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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 Date : 20110928


Dossier : IMM-1722-11

Référence : 2011 CF 1105

Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Martineau 

 

ENTRE :

 

MORGAN MUBIALA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’examiner la légalité d’une décision rendue le 13 décembre 2010 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) rejetant la demande d’asile du demandeur. Pour les motifs qui suivent, il n’y a pas lieu d’intervenir, la décision contestée étant à tous égards raisonnable et les règles d’équité procédurale ayant été respectées en l’espèce par le tribunal.  


FONDEMENT DE LA DEMANDE D’ASILE

[2]               Nous verrons plus loin qu’à l’occasion de son témoignage oral devant le tribunal, le 13 décembre 2010, le demandeur s’est contredit sur plusieurs aspects fondamentaux de sa demande d’asile, ce qui est noté par le tribunal qui a jugé son récit non-crédible. Ceci dit, selon le Formulaire de renseignements personnels (FRP) signé le 9 décembre 2008, le demandeur, qui est un citoyen de la République démocratique du Congo, craint d’être persécuté à cause de son appartenance à l’Église Bundu Dia Kongo (BDK). Il s’agit d’un mouvement politico-religieux congolais très actif dans la province du Bas-Congo, qui a un agenda politique anti-gouvernemental.

 

[3]               En tant que membre du BDK, le demandeur dit adhérer aux positions du mouvement mais rappelle du même coup qu’il se n’est pas investi au quotidien dans les revendications de l’Église dont il est apparemment diacre. Reste que le 27 avril 2006, le domicile de son chef spirituel a été perquisitionné par la police nationale congolaise qui a même saccagé les lieux de culte de l’Église. Deux mois plus tard, les disciples profiteront de la marche annuelle de la fête de l’indépendance du 30 juin 2006 pour protester contre ces gestes agressifs de la police nationale, mais la manifestation se terminera en affrontements violents : dix membres du BDK seront abattus et plusieurs autres seront blessés ou bien emprisonnés. Heureusement, le demandeur s’en sortira indemne.

 

[4]               Résidant à Kinshasa, le demandeur dit voyager deux fois par an au Bas-Congo, et ce tant pour des raisons familiales que pour ses affaires, puisqu’il est propriétaire d’un garage à Luozi. Or, le gouvernement congolais, agissant par l’intermédiaire du gouverneur du Bas-Congo, désire toujours exterminer les membres du BKD et, de fait, plusieurs membres du BDKs ont été tués en février 2008. À preuve, inquiet pour la sécurité de ses grands-parents qui sont aussi des adeptes de l’Église, et considérant qu’il devait s’assurer du bon déroulement de son garage à Luozi, le demandeur raconte qu’il s’est rendu à Luozi au début du mois de mars 2008. Malheureusement, il n’a jamais pu se rendre au domicile de ses grands-parents car il a été arrêté aussitôt dans la rue par des militaires (police gouvernementale) qui avaient son signalement.

 

[5]               Le demandeur poursuit son récit en expliquant qu’il a été emprisonné au cachot de Luozi, où il a séjourné pendant deux semaines. Là-bas, il a enduré les pires tortures et humiliations, laissant des séquelles permanentes. Il s’est finalement enfui le 30 mars 2008 avec l’aide d’un militaire, prénommé Jacques, soit une connaissance de longue date qui a eu pitié de lui. Jacques l’a conduit en forêt pour l’éliminer mais il a plutôt tiré des coups de feu en l’air en lui demandant de partir. Il a ensuite réussi à se rendre au village de Kinete à la frontière du Congo-Brazzaville où il a reçu des soins indigènes pour ses blessures. Il a également réussi à contacter sa famille et finalement, après s’être déplacé de village en village, alors qu’il se trouvait au Congo-Brazzaville, il a fait la connaissance d’un passeur au début du mois d’octobre 2008. Le demandeur explique qu’il est arrivé à l’aéroport Trudeau à Montréal le 17 octobre 2008, et qu’après avoir passé une première nuit à l’aéroport, il a présenté sa demande d’asile dans un bureau d’immigration le lendemain.

