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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110908


Dossier : IMM-1164-11

Référence : 2011 CF 1060

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

LAKHWINDER KAUR DHILLON

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET
DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision datée du 1er février 2011 par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a confirmé la décision d’un agent des visas qui a rejeté la demande de la demanderesse en vue de parrainer son époux vivant en Inde, Harpreet Singh Khangura, en tant que personne appartenant à la catégorie du regroupement familial, parce que, selon cet agent, le mariage avait été conclu de mauvaise foi, ce qu’interdit l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement)

 

LES FAITS

Le contexte

[2]               La demanderesse est résidente permanente du Canada, et elle est arrivée au pays en 2007 à titre de personne parrainée par son actuel ex-époux. Son répondant et elle ont divorcé le 5 février 2009.

[3]               La demanderesse a déclaré avoir rencontré son présent époux par l’intermédiaire de la tante maternelle de ce dernier, une femme avec laquelle elle avait travaillé et à qui elle avait mentionné qu’elle était à la recherche d’un époux. À la suite de cette conversation, et durant tout le mois de septembre 2009, les familles de la demanderesse et de son époux ont commencé à faire des recherches l’une sur l’autre. Décidant que les deux étaient bien assortis, elles se sont échangé des photographies le 30 septembre 2009. Les deux intéressés se sont rencontrés en personne le 4 décembre 2009 et c’est à ce moment que les détails du mariage ont été réglés.

[4]               La cérémonie de fiançailles a eu lieu le 9 décembre 2009, et celle du mariage le 10 décembre suivant, en Inde. À la réception de mariage étaient présents 250 invités. Après le mariage, les époux ont fait un voyage d’un jour à Chandigarh.

[5]               La demande de parrainage comprenait des photographies des fiançailles des époux, des diverses cérémonies qui avaient eu lieu dans le cadre de la célébration du mariage, ainsi que du voyage d’un jour.

[6]               La demanderesse est rentrée au Canada le 18 janvier 2010, et elle a présenté une demande de parrainage au mois de mars.

[7]               Le 22 mai 2010, la demanderesse est retournée en Inde en vue de rendre visite à son époux, et ce, pour une période de deux mois. C’est durant ce temps, a-t-elle déclaré, qu’elle est tombée enceinte de l’enfant de son époux.

[8]               La demanderesse et son époux ont été interrogés au sujet de la demande de parrainage le 28 mai 2010. Ce jour-là, l’agent des visas a rejeté leur demande. Il a conclu que le mariage n’était pas authentique et qu’il avait été contracté principalement en vue d’acquérir un statut ou un privilège sous le régime de la Loi. Cette conclusion reposait sur les motifs suivants :

a.       les parties n’ont pas paru être compatibles d’après les conditions habituellement appliquées dans les mariages arrangés, et elles n’ont pu expliquer pourquoi leur mariage avait été arrangé en dépit de leur incompatibilité. En particulier, l’agent a déclaré que les facteurs suivants témoignaient d’un manque de compatibilité selon les normes traditionnelles :

                                                               i.      dans les mariages qui sont arrangés au sein de la collectivité de la demanderesse, [traduction] « il est préférable que le futur époux soit âgé de 4 à 7 ans de plus que la future épouse. Votre répondante est toutefois plus âgée que vous »;

                                                             ii.      la demanderesse est divorcée, tandis que son époux ne s’est jamais marié. L’agent des visas a déclaré : [traduction] « Les parents n’arrangeraient habituellement pas le mariage de leur fils aîné, jeune et célibataire, avec une divorcée plus âgée »;

b.      le mariage semble avoir été réglé à la hâte, plutôt qu’à la suite des [traduction] « longues négociations » qui sont plus répandues dans la collectivité de la demanderesse. De plus, comme cette dernière était déjà divorcée, l’agent a conclu qu’elle aurait été plus prudente au sujet du choix de son deuxième époux si elle avait eu l’intention de rester mariée avec lui;

c.       l’agent a eu l’impression que les photographies de la cérémonie de mariage manquaient de naturel, et que la cérémonie avait été organisée [traduction] « simplement pour que des photographies soient prises » en vue de répondre aux besoins de la demanderesse;

d.      l’époux de la demanderesse a déclaré que les deux étaient seuls lors de leur lune de miel, mais il a plus tard [traduction] « admis » que de nombreux autres membres de la famille les avaient accompagnés. Il a présumé que l’époux avait tenté de [traduction] « [l’]induire en erreur »;

e.       les photographies des époux réunis ne donnent pas l’impression que les deux sont à l’aise l’un avec l’autre;

f.        l’époux manquait de connaissances au sujet de la demanderesse.

