Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

 Date : 20110829


Dossier : IMM-5637-10

Référence : 2011 CF 1025

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 août 2011

En présence de madame la juge Gauthier

 

ENTRE :

 

ZAFAR IQBAL

WAJIA PARVEEN

USMAN ZAFAR IQBAL

FILZA IQBAL ZAFAR

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Wajia Parveen (demanderesse principale), son époux, Zafar Iqbal, et leurs deux enfants[1] sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, de rejeter leur demande en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

 

Le contexte

[2]               Pour des raisons qui deviendront évidentes plus loin, la Cour estime devoir faire un examen assez approfondi du récit des demandeurs.

 

[3]               Les quatre demandeurs sont citoyens du Pakistan, plus précisément de l’Azad‑Cachemire, région sous contrôle pakistanais. La demanderesse principale est la deuxième épouse de Zafar Iqbal. La première femme de M. Iqbal et leurs deux filles demeurent au Pakistan.

 

[4]               La demanderesse principale est travailleuse sociale[2]. En cette capacité, elle travaille à promouvoir le développement rural et les services sociaux pour les femmes dans l’Azad‑Cachemire, en particulier dans le district de Bagh. Elle a terminé sa formation en service social en 1989 et a été très active dans ce domaine pendant plus de dix ans avant de fonder, en 2000, une association pour les femmes de l’Azad‑Cachemire (appelée ci‑après « A.K. »). L’implication de Mme Parveen à promouvoir le bien‑être des femmes lui a valu une grande reconnaissance; elle a notamment reçu le Presidential Award le 23 mars 2000, qu’elle décrit comme la plus haute distinction décernée dans l’Azad‑Cachemire (dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP), dossier certifié du tribunal (DCT), page 56). Durant cette période et jusqu’à la survenue, en 2008, des événements décrits plus loin, la demanderesse principale semble avoir été fréquemment harcelée et humiliée en raison de son travail. Ce ne serait toutefois qu’en mai ou juin 2008 que les incidents ont commencé à constituer de la persécution, selon elle.

 

[5]               La demanderesse principale a rencontré son époux en 1999 et s’est mariée avec lui le 30 décembre 2000 avec le consentement exprès de la première épouse. Elle avait exprimé clairement à ce moment‑là que l’une des conditions du mariage était qu’elle puisse poursuivre son travail au sein de l’A.K.

 

[6]               Zafar Iqbal vient également du district de Bagh, mais il est parti et a travaillé à l’extérieur du Pakistan pendant de nombreuses années avant 2008, c’est‑à‑dire à partir de 1991, peu de temps après son mariage arrangé avec une femme qui lui a donné trois enfants (un fils et deux filles), mais avec qui la relation n’a jamais fonctionné. À l’audience, M. Iqbal a expliqué qu’il n’avait pas divorcé de sa première épouse en raison du déshonneur associé au divorce au Pakistan, surtout dans le système tribal. Il s’est simplement séparé d’elle et a continué de subvenir à ses besoins et à ceux des enfants jusqu’à ce qu’il parte au Canada[3].

 

[7]               Il semble que le frère de la première épouse de M. Iqbal, Tahir Nazir, se soit opposé au second mariage. Cet élément du récit, cependant, n’a pas été approfondi durant l’audience et la raison de cette opposition est loin d’être claire (par exemple, était-ce en raison des activités ou du statut de Mme Parveen?).

 

[8]               Quoi qu’il en soit, en mai 2002, la demanderesse principale a obtenu un visa de résident temporaire aux Émirats arabes unis et est allée rejoindre son époux qui travaillait là‑bas, étant entendu cette fois encore qu’elle retournerait souvent au Cachemire poursuivre son travail en service social.

 

[9]               Pendant que la demanderesse principale et son époux se trouvaient aux Émirats arabes unis, la première épouse de M. Iqbal les a prévenus que M. Nazir avait inscrit Usman dans une madrassa. Craignant qu’Usman se fasse endoctriner par le Jihad, et avec le consentement de ses deux épouses, M. Iqbal a emmené son fils aux Émirats arabes unis en septembre 2003. Cette intervention aurait exacerbé la colère de M. Nazir, qui a envoyé au demandeur des messages de menace dans lesquels il promettait de se venger[4].

 

[10]           Outre ces menaces de M. Nazir, le couple semble n’avoir éprouvé aucun problème particulier jusqu’en 2005.

 

[11]           Le 8 octobre 2005, l’Azad‑Cachemire a été dévasté par un terrible séisme. La demanderesse principale et son époux y sont retournés pour participer aux opérations de secours et être avec leurs proches, ayant perdu beaucoup de membres de leur famille dans la catastrophe. Il est bien documenté que les organisations extrémistes religieuses participant aux travaux de secours et de reconstruction après le sinistre en ont profité pour s’attirer la faveur du public. Selon la demanderesse principale, une organisation particulièrement active dans sa région était l’Awami Action Forum (AAF), qui était dirigée par le mollah responsable de la mosquée située près de la maison de sa mère, à Bagh.

