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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20111004


Dossier : IMM-1528-11

Référence : 2011 CF 1131

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 4 octobre 2011

En présence de monsieur le juge Hughes

 

ENTRE :

 

JOSE MAURICIO DELGADO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur voudrait faire annuler par contrôle judiciaire une décision prise le 6 janvier 2011 par le représentant du ministre, qui a estimé qu’il ne serait pas exposé à un risque s’il devait être renvoyé en Angola. Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

[2]               Le demandeur est un adulte citoyen de l’Angola. Avec son épouse, il a sollicité l’asile au Canada. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié a accueilli la demande d’asile de son épouse, mais a jugé que le demandeur n’avait pas droit à l’asile en raison de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention. Le demandeur a sollicité un examen des risques avant renvoi (ERAR). Dans une décision en date du 3 mai 2005, un agent d’ERAR a conclu que le demandeur serait exposé à un risque s’il devait être renvoyé en Angola.

 

[3]               Une évaluation des restrictions a été faite par l’Agence des services frontaliers du Canada conformément à l’alinéa 172(2)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. Dans un rapport daté du 13 janvier 2003, l’Agence concluait que le demandeur avait été complice de crimes contre l’humanité compte tenu de son appartenance à un groupe appelé UNITA.

 

[4]               Le représentant du ministre a procédé à une analyse des risques conformément aux dispositions suivantes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) : 112(3)c), 113d)(ii), 97(1)a) et b) et 114(1). Par décision datée du 6 janvier 2011, il a rejeté la demande de sursis d’exécution de la mesure de renvoi prononcée contre le demandeur. Selon lui, la preuve, considérée globalement, ne permettait pas d’affirmer que la vie du demandeur était menacée ou qu’il y avait plus qu’une simple possibilité que le demandeur subisse des peines ou traitements cruels et inusités ou soit victime de torture en Angola.

 

[5]               L’avocat du demandeur invoque trois moyens à l’appui de son argument selon lequel la décision du représentant du ministre devrait être annulée :

 

a.       selon le régime de la LIPR et du Règlement, la décision devrait être prise par un agent d’ERAR, et non par le représentant du ministre;

 

b.      le représentant du ministre n’a pas dûment pris en compte les conditions ayant cours en Angola; plus précisément, divers rapports produits au nom du demandeur ont apparemment été laissés de côté; et

 

c.       le représentant du ministre n’a pas cherché à savoir si le demandeur, à son arrivée en Angola, serait immédiatement détenu et soumis à des peines inusitées ou à la torture quand bien même devrait-il finalement être remis en liberté.

 

[6]               S’agissant du premier moyen invoqué par l’avocat du demandeur, la question a été examinée en détail par le juge Shore de la Cour dans la décision Placide c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1056. Aux paragraphes 60 à 62 de sa décision, le juge Shore explique le régime de la disposition concernée :

 

60     Généralement, tout étranger sous le coup d’une mesure de renvoi ayant pris effet et qui n’est pas visé par un certificat de sécurité ou un avis de danger peut présenter une demande de protection au Ministre (LIPR au par. 112(1)). Si l’étranger, comme monsieur Placide, est visé au paragraphe 112(3) de la LIPR, l’asile ne peut lui être conféré (LIRP au par. 112(3) in limine). Sa demande, plutôt que d’être évaluée comme toute demande ordinaire sur la base des articles 96 à 98 de la LIPR, est disposée – dans un cas comme celui de monsieur Placide – sur la base des motifs de protection énoncés à l’article 97, d’une part, et du danger qu’il représente pour la sécurité du Canada ou en raison de la nature et la gravité de ses actes passés, d’autre part (LIPR, alinéa 113d)(i)).

 

61     Avant de prendre sa décision, le délégué du Ministre doit tenir compte des évaluations écrites des motifs de protection décrits à l’article 97 et des éléments du sous-alinéa 113d)(i) de la LIPR (RIPR au par. 172(1)). Ces deux évaluations sont communiquées au demandeur, qui dispose de 15 jours pour présenter ses observations écrites au délégué du Ministre. Si le délégué conclut que le demandeur n’est pas visé à l’article 97, il n’a pas à tenir compte des éléments du sous-alinéa 113d)(i) et il rejette la demande de protection (RIPR au par. 172(4)). Ce processus est en fait la codification de l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, 2002 CSC 1 aux par. 122-123).

