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Date : 20111012

Dossier : T‑1636‑10

Référence : 2011 CF 1154

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 octobre 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

 

ROBERT ZEIDLER

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 26 août 2010 par le Chef d’état‑major de la Défense (CEMD) en sa qualité d’autorité de dernière instance du processus de grief. Le CEMD a rejeté la demande de redressement de grief visant la décision d’exclure le demandeur de son poste de commandant (cmdt) du Queen’s Own Rifles of Canada (QOR).

 

[2]               Pour les motifs suivants, la demande sera accueillie.

 

I.          Le contexte

 

[3]               Le demandeur, Robert Zeidler, a été nommé commandant du QOR le 27 juin 2008. Une suite d’événements a mené à la décision du 16 décembre 2008 de l’exclure de ce commandement.

 

•           Le 16 septembre – Le superviseur du demandeur, le colonel Mann (Col Mann) a donné un ordre à tous les commandants. En voici un extrait :

[traduction]

Chaîne de commandement ‑ [...] entrant en vigueur immédiatement, nul au sein du SCFT (32 GBC) ne parlera à un membre du personnel de rang supérieur ou inférieur de l’EM, sauf s’il s’agit d’un membre du personnel de rang immédiatement supérieur ou inférieur ou qu’une liaison directe a été autorisée par l’officier de rang immédiatement supérieur de l’EM.

 

•           Le 29 septembre – Le demandeur a fait savoir hors de la chaîne de commandement qu’il n’était pas d’accord que les postes de parachutistes soient redistribués à des soldats du Secteur du Centre de la Force terrestre (SCFT) plutôt que d’être regroupés au sein du QOR.

 

•           Le 2 octobre – Le Col Mann s’est senti obligé d’ordonner au demandeur de ne discuter avec personne de questions militaires en dehors de son unité sans autorisation de son état‑major.

 

•           Le 6 octobre – Dans le but de protéger son unité, le demandeur a envoyé à un grand nombre de personnes un courriel intitulé [traduction] « Attribution des missions des parachutistes du QOR », dans lequel il critiquait la décision de redistribuer les postes de parachutistes et écrivait [traduction] « [l]a direction du régiment fera tout ce qu’elle pourra pour faire entendre des voix plus sensées ».

 

•           Le 7 novembre – Le demandeur a annoncé lors d’un dîner militaire qu’il pourrait ne pas soutenir la ligne de conduite sur les promotions de qualification élémentaire en leadership (QEL) du Chef d’état‑major de l’Armée de terre (CEMAT).

 

•           Le 2 décembre – Le brigadier‑général (Bgén Collin), le cmdt du SCFT, a informé le demandeur que sa performance le préoccupait. Il estimait que le ton et plusieurs des déclarations du courriel « Attribution des missions des parachutistes du QOR », qu’il avait examiné, relevaient de l’insubordination. Il a fait remarquer qu’on avait déjà conseillé le demandeur quant aux propos inappropriés. Il a aussi commenté l’insinuation faite par le demandeur lors du dîner militaire, à savoir qu’il ne se conformerait pas à la ligne de conduire récente sur les promotions. Le demandeur devait se présenter devant le Bgén Collin pour expliquer ses actions.

 

•           Le 9 décembre – Le demandeur a rencontré le Bgén Collins qui lui a dit qu’il était [traduction] « personnellement insulté » par le contenu du courriel. Le même jour, un avis d’intention de l’exclure du commandement (AI) a été rédigé. L’AI indiquait que le Bgén Collin envisageait l’exclusion temporaire, et peut‑être même permanente, du commandement. Le demandeur disposait de sept jours, au lieu des quatorze habituels, pour répondre à l’AI et aucune prorogation ne serait accordée.

 

•           Le 12 décembre – Le Bgén Collins a rencontré son aide d’état‑major ou J1 et un agent de la police militaire. Les notes prises par ce dernier lors de la rencontre indiquaient : [traduction] « Le cmdt du SCFT a en outre déclaré qu’il avait pris une mesure administrative à l’encontre le Lcol ZEIDLER en l’excluant du commandement ».