 

[12]           Il semblerait que ces organisations s’opposaient fortement à ce que les femmes participent aux efforts de secours et de reconstruction. En plus de voler du travail aux hommes sans emploi, il était jugé [traduction] « anti-islamique » que les femmes travaillent aux côtés des hommes.

 

[13]           Probablement par l’intermédiaire de l’A.K.,  la demanderesse principale a travaillé avec les organisations non gouvernementales (ONG) pendant un mois environ avant de retourner aux Émirats arabes unis.

 

[14]           Signalons qu’une coupure de journal présentée à la SPR indique que le mollah à la tête de l’AAF aurait menacé de réagir si l’Organisation des Nations Unies (ONU) continuait d’engager des femmes pour travailler aux côtés des hommes, un comportement jugé obscène par les extrémistes religieux. Toujours selon la preuve documentaire, un porte‑parole de l’ONU a déclaré que son organisation et d’autres ONG avaient temporairement cessé leurs activités parce que la situation était devenue [traduction] « trop périlleuse », après qu’un incendie eut détruit la maison de l’un des secouristes[5].

 

[15]           Il convient de souligner que la demanderesse principale se trouvait à Bagh de janvier à juin 2007. À la fin octobre 2007, après avoir passé quelques mois aux Émirats arabes unis, elle est retournée à Bagh avec sa fille. Elle y est restée jusqu’à son départ pour le Canada en juin 2008.

 

[16]           Au début de 2007, M. Iqbal a eu un conflit avec son beau‑frère au sujet de leur entreprise commune aux Émirats arabes unis[6]. La dispute n’ayant pu être résolue, il a décidé de mettre fin au partenariat et a cherché un autre emploi pendant quelques mois après que la demanderesse principale soit retournée au Cachemire à la fin d’octobre 2007. N’ayant pas réussi à trouver du travail parce que son beau‑frère refusait de lui remettre un document exigé par les employeurs éventuels, M. Iqbal et son fils sont retournés à Bagh le 10 décembre 2007. Peu de temps après, il a ouvert une quincaillerie à cet endroit.

 

[17]           M. Iqbal a témoigné qu’à son retour à Bagh, il avait perdu le soutien de son beau‑frère (le mari de sa sœur) et de ses autres cousins, ces derniers ayant pris la part du beau‑frère lors du conflit d’affaire. Il semble que le beau‑frère en question et M. Nazir ont reproché à la demanderesse principale d’exercer une mauvaise influence sur son époux, en ce qui a trait, notamment, aux opinions anti‑islamiques perçues par M. Nazir (parce que le demandeur a refusé d’envoyer son fils à la madrassa) et à la querelle familiale. Il semble aussi qu’en février 2008, M. Nazir a de nouveau emmené Usman à la madrassa[7]. M. Iqbal est intervenu et lui a demandé d’arrêter.

 

[18]           Selon les demandeurs, M. Nazir s’est servi du travail effectué par la demanderesse principale après son retour et le refus de son mari d’envoyer son fils à la madrassa pour convaincre le dirigeant de l’AAF, le mollah du village des demandeurs, d’intervenir et d’obliger la demanderesse à cesser ses activités [traduction] « anti‑islamiques ». Les demandeurs ont également témoigné que M. Nazir était connu pour avoir des liens avec des organisations non identifiées affiliées au Jihad. Il portait soi‑disant [traduction] « la grosse barbe et tout le reste »[8], une caractéristique de ces extrémistes.

 

[19]           La demanderesse principale a mentionné qu’elle était très impliquée auprès des femmes de la région pour les encourager à défendre leurs droits et à contribuer davantage au développement de la région dévastée par le tremblement de terre. Elle leur disait, entre autres, qu’il fallait consacrer une plus grande part des fonds de secours à des projets tels que la reconstruction de l’école des filles de la région, alors que l’argent allait presque en totalité à la construction de mosquées.

 

[20]           Il semble que, jusqu’au 26 avril 2008, la demanderesse principale a toujours subi la même forme d’intimidation et de harcèlement (voir la page 610 du DCT, par exemple). Le 26 avril 2008, ayant réussi à convaincre le mollah de la localité à la tête de l’AAF d’intervenir, M. Nazir s’est rendu au domicile des demandeurs accompagné du mollah et de quelques disciples, dans le but de réclamer que la demanderesse cesse ses activités, et surtout qu’elle arrête de parler contre les organisations religieuses. Lorsqu’elle a expliqué qu’elle essayait seulement d’attirer l’attention des gens sur les enjeux sérieux, ils l’ont menacée, ainsi que son mari, des « pires représailles ».

