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Date : 20110902


Dossier : T-1349-10

Référence : 2011 CF 1047

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 septembre 2011

En présence de monsieur le juge O'Reilly

 

 

ENTRE :

CYRIL EUGENE MCLEAN

 

demandeur

 

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.                    Aperçu

 

[1]               M. Cyril McLean a servi dans les rangs de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) à partir de 1970, et ce, jusqu’à ce qu’il prenne sa retraite en 1998, au grade d’inspecteur. Il a débuté ses fonctions dans de petits détachements en Saskatchewan, pour ensuite passer en 1978 à la Direction générale, à Ottawa. Peu après, il a pris part à un certain nombre d’affectations à l’étranger.

 

[2]               En 2005, M. McLean a présenté une demande de pension d’invalidité, disant que l’arthrose dont il souffrait dans les deux genoux était attribuable à sa période de service dans la GRC. Il a invoqué comme preuve un certain nombre de lésions aux genoux qu’il avait subies entre le début et le milieu des années 1970, de même qu’un avis médical liant ces lésions à son état actuel.

 

[3]               La demande de M. McLean a été rejetée par le ministre des Anciens combattants, par un Comité de révision et par un Comité d’appel (le Tribunal), principalement au motif que la preuve présentée n’étayait pas l’existence d’un lien entre ses lésions et l’arthrose. Il a sollicité le contrôle judiciaire de la dernière décision devant la Cour fédérale, et le juge Michael Phelan a ordonné au Tribunal de réévaluer sa demande. Le juge Phelan a conclu que le Tribunal avait omis de tenir compte d’éléments de preuve concernant la nature des tâches liées à l’application de la loi que M. McLean avait accomplies dans les années 1970, avait mis en doute de façon déraisonnable la fiabilité du rapport médical sur lequel M. McLean s’était fondé et avait omis de se conformer aux règles de preuve énoncées dans la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18, article 39 (la Loi sur le TACRA) (les dispositions légales applicables sont reproduites à l’annexe A).

 

[4]               Lors de la seconde évaluation, le Tribunal a de nouveau conclu que la prétention de M. McLean n’était pas étayée par la preuve produite. Ce dernier soutient que le Tribunal a commis de nouveau des erreurs semblables et est arrivé à une conclusion déraisonnable. Il me demande d’annuler la décision du Tribunal. Cependant, je ne puis trouver aucune raison pour infirmer cette décision et il me faut donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. À mon avis, la conclusion du Tribunal est défendable au vu du droit et des éléments de preuve qui lui ont été soumis.

 

[5]               La seule question à trancher consiste à savoir si la décision du Tribunal était déraisonnable.

 

II.                 La décision du Tribunal

 

[6]               Devant le Tribunal, M. McLean a soutenu avoir subi de nombreuses lésions aux genoux durant sa période de service. Il a déclaré qu’en milieu rural en Saskatchewan, dans les années 1970, le travail d’agent de la GRC était un métier ardu et difficile, qui consistait parfois à mettre fin à des bagarres et pourchasser des suspects à pied. Il a ajouté que ce travail, de pair avec un accident d’automobile subi en 1973 pendant qu’il était en service, l’ont blessé aux genoux et ont causé l’invalidité dont il souffre présentement.

 

[7]               Le Tribunal a passé en revue les éléments de preuve médicaux datant des années 1970, dont les suivants :

         un rapport clinique daté du 13 juillet 1973, qui mentionne le genou droit de M. McLean, encore que le contexte soit vague;

         un rapport clinique daté du 23 novembre 1974, qui comporte un diagnostic de [traduction] « déchirure ménisque médial D »;

         un rapport clinique daté de juillet 1976, qui comporte un diagnostic de [traduction] « déchirure possible du ménisque latéral » du genou gauche, avec plainte d’inconfort au genou gauche;

         un rapport clinique daté du 12 août 1976, qui diagnostique une lésion au ménisque médial droit;

         une lettre signée par M. McLean le 13 août 1976, qui relate un incident dans lequel il s’est blessé au genou en ramassant des déchets près de sa maison, en rentrant du travail;

         une lettre signée par M. McLean le 24 août 1976, qui signale que son genou est guéri et qu’il a réintégré toutes ses fonctions le 17 août 1976;