[9]               L’agent des visas a également conclu que l’époux de la demanderesse n’était pas un témoin digne de foi. Il a déclaré que ce dernier n’avait pas répondu de manière franche aux questions qui lui avaient été posées à l’entrevue. Il s’est particulièrement soucié des contradictions manifestes qui suivent, dans le témoignage de l’époux de la demanderesse :

a.       il a déclaré que son épouse était venue seule du Canada pour le mariage, mais la demanderesse a déclaré que sa tante maternelle et la famille de sa tante l’avaient accompagnée dans ce voyage;

b.      il a semblé ne pas connaître grand-chose au sujet de la femme chez qui vit la demanderesse (par exemple, les noms de l’époux et des enfants de cette femme), mais, en fait, les propriétaires de la maison ont un lien avec lui : l’époux est [traduction] « l’oncle paternel le plus jeune de l’époux de la tante maternelle »;

c.       il a déclaré que le couple était parti seul en lune de miel, alors qu’en fait d’autres membres de la famille les avaient accompagnés.

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[10]           La demanderesse a témoigné en personne devant la Commission, et son époux l’a fait au téléphone.

[11]           Dans sa décision, la Commission a d’abord passé en revue les doutes que l’agent des visas a soulevés, et elle les a résumés comme suit :

a.       la demanderesse est plus âgée que son époux et a déjà été mariée;

b.      le mariage a été contracté à la hâte;

c.       le couple semblait poser pour les photos du mariage, et celles prises après le mariage sentaient la mise en scène et n’étaient pas révélatrices d’un mariage authentique;

d.      les deux n’étaient pas seuls lors de leur lune de miel;

e.       l’époux avait peu de connaissances sur la demanderesse;

f.        l’époux manquait de crédibilité.

[12]           La Commission a déclaré qu’elle ne souscrivait pas aux doutes émis par l’agent des visas quant aux âges relatifs des époux ou quant à la légitimité des photographies prises après le mariage.

[13]           La Commission a tout d’abord traité de la question de l’authenticité du mariage. Elle a conclu que le témoignage de chacun des témoins était « généralement cohérent », mais que la demanderesse n’avait « pas réussi à concilier » certaines des déclarations que son époux avait faites à l’agent des visas avec le témoignage qu’ils faisaient devant la Commission. Cette dernière a cité un extrait d’une autre décision de la Commission, dans laquelle il était dit que la déposition d’un témoin lors d’une audience doit concorder non seulement avec la déposition elle‑même mais aussi avec les déclarations antérieures et les documents figurant dans le dossier.

[14]           En particulier, la Commission a attiré l’attention sur les aspects contradictoires suivants qui ont été relevés dans le témoignage fait devant la Commission et devant l’agent des visas :

a.       Lors de l’entretien avec l’agent des visas, l’époux de la demanderesse a semblé ignorer la relation qu’il y avait entre lui-même et les propriétaires de la maison où vivait la demanderesse (il n’a pas fait état de la relation et a déclaré qu’il ignorait le nom de l’époux de la propriétaire ou si elle avait des enfants). La Commission a interrogé la demanderesse sur ce fait, et celle-ci a témoigné qu’elle a pris connaissance de la relation le 30 août 2009, quand les discussions relatives au mariage ont débuté, mais qu’elle n’en avait pas discuté avec son époux avant l’entretien. La Commission a interrogé l’époux de la demanderesse sur le sujet, et il a déclaré que lui aussi avait pris connaissance de la relation le 30 août 2009 et « [t]enu d’expliquer pourquoi il n’avait pas mentionné cela à l’agent des visas, il a indiqué que l’agent ne lui avait jamais posé la question ». La Commission a jugé cette explication peu crédible, à cause de l’échange dans lequel des questions avaient été expressément posées à l’époux sur la propriétaire de la maison où vivait la demanderesse. La Commission a conclu que la véritable raison pour laquelle l’époux n’avait pas mentionné ce lien était la suivante :