 

[21]           Un mois plus tard, le 25 mai 2008, M. Nazir et d’autres extrémistes se sont présentés au magasin de M. Iqbal et ont demandé pourquoi il s’opposait à envoyer son fils à la madrassa et semblait s’opposer au Jihad. La discussion a dégénéré en violence. Les hommes ont détruit le magasin. M. Iqbal aurait réussi à s’enfuir et à se rendre au poste de police pour dénoncer l’agression. La police a toutefois refusé d’enregistrer une plainte et lui a conseillé de trouver une façon de s’entendre avec ces personnes, étant donné leur influence dans la région. Après avoir discuté avec son épouse, M. Iqbal s’est enfui avec Usman à Rawalpindi, où vivait l’une des sœurs de la demanderesse principale. Le jour suivant, le même groupe s’est présenté au domicile de la demanderesse principale pour savoir où se trouvait son mari. Ils l’ont menacée, disant que son mari allait bientôt [traduction] « connaître sa fin ». Lorsqu’il a été informé de ces menaces, M. Iqbal a décidé de quitter le Pakistan avec Usman le 30 mai 2008. Il est arrivé au Canada le 5 juin 2008 accompagné de son fils.

 

[22]           Le 2 juin 2008, la demanderesse principale a écrit une lettre qu’elle est allée remettre en personne au sous‑commissaire de police du district de Bagh. Dans cette lettre, elle résume les difficultés qui ont découlé de l’hostilité opposant M. Nazir à son époux et la façon dont M. Nazir l’a dénigrée auprès du dirigeant de l’AAF et chef spirituel de la mosquée de Bagh, l’accusant de vouloir occidentaliser et influencer les femmes de la région. Elle y relate aussi les événements d’avril et mai 2008 et demande que la police la protège contre ces extrémistes religieux. Le sous‑commissaire, qu’elle n’a apparemment pu voir qu’une quinzaine de minutes, lui a dit de donner sa lettre à son secrétaire privé après lui avoir recommandé de se calmer et d’éviter d’avoir affaire à ces personnes, [traduction] « parce qu’ils sont parrainés par le gouvernement et parrainés par l’armée ainsi que par l’ISI » (DCT, page 621).

 

[23]           La demanderesse principale a expliqué qu’elle a décidé, en mai 2008, de rester à Bagh parce que la dernière menace lui semblait ne viser que son mari, et même si elle avait peur, elle devait faire face aux difficultés parce que c’était exactement ce qu’elle encourageait les femmes de sa région à faire. Elle croyait sincèrement avoir le devoir de rester à cet endroit. C’est pour cette raison qu’elle a plutôt sollicité la protection du sous‑commissaire. N’ayant pas obtenu l’aide demandée, elle a organisé une réunion de son association dans un hôtel de Bagh le 14 juin 2008. L’un des points à l’ordre du jour était sa propre situation et ce qu’il fallait faire à ce sujet. Le mollah aurait soi‑disant entendu parler de la rencontre et une manifestation a été organisée à l’extérieur de l’hôtel; les participants criaient qu’elle essayait d’occidentaliser les femmes de la région. On lui a conseillé de quitter l’endroit par la porte arrière, ce qu’elle a fait. Plus tard ce soir‑là, un groupe, dans lequel se trouvaient M. Nazir et le chef de l’AAF, a attaqué son domicile[9], lançant des pierres et brisant des fenêtres tout en criant des menaces de mort. Les hommes ne sont pas entrés dans la maison, mais elle croit que, si elle était sortie comme ils le lui demandaient, ils l’auraient tuée. Elle dit qu’elle a réalisé à ce moment précis que la situation s’était aggravée au point où elle était maintenant considérée comme une menace pour l’AAF. Heureusement, le groupe s’est dispersé, mais elle a été avertie que, tôt ou tard, la famille connaîtrait sa fin (FRP de la demanderesse, DCT, page 59). Le matin suivant, elle est partie à Rawalpindi avec sa fille.

 

[24]           Quelques jours plus tard, sa sœur qui vivait à Bagh lui a appris qu’une manifestation contre l’A.K., organisée par le mollah, devait avoir lieu le 19 juin pour dénoncer la mentalité et les activités occidentales de la demanderesse, et pour faire interdire son association. Cette manifestation a par la suite été mentionnée dans un article de journal qui donnait également le nom de la demanderesse principale (DCT, page 400).

 

[25]           La demanderesse principale est alors partie rejoindre son époux au Canada avec sa fille. Tous les demandeurs ont demandé l’asile le jour suivant, soit le 23 juin 2008.

 

[26]           L’audience devant la SPR s’est déroulée en deux séances; la première a été consacrée presque en totalité à l’interrogatoire de la demanderesse principale par l’agent de tribunal et la SPR.

 

[27]           En ce qui a trait à l’état actuel de son association au Cachemire, la demanderesse principale s’est reportée à une lettre envoyée par sa sœur le 4 septembre 2008, qui décrit à quel point il était alors difficile, voire quasi impossible de poursuivre les activités de l’A.K. Elle a pu aussi parler de la situation plus récente parce qu’elle garde un contact téléphonique avec les personnes qui dirigent actuellement l’A.K. (sa sœur et deux femmes qu’elle a formées)[10]. Il semble que, depuis la date d’envoi de cette lettre, l’A.K. a pu survivre en ne faisant plus la promotion des idéaux que la demanderesse principale défendait lorsqu’elle était là‑bas en 2008 (surtout en ce qui a trait à la participation des femmes aux efforts de reconstruction). L’association se contente maintenant d’exploiter un dispensaire ou une clinique dans la ville de Thob, ainsi que quelques centres où l’on enseigne de nouvelles compétences aux femmes de la région. À la suite de son départ et de la manifestation contre l’A.K., quelques‑uns de ces centres auraient été fermés parce que les familles empêchaient les femmes de s’y rendre. On a aussi demandé aux bénévoles de quitter les locaux qui avaient été prêtés à l’association[11].