 

62     Enfin, si le délégué du Ministre conclut au contraire que le demandeur encourrait un risque décrit à l’article 97, il évalue les éléments du sous-alinéa 113d)(i) et, le cas échéant, se livre à l’exercice de pondération visant à déterminer si la situation du demandeur est exceptionnelle au point de justifier un renvoi vers un pays qui pratique la torture (LIPR, alinéa 113d), Suresh, ci‑dessus, aux par. 76-79; Charkaoui (Re), [2006] 3 R.C.F. 325, 2005 CF 1670 aux par. 12-13)).

 

[7]               L’avocat du demandeur a fait valoir, par analogie avec un arrêt de la Cour d’appel fédérale, Nagalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2009] 2 R.C.F. 52, et en se référant au verbe « faire », dans l’alinéa 172(4)a) du Règlement, que c’est l’agent d’ERAR, et non le représentant du ministre, qui doit mesurer le risque couru par le demandeur. Je ne partage pas cet avis.

 

[8]               Ce point a aussi été examiné par le juge Shore dans la décision Placide, précitée. Il s’exprime ainsi, aux paragraphes 63 à 65 :

63     Dans ce contexte, il est clair que l’agent d’ERAR qui a rendu l’évaluation du 16 novembre 2007 n’a donné rien d’autre qu’un avis ou une recommandation qui ne lie pas le délégué du Ministre. Conformément à l’article 6 de la LIPR, le Ministre n’a pas délégué à l’agent d’ERAR, mais à l’Administration centrale seulement, le pouvoir de décider d’une demande de protection visée par le paragraphe 112(3) de la LIPR (Guide de l’immigration, ch. 1L3, CIC instrument de désignation et de délégation, item 48 (Délégation – Étudier et accueillir, ou rejeter, la demande de protection (ERAR) présentée par la personne qui est interdite de territoire pour grande criminalité, estimer si ce demandeur constitue un danger pour le public au Canada. Cette délégation relève de l’Administration centrale)).

 

64     La jurisprudence oblige d’ailleurs le délégué à prendre lui‑même la décision et la motiver; « ces motifs doivent émaner de l’auteur de la décision, en l’occurrence la ministre, et ne doivent pas prendre la forme d’une opinion ou d’une recommandation » (Suresh, ci-dessus, au par. 126). Bref, le processus s’apparente à celui qui a donné lieu à l’arrêt Thomson c. Canada (Sous-ministre de l’Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385, aux pages 399 à 401, la Cour jugeant que le titulaire d’un pouvoir qui reçoit une recommandation n’est pas tenu de la suivre (la jurisprudence rapporte plusieurs exemples semblables; Jaballah (Re), [2005] 1 R.C.F. 560, 2004 CAF 257 aux par. 17-22 (ERAR; obiter); Robinson c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1995), 90 F.T.R. 43, 52 A.C.W.S. (3d) 1098 au par. 23; Jennings c. Canada (Ministre de la santé) (1995), 97 F.T.R. 23, 56 A.C.W.S. (3d) 144 aux par 31-32, conf. par (1997), 211 N.R. 136, 56 A.C.W.S. (3d) 144 autor. ref. [1997] S.C.C.A. No. 319; Abdule c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 176 F.T.R. 282, 92 A.C.W.S. (3d) 578 au par. 14).

 

65     Autrement, le délégué du Ministre n’exercerait pas réellement le pouvoir qui lui est conféré. Il ne ferait qu’approuver administrativement les évaluations et leur donnerait force de loi.  Ce serait, en somme, donner aux agents d’ERAR un pouvoir décisionnel que le Ministre a décidé de déléguer à un autre agent de la fonction publique.

