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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110902

Dossier : IMM-5050-10

Référence : 2011 CF 1040

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 septembre 2011

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

ERIKA DAFNE GONZALEZ PALOMINO

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu général

 

[1]               La demanderesse, Mme Erika Dafne Gonzalez Palomino, a supporté, au Mexique, durant cinq ans, un mariage marqué par la violence, puis a décidé de partir au Canada. Elle y a sollicité l’asile, mais la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le lui a refusé. La Commission a conclu que la demanderesse pouvait obtenir de l’État au Mexique une protection et que sa crainte d’être persécutée par son ex-conjoint, Eduardo, n’était donc pas fondée.

 

[2]               La demanderesse fait valoir que la Commission a commis une erreur dans l’analyse qu’elle a faite de la protection de l’État et qu’elle a donc rendu une décision déraisonnable. Je partage son avis. Je dois donc faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[3]               Il s’agit de savoir si la Commission a eu raison de conclure que la demanderesse pouvait obtenir de l’État une protection.

 

II.         Les faits

 

[4]               En 2005, après avoir été agressées par Eduardo, la demanderesse et sa mère se sont rendues au ministère public pour déposer une dénonciation. Les fonctionnaires du ministère public n’ont accepté de recevoir que la plainte de la mère parce que ses blessures étaient plus graves et qu’elle n’était pas l’épouse d’Eduardo. Plus tard, Eduardo a déposé des contre-dénonciations à l’encontre de la demanderesse et de sa mère. Tous trois ont comparu devant un juge, qui a rejeté toutes les plaintes. La demanderesse croit qu’Eduardo a soudoyé le juge.

 

[5]               En 2006, la demanderesse a sollicité l’aide d’une organisation appelée DIF, qui se spécialise dans les affaires familiales, pour introduire une procédure de divorce et obtenir une ordonnance de protection. Le DIF l’a aidée à déposer une requête en divorce, mais Eduardo a refusé de signer les papiers.

 

[6]               Eduardo a continué de menacer et d’agresser la demanderesse au cours des années suivantes. Elle s’est plainte à la police, mais la police n’a pas réagi. En 2008, elle a commencé une relation homosexuelle. Eduardo a agressé sa partenaire et menacé de la tuer s’il voyait les deux femmes ensemble. La demanderesse et sa partenaire ont voulu signaler cet incident à la police, mais on leur a dit qu’elles s’étaient présentées au mauvais commissariat de police. Elles ont tenté de déposer une plainte au commissariat compétent, mais la police s’est simplement moquée d’elles.

 

[7]               En 2009, la demanderesse et sa partenaire ont obtenu des passeports et ont quitté le Mexique pour le Canada.

 

III.       La décision de la Commission

 

[8]               La Commission a estimé que la demanderesse n’avait pas prouvé que le juge devant qui elle avait comparu avait été soudoyé. Ce fait n’empêchait donc pas l’existence d’une protection de l’État.

 

[9]               Pareillement, la Commission a jugé que la difficulté de la demanderesse à obtenir un divorce était le fait d’un manque de temps et de ressources de la demanderesse pour faire avancer l’affaire. Cela ne prouvait pas qu’elle ne pouvait pas obtenir de l’État une protection.

 

[10]           S’agissant des agressions et menaces persistantes dont la demanderesse se disait victime, et de l’inertie apparente de la police, la Commission a conclu que le témoignage de la demanderesse n’était pas crédible. Si la demanderesse avait apporté la preuve des faits qu’elle rapportait, un tribunal de la famille au Mexique aurait fait droit à sa requête en divorce. En tant qu’étudiante en droit, la demanderesse aurait dû avoir une idée de la preuve qu’elle devait produire; or elle a négligé de recueillir les éléments nécessaires. Cependant, la Commission a accepté son témoignage selon lequel Eduardo usait contre elle de propos insultants et parfois lui saisissait le bras lorsqu’il l’affrontait dans la rue.

 

[11]           Par ailleurs, la Commission a considéré que la demanderesse n’avait pas fait suffisamment de démarches pour obtenir une protection. Elle n’avait déposé que deux plaintes officielles auprès de la police. Elle a prouvé qu’elle avait tenté d’obtenir une ordonnance de protection dans le cadre de sa requête en divorce, mais c’était la seule fois où elle avait tenté d’obtenir la protection du tribunal. Il ne semblait pas qu’elle s’était plainte auprès du DIF de l’inertie de la police à propos de son cas. Elle n’a pas non plus demandé l’aide des nombreux autres organismes publics dont le mandat est de venir en aide aux femmes qui sont victimes de violence au foyer, ni l’aide des organismes chargés d’étudier les plaintes contre l’inaction de la police.

 

[12]           La Commission a fait observer que le Mexique est une démocratie et qu’il a promulgué des lois qui protègent les femmes contre la violence. Elle a admis cependant que les lois ne sont pas nécessairement appliquées. Néanmoins, l’existence de telles lois montre que le Mexique fait de sérieux efforts pour corriger la situation.

