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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110930

 

Dossier : IMM-4582-10

Référence : 2011 CF 1121

Ottawa (Ontario), le 30 septembre 2011

En présence de monsieur le juge de Montigny 

 

ENTRE :

 

JOSUÉ BERNARD

FABIOLA BERNARD

 

 

 

Partie demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

Partie défenderesse

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (« LIPR »), à l’encontre d’une décision d’un agent d’immigration datée du 30 juin 2010 refusant la demande de visa de résidence permanente au titre de la catégorie du regroupement familial de la demanderesse Fabiola Bernard. Cette demande était appuyée d’un engagement d’aide déposé par son père Josué Bernard. L’agent d’immigration a également refusé la demande fondée sur des motifs humanitaires en vertu de l’article 25 de la LIPR.

 

[2]               Compte tenu des motifs qui suivent, la Cour en arrive à la conclusion que cette demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

 

Faits

[3]               Le demandeur, Josué Bernard, a obtenu la résidence permanente au Canada le 31 octobre 1994. Lorsqu’il a présenté sa demande de résidence permanente, il n’a pas déclaré sa fille, la demanderesse Fabiola Bernard (née le 15 mai 1990) parce qu’il en ignorait l’existence. En effet, le demandeur a eu une liaison ponctuelle en 1989, alors qu’il résidait toujours en Haïti, et c’est de cette liaison qu’est née, à son insu, son enfant Fabiola. 

 

[4]               Ce n’est qu’en 2005 que le demandeur aurait appris l’existence de cet enfant, tel qu’il appert de son affidavit. Le demandeur se rendit alors en Haïti et, suite à un test d’ADN positif, il décida en août 2007 de reconnaître Fabiola comme étant sa fille en conformité avec la législation haïtienne. 

 

[5]               Depuis lors, le demandeur Josué Bernard a pris sa fille en charge, avec l’accord de sa mère, et il assume seul la charge financière relative à son entretien et à ses besoins. Il a également déposé, en septembre 2007, une demande de parrainage et d’engagement auprès de Citoyenneté et Immigration Canada en faveur de sa fille. 

[6]               Cette première demande a été refusée par un agent d’immigration, qui a conclu que la demanderesse n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial parce que le demandeur ne l’avait pas déclarée au moment où sa propre demande de résidence permanente a été traitée. Par conséquent, elle n’a pu faire l’objet d’un contrôle, conformément à l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (« RIPR »).

 

[7]               Le 14 janvier 2009, la Section d’appel de l’immigration (« SAI ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (« CISR ») a rejeté l’appel du demandeur, jugeant que l’alinéa 117(9)d) du RIPR est sans équivoque et exclut de la catégorie du regroupement familial les membres de la famille d’un appelant qui n’auraient pas été déclarés avant l’obtention de sa résidence permanente au Canada, et ce nonobstant le motif de l’omission.

 

[8]               Aux termes de l’article 65 de la LIPR, considérant qu’il s’agissait d’un appel interjeté sous l’autorité du paragraphe 63(1) de la LIPR et que la demanderesse était exclue de la catégorie du regroupement familial, la SAI n’avait pas juridiction pour considérer les motifs d’ordre humanitaire pouvant s’appliquer au dossier. Seul le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, dans ces circonstances, pouvait considérer des motifs d’ordre humanitaire dans le cadre d’une demande déposée en vertu de l’article 25 de la LIPR.

 

[9]               Par conséquent, une seconde demande de visa de résidence permanente au titre de la catégorie du regroupement familial, appuyée d’un engagement d’aide du demandeur, ainsi qu’une demande en vertu de l’article 25 de la LIPR fondée sur des considérations humanitaires, ont été déposées par la demanderesse le ou vers le 21 janvier 2010.

[10]           Le 30 juin 2010, un agent d’immigration a rejeté cette seconde demande de visa de résidence permanente au titre de la catégorie du regroupement familial de la demanderesse concluant que cette dernière n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial étant donné que le demandeur ne l’avait pas déclarée pendant le traitement de sa propre demande de résidence permanente.

 

[11]           L’agent d’immigration a aussi rejeté la demande en vertu de l’article 25 de la LIPR fondée sur des considérations humanitaires. À cet égard, l’agent a écrit :

Après avoir étudié votre demande et les renseignements fournis à son appui, j’ai conclu que les circonstances d’ordre humanitaire évoquées dans votre cas ne justifiaient pas la dispense de tout ou partie des critères et obligations applicables de la Loi.  Je suis arrivé à cette conclusion parce que les motifs que vous citez sont communs à toute personne en Haïti.  Aucune difficulté particulière et importante n’a été mentionnée.

 

 

 

Question en litige

 

[12]           La seule question que soulève la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de l’agent d’immigration, de refuser la demande en vertu de l’article 25 de la LIPR, est raisonnable compte tenu des faits qui lui ont été soumis.

 

Analyse

[13]           Le fait que le demandeur n’ait pas intentionnellement omis de déclarer la demanderesse avant d’obtenir sa résidence permanente ne saurait donner automatiquement ouverture à une décision favorable lors d’une demande ultérieure fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. S’il en allait autrement, l’alinéa 117(9)d) pourrait se trouver sérieusement édulcoré.