         un rapport clinique daté du 13 décembre 1976, qui diagnostique une déchirure du ménisque médial gauche;

         une lettre datée du 14 janvier 1977, écrite par un chirurgien orthopédiste, le DJohn Wedge, vers lequel M. McLean a été orienté. Le Dr Wedge a signalé qu’on lui a soumis le cas de ce patient pour des douleurs chroniques aux genoux au cours des cinq années précédentes. Une douleur aiguë et un enflement du genou en août 1976 ont été notés, mais sans [traduction] « traumatisme véritable ». Le Dr Wedge a fait remarquer que M. McLean [traduction] « n’a jamais eu de graves lésions à l’un ou l’autre des genoux ». Il a donné un diagnostic de chondromalacie rotulienne et fait remarquer qu’il n’avait pas [traduction] « le sentiment que le malade a des antécédents suffisants pour dénoter une déchirure méniscale »;

         un rapport clinique daté du 30 septembre 1977, qui comporte un diagnostic de chondromalacie rotulienne post-traumatique au genou droit;

         un rapport clinique daté du 18 décembre 1978, qui fait état d’une douleur au genou gauche, avec un diagnostic de chondromalacie rotulienne.

 

 

[8]               Le Tribunal a ensuite examiné les rapports médicaux établis depuis 2004 :

         un compte rendu d’imagerie diagnostique, daté du 1er février 2004 et notant l’absence de toute fracture, dislocation ou effusion après une chute mettant en cause le genou gauche;

         une IRM du genou gauche, datée du 22 juin 2005, faisant état d’une douleur récurrente à la partie médiale du genou et de déchirures du ménisque latéral, d’une usure sub‑superficielle du ménisque médial, ainsi que de signes d’une lésion antérieure au ligament collatéral médial;

         le Dr R.R. Glasgow, chirurgien orthopédiste, a signalé que les antécédents de M. McLean comportaient [traduction] « une lésion au genou droit subie […] pendant qu’il travaillait comme agent de la GRC ». Il a diagnostiqué une déchirure méniscale au genou droit et a recommandé une arthroscopie;

         le Dr Ruben Hansen a produit plusieurs rapports, dont un diagnostic provisoire d’arthrose du genou droit le 24 novembre 2005 ainsi qu’un diagnostic confirmé au genou gauche. Le rapport fait état d’un traumatisme bilatéral des genoux subi dans les années 1970, dû aux [traduction] « interventions visant des contrevenants ». Dans un rapport daté du 22 février 2006, il signale que [traduction] « en tant que médecin et intervenant […] il présente des signes radiologiques de lésions cartilagineuses dans les deux genoux qui, là encore, sont caractéristiques des lésions récurrentes et chroniques dont sont victimes les agents de la paix ». Dans une lettre datée du 12 juin 2006, il fait état d’une [traduction] « liste assez détaillée de lésions traumatiques » visant à [traduction] « étayer mon affirmation d’arthrose aux genoux gauche et droit » qui, croit-il, est [traduction] « directement liée à ses années de service dans la GRC ». Un rapport daté du 30 octobre 2006 signale que [traduction] « ses plaintes de douleur aux articulations dans des zones qui ont été traumatisées au début de sa carrière concordent avec la présence de complications arthrosiques ».

 

 

[9]               Le Tribunal a également pris en compte les éléments de preuve suivants, émanant des membres de la famille et d’anciens collègues de M. McLean :

         M. Ben Soave a dit qu’il a suivi son entraînement avec M. McLean en 1970 et s’est souvenu que ce dernier avait subi plusieurs lésions durant son entraînement ainsi lors d’un accident d’automobile survenu près de Kindersley (Saskatchewan);

         M. Bob Preston a déclaré qu’il avait servi avec M. McLean et qu’il se souvenait de l’accident d’automobile et des problèmes qu’il avait eus au genou;

         M. T.A. Gibbons s’est souvenu que M. McLean avait pris part à de nombreuses arrestations et bagarres dans des bars. Il a déclaré aussi que M. McLean avait subi des lésions aux genoux dans l’exercice de ses fonctions en 1971, une seconde lésion entre 1972 et 1977, ainsi que lors d’un accident d’automobile;

         M. Allan D. Grier a décrit les conditions de travail des agents de la GRC dans le territoire où servait M. McLean et il a signalé qu’il survenait fréquemment des lésions et que celles-ci étaient souvent auto-traitées. Il s’est également souvenu de l’accident d’automobile et du fait que M. McLean s’était blessé aux genoux;

         l’épouse de M. McLean s’est souvenue que ce dernier avait eu des problèmes aux genoux et qu’après l’accident d’automobile elle avait dû lui bander les genoux pendant plusieurs jours;

         la fille de M. McLean, Andrea McLean, ainsi que son époux, Lucas Ewart, ont relaté divers faits concernant les lésions de M. McLean.

