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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110922

Dossier : IMM-923-11

Référence : 2011 CF 1089

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Calgary (Alberta), le 22 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

 

 

JUAN JOSE GONZALEZ VAZQUEZ

CARLA MARCELA ALVAREZ RODRIGUEZ

AGUSTINA MANON ALVAREZ RODRIGUEZ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, le contrôle judiciaire de la décision leur refusant l’autorisation de présenter une demande de résidence permanente depuis le Canada pour des considérations d’ordre humanitaire (la demande CH). L’agente a estimé que M. Vazquez et les membres de sa famille n’éprouveraient pas de difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’ils devaient rentrer en Uruguay pour présenter leur demande de résidence permanente.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-après, la demande doit être rejetée.

 

[3]               Les demandeurs sont citoyens de l’Uruguay. Juan Jose Gonzalez Vazquez et Carla Marcela Alvarez Rodriguez vivent en union de fait. Ils ont deux enfants : Agustina Manon Alvarez Rodriguez, âgée de 12 ans, et Deonna Ashelen, âgée de 9 ans. Deonna n’est pas partie à la présente demande puisque, étant née au Canada, elle a la citoyenneté canadienne. Carla a une troisième fille, Belen Vaz Alvarez, âgée de 15 ans, qui vit en Uruguay avec sa tante paternelle.

 

[4]               Les demandeurs sont arrivés au Canada le 10 décembre 2000 et ont fait une demande d’asile le jour suivant. Leur demande a été instruite par la Section de la protection des réfugiés le 3 mai 2005; le 13 mai 2005, cette demande a été rejetée. Les demandeurs ont sollicité le contrôle judiciaire de la décision auprès de la Cour, mais celle-ci leur a refusé l’autorisation requise le 7 septembre 2005.

 

[5]               Le 5 février 2008, les demandeurs ont déposé leur première demande d’examen des risques avant renvoi (demande d’ERAR). Celle-ci a été rejetée le 21 avril 2008.

 

[6]               Le 20 avril 2008, les demandeurs ont présenté une demande de dispense pour des considérations d’ordre humanitaire suivie, le 19 novembre 2009, d’une deuxième demande d’ERAR. Le 23 août 2010, les deux demandes ont été rejetées par une même agente. La Cour n’est saisie que de la décision rendue relativement à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

 

[7]               L’exposé des arguments des demandeurs ne soulève qu’une seule question, soit de savoir si l’agente a omis de tenir dûment compte de l’intérêt supérieur des trois enfants. Dans un exposé complémentaire des arguments, les demandeurs énoncent deux autres questions : (1) d’une part, l’agente a-t-elle tiré une conclusion déraisonnable concernant le degré d’établissement des demandeurs au Canada? (2) d’autre part, a-t-elle omis de tenir compte des difficultés qu’éprouveraient les demandeurs s’ils retournaient en Uruguay? Toutefois, bien qu’elles soient présentées comme des questions à trancher, aucune d’elles n’est abordée dans l’exposé complémentaire des arguments et, à l’audience, l’avocat des demandeurs a axé ses arguments sur la question de l’intérêt supérieur des enfants, soit la seule qui, à mon sens, pouvait être valablement soumise à l’examen de la Cour.

 

[8]               Avant d’aborder la question de fond, je dois répondre à une objection soulevée par le défendeur, qui fait valoir que l’affidavit déposé par les demandeurs dans le cadre de la présente demande renferme des éléments de preuve dont l’agente n’a pas été saisie. Il est bien établi que, lors d’un contrôle judiciaire, la Cour ne peut tenir compte d’éléments de preuve dont le décideur n’avait pas connaissance. L’avocat des demandeurs a acquiescé, et, par conséquent, dans la mesure où les éléments de preuve évoqués par les demandeurs étaient nouveaux, ils ont été exclus et ne sont pas considérés dans la décision rendue.