 

•           Le 13 décembre – Le demandeur a soumis des observations dans lesquelles il offrait ses excuses pour le tort que son courriel avait pu causer et tentait d’expliquer ses actions.

 

•           Le 16 décembre – Un avis de maintien de l’exclusion du commandement, signé par le Bgén Collin, a été envoyé au demandeur. Le document précisait que le Bgén Collin avait pris connaissance des observations et qu’il les avait considérées parmi d’autres facteurs. Le Bgén Collin déclarait néanmoins que [traduction] « il se peut que ses intentions aient été bonnes, mais le demandeur a par la suite manqué de jugement et ses propos étaient assurément irrespectueux et insultants et relevaient de l’insubordination ». Il a fait référence au [traduction] « climat empoisonné du commandement » que les actions du demandeur avaient créé. Il a conclu que le demandeur n’était plus apte à commander et il a ordonné son exclusion immédiate, déclarant que [traduction] « [v]ous avez perdu ma confiance et je crois que vous n’êtes plus en mesure d’exiger une conduite loyale de la part de vos subordonnés ».

 

[4]               Le demandeur a contesté la décision de l’exclure de son commandement en se prévalant du processus de grief des FC. Il a procédé aux étapes suivantes :

 

•           Le 31 janvier 2009 – Le demandeur a déposé par l’intermédiaire de la chaîne de commandement une demande de redressement de grief qui devait être tranchée par le CEMAT en sa qualité d’autorité de première instance. Il a invoqué un manquement à l’équité procédurale et la partialité du décideur.

 

•           Le 9 mars 2009 – Le lieutenant‑général Leslie, CEMAT, s’est récusé comme autorité de première instance du processus de grief pour des raisons de transparence et d’équité absolue, du fait qu’on l’avait consulté avant la décision définitive d’exclure le Lcol Zeidler du commandement. La demande de redressement de grief a par conséquent été envoyée au Directeur général ‑ Autorité des griefs des Forces canadiennes (DGAGFC).

 

•           Le 6 octobre 2009 – Le demandeur a été informé qu’un sommaire avait été rédigé par l’AGFC et qu’il disposait de trente jours à compter de sa réception pour y répondre. Le demandeur a demandé une prorogation de délai, qui lui a été accordée. Le sommaire concluait entre autres que les questions touchant à l’équité procédurale et à la crainte de partialité avaient été réglées par le sommaire de grief et la communication des documents. Le commandant du SCFT avait perdu confiance dans l’aptitude du demandeur à commander en raison de plusieurs déclarations d’opinion personnelle [traduction] « discutables » qui témoignaient d’un faible jugement.

 

•           Le 11 décembre 2009 – Le demandeur a soumis sa réponse au sommaire. Peu après, il a demandé que le DGAGFC se récuse comme autorité de dernière instance, en raison de sa relation de longue date avec le Bgén Collin, et que le grief soit envoyé directement au CEMD.

 

•           Le 7 janvier 2010 – Le demandeur a néanmoins accepté que son dossier soit transmis au CGFC afin que celui‑ci procède à son examen et qu’il rédige des conclusions et des recommandations.

 

•           Le 31 mars 2010 – Le CGFC a fait parvenir ses conclusions et recommandations au demandeur. Celui‑ci a demandé une prorogation de délai, qui lui a été accordée, pour déposer une réponse devant être transmise, en même temps que les documents du CGFC, au CEMD pour que celui‑ci rende une décision définitive. Le CGFC recommandait que le CEMD rejette la demande de redressement de grief. Le Bgén Collin ne s’était peut-être pas conformé à toutes les procédures administratives en vigueur, mais aucun manquement à l’équité procédurale n’en avait résulté. Le demandeur a été informé de l’intention du CGFC et connaissait suffisamment bien les détails de l’affaire pour présenter ses observations. La preuve démontrait que la décision d’exclure le demandeur du commandement avait été prise après que celui‑ci ait déposé ses observations. Rien ne permettait de conclure à la partialité du Bgén Collin. Le demandeur avait fait défaut de s’acquitter de ses responsabilités à titre de commandant. Comme le CGFC l’a déclaré :