 

[28]           Bien que sa sœur reçoive encore des menaces, elle n’a pas été maltraitée physiquement. Cela dit, la demanderesse principale croit toujours être sur la liste noire de l’AAF parce que ce groupe s’est servi d’elle à maintes reprises comme exemple d’une conspiration occidentale. Après son départ, elle a été dépeinte comme une agente de l’Occident qui vit maintenant dans le luxe au Canada. Si elle retournait là‑bas, elle pourrait être vue comme une menace à l’autorité et au pouvoir de l’AAF, et où qu’elle aille au Pakistan, elle se ferait éliminer en raison des liens étroits qui existent entre l’AAF et d’autres organisations du Jihad, tous ces groupes bénéficiant du soutien de l’armée pakistanaise et de l’Inter-Services Intelligence (ISI). Il convient de souligner que la demanderesse principale ne sait pas si une fatwa a effectivement été lancée contre elle. Elle a confirmé qu’il n’y a aucune preuve qu’un procès‑verbal introductif (First Information Report - FIR) ou un mandat a été émis contre elle.

 

[29]           Enfin, bien que M. Iqbal ait aussi témoigné à la deuxième audience, sa déposition n’ajoute rien de plus à celle de la demanderesse principale, outre le fait que l’AAF compte parmi ses membres d’autres groupes extrémistes. De plus, lorsqu’il a été interrogé au sujet des obstacles qui l’empêcheraient de vivre dans l’une des grandes villes du Pakistan autres que l’Azad‑Cachemire, en supposant que les agents de persécution n’existent pas, il a répondu que la société était encore plus conservatrice qu’avant et que son épouse ne pourrait pas poursuivre son travail en service social. Il est également évident qu’il possédait une connaissance directe limitée des activités détaillées de l’AAF. Par exemple, interrogé à savoir si l’AAF formait des gens pour des missions‑suicides, il a émis une hypothèse et a admis volontiers que sa réponse était entièrement fondée sur ce qu’il avait appris d’autres personnes.

 

[30]           Usman, qui avait alors 18 ans, n’a témoigné à aucune audience. À cet égard, il convient de signaler que la SPR a dit plusieurs fois au conseil des demandeurs que la présence d’Usman et de sa sœur n’était pas requise à l’audience.

 

[31]           Dans sa décision, la SPR a refusé la demande d’asile pour deux motifs. Elle a d’abord souligné qu’elle n’ajoutait pas foi au récit des demandeurs en raison des contradictions, imprécisions et invraisemblances fondamentales mentionnées dans la décision, et que ces derniers ne lui semblaient donc pas crédibles. Il est expressément mentionné que cette conclusion porte un coup fatal à la demande d’asile.

 

[32]           Deuxièmement, la SPR a vérifié si les demandeurs d’asile avaient une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable et a conclu qu’il n’existait pas une possibilité sérieuse qu’ils soient persécutés ou maltraités ou qu’ils subissent une peine cruelle ou inusitée ou encore la torture, principalement parce que l’AAF et M. Nazir n’ont pas la capacité ni même l’intention de les retrouver dans une grande ville comme Karachi, sauf si les demandeurs leur disent où ils se trouvent.

 

Les questions en litige

[33]           Les demandeurs affirment que les conclusions tirées par la SPR à l’égard de la crédibilité et de la PRI sont sans fondement et déraisonnables. La norme de la décision raisonnable s’applique à la question de fait et à la question mixte de fait et de droit (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 47 et 51; Ambat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 292, [2011] A.C.F. no 377 (QL)), au paragraphe 15).

 

[34]           Bien que les demandeurs aient aussi invoqué un argument constitutionnel fondé sur les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés qui devrait, selon eux, être examiné par la Cour, ils ne m’ont présenté aucun motif valable démontrant pourquoi je ne devrais pas, par courtoisie judiciaire, appliquer le raisonnement et la conclusion du juge Pierre Blais dans Kikina Biachi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 589, 152 A.C.W.S. (3d) 498, aux paragraphes 21 à 24. J’estime donc qu’il serait prématuré d’aborder ces questions à cette étape‑ci de la procédure puisque la SPR s’est seulement penchée sur la recevabilité de la demande d’asile en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[35]           Normalement, si la Cour est convaincue que la SPR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en déterminant qu’il existe une PRI viable, elle n’a pas à se prononcer sur les autres conclusions. En l’espèce toutefois, la généralisation excessive faite à l’égard du récit des demandeurs semble avoir influencé la SPR dans son analyse de la PRI puisque, comme je l’ai mentionné, il est indiqué expressément qu’elle porte un coup fatal à la demande d’asile. En outre, elle risque certainement de priver ces demandeurs de tous les autres recours prévus par la LIPR. La Cour examinera donc les deux questions.