 

 

[10]           Le Tribunal a tiré un certain nombre de conclusions de fait en vue de régler des points qui avait été en litige lors d’audiences antérieures :

         il a admis que M. McLean avait été impliqué dans un accident d’automobile durant sa période de service;

         il a reconnu que les premières années de service de M. McLean avaient été difficiles et lui avaient vraisemblablement causé de nombreuses lésions, relativement mineures;

         il a conclu que le Dr John Wedge, dans son rapport daté du 14 janvier 1977, avait établi un diagnostic confirmé de chondromalacie rotulienne bilatérale;

         il est arrivé à la conclusion que M. McLean avait fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir l’existence d’un diagnostic d’arthrose bilatérale des genoux;

         il a conclu que les éléments de preuve de M. McLean étaient, dans l’ensemble, vraisemblables et qu’il n’y avait aucun signe de tentative visant à induire en erreur ou à exagérer;

         il a dit ne pas douter que M. McLean avait subi des lésions aux genoux dans le cadre de ses fonctions et il a pris acte de la conviction de ce dernier que ces lésions avaient causé son invalidité ou y avaient contribué.

 

 

[11]           Le Tribunal a conclu qu’il n’y avait qu’une seule question à trancher : les éléments de preuve étaient-ils suffisants pour conclure que l’arthrose bilatérale des genoux dont souffrait M. McLean après avoir pris sa retraite était consécutive ou rattachée directement au service qu’il avait accompli au sein de la GRC dans les années 1970, conformément au paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions?

 

[12]           De pair avec la totalité des éléments de preuve, le Tribunal a pris en considération les Lignes directrices sur l’admissibilité au droit à pension (LDADP). Il a reconnu que ces dernières, même si elles ne sont pas d’application obligatoire, expriment l’état actuel du savoir et du consensus médicaux sur la cause de l’arthrose, d’après un vaste examen de diverses études médicales. Il a signalé que les LDADP ont pour objet de favoriser la prise de décisions sérieuses et cohérentes. Il a ensuite passé en revue un certain nombre d’énoncés clés figurant dans les LDADP :

         l’arthrose est principalement associée aux processus naturels du vieillissement. Cependant, le consensus médical reconnaît aussi qu’une lésion directe des articulations, par suite de traumatismes articulaires spécifiques ou répétitifs, peut être un facteur causal dans l’accélération de l’évolution de cette affection;

         pour l’admissibilité au droit à pension pour cause d’arthrose, il doit y avoir une preuve de lésion ou de traumatisme articulaire spécifique qui découle du service que le requérant a accompli;

         un traumatisme articulaire peut être soit « spécifique », soit « répétitif ». Un traumatisme spécifique est une lésion physique d’une articulation, ce qui inclut une fracture mais non une lésion des tissus mous. Le risque de contracter une arthrose dépend de la gravité du traumatisme spécifique. Dans le genou, le type de traumatisme spécifique que l’on associe le plus souvent à l’arthrose est une lésion occasionnant des dommages directs au cartilage articulaire et à l’os sous-chondral de soutien de l’articulation, ou une lésion spécifique d’un ligament et d’un tendon, qui rend une articulation instable. Un traumatisme spécifique suffisant pour causer ou aggraver une arthrose provoquera des symptômes aigus de douleur, d’enflement ou de mobilité réduite dans les 24 heures suivant la lésion proprement dite et, en l’absence d’une intervention médicale, pendant plusieurs jours après leur apparition. Les signes et les symptômes de l’arthrose doivent être présents dans l’articulation dans les 25 années suivant le traumatisme spécifique de façon à pouvoir établir un lien de causalité entre l’arthrose et la lésion traumatique;