[traduction]

Le courriel du 5 octobre 2008 a été rédigé par le plaignant avec des termes et une intention qui suffisent à mettre en péril la relation de confiance particulière et essentielle entre un commandant et ses subordonnés. De ce fait, le cmdt du SCFT a perdu confiance dans l’aptitude du plaignant à commander et dans l’autorité morale qui lui est nécessaire pour exiger une conduite loyale de ses subordonnés dans l’avenir.

 

[5]               En plus d’être exclu du commandement, le demandeur a reçu, le 2 février 2009, un avertissement écrit du Col Mann pour défaut de conduite. Le demandeur a été informé le 20 juillet 2009 que son dossier avait été examiné par un conseil de relève et qu’il était libéré des FC. Sur les conseils du CGFC, ces décisions font actuellement l’objet du processus de grief, mais sont traitées de façon distincte de la décision relative à l’exclusion du commandement.

 

II.         La décision contrôlée

 

[6]               Le CEMD a souscrit aux conclusions et aux recommandations du CGFC. Il a indiqué que le demandeur avait exprimé son désaccord à l’égard des décisions de ses supérieurs de malheureuse façon. Ses commentaires écrits relevaient de l’insubordination et il était inapproprié de sa part de faire connaître ces opinions à ses soldats. Il serait difficile au demandeur de conserver la loyauté de ses soldats après cet incident.

 

[7]               Le CEMD a conclu que le Bgén Collin, le cmdt du SCFT, avait examiné les événements qui s’étaient produits et avait évalué l’avantage de prendre des mesures administratives. Le Bgén Collin a reconnu que la conduite passée indiquait un comportement qui tendrait à se répéter dans le futur et qu’il convenait d’y remédier au moyen d’une exclusion du commandement. De plus, selon le CEMD, les observations présentées par le demandeur ne démontraient pas qu’il saisissait bien la gravité de sa conduite.

 

[8]               Le CEMD a souscrit à la conclusion du CGFC selon laquelle le demandeur avait bénéficié de l’équité procédurale. Malgré le fait que certains documents n’avaient initialement pas été divulgués, il avait été remédié à cette question en conséquence du processus de grief. La décision du Bgén Collin de ne donner au demandeur que sept jours pour répondre à l’AI n’avait pas empêché celui‑ci de soumettre ses observations. Conformément à la conclusion du CGFC, il n’y avait aucune preuve de partialité, puisque le Bgén Collin avait examiné toute la preuve et avait permis au demandeur de soumettre des observations. Après avoir examiné la preuve versée au dossier de grief dont disposait le Bgén Collin, le CEMD a conclu qu’il serait parvenu à la même conclusion. La meilleure solution était d’exclure le demandeur du commandement. La décision était par conséquent correcte et dépourvue de partialité.

 

III.       Le cadre législatif et stratégique

 

[9]               Les articles 29 à 29.15 de la Loi sur la défense nationale, L.R. 1985, ch. N‑5, régissent le processus de grief des FC. Ils prévoient les procédures applicables et énoncent les principes directeurs. Les membres des FC qui s’estiment lésés par une décision touchant à l’administration des FC ont le droit de déposer un grief. Le CEMD est l’autorité de dernière instance du processus de grief. Il doit également soumettre les griefs au CGFC pour que celui‑ci lui formule ses conclusions et ses recommandations. Ces conclusions et recommandations ne sont pas exécutoires; cependant, le CEMD doit donner des motifs écrits s’il ne les adopte pas. Sous réserve du contrôle judiciaire de la Cour, une décision du CEMD est définitive et exécutoire. Ces procédures sont exposées plus en détail au chapitre 7 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC).