Il est beaucoup plus probable que le demandeur tentait de camoufler ce lien parce qu’il craignait que l’agent des visas considère cela comme un motif, autre que le mariage, pour immigrer au Canada.

b.      L’époux a déclaré à l’agent des visas que la demanderesse était arrivée en Inde seule quand ils se sont rencontrés pour la première fois. En fait, cependant, elle était arrivée en Inde en compagnie de la tante de son époux et de la famille de cette dernière. Interrogé par la Commission sur cette contradiction, l’époux a déclaré qu’il avait mal saisi la question de l’agent des visas et avait pensé que ce dernier parlait du voyage plus récent que la demanderesse avait fait en Inde en 2010. La Commission a rejeté cette explication :

L’échange qui précède renvoie clairement au séjour au cours duquel a eu lieu le mariage, et il est plus probable que l’explication soit un effort pour justifier des renseignements fournis à l’agent des visas qui pourraient, autrement, être considérés comme une tentative de camoufler la relation étroite entre l’appelante et la tante maternelle du demandeur avant le mariage.

c.       L’époux a refusé à maintes reprises de dire à l’agent des visas que la demanderesse et lui avaient fait leur lune de miel en compagnie d’autres parents. Interrogé sur ses réponses, il est lentement ressorti que s’étaient joints au couple, lors de sa lune de miel, la tante de l’époux, son époux et leurs trois enfants (les mêmes membres de la famille qui avaient pris l’avion pour l’Inde en compagnie de la demanderesse), ainsi que leurs beaux-parents. Interrogé sur la raison pour laquelle il n’avait pas révélé cette information, l’époux a déclaré que la question l’avait embrouillé car la demanderesse et lui avaient rencontré les autres membres de la famille au lieu de destination de leur lune de miel, mais qu’ils n’avaient pas voyagé avec eux depuis leur domicile. La Commission a rejeté cette explication :

Ce dernier n’avait manifestement pas été franc avec l’agent des visas en ce qui concerne les personnes qui avaient accompagné l’appelante et lui durant le séjour après le mariage, et il n’a pas réussi à camoufler le fait que ses proches les accompagnaient.

[15]           La Commission a également relevé certaines contradictions entre les témoignages des deux personnes :

a.       l’époux de la demanderesse a déclaré que cette dernière et lui s’étaient parlé au téléphone le 30 août 2009, et une fois de plus le 30 septembre 2009, quand ils avaient convenu de se marier. La demanderesse a cependant déclaré qu’ils ne s’étaient parlé qu’une fois seulement, le 30 août 2009, et qu’ils avaient échangé des photographies le 30 septembre suivant. Elle a déclaré que le 30 septembre, les parents des époux avaient convenu de l’arrangement, mais elle n’a pas dit que les époux eux-mêmes s’étaient entendus à cette date-là;

b.      la demanderesse n’a pas « expliqué de façon crédible » pourquoi elle n’avait pas fait de démarches pour adopter le nom de son nouvel époux, plutôt que de garder celui de son ex-époux;

c.       la demanderesse n’a pas pu dire à la Commission ou au ministre grand-chose sur son époux lors de leur interrogatoire – elle a « répondu vaguement aux questions sur ce sujet et savait peu de choses sur le demandeur ».