 

[13]           En conclusion, la Commission a estimé que la demanderesse n’avait pas pris tous les moyens raisonnables pour obtenir une protection au Mexique. La demanderesse n’avait donc pas présenté une preuve claire et convaincante de nature à réfuter la présomption selon laquelle les États sont disposés et aptes à protéger leurs citoyens.

 

IV.       La Commission a-t-elle eu tort de conclure que la demanderesse pouvait obtenir de l’État une protection?

 

            1.         Principes fondamentaux concernant la notion de protection de l’État

 

[14]           Un certain nombre de principes bien établis s’appliquent pour déterminer si l’État concerné offre ou non une protection.

 

[15]           Un réfugié est une personne qui craint avec raison d’être persécuté et qui soit n’est pas en mesure d’obtenir de son pays d’origine une protection contre cette persécution, soit est empêchée de le faire par crainte d’être persécutée davantage (Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 ch. 27 (la LIPR), article 96 – voir les dispositions légales reproduites dans l’annexe).

 

[16]           Une crainte fondée de persécution s’entend d’une probabilité raisonnable de persécution. Un réfugié doit avoir une crainte subjective de persécution, et cette crainte doit être objectivement raisonnable.

 

[17]           La charge de présentation et la charge de persuasion reposent sur le demandeur d’asile, qui doit établir qu’il répond à la définition de « réfugié ». Il doit prouver, selon la prépondérance de la preuve, qu’il existe une possibilité raisonnable qu’il soit persécuté s’il est renvoyé dans son pays d’origine.

 

[18]           Souvent, la question de savoir si l’État offre une protection ne se pose pas dans les demandes d’asile parce que l’agent de persécution prétendu est l’État lui-même. Il va de soi, dans ces conditions, que l’État n’est pas apte ou pas disposé à protéger les personnes qu’il persécute.

 

[19]           Lorsque la question de l’existence d’une protection de l’État se pose, le demandeur d’asile répondra à la définition de « réfugié » s’il prouve que sa crainte d’être persécuté est fondée et s’il présente une preuve claire et convaincante établissant, selon la prépondérance de la preuve, que la protection offerte par l’État est insuffisante.

 

[20]           Lorsqu’une preuve claire et convaincante montre que l’État n’a ni la capacité ni la volonté de protéger les personnes se trouvant dans la même situation que le demandeur d’asile, alors le demandeur d’asile aura prouvé qu’il lui est impossible d’obtenir de l’État une protection, c’est‑à‑dire que cette protection est insuffisante. Cependant, le fait que l’État ne réussisse pas toujours à apporter sa protection ne signifie pas en soi que la protection qu’il offre est insuffisante.

 

[21]           Si la preuve montre que l’État a la capacité et la volonté de venir en aide au demandeur d’asile en lui apportant une protection contre la persécution qu’il a des raisons de craindre, alors le demandeur d’asile aura échoué à prouver la validité de sa demande d’asile. Sa crainte de persécution ne sera pas fondée.

 

[22]           Finalement, vu la définition de « réfugié », le point à décider dans toutes les demandes d’asile qui soulèvent la question de l’existence d’une protection de l’État est de savoir si, compte tenu de l’ensemble de la preuve, notamment la preuve se rapportant à la capacité et à la volonté de l’État d’apporter une protection contre la persécution, le demandeur d’asile a établi, selon la prépondérance de la preuve, qu’il y a une possibilité raisonnable qu’il soit persécuté s’il est renvoyé dans son pays d’origine. Si la réponse est affirmative, alors il mérite d’obtenir l’asile. Dans la négative, il ne satisfait pas à la définition de « réfugié ».

 

[23]           Des principes semblables s’appliquent aux personnes à protéger aux termes de l’article 97 de la LIPR, bien que la charge de la preuve soit plus élevée (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1).

 

            2.         Application à la présente espèce

 

[24]           L’argument principal de la demanderesse est que la Commission a commis une erreur parce qu’elle n’a pas tenu compte de la preuve pertinente relative à la capacité effective du Mexique de protéger les victimes de violence au foyer, en comparaison des efforts qu’il faisait pour tenter d’apporter une meilleure protection dans l’avenir. La demanderesse soutient donc que la Commission a eu tort de dire qu’elle n’avait pas fait assez pour obtenir de l’État une protection.