 

[9]               Concernant l’erreur reprochée à l’agente, les demandeurs font valoir que cette dernière a fait abstraction ou omis de tenir entièrement compte de la preuve se rapportant à l’intérêt supérieur des enfants. En particulier, ils signalent les faits suivants :

(i)         Les enfants seraient privés de l’amour et de l’affection de leurs tantes et de leurs camarades à l’école et dans le voisinage. Ils vivent au Canada depuis plus de dix ans, et ont adopté les coutumes et les règles qui régissent la vie au Canada.

(ii)        Les enfants seraient privés d’une vie, d’une éducation et de soins de santé de qualité.

(iii)        À la maison, les enfants parlent l’anglais et s’expriment difficilement en espagnol. S’ils rentraient en Uruguay, ils n’auraient aucun avenir, vivraient dans la pauvreté et courraient le risque d’être victime de violence.

(iv)        En Uruguay, il existe des réseaux de prostitution juvénile et de traite d’enfants.

(v)          Les demandeurs s’emploient à s’établir au Canada et se sont fait beaucoup d’amis. Le demandeur a un emploi à temps plein et gagne environ 60 000 $ par année.

 

[10]           Les demandeurs prétendent que l’agente n’a pas entièrement tenu compte de ces aspects. En fait foi, selon eux, la déclaration de l’agente selon laquelle la preuve présentée par les demandeurs ne suffisait pas à établir que les enfants seraient privés de leurs droits fondamentaux et que leurs besoins de base ne seraient pas satisfaits.

 

[11]           Je souscris au point de vue du défendeur, selon lequel les demandeurs prétendent essentiellement que l’agente aurait dû en arriver à une conclusion différence au sujet de la preuve. Fondamentalement, ils font valoir qu’elle aurait dû apprécier différemment la preuve. Or, rien au dossier n’indique que l’agente a tenu compte de faits non pertinents ou qu’elle a accordé à la preuve un poids disproportionné au point d’être abusif.

 

[12]           L’agente a examiné les risques auxquels les demandeurs seraient exposés, leur degré d’établissement au Canada et l’intérêt supérieur des enfants avant de conclure qu’ils ne constituaient pas des motifs suffisants pour justifier une dispense.

 

[13]           En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, l’agente a noté qu’il n’y avait guère de raison de croire que l’enfant née au Canada n’accompagnerait pas ses parents advenant leur renvoi du Canada.

 

[14]           L’agente a examiné les observations écrites formulées par les demandeurs, les lettres d’appui et la preuve documentaire relative à l’état du système éducatif en Uruguay et a conclu que, bien que ce système ne soit pas le même qu’au Canada, la preuve ne permettait pas d’établir que les enfants n’auraient pas accès à une éducation en Uruguay. Elle a également conclu que la documentation objective n’étayait pas l’affirmation voulant que le système éducatif soit tel que les enfants ne recevraient pas une éducation de qualité ou seraient victimes de harcèlement et de discrimination. Au contraire, la preuve montrait que le pays était doté d’un système d’éducation de haute qualité.

 

[15]           L’agente a aussi remarqué que les soins de santé étaient gratuits en Uruguay et que la preuve ne permettait pas d’établir que les besoins des enfants sur le plan de la santé et du bien-être ne seraient pas satisfaits s’ils étaient expulsés. L’agente a examiné avec soin les liens des enfants avec l’Uruguay. À cet égard, elle a estimé qu’il n’y avait pas de véritable raison de croire qu’avec le soutien de leurs parents, ils seraient incapables de s’adapter à la vie dans ce pays. Fait important, elle a examiné les circonstances qui pourraient faire en sorte que les enfants soient exposés à des dangers en Uruguay et a conclu qu’en raison des antécédents personnels des parents, ils ne le seraient vraisemblablement pas. Enfin, l’agente a examiné la question de la famille et des amis des demandeurs ainsi que des enfants, et a conclu, raisonnablement, que, même si personne ne souhaite être séparé de ses amis, les demandeurs seraient renvoyés ensemble, en tant que famille, et que cette famille comptait d’autres membres en Uruguay.