[16]           De plus, en dépit du fait d’avoir signalé les témoignages « généralement cohérents » des deux témoins, la Commission a conclu que leurs propos étaient « vagues et généraux » et que, de ce fait, la cohérence revêtait moins d’importance :

¶11.     Je constate que les témoignages de l’appelante et du demandeur étaient généralement cohérents, mais que leurs propos étaient vagues et généraux. Les réponses de chaque partie ressemblaient habituellement aux messages suivants : [traduction] « nous avons discuté de tout notre passé » et [traduction] « nos parents vérifiaient tout », sans jamais fournir de détails sur ce que [traduction] « tout » englobait. L’appelante et le demandeur possédaient très peu de connaissances l’un sur l’autre, mis à part des détails remarquables sur des préférences musicales et sur le fait que l’appelante a un faible pour le saag (plat aux épinards) et les rôtis à la farine de maïs. J’ai eu l’impression que les efforts déployés par le conseil durant le contre‑interrogatoire pour obtenir des précisions ou un témoignage qui auraient permis de conclure à un niveau important de connaissance sur l’autre partie ont été neutralisés à dessein. Pour reprendre les termes de la commissaire Workun, les « réserves sur des points précis » figurant dans la lettre de refus n’ont pas été « élucidés directement par une preuve cohérente et concluante ». De plus, même si l’on fait abstraction de la lettre de refus, l’appelante avait l’occasion de livrer un témoignage détaillé et spontané sur des faits importants qui aurait permis d’établir que le couple avait un niveau de connaissance conforme au niveau de contact et de soutien auquel on pourrait s’attendre dans le cas d’un mariage authentique.

[17]           La Commission a relevé les facteurs suivants qui étayent une prétention selon laquelle le mariage est authentique :

a.       la demanderesse a séjourné environ cinq semaines en Inde dans le cadre du voyage au cours duquel elle s’est mariée, et elle y est retournée pour deux mois peu après;

b.      la demanderesse est enceinte;

c.       il y avait « des photos, des relevés d’appels téléphoniques, des virements d’argent et d’autres documents fournis à titre d’éléments de preuve [qui] appuient dans une certaine mesure l’authenticité du mariage ».

[18]           La Commission a reconnu que la grossesse « est un facteur que le tribunal doit prendre en compte ». Elle a toutefois conclu que les doutes qu’elle avait au sujet de la crédibilité du témoignage de l’époux amoindrissaient la valeur de ce facteur :

¶13.     […] Vu les préoccupations liées à la crédibilité à l’égard des éléments de preuve dont je suis saisi, la preuve de l’authenticité du mariage et, plus particulièrement, du fait que l’appelante soit enceinte du demandeur, n’a pas été établie selon la prépondérance des probabilités.

[19]           La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas prouvé selon la prépondérance des probabilités que le mariage était authentique.

[20]           Deuxièmement, la Commission a traité du critère relatif à « l’objectif principal ». Elle a indiqué que les réponses que l’époux avait données aux questions de l’agent des visas montraient que son objectif principal était d’obtenir un statut ou un privilège sous le régime de la Loi :

¶14.     […] je constate que le demandeur a bel et bien des attaches familiales au Canada et que, selon le témoignage dont j’ai été saisi, il travaillera en construction avec son oncle, s’il est admis au Canada. Il semble que le témoignage évasif du demandeur durant l’entrevue avec l’agent des visas visait à camoufler un lien de parenté qui aurait pu amener l’agent des visas à conclure que son objectif principal était d’immigrer au Canada. À la lumière de tous les éléments de preuve qui m’ont été présentés, je conclus que l’appelante n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que le mariage ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

 

lES DISPOSITIONS LÉGALES applicableS

[21]           L’article 117 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 définit quels étrangers peuvent être considérés comme membres de la catégorie du regroupement familial :

117. (1) Appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu’ils ont avec le répondant les étrangers suivants :

 

a) son époux, conjoint de fait ou partenaire conjugal;

[…]

 

117. (1) A foreign national is a member of the family class if, with respect to a sponsor, the foreign national is

 

 

(a) the sponsor's spouse, common-law partner or conjugal partner;

 

[22]           L’article 4 du Règlement indique qu’un étranger n’est pas considéré comme un époux si le mariage n’est pas authentique ou vise principalement l’acquisition du statut d’immigrant :

4. (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

 

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

 

b) n’est pas authentique.

 

[…]

4. (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

 

 

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

 

(b) is not genuine.

 

...

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[23]           La demanderesse soulève les questions suivantes :

a.       La Commission est-elle arrivée à une conclusion déraisonnable en décidant que la demanderesse n’avait pas prouvé selon la prépondérance des probabilités qu’elle était enceinte de l’enfant de son époux?

b.      La Commission a-t-elle fait abstraction d’un « fait très important » en rendant sa décision?