         un traumatisme articulaire dit répétitif découle d’une activité répétitive dans le cadre de laquelle la personne impose une charge accrue sur une articulation portante spécifique, durant un temps prolongé. Selon le consensus médical, un traumatisme physique répétitif aux articulations peut accélérer l’évolution d’une arthrose dans les articulations portantes. Par conséquent, en l’absence d’une lésion spécifique à une articulation, il faudrait envisager un traumatisme articulaire répétitif dans le cas d’une demande de pension d’invalidité pour cause d’arthrose. Les traumatismes articulaires répétitifs des genoux sont définis par rapport à certaines activités professionnelles précises.

 

 

[13]           Le Tribunal a évalué les éléments de preuve et pris en considération les LDADP afin de déterminer si l’on avait établi l’existence d’un lien causal entre l’arthrose dont souffrait M. McLean et le service accompli par ce dernier au sein de la GRC dans les années 1970. Le Tribunal a conclu que les éléments de preuve n’établissaient pas l’existence de ce lien, et ce, pour les motifs suivants :

         la première inscription médicale liée à une lésion à un genou date de juillet 1973. Si les estimations relatives au moment de la survenue de l’accident d’automobile sont exactes, ce signalement daterait de plusieurs mois après l’accident, et il n’y a aucune explication au sujet de la cause de cette plainte concernant le genou droit;

         le diagnostic de déchirure du ménisque médial droit en novembre 1974 ne comporte aucune indication d’un événement déclencheur. Le signalement d’une présumée déchirure du ménisque latéral gauche en juillet 1976 n’indique pas non plus ce qui a causé la plainte;

         le signalement de la lésion survenue en août 1976 au genou droit établit clairement que l’incident a eu lieu quand M. McLean, en rentrant chez lui après avoir quitté son détachement de la GRC, s’est penché pour ramasser des déchets à l’avant de sa maison. M. McLean a fait valoir qu’il s’agissait là d’une lésion de peu de gravité qui s’était ajoutée à une lésion antérieure, plus grave et liée au service, mais le Tribunal a conclu qu’aucune preuve n’étayait cette prétention. Selon le Tribunal, il ne s’agissait pas d’une lésion liée au service car M. McLean rentrait chez lui du travail, se trouvait devant sa propre maison et n’était pas à proprement parler en service ou sous la direction de la GRC. Par conséquent, l’incident était survenu dans le cadre d’une activité personnelle et le fait qu’il était un agent de la GRC n’y était pour rien;

         M. McLean a subi une autre lésion au genou droit en janvier 2004, mais cette dernière n’était manifestement pas liée à son service dans la GRC car il avait pris sa retraite en 1998;

         dans son rapport de 1977, le Dr Wedge a noté des antécédents de cinq années de douleur au genou, mais il a déclaré que M. McLean n’avait jamais subi de [traduction] « lésions graves » à l’un ou l’autre genou. Il a conclu dans son rapport que les diagnostics antérieurs de déchirure méniscale étaient inexacts vu l’absence d’[traduction] « antécédents importants dénotant une déchirure méniscale ». Il a plutôt prononcé un diagnostic de chondromalacie rotulienne;

         deux autres rapports diagnostiquant une chondromalacie rotulienne ont été établis : en 1977 au sujet du genou droit, ainsi qu’en 1978 au sujet du genou gauche.

 

 

[14]           Le Tribunal a ensuite étudié les éléments de preuve du Dr Hansen. Il a conclu que ces éléments, eux aussi, n’étaient pas suffisants pour étayer l’existence d’un lien entre le service de M. McLean dans la GRC et la présence d’arthrose. Le Tribunal n’a pas mis en doute les compétences médicales du Dr Hansen, mais il a conclu que l’opinion de ce dernier n’était pas digne de foi dans la mesure où il s’était fondé sur des hypothèses non éprouvées pour établir un lien de causalité entre les lésions que M. McLean avaient subies dans les années 1970 et l’arthrose dont il souffrait aujourd’hui; plus particulièrement :

         il a fondé son avis sur les conditions de travail de M. McLean dans les premières années de sa carrière; cependant, il n’y a eu d’autres preuves d’une autre lésion ou plainte concernant des problèmes au genou que plusieurs années après que ce dernier a pris sa retraite;