 

CONCLUSION DE NON-CRÉDIBILITÉ

[6]               Il est bien établi que l'évaluation de la preuve et des témoignages, ainsi que l’appréciation de leur valeur probante, appartient exclusivement au tribunal (Aguebor c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 NR 315 (CAF), [1993] FCJ 732; Aguirre c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 571 au para 14, [2008] FCJ 732). La norme de contrôle étant celle de la décision raisonnable, un degré élevé de déférence est dû envers la décision du tribunal spécialisé et la cour de révision se doit de limiter son contrôle « à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] 1 RCS 190 et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59, [2009] 1 RCS 339.

 

[7]               En l’espèce, la demande d’asile a été rejetée tout simplement parce que le tribunal n’a pas cru le récit du demandeur, compte tenu des multiples contradictions relevées dans la décision sous étude. Notamment, le demandeur a témoigné à l’audience, contrairement à sa déclaration écrite :

·        que son arrestation a eu lieu le 30 mars 2008 (et non au début de ce mois);

·        qu’il n’a pas participé à la marche du 30 juin 2006, mais qu’il y était plutôt de passage alors qu’il se rendait à Luozi;

·        qu’il a attendu environ 5 mois après les massacres de février 2008, avant de se rendre à Luozi chez ses grands-parents (sur ce point le demandeur s’est contredit une fois de plus lors de l’audience, en expliquant qu’il avait été présent lors desdits massacres qui ont eu lieu à Boma);

·        qu’il a été arrêté à l’hôtel (et non dans la rue) par des policiers qui sont venus frapper à sa porte alors qu’il était en train de se reposer;

·        qu’il a été arrêté pour la première fois en 2008 (alors qu’il a déclaré à l’agent d’immigration que sa première arrestation datait de 2006);

·        qu’il occupait le poste de « modérateur » au sein du BDK, en affirmant qu’il n’existe pas diacre, ni de sous-diacre au sein de cette église (alors que dans son FRP il a allégué avoir été diacre);

·        qu’il n’a eu aucun contact avec des membres de sa famille entre son arrestation en mars 2008 et son départ du Congo en octobre 2008 (alors que ceux-ci lui ont signé ou fourni plusieurs documents durant la même période);

·        qu’après avoir quitté le Congo-Brazzaville le 6 octobre 2008 pour venir au Canada via le Maroc, il est arrivé à l’aéroport Trudeau de Montréal le 7 octobre 2008 et non le 17 octobre 2008 tel que mentionné dans son FRP;

·        qu’il a quitté le Congo-Brazzaville sans avoir aucun document d’identité à son nom et qu’il n’a aucune idée de la manière dont a été émis le passeport de service à son nom et contenant sa photo, émis à Kinshasa le 28 septembre 2008 (date à laquelle, selon ses dires, il était caché en forêt sans avoir de contact avec sa famille);

·        que sa date de naissance est bien le 8 juillet 1961, et non pas le 8 février 1961 qui apparaît sur le jugement supplétif tenant lieu d’acte de naissance obtenu le 7 août 2008 (date à laquelle, selon ses dires, il était caché en forêt sans avoir de contact avec sa famille);

·        que son garage à Kinshasa est dans la commune de Ngiri-Ngiri et porte le nom de GARAGE MUBIALA; alors que la carte de service du « GARAGE MAKWANA » qui a été déposé au dossier est un faux document soit disant fabriqué par des membres du BDK;

·        et enfin, que sa carte de membre du BDK a été ravie par les autorités du pays et que les membres du BDK lui en ont émis une nouvelle, alors que selon la connaissance spécialisée du tribunal le BDK n’émet plus de carte de membre depuis 2002.