 

(i) La crédibilité des demandeurs et de leur récit

[36]           Les principes qui sous‑tendent l’évaluation de la crédibilité par la SPR ont été bien résumés par mon collègue, le juge Luc Martineau, dans Lubana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, [2003] A.C.F. no 162 (QL) (Lubana), aux paragraphes 7 à 14.

 

[37]           Comme l’évaluation de la crédibilité relève de la compétence de la SPR, la Cour doit se montrer particulièrement prudente dans son application de la norme de contrôle. En l’espèce, la Cour a lu et relu plusieurs fois la décision à la lumière de la preuve contenue au dossier pour éviter de substituer sa propre appréciation de la preuve à celle effectuée par la SPR et s’assurer que les conclusions du tribunal ne font réellement pas partie des issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[38]           Tel qu’il est mentionné dans Lubana, il est certainement plus aisé pour la Cour de juger du caractère raisonnable des conclusions fondées sur des invraisemblances, surtout lorsqu’elles prennent appui sur le bon sens et la raison.

 

[39]           Il convient aussi de réitérer les commentaires formulés par le juge Muldoon dans Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, [2001] A.C.F. no 1131 (QL), au paragraphe 7 :

[7] Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON, Butterworths, 1992) à la page 8.22]

 

 

[40]           Il est également un principe important voulant que, lorsque la SPR souhaite se référer à ses connaissances spécialisées, elle doit justifier en quoi ses connaissances sur un point particulier contredisent la preuve produite et donner au demandeur la possibilité de présenter des observations (article 18 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles de la SPR)). Dans la présente affaire, il ressort de la transcription que la SPR a effectivement, à au moins une occasion, soulevé un point au sujet duquel les demandeurs avaient témoigné et qui semblait contraire aux connaissances spécialisées de la Section. En effet, M. Iqbal a pu démontrer que l’impression de la SPR n’était pas exacte (voir le DCT, page 677)[12].

 

[41]           Ceci dit, et pour commencer, la SPR ne précise pas si c’est le récit en entier qui ne lui a pas paru crédible ou certaines parties seulement. La Cour se retrouve ainsi avec une tâche des plus délicates, surtout que la preuve documentaire contient des éléments particuliers dont il n’est fait aucune mention dans la décision.

 

[42]           Dans son analyse, la SPR s’intéresse d’abord à ce qui semble être les principales invraisemblances minant la crédibilité du récit des demandeurs.

 

[43]           Premièrement, elle souligne qu’il est invraisemblable que « deux demandeurs d’asile adultes aient pu attirer une telle hostilité étant donné qu’ils venaient au Pakistan de façon irrégulière ». Avant de tirer cette conclusion, la SPR a simplement calculé le temps passé par chacun des demandeurs en Azad‑Cachemire à partir de la liste des lieux de résidence jointe à leur FRP respectif. En ce qui concerne la demanderesse principale, la SPR conclut qu’entre 2002 et la date de son départ pour le Canada en 2008, elle a passé moins de deux ans au Pakistan. Ainsi, elle ne dirigeait pas l’A.K. les deux tiers du temps. Quant à son époux, il a vécu principalement à l’extérieur du Pakistan de 1995 jusqu’à son départ pour le Canada en 2008.

 

[44]           Cette conclusion est vraisemblablement fondée sur le bon sens. Néanmoins, avec tout le respect que je dois à mon collègue, il n’est pas sensé regarder le temps passé au Pakistan sans tenir compte du contexte particulier, surtout que la situation à Bagh était très instable après le séisme. La question des droits des femmes, y compris le droit de participer aux efforts de reconstruction, représentait un enjeu particulièrement explosif en 2007, comme le prouve le fait que l’ONU et d’autres ONG internationales estimaient aussi que la situation était devenue trop dangereuse.

 

[45]           Comme Mme Parveen l’a indiqué dans sa liste de lieux de résidence qui a été acceptée et utilisée par la SPR, elle se trouvait à Bagh la majeure partie de l’année 2007. Elle était une résidente bien connue, une « leader », pour reprendre le terme choisi par la SPR durant l’audience, qui défendait les mêmes idéaux que les ONG internationales. Dans ce contexte particulier, la conclusion susmentionnée n’est simplement pas raisonnable.

 

[46]           Même en ce qui concerne M. Iqbal, le temps, en soi, ne peut logiquement constituer une raison suffisante pour juger le récit invraisemblable, étant donné que la question de la madrassa couvait depuis 2002, qu’il fût physiquement présent ou non au Pakistan. Il fallait regarder la situation selon la perspective d’un extrémiste religieux, puisqu’il est accepté et incontesté que le mollah et l’AAF, qu’ils aient été violents ou non, avaient manifestement une approche conservatrice extrêmement religieuse, tout comme M. Nazir. Ce fait n’est pas réfuté par la SPR; il constitue même le fondement des autres conclusions d’invraisemblance tirées à l’égard de M. Iqbal, sur lesquelles je vais maintenant me pencher.