 

[10]           Les ORFC décrivent également la structure de commandement des FC. Selon l’article 19.015, les officiers doivent obéir aux commandements et aux ordres légitimes d’un supérieur. De plus, selon l’article 19.14, il ne leur est pas permis de « prononcer des remarques ou des critiques tendant à discréditer un supérieur ».

 

[11]           Quoique la loi ne contienne aucune disposition sur l’exclusion du commandement, le CEMD a publié, le 12 décembre 2001, un document intitulé « Directives – exclusion du commandement ». Selon les paragraphes 4 et 5, l’exclusion du commandement est lié à « la perte de confiance dans l’aptitude d’une personne à commander » et « est souvent l’aboutissement d’une série de tâches ou de fonctions qui n’ont pas été exécutées de la manière attendue ». Il y est également dit qu’« il est normal qu’un supérieur tente de corriger les points faibles d’un subordonné avant de procéder à l’exclusion de ce subordonné du commandement ». Le paragraphe 7 prévoit que les règles d’équité procédurale doivent s’appliquer dans le cadre d’une exclusion de commandement, notamment celles relatives à l’avis d’intention, à la communication des documents et à la possibilité de répondre.

 

[12]           Un autre document de politique intitulé « Exclusion des postes de commandement ou clés dans le commandement de la Force terrestre, ou renonciation à de tels postes » (OCFT 11‑94) précise que le membre des FC visé par un processus d’exclusion permanente a droit à la communication des documents et à un délai de 14 jours pour répondre.

 

IV.       Les questions en litige

 

[13]           La présente demande soulève les questions suivantes :

a)         La décision d’exclure le demandeur du commandement du QOR et le processus de grief subséquent ont‑ils donné lieu à un manquement à l’équité procédurale?

b)         La conduite du Bgén Collin, le commandant du SCFT, lors de sa décision d’exclure le demandeur de son commandement soulève‑t‑elle une crainte raisonnable de partialité?

c)         La décision du Chef d’état‑major de la défense de rejeter la demande de redressement de grief du demandeur était‑elle raisonnable?

 

V.        La norme de contrôle applicable

 

[14]           Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, 2009 CarswellNat 434, par. 42 et 43). La crainte raisonnable de partialité, étant un élément de l’équité procédurale, est également susceptible de révision selon la norme de la décision correcte (voir Geza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 124, 2006 CarswellNat 706, par. 44).

 

[15]           La Cour a toutefois conclu que la norme de contrôle applicable à l’examen des décisions du CEMD qui soulèvent des questions mixtes de fait et de droit était celle de la décision raisonnable (voir Moodie c. Canada, 2009 CF 1217, 2009 CarswellNat 3887, par. 18). Le caractère raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, par. 47).

 

V.        Analyse

 

Question A : L’équité procédurale

 

[16]           Le demandeur fait valoir que le document intitulé « Directives – exclusion du commandement » et les politiques connexes créent des attentes légitimes en ce qui a trait à la procédure à suivre pour l’exclure de son commandement du QOR (voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 1999 CarswellNat 1124, par. 26). Il fait remarquer que plusieurs actions du Bgén Collin n’étaient pas conformes à ces politiques, notamment le défaut d’envisager la prise de mesures administratives avant la mesure d’exclusion, le fait de ne pas lui avoir accordé quatorze jours pour répondre à l’AI ni la possibilité de proroger ce délai, le défaut d’ordonner la tenue d’une enquête et le défaut d’assurer une communication complète de la preuve. Se fondant sur les notes de l’agent de la police militaire, il soutient que la décision du Bgén Collin était un « fait accompli » avant qu’il ait pu présenter toute observation contraire.