 

[8]                Le tribunal a également jugé que les contradictions susmentionnées étaient de nature à entacher de manière irrémédiable la valeur probante de bon nombre des éléments de la preuve documentaire déposés par le demandeur, tels que le jugement supplétif d’acte de naissance, l’acte de reconnaissance, la lettre d’affectation et la carte de membre du BDK émise à « KINSHSA, KIA 01/05/2004 » [sic] dont la mention 2004 a été à sa face même altérée selon le tribunal. De même, le tribunal a décidé de n’accorder aucun poids à la lettre d’appui de l’épouse du demandeur, qu’il a qualifiée de complaisante. De la même façon, le tribunal a jugé que le rapport psychologique, la lettre du médecin traitant du demandeur et celle de sa travailleuse sociale n’avaient aucune valeur probante puisque les faits sur lesquels se fondent les opinions des experts en question avaient été jugés non crédibles.

 

RESPECT DES DIRECTIVES SUR LES PERSONNES VULNÉRABLES

 

[9]               Une ordonnance antérieure du tribunal, datée du 7 décembre 2010, reconnait le demandeur comme étant une « personne vulnérable » au sens des Directives sur les procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la CISR, décembre 2006 (les Directives) et prescrit diverses mesures d’ordre procédural pour protéger le demandeur à l’audition. Il s’en suit que peu importe si ce que dit le demandeur est vrai ou non, l’état de stress post-traumatique dont il souffre requiert que le tribunal soit sensible et attentif à sa condition actuelle. D’ailleurs, des pauses sont recommandées par le spécialiste qui a examiné le demandeur lorsque le rappel d’évènements douloureux « dépassera ses capacités de contenance affective et cognitive ».

 

[10]           Aujourd’hui, le demandeur s’en prend principalement au fait que dans l’évaluation de sa crédibilité, le tribunal n’a pas accordé un poids suffisant au fait qu’il est une « personne vulnérable ». La savante procureure du demandeur reconnait que les accommodements procéduraux mentionnés dans les Directives et l’ordonnance antérieure du tribunal ont bel et bien été pris à l’audition par la Commissaire qui a entendu son témoignage (inversion de l’ordre des interrogatoires, pauses, etc.). Toutefois, elle soumet qu’il faut également considérer l’effet substantif des Directives : la forme ne peut jouer au détriment du fond lorsque le tribunal analyse le témoignage d’une « personne vulnérable ». Or, les rapports psychologiques au dossier établissent clairement que le demandeur est incapable de discuter des événements qui ont eu lieu au Congo sans subir d’importants traumatismes sous forme de flashback ou de confusion. Dans l’évaluation de la crédibilité du demandeur, le tribunal se devait donc de tenir compte de son incapacité à se remémorer des événements traumatisants : Lozano Pulido c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 209 au para 39, [2007] FCJ 281, et Hassan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 174 FTR 288 au para 22, [1999] FCJ 1359.

 

[11]           De son côté, le défendeur soumet que toutes les mesures d’accommodement ont été prises par le tribunal afin de faciliter le témoignage du demandeur à l’audition conformément aux Directives et à l’ordonnance du 2 décembre 2010. N’empêche, rien n’obligeait le tribunal à donner foi au récit de persécution du demandeur, étant donné qu’il s’est contredit à nombre de reprises lors de son témoignage oral sur des points importants de sa revendication.

 

[12]           Dans les faits, les prétentions du demandeur ne peuvent être retenues par la Cour. Rappelons encore une fois que l’objet des Directives est d’assurer que les personnes reconnues vulnérables soient entendues avec sensibilité par le tribunal et non pas de palier aux déficiences d’un témoignage touffu de contradictions majeures et d’implausibilités. Ici, ces nombreuses contradictions ou implausibilités portent sur des aspects essentiels de la demande d’asile et vont manifestement au-delà de simples trous de mémoire, incohérences ou incapacité de relater les événements pertinents à cause que le demandeur souffre d’un stress post-traumatique. D’autres contradictions ou implausibilités relevées par le tribunal concernent simplement la preuve documentaire. Contrairement à la situation dont fait état la Cour dans les arrêts invoqués par le demandeur, le rejet de la présente demande d’asile ne résulte pas d’une quelconque insensibilité du tribunal par rapport à l’état de vulnérabilité psychologique du demandeur.