 

[25]           La demanderesse fait valoir en particulier que la Commission n’a tenu aucun compte d’un affidavit établi sous serment par le professeur Guillermo Zepeda Lecouna, dans lequel il passait en revue les réalités concrètes de l’interaction des femmes violentées avec le système judiciaire mexicain. L’affidavit comprenait les observations suivantes :

 

            •           les femmes qui demandent des ordonnances de protection doivent avoir à un avocat;

 

            •           il faut des semaines pour obtenir une ordonnance de protection;

 

            •           en raison de la corruption qui imprègne le système, c’est toujours à la victime qu’il appartient de demander une ordonnance de protection et de payer un représentant de la Cour pour obtenir qu’elle soit délivrée;

 

            •           si l’ordonnance de protection est transgressée, la victime doit s’adresser de nouveau au tribunal, non à la police, en apportant elle-même la preuve de la transgression;

 

            •           il appartient au juge de décider s’il convient d’engager des poursuites civiles ou pénales pour violation d’une ordonnance de protection, de telle sorte que le résultat du recours de la victime pourrait n’être qu’une légère amende; et

 

            •           le système judiciaire mexicain est surchargé, les affaires de violence au foyer ne sont pas prises au sérieux, et les procédures aboutissent rarement devant les juridictions criminelles étant donné qu’elles doivent être introduites par un procureur après qu’il a été saisi de l’affaire par la police.

 

[26]           La demanderesse dit aussi que la Commission a commis une erreur en ne se référant pas à un rapport d’Amnistie Internationale, qui confirmait en grande partie l’analyse du professeur Zepeda Lecouna, de même qu’à un article de 2009 d’Amnistie Internationale intitulé « Mexique : Échec de la loi visant à protéger les femmes », où l’on pouvait lire que la nouvelle loi « n’a eu aucun effet depuis son adoption, il y a deux ans ».

 

[27]           La demanderesse fait aussi observer que, même si la Commission s’est fondée sur les lois en vigueur au Mexique susceptibles d’aider les femmes dans sa situation, elle a admis qu’il fallait encore les appliquer. Cette preuve ne contredisait pas le témoignage de la demanderesse selon lequel les autorités n’avaient pas véritablement donné suite à ses plaintes d’abus.

 

[28]           Finalement, la Commission s’attendait manifestement à ce que la demanderesse, étudiante en droit, soit mieux placée que d’autres victimes de violence au foyer pour obtenir de l’État une protection suffisante. La demanderesse soutient que, en énonçant une telle hypothèse, la Commission n’a pas tenu compte des facteurs contextuels de sa situation, comme l’y obligeaient les Directives (données par la présidente) concernant la persécution fondée sur le sexe, et comme l’y obligeaient aussi les facteurs sociaux, culturels, religieux et économiques. La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en évoquant uniquement ses qualifications professionnelles, sans tenir compte de sa situation personnelle de femme violentée ayant la charge de deux jeunes enfants.

 

[29]           À mon avis, la Commission ne s’est pas posé la question fondamentale : la demanderesse a‑t‑elle montré, par une preuve claire et convaincante, qu’il y avait une possibilité raisonnable qu’elle soit persécutée si elle était renvoyée au Mexique? La Commission a accepté que la demanderesse n’avait pu convaincre la police ou les tribunaux de la protéger. Mais elle a évoqué d’autres voies de recours qui semblaient accessibles – par exemple des plaintes à d’autres organismes, et le recours à des lois non appliquées. Mais, compte tenu en particulier de la preuve documentaire contredisant la conclusion de la Commission, il restait la question de savoir si ces recours possibles auraient véritablement changé le cours des choses.

 

[30]           Selon moi, la demanderesse a présenté une preuve claire et convaincante de l’absence d’une protection de l’État. D’ailleurs, la Commission a admis la majeure partie de cette preuve. Cependant, elle a jugé que la demanderesse n’avait pas, malgré cela, réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État parce qu’elle aurait pu en faire davantage. À mon avis, cette conclusion ne tenait pas compte de la preuve soumise à la Commission, une preuve qui montrait la difficulté d’obtenir de l’État une protection au Mexique et l’évidente inefficacité de lois bien intentionnées qu’il restait encore à appliquer. La Commission ne saurait conclure que le demandeur d’asile ne s’est pas acquitté de la charge de la preuve sans tenir compte de la preuve documentaire qui confirme le récit qu’il a donné.

 

[31]           Je suis donc d’avis que la conclusion de la Commission était déraisonnable, compte tenu des faits et des éléments de preuve qu’elle avait devant elle.

 

V.        Conclusion et dispositif

 

[32]           Je suis d’avis que la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse n’avait pas établi qu’elle ne pouvait obtenir de l’État une protection est déraisonnable. Ce n’est pas là une issue justifiable, compte tenu des faits et compte tenu du droit applicable. Je dois donc faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué. Les parties ne m’ont pas proposé de question de portée générale à certifier, et aucune n’est énoncée ici.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué est ordonnée.

2.                  Aucune question de portée générale n’est énoncée.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


Annexe

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

Définition de « réfugié »

 

  96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Immigration and Refugee Protection Act, S.C. 2001, c. 27

 

Convention refugee

 

  96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5050-10

 

INTITULÉ :                                       PALOMINO

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge O’Reilly

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 2 septembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patricia Wells

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Neal Samson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Patricia Wells

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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