 

[47]           En effet, pour étayer sa décision de rejeter le récit de M. Iqbal et, sans doute, vu la faiblesse de sa première conclusion, la SPR a déclaré que, dans une société patriarcale traditionnelle, il n’est pas plausible qu’un musulman extrémiste comme M. Nazir tente d’usurper le rôle de M. Iqbal auprès de son unique fils. Elle a également conclu qu’il était invraisemblable qu’un musulman extrémiste s’oppose à ce que M. Iqbal prenne une deuxième épouse puisque le Coran et la Sharia l’y autorisent.

 

[48]           La SPR s’appuie ici sur des connaissances générales communes – des faits qu’elle peut admettre d’office – ou sur des connaissances spécialisées, bien qu’il s’agisse de concepts assez généraux qui ne sont pas contestés comme tels par les demandeurs. Peu importe la façon dont on caractérise l’information utilisée pour justifier les conclusions de la SPR, la Cour est convaincue que ces conclusions sont imparfaites.

 

[49]           En effet, si l’on assimile ces concepts généraux à des connaissances spécialisées, l’article 18 des Règles de la SPR doit s’appliquer.

 

[50]           La SPR n’a jamais mentionné ces concepts et n’a certainement pas donné à M. Iqbal la possibilité de présenter des observations ou d’éclaircir les deux situations. En fait, elle n’a posé aucune question concernant l’opposition de M. Nazir au deuxième mariage ou la raison de cette opposition. Y avait‑il des principes familiaux en cause? M. Nazir s’opposait‑il à la personnalité de la deuxième épouse plutôt qu’au principe de polygamie?

 

[51]           S’il s’agit simplement de connaissances générales (ces concepts sont évidemment bien connus de la Cour), elles ne justifient pas, en soi, l’inférence qui en découle, parce qu’elles sont utilisées totalement hors contexte et sans égard pour la situation particulière de chaque demandeur, laquelle peut expliquer les différences par rapport à la norme généralisée (voir, par exemple, Sadeghi-Pari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 282, [2004] A.C.F. no 316 (QL) où, dans un contexte similaire, le juge Richard Mosley a conclu que, sans une analyse de la sorte, les conclusions d’invraisemblance étaient abusives et devaient être annulées).

 

[52]           Afin de mieux illustrer le raisonnement de la Cour, on pourrait poser la question suivante : les histoires de Roméo et Juliette ou de West Side Story sont‑elles invraisemblables parce que, dans les deux cas, la famille s’est opposée au mariage des personnages principaux, de bons chrétiens à qui la Bible reconnaît le droit sacré de se marier? Non, évidemment. Nous comprenons tous que, dans les deux histoires, les problèmes découlent de principes familiaux et des antécédents des personnages principaux.

 

[53]           Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas affaire ici à un cas simple justifiant que l’on repousse les récits des demandeurs sans examiner plus avant la situation propre à chacun.

 

[54]           En ce qui concerne la situation d’Usman, la Cour observe que, dans le récit qui a été présenté, M. Iqbal était clairement celui qui prenait les décisions concernant son fils. N’est‑ce pas justement pour cette raison que M. Nazir ne cessait de le harceler? De plus, lorsque la question a été soulevée la première fois en 2002, M. Iqbal vivait à l’extérieur du pays depuis plusieurs années. N’est‑il pas également un fait connu que les hommes d’une même famille peuvent faire figure d’autorité en l’absence du père?

 

[55]           Certes, il aurait été particulièrement utile d’entendre Usman parler des efforts déployés par M. Nazir pour l’inscrire à la madrassa. Pour le bénéfice de la SPR, il aurait pu aussi confirmer ou éclaircir certains faits concernant la venue des individus à son domicile. Dans les circonstances particulières, il est réellement regrettable et difficile à comprendre que la SPR ait indiqué aussi clairement que la présence d’Usman n’était pas nécessaire et qu’elle n’ait jamais remis en question le pouvoir que M. Nazir exerçait sur son neveu.

 

[56]           Je m’intéresserai maintenant aux paragraphes 24, 26, 28, 29 et 34; la SPR formule divers commentaires au sujet du pouvoir ou de la nature de l’AAF par rapport à d’autres groupes bien connus d’extrémistes religieux et de leurs agissements depuis le départ des demandeurs. Elle commente aussi des photos de la manifestation contre l’A.K. qui montrent un rassemblement paisible et un orateur s’adressant à une petite foule attentive, un article de journal qui décrit l’AAF comme une organisation locale et la première description que M. Iqbal en a faite dans son témoignage. À partir de ces commentaires, on comprend que la SPR n’est pas convaincue que l’AAF est une organisation violente capable de meurtre, comme le craignent les demandeurs.

