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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20111004


Dossier : IMM-485-11

Référence : 2011 CF 1132

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 4 octobre 2011

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

 

ENTRE :

 

VERONICA GOMEZ GONZALEZ

JOSE LUIS MANDUJANO GOMEZ

ALEX DANIEL MANDUJANO GOMEZ

JOSE LUIS MANDUJANO CHAVEZ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) datée du 30 décembre 2010. Le membre de la SPR a alors rejeté la demande de protection des demandeurs au motif que ceux‑ci n’avaient ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[2]               L’avocate des demandeurs ne pouvant être présente à l’audience, elle a demandé que l’affaire soit tranchée sur la foi des observations écrites des parties. L’avocat du défendeur a souscrit à cette demande.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la présente demande de contrôle judiciaire devait être rejetée. La décision de la Commission reposait sur la conclusion selon laquelle les demandeurs n’étaient pas crédibles et, subsidiairement, ils n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État. L’avocate des demandeurs n’a présenté aucun argument relativement à la conclusion de crédibilité et a traité exclusivement, dans ses prétentions, de la conclusion subsidiaire de la Commission selon laquelle les demandeurs n’avaient pas démontré, à l’aide d’une preuve claire et convaincante, que l’État ne leur offrait pas une protection adéquate et efficace. Par conséquent, la décision de la SPR ne doit pas être modifiée.

 

Les faits

[4]               Les demandeurs, des citoyens du Mexique, prétendent avoir qualité de personne à protéger et avoir une crainte fondée de persécution parce qu’ils craignent une connaissance avec laquelle ils ont conclu une affaire. Il est allégué que, en juillet 2006, le mari de la demanderesse principale, Jose Luis, a conclu un contrat de vive voix avec un certain Julio César Gonzalez (Julio) pour l’achat d’un autobus. Jose Luis devait verser un acompte de 20 000 pesos, puis un montant de 3 000 pesos chaque mois. Il était convenu que l’autobus serait complètement payé en juillet 2007.

 

[5]               La demanderesse principale et son mari ont fait les versements comme convenu. Le 2 juin 2007, ils sont allés au marché. À leur retour, l’autobus qui était garé devant la maison avait disparu. Leurs soupçons ont immédiatement porté sur Julio parce que l’autobus était équipé d’un système complexe que seuls ce dernier et Jose Luis connaissaient.

 

[6]               Le 3 juin 2007, les demandeurs ont porté plainte à la police relativement au vol de l’autobus. Le même jour, ils ont reçu un appel téléphonique de Julio, qui protestait contre la plainte et qui a admis avoir vendu l’autobus parce qu’il avait besoin d’argent, même si le véhicule était presque entièrement payé.

 

[7]               Le 18 juillet 2007, la police a retrouvé l’autobus et l’a remis aux demandeurs. Toutes les pièces avaient été retirées du véhicule.

 

[8]               Julio a alors commencé à harceler et à menacer les demandeurs. Il s’en serait pris physiquement au fils de la demanderesse principale, Jose Luis, à quelques reprises. Le 9 juin 2008, il a ordonné aux demandeurs de retirer leur plainte, à défaut de quoi il tuerait tous les membres de la famille. La demanderesse principale a dit que, peu de temps après, Julio a presque foncé dans sa voiture avec son autobus alors qu’elle se rendait au travail.

 

[9]               C’est à ce moment que la demanderesse principale et ses fils ont décidé de venir au Canada. Ils ont quitté le Mexique le 7 septembre 2008 et ont demandé l’asile le 10 septembre suivant. Le mari de la demanderesse principale s’est caché dans un ranch, puis il est venu au Canada le 26 février 2009 après avoir obtenu son passeport le 9 février précédent.

 

La décision contestée

[10]           Après avoir examiné et soupesé le témoignage des demandeurs, ainsi que tous les éléments de preuve produits, le membre de la SPR a décidé qu’ils n’avaient pas présenté une preuve crédible ou digne de foi au soutien de leurs allégations de crainte et de risque. Subsidiairement, il a conclu que la protection de l’État était adéquate au Mexique.

 

[11]           En ce qui concerne la question de la crédibilité, le membre a relevé plusieurs contradictions, incohérences, omissions et ajouts de renseignements dans le témoignage des demandeurs.

 

[12]           Premièrement, les demandeurs ne pouvaient produire aucun élément de preuve de l’existence de Julio. Selon leur témoignage, Julio a reçu plus de 90 pour 100 des sommes dues pour l’achat de l’autobus. Celui‑ci a été détruit parce que Julio l’aurait repris et en aurait retiré les pièces. Julio n’a jamais été réprimandé ou arrêté et il aurait continué à travailler comme chauffeur d’autobus. Les demandeurs n’ont pas expliqué pourquoi Julio serait à leur poursuite.