 

[17]           Le demandeur soutient aussi que le processus de révision de grief subséquent ne règle pas nécessairement ces vices de procédure, comme le CEMD l’a laissé entendre dans sa décision (Diotte c. Canada (1989), 31 FTR 185, [1989] ACF n1138, par. 18). Il fait valoir que le sommaire du CGFC ainsi que les décisions du CEMD et du CGFC ont traité des questions d’équité procédurale simplement comme s’il s’agissait de les régler plutôt que de procéder à un nouvel examen.

 

[18]           Je reconnais que le document intitulé « Directives – exclusion du commandement » crée des attentes quant aux procédures à suivre et que la décision du Bgén Collin a été prise rapidement. Il est juste de dire que je suis préoccupé par le fait que le Bgén Collin a accordé au demandeur un délai relativement court pour répondre à l’AI et qu’il ne semble avoir envisagé aucune mesure administrative avant l’exclusion. De plus, il semble ressortir clairement des notes de l’agent de police militaire que le Bgén Collin avait décidé d’exclure le demandeur de son poste de commandement avant que celui‑ci ait pu répondre à l’AI. Je suis aussi très préoccupé par le fait que le superviseur immédiat du demandeur, le Col Mann, était parfaitement au courant des courriels du 6 octobre 2008 et des remarques du 7 novembre 2008, et qu’il n’a pris aucune mesure jusqu’à ce que le Bgén Collin le lui ordonne le 4 décembre. Il est évident que le Bgén Collin était particulièrement fâché et qu’il a été l’élément moteur de l’exclusion du demandeur.

 

[19]           Cependant, le défendeur demande avec raison et avec insistance à la Cour de centrer son attention sur le décideur de dernière instance dont la décision fait l’objet du présent contrôle, le CEMD (Zimmerman c. Canada (Procureur général), 2009 CF 1298, [2009] ACF n1663, par. 35). Dans Schmidt c. Canada (Procureur général), 2011 CF 356, [2011] ACF n463, par. 14, le juge Robert Barnes a précisé que la procédure de grief des FC pouvait accorder au plaignant la possibilité de se prévaloir d’un examen de novo véritable de l’affaire, étant donné les nombreuses possibilités de recours, le droit à la divulgation et les possibilités de répondre qui sont prévues dans le cadre législatif et stratégique.

 

[20]           Cependant, le CEMD a fait défaut de s’acquitter de son obligation d’accorder un examen de novo en l’espèce. Dans Schmidt, précité, le CEMD a annulé la décision initiale en se fondant sur des préoccupations touchant à l’équité, mais il a procédé à un examen de novo et a conclu que l’exclusion du commandement de Schmidt était justifiée. Par comparaison, le CEMD semble avoir simplement adopté les conclusions originales du Bgén Collin sans considérer la possibilité que celui‑ci ait jugé de manière précipitée la situation du demandeur. Le CEMD affirme avoir considéré la preuve dont disposait le Bgén Collin et être simplement parvenu à la même conclusion. Cependant, il ressort de l’examen de la décision qu’il s’est essentiellement limité à répéter les conclusions originales du Bgén Collin. Il a également tenté d’écarter plusieurs des questions d’équité procédurale soulevées et laissé entendre que leur incidence sur le demandeur était minime. Le processus était néanmoins entaché dès le début par des vices procéduraux auxquels le CEMD n’a pas remédié en s’appuyant sur la décision initiale.

 

Question B : La crainte raisonnable de partialité

 

[21]           Pour établir une crainte raisonnable de partialité, le demandeur doit démontrer qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, arriverait probablement à la conclusion qu’un individu ne rendrait pas une décision juste (Committe for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369).

 

[22]           Compte tenu de l’arrêt Committee, précité, je conclus qu’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour conclure à la possibilité que la présente affaire ait donné lieu à de la partialité. Les critiques formulées par le demandeur portaient sur les politiques proposées par le Bgén Collin en sa qualité de cmdt du SCFT. Quoiqu’il ait déclaré qu’il était préoccupé par une perte de confiance dans l’aptitude à commander, le Bgén Collin a également déclaré avoir été [traduction] « personnellement insulté » par les commentaires du demandeur.