 

[57]           Il est certainement loisible à la SPR de tirer cette conclusion. La demande d’asile présentée en application de l’article 96 de la LIPR peut être rejetée si la crainte subjective du demandeur ne peut être objectivement établie. Il s’agit toutefois de deux concepts distincts qu’il faut justement traiter séparément. On ne peut automatiquement conclure que le témoignage entier d’un demandeur d’asile n’est pas crédible simplement parce que sa crainte subjective légitime n’est pas fondée objectivement. Par exemple, le fait que la demanderesse principale croit qu’elle aurait pu être tuée le 14 juin 2008 ne signifie pas nécessairement que l’AAF l’aurait réellement fait. Il revient à la SPR de faire la part des choses. Pareillement, même si la SPR n’était pas convaincue, après avoir apprécié l’ensemble de la preuve, que l’AAF est une organisation extrémiste violente capable de meurtre, cela ne signifie pas que le récit intégral de la demanderesse principale n’est pas crédible, en particulier si l’AAF a pu lui faire croire, subjectivement, que sa vie était réellement en danger.

 

[58]           Dans le cas où un témoignage particulier concernant la crainte subjective d’une personne justifie une conclusion plus générale de non‑crédibilité, des motifs suffisants doivent être donnés dans la décision, laquelle doit être transparente pour être jugée raisonnable. En l’espèce, la SPR ne semble pas distinguer ces concepts.

 

[59]           Quant aux problèmes signalés en lien avec le témoignage de la demanderesse principale, la SPR aborde en détail (aux paragraphes 31, 32 et 33) ce qu’elle considère apparemment comme une contradiction importante. En effet, par rapport à l’événement survenu le soir du 14 juin 2008, la SPR dit que « [s]i ses agresseurs avaient l’intention de la tuer, comme elle l’a soutenu, pourquoi ne l’ont-ils pas fait? ». Il est précisé que, lorsque Mme Parveen a été interrogée à ce sujet, elle a fourni deux explications : elle a d’abord déclaré que ses agresseurs avaient peut‑être entendu les pleurs de sa fille, puis, après avoir eu plus de temps pour y réfléchir, elle a affirmé qu’ils avaient dû se rendre à la mosquée pour prier. Il s’agit dans les deux cas d’une hypothèse pure et simple sur ce que le groupe pouvait bien penser. La SPR soutient qu’aucune des explications n’est satisfaisante parce que « [s]i des fondamentalistes islamiques impitoyables avaient eu l’intention de tuer la demandeure d’asile principale, comme elle le fait valoir, ceux‑ci ne se seraient laissés arrêter ni par des pleurs ni par un appel à la prière ». Pour ce motif, la SPR conclut « que sa description des événements survenus le 14 juin est contradictoire et que sa crédibilité est minée ».

 

[60]           Qui plus est, tel qu’il a été mentionné, bien qu’il puisse y avoir d’autres explications[13], la SPR aurait pu conclure que le comportement du groupe, d’après la description donnée par la demanderesse principale, montre en fait que les assaillants n’avaient peut‑être pas l’intention de la tuer. Cette conclusion aurait contredit seulement la déclaration de la demanderesse selon laquelle elle croyait que si elle était sortie comme les individus le lui demandaient, ils l’auraient tuée. Mais la SPR n’explique aucunement en quoi son récit factuel n’est pas crédible. Est‑il nécessaire qu’une personne soit tuée ou grièvement blessée pour établir le fait qu’un groupe d’individus ont lancé des pierres sur la maison et proféré des menaces de mort? Lorsqu’il est demandé à quelqu’un d’émettre une hypothèse sur l’objet de la pensée d’une autre personne, on ne saurait lui reprocher d’avancer une théorie insatisfaisante. Il est certainement difficile d’y trouver un motif raisonnable de rejeter unilatéralement le fondement factuel d’une demande d’asile parce qu’il a été jugé non crédible.

 

[61]           Enfin, bien que la conclusion formulée au paragraphe 35 fasse allusion à un manque de précision, les parties n’ont pu trouver qu’une seule occurrence de ce genre dans la décision. Au paragraphe 27, la SPR souligne qu’il a été demandé plusieurs fois à la demanderesse principale de nommer d’autres groupes extrémistes, à part l’AAF, qui constituent une menace pour elle et son époux. Elle a nommé le Mohammadi, petite organisation locale, et n’a pu se souvenir du nom de l’autre groupe.

 

[62]           En fait, la demanderesse a dit qu’elle y reviendrait dès qu’elle se souviendrait du nom qui lui échappait au moment où la question lui a été posée. Elle a ensuite nommé le groupe Jaish‑e‑Mohammad (DCT, page 623). La SPR semble avoir ignoré cet élément, assurément au paragraphe 29 où elle se réfère à une liste qui inclut cette organisation et y souligne l’absence de l’AAF. Rien n’indique que la SPR a tenu compte de la preuve objective démontrant au moins que l’AAF est une organisation extrémiste violente.

 

[63]           Il n’est pas pertinent de commenter plus avant les autres éléments soulevés dans la décision puisque, vu l’importance des erreurs décrites ci‑dessus, la Cour n’est pas convaincue que la SPR aurait tranché ou pourrait avoir tranché comme elle l’a fait simplement à partir de ces autres éléments. La décision ne signale aucune autre contradiction entre ce qui a été dit aux deux audiences et ce qui a été dit ou écrit par les demandeurs à tout moment avant les audiences. En déclarant que les demandeurs ne sont pas crédibles et que cette conclusion est fatale à leurs demandes d’asile, la Commission a rendu une décision qui ne peut résister à un examen poussé. La décision n’est pas raisonnable.