 

[13]           De surcroît, je suis également satisfait que le tribunal a tenu compte de sa condition psychologique dans l’évaluation des réponses qu’il a pu fournir à l’audience. Ayant attentivement lu les transcriptions, la condition médicale du demandeur ne semble pas avoir affecté la cohérence de ses propos. Le débit de son témoignage à l’audition était excellent dans l’ensemble. Les réponses du demandeur n’étaient pas empreintes de confusion. Le demandeur était même volubile et ses trous de mémoire semblent plutôt stratégiques et surviennent lorsqu’il est justement embarrassé ou confronté à des contradictions majeures de son témoignage antérieur. En somme, il ne s’agit pas d’un cas où un demandeur d’asile dit ne pas se souvenir des faits passés, mais d’une instance où lorsqu’il est confronté à une contradiction, il ajuste visiblement son témoignage par rapport à ce qu’il a déclaré antérieurement avec force de détails et conviction.

 

APPRÉCIATION DE LA PREUVE MÉDICALE

[14]           Le demandeur s’en prend également au fait que le tribunal n’a accordé aucune valeur probante, ni au rapport psychologique, ni à la lettre de son médecin traitant, ni à la lettre de sa travailleuse sociale, alors que cette preuve appuyait justement son récit. En l’espèce, ce deuxième moyen d’attaque, qui est une variation sur du thème développé plus haut, ne peut non plus être retenu. Nous avons déjà vu que le tribunal a tenu compte du diagnostic de stress post-traumatique au niveau de la capacité du demandeur à se remémorer certains faits; reste donc la crédibilité à donner aux allégations de persécution et de torture qui constituent le fondement de la demande d’asile.

 

[15]           Dans l’arrêt Kabedi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 154 aux paras 19-20, [2005] FCJ 224, le juge Beaudry fait un rappel de la jurisprudence applicable :

La jurisprudence en semblable matière établit qu'il appartient au tribunal de juger de la valeur à accorder à la preuve d'un expert. Dans la décision R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24 aux paragraphes 41 et 48, la Cour suprême du Canada s'est exprimée comme suit :

           

            Un témoin expert, comme tout autre témoin, peut témoigner quant à l'exactitude des faits dont il a une expérience directe, mais ce n'est pas là l'objet principal de son témoignage. L'expert est là pour exprimer une opinion et cette opinion est le plus souvent fondée sur un ouï-dire. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les opinions de psychiatres.

 

            [...] Pour que l'opinion d'un expert puisse avoir une valeur probante, il faut d'abord conclure à l'existence des faits sur lesquels se fonde l'opinion. [Je souligne]

 

La juge Reed dans la décision Danailov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 1019 (C.F. 1ère inst.) (QL) au paragraphe 2 a expliqué que :

 

            [...] Quant à l'appréciation du témoignage du médecin, il est toujours possible d'évaluer un témoignage d'opinion en considérant que ce témoignage d'opinion n'est valide que dans la mesure où les faits sur lesquels il repose sont vrais. Si le tribunal ne croit pas les faits sous-jacents, il lui est tout à fait loisible d'apprécier le témoignage d'opinion comme il l'a fait. [Je souligne]

 

[16]           Pour conclure, l’intervention judiciaire n’est nécessaire que lorsque le tribunal a ignoré une preuve qui est essentielle à la demande d’asile. Ce n’est manifestement pas le cas en l’espèce et il n’y a pas lieu pour cette Cour d’intervenir à ce sujet.

 

[17]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit échouer. Les procureurs ont convenu à l’audience qu’aucune question grave de portée générale ne soulève en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR STATUE ET ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Luc Martineau »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1722-11

 

INTITULÉ :                                       MORGAN MUBIALA ET

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                            DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               13 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      28 septembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Annick Legault

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Anne-Renée Touchette

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Boisclair & Legault

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan,

Sous-Procureur Général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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