 

LA norme de contrôle APPLICABLE

[24]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a conclu, au paragraphe 62, que, dans le déroulement du processus de contrôle judiciaire, la première étape consiste à « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » (voir aussi Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, le juge Binnie, au paragraphe 53).

[25]           Les questions relatives à la crédibilité et à l’authenticité d’un mariage sont des questions de fait qu’il convient de trancher selon la norme de la raisonnabilité : voir, par exemple, les décisions que j’ai rendues dans les affaires Akinmayowa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 171, au paragraphe 18, et Yadav c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 140, au paragraphe 50, ainsi que les décisions qui y sont citées.

[26]           En contrôlant la décision de la Commission selon la norme de la raisonnabilité, la Cour examine si « [l]e caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59.

ANALYSE

Question no 1 : La Commission est-elle arrivée à une conclusion déraisonnable en décidant que la demanderesse n’avait pas prouvé selon la prépondérance des probabilités qu’elle était enceinte de l’enfant de son époux?

[27]           La demanderesse soutient que la Commission n’a pas reconnu l’importance qu’il convenait d’attribuer à sa grossesse. Citant Gill c. Canada (Citoyenneté Immigration), 2010 CF 122, elle allègue que les conséquences d’une conclusion erronée quant à l’authenticité du mariage seront « catastrophiques pour la famille », surtout lorsqu’il y a un enfant dont il faut tenir compte.

[28]           La demanderesse soutient que la Commission a conclu de manière déraisonnable que l’enfant n’était pas celui de son époux. Elle a déclaré sous serment que son époux était le père de l’enfant. Elle a déclaré qu’elle était tombée enceinte lors de la visite qu’elle avait faite à son époux, et elle a même dit la date à laquelle l’enfant avait été conçu. Ce témoignage n’a jamais été contesté.

[29]           De plus, la demanderesse soutient que les motifs de la Commission ne justifient pas que l’on doute de la crédibilité de son témoignage – ces motifs traitent surtout des doutes de la Commission à propos du témoignage de son époux. Les seuls doutes que la Commission a évoqués au sujet du témoignage de la demanderesse étaient que cette dernière n’avait pas expliqué de manière crédible pourquoi elle n’avait pas changé son nom, que son témoignage différait de celui de son époux au sujet de la fréquence avec laquelle ils s’étaient entretenus au téléphone avant de se rencontrer, et que ses propos, dans son témoignage, avaient été « vagues et généraux ».

[30]           La demanderesse soutient qu’aucun de ces motifs ne suffit pour justifier une conclusion générale de manque de crédibilité de sa part.

[31]           Le défendeur est d’avis qu’il convient d’accorder aux conclusions de la Commission en matière de crédibilité un degré de déférence fort élevé, qui doit subsister même si d’autres peuvent être arrivés à une conclusion différente en se fondant sur la preuve. Il soutient que les doutes de la Commission au sujet de la crédibilité de la demanderesse n’étaient pas insignifiants; la Commission a plutôt conclu que les problèmes que posait le témoignage de la demanderesse et le caractère généralement vague des réponses des deux témoins étaient des tentatives qu’ils faisaient pour éviter de donner des détails qui trahiraient le fait que leur récit était inventé. Au vu de ces doutes, il était loisible à la Commission selon le défendeur de conclure que la demanderesse n’avait pas prouvé la paternité de l’enfant selon la prépondérance des probabilités.

[32]           La Cour est d’accord avec la position de la demanderesse. Elle conclut que la décision Gill, précitée, porte précisément sur cette question. Dans cette affaire, le juge Barnes a conseillé à la Commission de faire preuve de diligence au moment d’évaluer l’authenticité d’une relation conjugale :