 

(ii) Possibilité de refuge intérieur

[64]           Les demandeurs ne m’ont pas convaincue que le dossier présenté à la SPR contenait un élément de preuve documentaire particulier qui a été ignoré par le décideur lorsque ce dernier a dit que : a) rien ne prouvait que la demanderesse principale n’aurait pas la possibilité de travailler en service social si une PRI lui était proposée (dans une grande ville à l’extérieur de l’Azad‑Cachemire); b) rien ne prouvait que l’ISI ou l’armée pakistanaise collaborerait avec les groupes jihadistes de l’Azad‑Cachemire dans des situations semblables à celle en l’espèce.

 

[65]           Sans me fonder sur ce motif pour annuler la décision contestée, je dois mentionner que je ne sais trop quoi penser du fait que la SPR, sans aucune analyse de l’élément de preuve 37, est allée jusqu’à conclure que l’AAF est, en fait, une « petite association religieuse conservatrice à l’échelle locale, qui est dirigée par un responsable des prières de la localité » (voir le paragraphe 29). Elle est loin de conclure que, après examen de l’ensemble de la preuve, la demandeure d’asile n’a pas établi que l’AAF exerce une influence à l’extérieur de Bagh, ou même de l’Azad‑Cachemire.

 

[66]           Ceci dit, il est clair que la conclusion de la SPR quant à l’existence d’une PRI est fortement teintée par sa conclusion déficiente à l’égard de la crédibilité des demandeurs. Par conséquent, je ne suis pas persuadée que, dans les circonstances particulières de l’espèce, ce motif soit suffisamment indépendant pour qu’il soit justifié de maintenir la décision (voir Gobalasingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 696, aux paragraphes 12 et 13, [2005] A.C.F. no 880 (QL)).

 

[67]            Je le crois d’autant plus que la SPR n’a pas du tout analysé la protection de l’État. Il ressort des commentaires formulés par le décideur durant l’audience qu’il n’avait pas l’intention de se pencher sur la protection offerte par l’État (voir le DCT, pages 663 et 664) et n’avait pas besoin d’entendre la demanderesse principale témoigner à ce sujet. Faut‑il en déduire que le commissaire doutait qu’il existe à quelque endroit au Pakistan une protection pour des femmes telles que la demanderesse principale?

 

[68]           Dans les circonstances, la Cour conclut que l’affaire doit être renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

 

[69]           Les parties conviennent que la présente affaire ne soulève aucune question à certifier. L’issue de la présente affaire dépend des faits qui lui sont propres.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit accueillie. Les demandes d’asile seront renvoyées à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

 

 

« Johanne Gauthier »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5637-10

 

INTITULÉ :                                       ZAFAR IQBAL, WAJIA PARVEEN, USMAN ZAFAR IQBAL et FILZA IQBAL ZAFAR

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 29 août 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stuart Istvanffy

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Sylviane Roy

Amelia Fink

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stuart Istvanffy

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 



[1] Usman Zafar Iqbal est le beau‑fils de Wajia Parveen, et Filza Iqbal Zafar est la fille du couple.

[2] Et poète à ses heures.

[3] La première épouse vit toujours dans la maison que le demandeur a héritée de son père.

[4] L’information concernant le nombre et la nature exacte de ces messages n’est pas très claire, car très peu de questions ont été posées à ce sujet durant l’audience.

[5] Les autorités ont démenti l’allégation de l’ONU selon laquelle l’incendie était lié aux menaces et à la question des femmes, disant qu’un trouble électrique était à l’origine des flammes.

[6] Toujours en juillet 2007, alors qu’ils vivaient aux Émirats arabes unis, les demandeurs ont demandé et obtenu un visa de visiteur pour séjourner au Canada. Ils ont témoigné qu’à ce moment‑là, ils n’avaient pas de problèmes et voulaient seulement faire un séjour au Canada. Ce visa, cependant, leur a permis par la suite de fuir au Canada lorsque la situation est devenue soi‑disant dangereuse pour eux.

[7] La première épouse a dit à M. Iqbal qu’elle était impuissante, car sa propre sœur avait commencé à enseigner à la madrassa.

[8] Témoignage de M. Iqbal, page 692 du DCT.

[9] Il s’agit plus d’un refuge temporaire que d’une maison faite en béton, en raison du tremblement de terre.

[10] Tel qu’il est expliqué dans la lettre de la sœur (pièce P-26, DCT, page 430), les communications téléphoniques étaient alors encore très difficiles dans ce secteur de la zone en reconstruction, mais elles ont été rétablies par la suite.

[11] Il semble toutefois que l’association ait réussi à ouvrir de nouveaux centres dans d’autres villages. L’A.K. dépend du bénévolat ainsi que du prêt de locaux et de matériel, comme des machines à coudre, par les habitants des villages.

[12] Voir aussi le DCT, page 679, au sujet des crimes d’honneur.

[13] La dynamique relative au comportement d’un groupe est une spécialité en soi.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.