 

[16]           En dernier lieu, l’agente s’est penchée sur l’intérêt supérieur de Belen Vaz Alvarez, la fille de Carla âgée de 15 ans vivant en Uruguay chez sa tante paternelle. Constatant que les observations des demandeurs ne renfermaient pas d’information utile sur Belen, elle a conclu, à juste titre, qu’on ne savait pas vraiment en quoi l’intérêt supérieur de cette dernière serait atteint si les demandeurs étaient renvoyés du Canada.

 

[17]           Le seul aspect que la Cour juge préoccupant concerne une déclaration faite par l’enseignante de l’un des enfants. Elle relève que les deux enfants se trouvant au Canada s’expriment difficilement en espagnol et, à ce sujet, elle écrit notamment :

[traduction]

 

[O]n n’accorde pas le même sens à la notion d’école « sécuritaire et bienveillante », et les enfants sont souvent à risque de subir le harcèlement des autres ou de se faire voler leurs effets. Leurs enfants seraient-ils des cibles? Cela semble probable, puisqu’ils ne connaissent que la culture canadienne et qu’ils parlent à peine l’espagnol.

 

[18]           L’agente a examiné cette déclaration dans son contexte; ce contexte est celui de l’incapacité des enfants à communiquer en espagnol et de la probabilité que cela leur vaille d’être harcelés et leur attire d’autres ennuis. Devant l’agente, les demandeurs n’ont présenté aucune observation ni produit aucune preuve propres à indiquer que la question de la langue nuirait à la capacité des enfants d’avoir véritablement accès à l’école et d’y réussir de manière acceptable. Il s’agissait peut‑être d’un oubli de la part des demandeurs ou de leur avocat, ou encore cela n’a-t-il pas été mentionné parce que, contrairement à ce que croit cette enseignante, leur capacité à s’exprimer en espagnol n’est pas si limitée. Quoi qu’il en soit, l’agente se devait de rendre une décision à partir des observations et de la preuve portées à sa connaissance par les demandeurs. Or, dans l’arrêt Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, la Cour d’appel a déclaré ce qui suit, au paragraphe 8 : « […] puisque le demandeur a le fardeau de présenter les faits sur lesquels sa demande repose, c’est à ses risques et périls qu’il omet des renseignements pertinents dans ses observations écrites ». Les demandeurs ont omis de mentionner l’impact négatif que pourrait avoir sur l’éducation des enfants leur connaissance limitée de l’espagnol, et, par conséquent, l’agente n’avait pas l’obligation d’en tenir compte. En outre, je souscris à l’argument du défendeur, selon lequel l’agente n’était pas tenue de traiter de cette possibilité de son propre chef. Elle était autorisée à se fonder sur les observations formulées par les demandeurs et n’avait pas à aborder des questions que ceux-ci ne lui avaient pas clairement et directement soumises dans le cadre de leur demande.

 

[19]           Il ne faisait aucun doute pour l’agente que ces enfants éprouveraient certaines difficultés à s’adapter à la vie en Uruguay, et c’est aussi mon sentiment. Toutefois, l’agente a jugé que ces difficultés n’étaient pas de nature à faire pencher la balance en faveur des demandeurs de façon à faire droit à la demande CH. Compte tenu du dossier, je ne puis affirmer que l’agente a rendu une décision déraisonnable, ni qu’elle a fait abstraction de la preuve dont elle disposait ou l’a mal appréciée.

 

[20]           Pour les motifs qui précèdent, la demande doit être rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-923-11

 

INTITULÉ :                                       JUAN JOSE GONZALEZ VAZQUEZ et autres c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Zinn

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 22 septembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Manjit Walia

POUR LES DEMANDEURS

 

Rick Garvin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Walia Law Office

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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