         le Dr Hansen n’a pas tenu compte du fait que l’arthrose est un état dégénératif naturel dont souffre une part importante de la population, même en l’absence de tout traumatisme antérieur;

         il a fondé son avis explicitement sur ce qu’il décrit comme une [traduction] « longue liste de lésions traumatiques » entre 1973 et 1978. Cependant, aucun des documents médicaux n’indique que les plaintes ont été déclenchées par un [traduction] « traumatisme ». En fait, à l’exception de lésions non liées au service accompli, aucun facteur déclencheur n’est indiqué. Le Tribunal n’était tout simplement pas disposé à présumer que les plaintes résultaient directement d’un traumatisme lié au service accompli. En fait, dans son rapport de 1977, le Dr Wedge a signalé que M. McLean avait nié avoir subi un traumatisme important et il n’a relevé aucun fait suffisamment important pour dénoter l’existence de déchirures méniscales;

         le Tribunal avait peu de preuves en main pour étayer l’argument selon lequel les agents de police courent plus de risques de subir une arthrose consécutive à un traumatisme ou, plus précisément, que l’arthrose dont souffrait M. McLean résultait d’une lésion traumatique. Le Tribunal a signalé que l’avis d’un chirurgien orthopédiste objectif aurait pu être utile. Il a également signalé que même si M. McLean était soigné par un chirurgien, ce spécialiste traitant n’avait fourni aucune preuve ou aucun rapport médical;

         le Dr Hansen n’a pas donné d’explications crédibles liant la chondromalacie rotulienne diagnostiquée en 1977 et en 1978 au service accompli dans la GRC, en l’absence d’une lésion traumatique au genou. Sans un avis médical détaillé sur ce lien présumé, le Tribunal n’était pas en mesure d’inférer que l’arthrose des genoux, ou la chondromalacie rotulienne, était attribuable à des lésions survenues lors de la période de service dans la GRC.

 

 

[15]           Le Tribunal a également signalé que, même s’ils étaient dignes de foi, M. McLean, son épouse, sa fille et son gendre n’avaient pas suivi de formation médicale et que, de ce fait, on ne pouvait pas accorder beaucoup de poids à leur témoignage au sujet du lien entre l’arthrose et les lésions subies lors de la période de service.

 

III.               La décision du Tribunal était-elle déraisonnable?

a)      Les arguments de M. McLean

 

[16]           M. McLean soutient que l’article 39 de la Loi sur le TACRA limite la compétence qu’a le Tribunal d’évaluer les éléments de preuve qui lui sont soumis. C’est-à-dire que cette disposition impose au Tribunal certaines obligations qui, si ce dernier n’en tient pas compte ou les applique erronément, justifient que l’on annule sa décision dans le cadre d’un contrôle judiciaire :

 

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

 

[17]           En l’espèce, M. McLean soutient que le Tribunal a commis une erreur en rejetant des éléments de preuve vraisemblables et non contredits émanant de lui-même et du Dr Hansen, et en ne tranchant pas en sa faveur les incertitudes que le Tribunal a pu avoir au moment d’évaluer les éléments de preuve. Cette observation est liée à l’argument principal de M. McLean selon lequel le Tribunal a commis une erreur en concluant que les éléments de preuve n’établissaient pas l’existence d’un lien entre l’arthrose dont il souffre actuellement et le service qu’il a accompli dans la GRC au cours des années 1970.

 

[18]           M. McLean fait également ressortir un certain nombre de faits censément erronés dans l’analyse que le Tribunal a faite. Premièrement, dit-il, ce dernier a omis de tenir compte du fait qu’il avait subi ses premières lésions au genou lors de sa période d’entraînement dans la GRC en 1970. Le Tribunal a également fait abstraction du fait qu’il avait pris part par la suite à de nombreuses arrestations, lors desquelles il s’était blessé de nouveau aux genoux. Même si le Tribunal a conclu que M. McLean était en général digne de foi, il a omis, soutient ce dernier, d’expliquer pourquoi il ne souscrivait pas à ces éléments de preuve à cet égard. De ce fait, le Tribunal ne s’est pas conformé à l’obligation d’accepter tout élément de preuve non contredit et vraisemblable (alinéa 39b)).