¶6.       Lorsque la Commission se penche sur l’authenticité d’un mariage en vertu du paragraphe 63(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, elle doit faire preuve d’une grande prudence parce que les conséquences d’une erreur seraient catastrophiques pour la famille. Cela s’avère particulièrement évident lorsque la famille compte un enfant né de la relation. La tâche de la Commission n’est pas aisée, car il peut être difficile d’évaluer l’authenticité des relations personnelles de l’extérieur. Des comportements qui peuvent sembler suspects de prime abord peuvent avoir une explication ou une interprétation simple. Par exemple, en l’espèce l’agent a noté que les photos du mariage avaient un air emprunté et que les parties semblaient mal à l’aise. Évidemment, une réponse simple serait que presque toutes les photos de mariage ont un caractère emprunté et que, dans le contexte d’un mariage arrangé, il faut s’attendre à une certaine gêne. La naissance subséquente d’un enfant devrait normalement dissiper toute préoccupation de ce genre. De même, en ce qui a trait au doute de la Commission du fait que Mme Gill s’est empressée de se marier à nouveau, il se peut que son divorce ait considérablement réduit ses chances d’un nouveau mariage. 

[33]           En l’espèce, la Commission n’a pas mis en doute l’existence de l’enfant – la demanderesse avait présenté des documents médicaux et, manifestement, elle était aussi enceinte. La Commission a dit douter de la paternité de l’enfant. La Cour convient avec la demanderesse que, dans sa décision, la Commission n’a pas fait état de motifs suffisants pour douter du témoignage de la demanderesse selon lequel c’était son époux qui était le père de l’enfant. La demanderesse a fourni une preuve de la grossesse et de la date d’accouchement, et elle a également fourni une preuve qu’elle se trouvait en compagne de son époux en Inde au cours de la période pertinente. Il n’y avait aucune preuve de l’existence d’une autre relation qu’elle aurait pu avoir entretenue à cette époque. Même s’il est loisible à la Commission de mettre en doute des aspects tels que la paternité d’un enfant, il faut qu’elle fournisse des motifs pour que les deux parties ainsi qu’un tribunal de contrôle puissent saisir comment elle est arrivée à cette conclusion. Dans le cas présent, les motifs de la Commission sont simples : elle n’était pas d’avis que les témoins étaient dignes de foi.  La conception de l’enfant de la demanderesse coïncidait exactement avec le moment où celle-ci faisait son second voyage en Inde pour rendre censément visite à son nouvel époux. De ce fait, la Cour se doit de conclure que les motifs pour lesquels la Commission a dit douter de la paternité de l’enfant de la demanderesse n’étaient pas raisonnables, ou du moins pas expliqués adéquatement.

 

Question no 2 : La Commission a-t-elle fait abstraction d’un « fait très important » en rendant sa décision?

[34]           La demanderesse soutient que la Commission n’a pas tenu compte de la grossesse au moment de rendre sa décision. Elle ajoute que, comme il est dit dans la décision Gill, précitée, le fait de ne pas prendre convenablement en compte la présence d’un enfant issu de la relation est une erreur fatale.

[35]           Le défendeur est d’avis que la Commission a bel et bien tenu compte de la grossesse de la demanderesse, mais qu’elle a simplement conclu que cette grossesse ne prévalait pas sur les autres contradictions et divergences qu’elle avait relevées dans la preuve. Il cite deux décisions de la Cour à l’appui de la thèse selon laquelle [traduction] « la simple existence d’un enfant n’établit pas en soi l’authenticité d’un mariage ». La Cour convient que l’enfant issu de la relation n’établit pas en soi que le mariage est authentique et n’a pas été contracté principalement dans le but d’acquérir le statut d’immigrant.

[36]           Cependant, la Cour convient aussi avec la demanderesse que la Commission s’est fondée sur sa conclusion de fait déraisonnable au sujet de l’identité du père de l’enfant. C’est donc dire que la Commission n’a pas analysé si l’existence de l’enfant l’emportait sur les doutes qu’elle avait au sujet de la crédibilité.

 

CONCLUSION

[37]           Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

[38]           Aucune question n’est certifiée.

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.         La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.         La décision que la Commission a rendue en date du 1er février 2011 est annulée et l’affaire renvoyée à un autre tribunal de la Commission pour nouvel examen.

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1164-11

 

INTITULÉ :                                       LAKHWINDER KAUR DHILLON

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 1ER SEPTEMBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 8 SEPTEMBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher Elgin

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sarah-Dawn Norris

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Elgin, Cannon and Associates

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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