentés par le demandeur quant à la signification de la modification apportée à la DC 566-4 en août 2006 ne sont pas convaincants. Le demandeur soutient qu’on ne pouvait s’attendre du SCC qu’il envisage la prise de mesures d’adaptation sans cette modification.  Or, comme le souligne le défendeur, la preuve indique que les employés du SCC étaient au courant de ses besoins. Le SCC s’était adapté de diverses façons aux besoins du défendeur pendant tout le temps où il purgeait sa peine. Avant novembre 2005, on tenait aussi compte de son état de santé de manière informelle pendant le dénombrement debout. Avant que ne s’amorce l’audience du Tribunal, le CSC a admis qu’il n’avait pas pris de mesures d’adaptation et, si on extrapole, qu’il était conscient que cela avait entraîné de la discrimination. Pour expliquer son défaut de prendre des mesures d’adaptation, le SCC a simplement fait valoir que le défendeur pouvait se déplacer et qu’il ne satisfaisait pas aux conditions d’obtention d’une dispense médicale. Le Tribunal pouvait conclure que les employés du SCC auraient dû savoir, du moins dans une certaine mesure, que le défendeur était atteint d’une déficience et qu’il fallait s’adapter à ses besoins lors de la procédure de dénombrement debout.

 

(ii)        Critère servant à déterminer si l’acte était délibéré ou inconsidéré

 

[32]           Le demandeur affirme que le Tribunal a fait appel à un critère de négligence pour déterminer s’il y avait eu insouciance, ou acte inconsidéré, de la part du SCC. Bien que le Tribunal ait jugé que l’acte discriminatoire n’était pas intentionnel, il a tout de même conclu que le personnel du SCC aurait dû savoir qu’il commettait un acte discriminatoire. S’appuyant sur l’arrêt R. c. Sansregret, [1985] 1 R.C.S. 570, [1985] A.C.S. no 23, au paragraphe 16, le demandeur insiste sur le fait que la notion d’insouciance comporte un élément de subjectivité qui le distingue de la norme objective de négligence. Il s’agit donc de déterminer ce que la personne visée savait, et non ce qu’elle aurait dû savoir.

 

[33]           Dans Sansregret, la Cour suprême a donné de l’insouciance une définition destinée au droit criminel. Comme nous l’avons vu dans les arrêts Brown et Tahmourpour, précités, l’interprétation par le Tribunal de sa loi habilitante commande la retenue judiciaire. Toutefois, compte tenu de la preuve dont je suis saisi, je ne suis pas d’accord pour dire que les actions du SCC relevaient de l’acte discriminatoire délibéré ou inconsidéré. Le Tribunal a conclu que les actes discriminatoires qui avaient pu être posés n’étaient pas intentionnels et par ailleurs, je ne souscris pas aux conclusions du Tribunal portant qu’il soit possible de conclure à l’existence d’un acte discriminatoire délibéré ou inconsidéré sans qu’il y ait, dans une certaine mesure, une intention ou un comportement si dénué de prudence, ou encore, un mépris des conséquences de ce comportement (voir, par exemple, la définition du terme anglais «  reckless » (insouciance) comme étant un [traduction] « mépris des conséquences ou du danger » et un [traduction] « manque de prudence » dans le Canadian Oxford Dictionary, 2e éd. (Toronto : Oxford University Press Canada, 2005)). Je ne dispose d’aucune preuve que le SCC s’est comporté de cette manière en l’espèce. En conséquence, je conclus qu’il n’y avait pas lieu d’accorder d’indemnité spéciale sous le régime du paragraphe 53(3) de la LCDP et j’annulerais cette décision.

 

VII.      Conclusion

 

[34]           L’indemnité accordée par le Tribunal pour le préjudice moral souffert, en application de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP, devrait être réduite de 7000 dollars à 500 dollars. Il était déraisonnable d’accorder, en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP, une indemnité spéciale pour un acte discriminatoire délibéré ou inconsidéré de la part des employés du SCC.

 

[35]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. Il ne sera pas adjugé de dépens en l’espèce.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  L’indemnité accordée par le Tribunal pour le préjudice moral souffert, en application de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP, est réduite de 7000 dollars à 500 dollars.

2.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

3.                  Aucuns dépens ne sont adjugés en l’espèce.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-72-11

 

INTITULÉ :                                       P.G.C. c. PETER M. COLLINS

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 20 SEPTEMBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 17 OCTOBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shelley C. Quinn

 

POUR LE DEMANDEUR

Brian A. Callender

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Shelley C. Quinn

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Brian A. Callender

Avocat

Kingston (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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