 

[13]           Deuxièmement, les demandeurs n’ont intenté aucune poursuite civile contre Julio afin de récupérer leur argent. Ils n’ont presque rien fait, à part signaler à la police que Julio avait volé l’autobus et que quelques autres incidents mineurs s’étaient produits. Ils ont continué à travailler ou à aller à l’école, à vivre au même endroit et à se comporter presque de la même manière qu’avant la vente.

 

[14]           Troisièmement, la demanderesse principale a soutenu que Julio l’avait menacée à deux reprises par téléphone (les 10 et 11 août 2008) et une fois en personne (le 19 juin 2008). Elle ne donne cependant aucune explication quant à la question de savoir pourquoi Julio proférerait des menaces dix mois après le dépôt de la plainte à la police au Mexique. De plus, elle n’a pas pu expliquer pourquoi Julio aurait commencé à harceler la famille en 2008 ou aurait continué à la pourchasser en 2010. En outre, elle a admis qu’elle n’avait pas signalé l’incident de juin 2008 à la police et qu’elle n’avait pas changé son numéro de téléphone après les appels de menaces parce que sa famille utilisait régulièrement ce numéro pour l’appeler. Le membre de la SPR a conclu que le risque de recevoir d’autres appels de menaces était plus important que ce désagrément.

 

[15]           Quatrièmement, les demandeurs n’ont pas appelé Julio par son nom complet lorsqu’ils ont porté plainte à la police la première fois, en dépit du fait que le mari de la demanderesse principale connaissait Julio depuis une quinzaine d’années.

 

[16]           Cinquièmement, Julio aurait menacé le fils de la demanderesse principale, Jose Luis, à deux reprises. La première fois, le 9 juin 2008, il a menacé de tuer la famille si la plainte déposée à la police n’était pas retirée. La deuxième fois, le 13 juillet 2008, Julio et un complice auraient frappé Jose Luis à coups de poing et à coups de pied. Le membre a fait observer que ces incidents n’avaient pas été signalés à la police et que les demandeurs n’avaient pas expliqué pourquoi de façon satisfaisante. Il a conclu que le fait de ne pas avoir signalé ces incidents à la police minait la crédibilité des demandeurs car ces signalements auraient appuyé l’allégation initiale faite à l’encontre de Julio concernant le vol de l’autobus. En outre, le tribunal n’a pas cru que le fils des demandeurs aurait été agressé par Julio et un complice deux ans après le prétendu vol de l’autobus et dans la même semaine, alors qu’aucune action n’avait été prise contre lui après le premier signalement à la police.

 

[17]           Sixièmement, la demanderesse principale a produit une lettre d’attestation de sa belle‑sœur dans laquelle cette dernière soutient qu’un homme violent est allé chez elle pour lui poser des questions et obtenir le numéro de téléphone des demandeurs. Cet incident serait survenu plus de 15 mois après le départ des demandeurs du Mexique. Les demandeurs ont même reconnu que la preuve ne permettait pas de croire que cet homme était Julio. Le membre a conclu que les demandeurs n’avaient pas expliqué de manière crédible l’origine de ce document.

 

[18]           Au bout du compte, la SPR a conclu que les problèmes de crédibilité n’avaient peut‑être pas un effet néfaste sur la demande des demandeurs lorsqu’on considérait chacun séparément, mais qu’ils étaient fatals lorsqu’on les considérait ensemble.

 

[19]           En ce qui concerne la protection de l’État, la SPR a conclu que les pièces présentées comme des signalements liés au vol de l’autobus et aux prétendues menaces créaient de la confusion. Ces pièces ne comprenaient pas tous les renseignements pertinents et les dates ne correspondaient pas aux dates indiquées dans les formulaires de renseignements personnels (FRP) des demandeurs. En outre, les demandeurs ont indiqué dans leur témoignage que Julio n’avait jamais été arrêté parce qu’il avait soudoyé les autorités, et ils ont affirmé que son frère était un policier. Toutefois, ils ne pouvaient pas produire de documents au soutien de ces allégations, ils ne pouvaient pas confirmer l’existence du frère de Julio et ils ne pouvaient pas prouver que celui‑ci gagnait sa vie comme policier quelque part au Mexique. Aucun de ces renseignements ne figurait dans les documents présentés au point d’entrée ou dans les FRP des demandeurs. Comme ces derniers ne pouvaient pas expliquer ces omissions, la Commission n’a pas cru que Julio avait un frère ou qu’il était policier.

 

[20]           En outre, le membre de la SPR a déterminé, sur la foi des documents produits, que la police avait enquêté sur la plainte et y avait donné suite. Les demandeurs ont reconnu qu’ils avaient quitté le Mexique sans fournir leur nouvelle adresse à la police, qu’ils n’avaient fait aucun appel pour mettre à jour leurs coordonnées ou pour s’informer au sujet de leur dossier et qu’ils n’avaient pas signalé d’incidents qui auraient appuyé leur plainte. Par conséquent, le membre a conclu que les demandeurs n’avaient pas produit une preuve claire et convaincante démontrant que l’État ne pouvait pas offrir une protection adéquate, et il n’était pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État était inadéquate.