 

[9]               L’analogie avec l’arrêt Nagalingam est hors de propos. Ce précédent portait sur une autre disposition de la LIPR, à savoir l’article 115, et, même si les dispositions de l’article 115 présentent des similitudes avec les dispositions dont il s’agit ici, elles ne sont pas identiques. Dans la décision Placide, le juge Shore a examiné les mêmes dispositions.

 

[10]           La mention du verbe « faire », au paragraphe 172(4) du Règlement, n’est d’aucune aide au demandeur. Ce paragraphe est formulé ainsi :

 

172. (4) Malgré les paragraphes (1) à (3), si le ministre conclut, sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 de la Loi, que le demandeur n’est pas visé par cet article :

 

a) il n’est pas nécessaire de faire d’évaluation au regard des éléments mentionnés aux sous-alinéas 113d)(i) ou (ii) de la Loi;

 

b) la demande de protection est rejetée.

 

[11]           Il faut garder à l’esprit qu’un règlement ne peut pas avoir préséance sur la Loi. On peut considérer que le mot « faire », au paragraphe 172(4), concerne de manière générale le point de savoir si le ministre ou son représentant doit ou non fournir ou « faire » une évaluation écrite concernant l’application des alinéas 113d) (i) ou (ii) au cas du demandeur. En l’espèce, puisque le représentant du ministre a conclu que le demandeur ne relevait pas de l’article 97 de la LIPR, « il n’est pas nécessaire de faire d’évaluation au regard des éléments mentionnés aux sous‑alinéas 113d)(i) ou (ii) de la Loi » (selon le texte de la LIPR).

 

[12]           S’agissant du deuxième moyen invoqué par l’avocat du demandeur, c’est-à-dire la question de savoir si le représentant du ministre n’a pas dûment pris en compte les pièces produites au nom du demandeur qui exposaient les conditions ayant cours dans le pays, il est vrai que le représentant s’est largement inspiré d’une seule source, mais il convient de noter qu’il conclut sa décision en affirmant avoir examiné et pris en compte l’intégralité des observations du demandeur, l’évaluation des restrictions et toutes les pièces connexes. Selon une jurisprudence abondante, il n’est pas nécessaire, dans une décision comme celle dont il s’agit ici, de se référer à toutes les pièces produites. Je suis d’avis que les pièces auxquelles s’est référé dans le détail le représentant sont probablement les plus pertinentes. Rien ne donne à penser que des pièces pertinentes susceptibles d’autoriser une conclusion autre ont été laissées de côté.

 

[13]           Le troisième moyen invoqué par l’avocat du demandeur au cours de l’audience était le fait que le représentant du ministre n’avait pas pris en compte le traitement qui pourrait être réservé au demandeur pour le cas où il serait incarcéré dès son arrivée en Angola, quand bien même serait-il ultérieurement relâché. Cet argument n’a pas été présenté au représentant du ministre. Le dossier ne renferme aucun élément permettant de croire que le demandeur est susceptible d’être arrêté à son arrivée en Angola. Un mandat d’arrêt a été délivré contre lui il y a de nombreuses années et ce mandat est encore valide, mais une amnistie a été prononcée en Angola pour les affaires se rapportant au mandat d’arrêt. Il incombe dans une certaine mesure au demandeur de verser dans le dossier certains éléments appuyant ce qu’il affirme aujourd’hui, à savoir qu’il serait arrêté à son retour en Angola. Il ne l’a pas fait.

 

[14]           Je ne vois donc aucun motif d’annuler la décision du représentant du ministre.

 

[15]           L’avocat du demandeur a proposé des questions susceptibles d’être certifiées. L’avocat du ministre soutient que la présente affaire ne soulève aucune question à certifier. J’ai attentivement examiné les questions soumises. Aucune question ne sera certifiée.

 

[16]           Il n’y a aucune raison spéciale d’adjuger des dépens.


ORDONNANCE

 

 

POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS,

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est rejetée.

 

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

3.                  Il n’est pas adjugé de dépens.

 

« Roger T. Hughes »

Juge


 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1528-11

 

INTITULÉ :                                       JOSE MAURICIO DELGADO c. LE MINISTRE

                                                            DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 octobre 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 4 octobre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Brouwer

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Stephen H. Gold

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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