 

[19]           Deuxièmement, M. McLean dit que le Tribunal a conclu par erreur que la lésion qu’il avait subie en 1976 au genou droit n’était pas liée à son service dans la GRC. Le Tribunal était tenu d’examiner si l’activité qui avait causé la lésion avait été accomplie dans le contexte de sa période de service : Wannamaker c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 126, au paragraphe 42. La décision qu’a prise le Tribunal de dissocier l’activité qu’il accomplissait (rentrer à la maison après le travail) des circonstances de son service dans la GRC était déraisonnable. Le fait de se rendre au travail et d’en revenir, soutient-il, était directement lié à son service dans la GRC; s’il ne revenait pas du travail ce jour-là, il ne se serait pas trouvé devant sa maison.

 

[20]           Troisièmement, M. McLean soutient que le Tribunal a commis une erreur en se fondant sur les LDADP. Le Tribunal a privilégié les LDADP plutôt que l’opinion non contredite du Dr Hansen, qui avait conclu que l’invalidité de M. McLean était directement liée à des lésions subies lors de son service dans la GRC. Le paragraphe 35(2) de la Loi sur les pensions permet au Tribunal d’utiliser les LDADP, mais il convient d’accorder plus de poids aux preuves médicales que dépose le demandeur : Cramb c. Canada (Procureur général), 2006 CF 638, au paragraphe 25. Les LDADP sont des [traduction] « instruments législatifs non contraignants » que les décideurs administratifs peuvent prendre en considération, mais on ne peut leur accorder une importance excessive : R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes 5th ed, aux pages 621 à 626; Miller McClelland Ltd c. Barrhead Savings & Credit Union Ltd, [1995] AJ no 167, aux paragraphes 8 à 10 (C.A.). La preuve du Dr Hansen était axée sur la situation particulière de M. McLean, ce qui n’est pas le cas des LDADP. En outre, M. McLean soutient que si le Tribunal souhaitait se fonder sur les LDADP, il aurait fallu qu’il lui donne la possibilité d’y répondre.

 

[21]           Quatrièmement, M. McLean est d’avis que le Tribunal a conclu de manière déraisonnable que la preuve du Dr Hansen n’était pas vraisemblable. Il s’agit là d’une conclusion que le Tribunal n’a pas justifiée. Le Dr Hansen a fait état des antécédents médicaux complets de M. McLean en rapport avec l’invalidité dont il souffre, et ces antécédents n’ont été contredits par aucune autre preuve. Le Tribunal a déclaré que le Dr Hansen avait fait état d’une [traduction] « liste de lésions traumatiques importantes », sans préciser les traumatismes en particulier et sans noter que l’arthrose est une affection dégénérative. Cependant, M. McLean signale que le Tribunal a été saisi d’éléments de preuve concernant trois lésions traumatiques spécifiques qu’il avait subies aux genoux :

 

(i)                  la lésion subie en 1970 au cours de la période d’entraînement :

cette lésion a été corroborée par MM. Soave et Preston. Le Tribunal n’a pas considéré que cela était important;

(ii)                l’accident d’automobile subi en 1973 :

le Tribunal n’a pas reconnu qu’il s’agissait d’un traumatisme qui avait déclenché l’invalidité de M. McLean;

(iii)               la lésion subie en 1976 au genou droit en rentrant du travail :

le Tribunal a conclu par erreur qu’il ne s’agissait pas d’une lésion liée au service.

 

 

[22]           Cinquièmement, M. McLean soutient que le Tribunal a commis une erreur en concluant que l’avis d’un chirurgien orthopédiste aurait été utile pour décider si les lésions étaient consécutives ou rattachées directement à son service. Il fait remarquer que le Tribunal avait en main les avis de deux chirurgiens orthopédistes (les Drs Wedge et Glasgow), qui avaient diagnostiqué des épisodes chroniques de chondromalacie rotulienne et de déchirures méniscales, respectivement. De plus, il signale que le Tribunal n’a pas demandé d’avis médical indépendant (ce qu’il est habilité à faire) mais qu’il s’est plutôt fondé sur sa propre expertise médicale : Thériault c. Canada (Procureur général), 2006 CF 1070, au paragraphe 60.