 

[14]           Le principe de la réunification des familles, qui est l’un des objectifs de la LIPR (en son alinéa 3(1)d)), ne peut supplanter l’exigence de base selon laquelle la législation en matière d’immigration du Canada se doit d’être respectée. L’alinéa 117(9)d), dont l’objet est de limiter les droits de parrainage dans certains cas afin de dissuader les demandeurs de visa de faire des déclarations fausses ou incomplètes quant à des faits pertinents concernant les personnes à leur charge, a d’ailleurs été déclaré valide et conforme à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.

 

[15]           Ceci étant dit, l’article 25 de la LIPR pourra, dans certains cas, atténuer la rigueur des exigences imposées par cette loi. La jurisprudence a d’ailleurs reconnu que la raison pour laquelle un membre d’une famille n’a pas été déclaré ou n’a pas fait l’objet d’un contrôle, lorsqu’elle est sérieuse et convaincante, peut justifier que l’on dispense une personne de l’application de l’alinéa 117(9)d) (voir, entre autres, Pascual c Canada (MCI), 2008 CF 993, 169 ACWS (3d) 1123; Sultana c Canada (MCI), 2009 CF 533, [2010] 1 RCF 175; Krauchanka c Canada (MCI), 2010 CF 209, [2010] ACF no 245 (CF)(QL)).

 

[16]           Il est vrai que le libellé de l’alinéa 117(9)d) est sans équivoque et vise à exclure de la catégorie du regroupement familial les membres de la famille d’un demandeur qui n’auraient pas été déclarés, et qui, par conséquent, n’ont pas fait l’objet d’un contrôle, et ce nonobstant le motif de l’omission (Munganza c Canada (MCI), 2008 CF 1250, 178 ACWS (3d) 209; Adjani c Canada (MCI), 2008 CF 32, 322 FTR 1). Un agent d’immigration peut cependant tenir compte des circonstances entourant l’omission de déclarer un membre de la famille dans le cadre d’une demande pour motifs humanitaires, comme le reconnaissait d’ailleurs implicitement la SAI dans sa décision du 14 janvier 2009. Or, l’agent d’immigration saisi de la seconde demande de visa n’a même pas fait allusion au contexte entourant l’omission par M. Bernard de mentionner l’existence de sa fille. Par conséquent, il est permis de se demander si l’agent a vraiment pris en considération l’ensemble de la preuve au dossier.

 

[17]           D’autre part, l’on peut également s’interroger sur la suffisance des motifs invoqués par l’agent d’immigration pour rejeter la demande fondée sur l’article 25 de la LIPR. Il est vrai, comme le souligne le défendeur, que la procédure applicable en matière de dispense pour motifs d’ordre humanitaire n’est pas destinée à éliminer les difficultés, mais vise plutôt à accorder une réparation en cas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Le défendeur a également raison de rappeler que c’est à ceux qui présentent des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire de démontrer qu’ils subiraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’ils étaient tenus de se conformer aux exigences de la LIPR.

 

[18]           En l’occurrence, la demanderesse a bel et bien fait valoir des motifs d’ordre humanitaire. Elle a notamment mentionné dans son affidavit qu’elle souffrait émotionnellement de l’absence de son père, qu’elle ne pouvait espérer poursuivre ses études sans l’appui de ce dernier et qu’elle se verrait priver des nombreuses possibilités de développement personnel, social et académique si elle demeurait en Haïti plutôt que de venir rejoindre son père au Canada. Il est vrai que les représentations de M. Bernard auprès de l’agent d’immigration auraient pu être plus étoffées. Il n’en demeure pas moins que l’agent a complètement fait fi des éléments soulevés par la partie demanderesse et s’est contenté de conclure que la situation de la demanderesse n’était pas différente de celle dans laquelle se trouve l’ensemble des Haïtiens. Cela est nettement insuffisant.

 

[19]           L’agent se devait d’expliciter quelque peu sa décision, ne serait-ce que pour donner l’assurance qu’il avait bel et bien tenu compte de la situation particulière de la demanderesse, et notamment de l’extrême dénuement de sa mère et de son lien affectif avec un père qu’elle venait tout juste de découvrir. Les commentaires laconiques de l’agent ne permettent pas de conclure qu’il a soigneusement considéré l’intérêt supérieur de Fabiola et ne répondent pas à l’obligation qu’il avait de donner des motifs suffisants au soutien de sa décision (VIA Rail Canada Inc c Office national des transports (CA), [2001] 2 CF 25, [2000] ACF no 1685 (CAF)(QL)).

 

[20]           Pour tous les motifs qui précèdent, je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. Les parties n’ont pas soulevé de question grave de portée générale qu’il conviendrait de certifier en vue d’un appel, et la Cour souscrit à ce point de vue.

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agent d’immigration datée du 30 juin 2010 est infirmée et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration en vue de statuer à nouveau sur cette demande pour motifs humanitaires. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4582-10

 

INTITULÉ :                                       JOSUÉ BERNARD, FABIOLA BERNARD c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge de Montigny

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 30 septembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Jean Robert Cadet                         POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Evan Liosis                                    POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jean Robert Cadet                                                        POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                            POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 

 

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