 

[23]           Les actions subséquentes du Bgén Collin font davantage douter de son aptitude à rendre une décision juste sur l’affaire. Il n’a pas accordé au demandeur certaines des protections procédurales habituelles. Dans ses commentaires à l’agent de la police militaire, et avant de recevoir les observations du demandeur, il a présenté comme définitive la décision sur l’exclusion du commandement. Cela ne laisse pas croire qu’il a abordé la question avec impartialité.

 

[24]           Le défendeur soutient que les officiers supérieurs de la chaîne de commandement sont les mieux placés pour décrire les circonstances d’une exclusion du commandement (voir McIlroy c. Canada (Procureur général), 2011 CF 149, [2011] ACF n170, par. 28). Cependant, lorsque le même officier supérieur est étroitement lié aux accusations portées contre le membre des FC, du fait par exemple qu’il est la cible de critiques qu’il estime relever de l’insubordination, et qu’il a fait connaître son mécontentement, il est possible qu’il ne soit plus le mieux placé pour rendre une décision juste dans l’affaire. Dans de tels cas, il n’y aucune raison pour qu’un autre officier supérieur, qui connaît les exigences qui s’attachent au commandement, ne soit pas en mesure de rendre une décision similaire. Il convient également de signaler que le supérieur immédiat du demandeur, le Col Mann, était au courant des gestes posés par le demandeur les 6 octobre et 7 novembre 2008 et qu’il n’a pris aucune mesure jusqu’à ce qu’il en reçoive l’ordre du Bgén Collin le 4 décembre. Il semble que le Col Mann ait continué à avoir confiance dans le demandeur durant cette période.

 

[25]           Le CEMD a commis une erreur en déclarant que, dans la mesure où la décision initiale du Bgén Collin était raisonnable, il n’y avait pas de partialité. Le lien du Bgén Collin avec l’affaire et son jugement rapide sur le demandeur suffisaient en soi à faire naître la possibilité qu’une personne qui étudierait la question de façon réaliste et pratique ne conclue pas que le Bgén Collin rendrait une décision juste.

 

Question C : Le caractère raisonnable

 

[26]           Pour plusieurs des motifs exposés ci‑dessus, la décision du CEMD de rejeter la demande de redressement de grief du demandeur était déraisonnable. Elle repose en grande partie sur les observations du Bgén Collin, ce qui peut soulever des doutes sur l’équité procédurale et la crainte de partialité. Dans son examen de l’équité procédurale, le CEMD ne s’est pas demandé si le Bgén Collin avait préjugé du demandeur.

 

[27]           Il ne fait aucun doute que les actions du demandeur de critiquer les politiques de son supérieur étaient discutables. Il y a lieu de penser qu’elles n’étaient pas conformes aux politiques des FC. Cependant, les décisions étaient entachées par des manquements à l’équité procédurale et par une crainte raisonnable de partialité. Le processus ayant mené à une décision est crucial pour décider de son caractère raisonnable et acceptable lors d’un contrôle judiciaire.

 

VI.       Conclusion

 

[28]           S’étant continuellement fondé sur la décision initiale, le CEMD n’a pu régler la question des manquements à l’équité procédurale. De plus, étant donné l’implication personnelle et les actions subséquentes du Bgén Collin, auxquelles le processus de grief dans son ensemble n’a pas remédié, il existait une crainte raisonnable de sa partialité.

 

[29]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée au CEMD pour qu’il procède à un nouvel examen.

 

[30]           Le demandeur a droit à ses dépens.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée au COMD pour qu’il procède à un nouvel examen.

2.                  Le demandeur a droit à ses dépens.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1636‑10

 

INTITULÉ :                                                   ROBERT ZEIDLER c. PGC

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 21 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 12 octobre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

W. Eric Kay

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jacqueline Dais‑Visca

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

W. Eric Kay

Dickinson Wright LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jacqueline Dais‑Visca

Stewart Phillips

Ministère de la justice

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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