 

[23]           Sixièmement, M. McLean dit que le Tribunal avait en main une preuve que son invalidité était présente en 1977 (selon le rapport du Dr Wedge), c’est-à-dire de nombreuses années avant la lésion subie en 2004.

 

b)      La causalité et l’article 39 de la Loi sur le TACRA

 

[24]           Selon l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions, un demandeur doit faire la preuve que son service a été la « cause principale » de la lésion ou de l’invalidité et il doit établir le lien de causalité : décision Lunn, précitée, au paragraphe 50 (citant Boisvert c. Canada (Procureur général), 2009 CF 735, au paragraphe 24). Pour déterminer si le lien de causalité a été établi, les décideurs doivent prendre en considération les présomptions énoncées au paragraphe 21(3) de la Loi sur les pensions, de même que l’article 2 de la Loi sur les pensions et l’article 3 de la Loi sur le TACRA, lesquels exigent que l’on soumette les dispositions des deux lois à une interprétation large et libérale.

 

[25]           En outre, l’article 39 de la Loi sur le TACRA comporte une série de règles conçues pour favoriser les demandeurs en rapport avec le fardeau de preuve qui leur revient. Cependant, cette disposition n’a pas pour effet d’obliger le Tribunal à souscrire à toutes les allégations que fait un membre (décision Boisvert, précitée, au paragraphe 28). Le demandeur doit plutôt établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il souffre d’une invalidité et que cette dernière est consécutive ou rattachée directement à son service militaire.

 

[26]           D’après la juge Sharlow dans l’arrêt Wannamaker, l’objet de l’article 39 est de garantir que la preuve au soutien d’une demande est examinée sous le jour lui étant le plus favorable possible, mais il ne dispense pas le demandeur de la charge d’établir son admissibilité. Cet article n’oblige pas non plus le Tribunal à admettre la totalité de la preuve que présente un demandeur. Par exemple, si le Tribunal conclut que certains éléments de preuve ne sont pas vraisemblables, il n’est pas obligé de les accepter, même s’ils ne sont pas contredits (aux paragraphes 5 et 6).

 

c)      L’application des faits à l’espèce

 

[27]           Le Tribunal a admis que M. McLean avait été impliqué dans un accident d’automobile au cours de son service, qu’il avait subi de nombreuses lésions relativement mineures lors de ses premières années de service et que l’on avait diagnostiqué qu’il souffrait d’une chondromalacie rotulienne en 1977. Le Tribunal a déclaré explicitement qu’il n’avait aucun doute que M. McLean avait subi des lésions aux genoux au cours de sa période de service. Il a accepté les éléments de preuve vraisemblables et non contestés qui lui ont été soumis à cet égard.

 

[28]           Cependant, le Tribunal a signalé avec raison qu’il y avait de nombreuses lacunes dans les éléments de preuve. Par exemple, il y avait peu de preuves sur la cause, la nature ou la gravité des lésions de M. McLean. Les preuves ne contenaient pas de détails qui auraient permis au Tribunal de considérer que les lésions de M. McLean avaient causé l’invalidité dont il souffrait actuellement. Malgré le diagnostic de chondromalacie rotulienne, assorti peut-être de déchirures méniscales, aucun rapport médical ne décrivait la façon dont ces problèmes avaient pris naissance.

 

[29]           Je ne relève aucune erreur dans la conclusion du Tribunal selon laquelle la lésion que M. McLean a subie au genou en 1976 n’était pas liée à son service. Dans l’arrêt Wannamaker, précité, il a été conclu que le demandeur, qui avait glissé et fait une chute sur le lieu de travail pendant qu’il se rendait au travail, se livrait à une activité liée à son service militaire (cette conclusion a été annulée pour d’autres motifs par la Cour d’appel fédérale). À mon avis, il y a une distinction à faire entre la présente espèce et l’arrêt Wannamaker. Dans le cas présent, M. McLean ne se trouvait pas sur les lieux de son travail quand sa lésion est survenue; il n’était pas non plus en train de rentrer chez lui du travail. M. McLean s’était arrêté pour ramasser quelque chose qui se trouvait au sol quand il était arrivé chez lui. Le Tribunal a conclu de façon raisonnable que M. McLean [traduction] « accomplissait manifestement une activité personnelle » quand la lésion est survenue.