 

La question en litige

[21]           Le tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que les demandeurs n’étaient pas crédibles?

 

L’analyse

[22]           Dans leurs observations écrites, les demandeurs contestent uniquement la conclusion subsidiaire de la SPR sur la protection de l’État. Il est question de la conclusion tirée par la SPR relativement à la crédibilité dans le paragraphe suivant seulement :

[traduction] En ce qui concerne la crédibilité, les demandeurs soutiennent que les conclusions défavorables sur cet aspect ne sont pas convaincantes et ne touchent pas à l’essentiel de leur demande. Par conséquent, ces conclusions constituent une erreur.

 

Dossier des demandeurs, p. 81, par. 3.

 

 

[23]           Je suis d’accord avec le défendeur que cela est insuffisant pour invalider les motifs de la Commission. Dire simplement que les conclusions de la Commission concernant la crédibilité sont erronées sans donner aucun détail ou argument juridique expliquant pourquoi n’est pas suffisant, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, pour justifier l’intervention de la Cour. Dans Chowdhury c. Canada (M.C.I.), [1995] A.C.F. no 1591 (C.F.), 59 A.C.W.S. (3d) 949, le juge Nadon, plus tard juge à la Cour d’appel, a insisté sur la nécessité d’être précis pour voir sa demande d’autorisation être accueillie :

[8] Il ne suffit évidemment pas, pour se voir accorder une autorisation d’interjeter appel et obtenir gain de cause sur le fond, d’affirmer simplement, par exemple, que la Commission a commis une erreur de fait ou de droit. Le requérant doit encore prouver en quoi la Commission s’est trompée. Et pour ce faire, il doit utiliser les éléments de preuve dont la Commission a été saisie et essayer de persuader la Cour que celle-ci a commis une erreur en rendant sa décision.

 

 

[24]           Par conséquent, les conclusions de la Commission concernant la crédibilité sont réputées être admises et véridiques puisqu’elles n’ont pas été véritablement contestées par les demandeurs, ce qui a un effet irréparable sur la présente demande de contrôle judiciaire. Même si les demandeurs avaient gain de cause quant à la conclusion de la Commission concernant la protection de l’État, cela serait sans importance étant donné que les conclusions non contestées permettent de disposer de leur demande d’asile.

 

[25]           En d’autres termes, la Cour n’a aucune raison d’intervenir car la possibilité d’obtenir la protection de l’État est fondée sur une conclusion favorable concernant la crédibilité. Selon la jurisprudence de la Cour, lorsqu’il est évident qu’un résultat différent ne peut être obtenu dans le cadre d’une nouvelle audience, la procédure appropriée consiste à refuser une ordonnance portant tenue d’une nouvelle audience (Zambo c. Canada (M.C.I.), 2002 CFPI 414, [2002] A.C.F. no 539; Popov c. Canada (M.C.I.), 75 F.T.R. 90 (C.F.), [1994] A.C.F. no 489).

 

[26]           Quoi qu’il en soit, je serais également d’accord avec le défendeur que la décision de la SPR concernant l’existence de la protection de l’État satisfait à la norme de la raisonnabilité. Les demandeurs n’ont déposé qu’une plainte imprécise quant au vol de l’autobus. De plus, ils n’ont pas signalé les agressions physiques et les menaces dont ils auraient été victimes, alors que, s’ils l’avaient fait, ils auraient montré à la police qu’ils étaient victimes d’un criminel, ce qui aurait ajouté du poids à leurs allégations concernant le vol. En outre, il n’est pas raisonnable d’attendre de la police qu’elle se lance à la recherche du prétendu agresseur des demandeurs et qu’elle le capture si ces derniers ne sont pas en mesure de donner son nom ou des indices qui pourraient aider la police à l’arrêter. Comme la Cour l’a dit à plusieurs reprises, il est difficile de reprocher aux autorités de l’État leur inaction alors même que les demandeurs ne leur donnent pas la possibilité de les protéger (Del Real c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 140, au par. 44, [2008] A.C.F. no 170; Villasenor c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 1080, au par. 19, [2006] A.C.F. no 1359).

 

[27]           Pour tous les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été proposée par les parties à des fins de certification et aucune ne sera certifiée.

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-485-11

 

INTITULÉ :                                       VERONICA GOMEZ GONZALEZ ET AL.

                                                            c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 octobre 2011

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Cristina Marinelli                                                                     POUR LES DEMANDEURS

 

 

COMPARUTION :

 

Evan Liosis

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cristina Marinelli

Montréal (Québec)

 

                            POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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