 

[30]           Je ne puis conclure non plus que l’utilisation que le Tribunal a faite des LDADP était déraisonnable. Le Tribunal a reconnu que les LDADP n’avaient été utilisées qu’à titre indicatif, dans un effort pour favoriser la prise de décisions sérieuses et cohérentes. Selon mon interprétation de sa décision, le Tribunal n’a pas substitué son interprétation des LDADP à l’avis [traduction] « non contredit » du Dr Hansen. Après avoir décidé de façon raisonnable, à mon avis, qu’on ne pouvait pas se fonder sur la preuve du Dr Hansen pour établir l’existence d’un lien de causalité, il était loisible au Tribunal de consulter les LDADP pour s’informer du mécanisme d’action, des symptômes, du pronostic et de l’étiologie de l’arthrose.

 

[31]           De plus, le Tribunal a expliqué les doutes qu’il avait au sujet de l’opinion du Dr Hansen. L’absence de détails sur les lésions de M. McLean l’a amené à conclure que la preuve n’étayait pas l’avis du Dr Hansen. Selon moi, le Tribunal a conclu que la preuve du Dr Hansen établissait l’existence d’un lien de causalité entre le service que M. McLean avait accompli et l’arthrose dont il souffrait actuellement en se fondant sur des présomptions non fondées à propos de la fréquence, de la nature et de l’étendue de ses lésions présumées. De plus, les doutes additionnels du Tribunal à propos de la crédibilité et de l’objectivité du Dr Hansen découlaient du rôle d’« intervenant » joué par ce dernier pour M. McLean et du fait de ne pas considérer l’arthrose comme une affection dégénérative naturelle dont est victime un nombre considérable de personnes en l’absence de tout traumatisme.

 

[32]           Pour ce qui est de l’application du paragraphe 21(3) de la Loi sur les pensions, je ne puis conclure que le Tribunal a commis une erreur dans l’approche qu’il a suivie. M. McLean a affirmé que le paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions a pour effet de créer la présomption que les lésions au genou qu’il a subies lors de son entraînement en 1970 étaient liées à son service. Cependant, cette présomption n’établit pas l’existence d’un lien de causalité entre ces lésions et l’invalidité dont il souffre actuellement : décision Lunn, précitée. Les lésions que M. McLean a subies à l’entraînement sont présumées être liées au service, mais cela ne prouve pas que son arthrose a été causée par ces lésions. Quoi qu’il en soit, ces dernières n’ont pas été précisées et n’ont pas semblé exiger des soins ou un congé quelconques. Vu le manque de détails au sujet de la sorte, de la nature ou de l’étendue de ces lésions, je ne puis conclure que le Tribunal a commis une erreur dans la manière dont il a traité ces éléments de preuve.

 

[33]           Dans l’ensemble, je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle en rapport avec la façon dont le Tribunal a traité les éléments de preuve, compte tenu de l’article 39 de la Loi sur le TACRA. Le Tribunal a conclu que M. McLean n’avait pas établi, selon la prépondérance de la preuve, l’existence du lien de causalité requis entre l’invalidité dont il souffre actuellement et les lésions qu’il a subies lors de sa période de service dans les années 1970. Cette décision n’était pas déraisonnable, compte tenu du droit et des faits qui ont été soumis au Tribunal.

 

IV.              Conclusion et décision

 

[34]           Je ne puis relever aucune erreur susceptible de contrôle dans la façon dont le Tribunal a traité les éléments de preuve ou interprété les lois applicables. De plus, comme M. McLean n’a pas établi selon la prépondérance des probabilités le lien de causalité requis entre l’invalidité dont il souffre actuellement et les lésions qu’il a subies durant sa période de service, la conclusion du Tribunal n’était pas déraisonnable.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil

 


Annexe « A »

 

Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, ch 18

 

Règles régissant la preuve

 

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

 

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

 

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

 

 

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

 

Review and Appeal Board Act, SC 1995, c 18

 

 

Rules of evidence

 

 39. In all proceedings under this Act, the Board shall

 

 

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

 

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

 

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1349-10

 

INTITULÉ :                                       CYRIL EUGENE MCLEAN c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 13 AVRIL 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 2 SEPTEMBRE 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Nadia Effendi

Jacquie El-Chammas

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jaxine Oltean

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Borden, Ladner, Gervais, LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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