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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110822


Dossier : IMM-29-11

Référence : 2011 CF 1015

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 août 2011

En présence de monsieur le juge Scott

 

 

ENTRE :

 

EVARISTO DIEGO BALLESTER PEREZ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          APERÇU

 

[1]        Dans la présente demande de contrôle judiciaire présentée conformément à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 ch. 27 (la LIPR), le demandeur demande à la Cour de contrôler une décision datée du 3 décembre 2010 par laquelle la Section de la protection des réfugiés, de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), a refusé sa demande d’asile.

 

[2]        La demande est rejetée pour les motifs exposés ci‑dessous.

 

II.        FAITS

 

[3]        Le demandeur est citoyen du Mexique.

 

[4]        Il affirme que les membres d’un cartel de la drogue veulent le tuer parce qu’il a refusé de collaborer avec eux en empoisonnant la nourriture du gouverneur de l’État de Chihuahua, José Reyes Baeza Terrazas.

 

[5]        Le demandeur, chef cuisinier expérimenté d’un hôtel, a été engagé trois années de suite pour superviser les banquets de Noël et du Nouvel An donnés par le gouverneur. Le 28 décembre 2008, le sénateur Moreno, envoyé par le cartel de la drogue, lui a demandé d’empoisonner le repas du gouverneur. Le demandeur a refusé.

 

[6]        Les jours suivants, le demandeur a reçu de nombreux appels sur son téléphone cellulaire de la part de membres du cartel de la drogue et d’autres individus lui demandant de se raviser. Il a cessé de répondre à ces appels.

 

[7]        Pour ne pas attirer davantage l’attention sur lui, il a décidé de ne pas prévenir le gouverneur ou son service de sécurité du complot. Il a préparé et servi le banquet le 31 décembre.

 

[8]        Deux jours plus tard, quatre individus suspects ont suivi le demandeur (en voiture), et il est parvenu à les semer. Il s’est alors caché au domicile d’un ami, dans la même ville, en attendant de recevoir un passeport, puis il s’est caché à Cuernavaca.

 

[9]        Craignant pour sa vie puisque des membres du cartel de la drogue et d’autres individus étaient à sa recherche, le demandeur a quitté le Mexique le 21 janvier 2009. Il est arrivé au Canada le même jour et a demandé l’asile le 15 mars 2009.

 

III.       DÉCISION CONTESTÉE

 

[10]      La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur sur le fondement d’une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Elle a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à établir le bien‑fondé de certains éléments essentiels de sa demande d’asile. Il n’a pas convaincu la Commission qu’il était bien le chef cuisinier responsable du banquet donné par le gouverneur le 31 décembre 2008. La décision souligne que, à la lumière de la preuve documentaire, le récit du demandeur est fort peu plausible.

 

[11]      Selon la Commission, le demandeur n’a pas agi comme l’aurait fait une personne en danger : il s’est présenté pour servir le banquet en dépit des menaces de mort qu’il dit avoir reçues. Il a attendu 23 jours pour quitter le Mexique malgré les menaces et le danger qu’il courait en tant que témoin d’un complot pour assassiner le gouverneur. Il est resté au Canada pendant deux mois avant de demander l’asile.

 

[12]      N’ayant trouvé aucun lien entre le récit du demandeur et l’article 96, la Commission a effectué une analyse fondée sur l’article 97 et a conclu que le demandeur n’est pas une personne à protéger.

 

[13]      Premièrement, le demandeur n’a pas prouvé qu’il était réellement le chef cuisinier du banquet du gouverneur. Il a démontré qu’il a travaillé comme chef cuisinier dans divers hôtels et qu’il a rencontré le gouverneur (il a produit une photo où l’on peut voir les deux hommes discuter lors d’une foire alimentaire). Il n’a pas prouvé, cependant, qu’il a été engagé pour préparer le banquet de la veille du jour de l’An. Aucune pièce documentaire n’a été produite pour prouver l’emploi allégué : pas de menus, de commandes ou de factures. Il a expliqué qu’il n’avait pas de documents à l’appui parce qu’il avait été engagé par téléphone. De plus, il a quitté le Mexique en ayant l’intention d’y revenir. Il est tout d’abord entré au Canada pour visiter. Ces explications n’ont pas convaincu la Commission.

 

[14]      Deuxièmement, le comportement du demandeur n’est pas celui d’une personne en danger : il affirme avoir servi le banquet malgré les menaces, et lorsqu’il a reçu des appels de menace, il a simplement cessé de répondre à son téléphone cellulaire. En disant à un membre haut placé du cartel de la drogue et à des agents corrompus qu’il refusait de participer au complot d’assassinat, il se serait normalement exposé à un grave danger. Les conspirateurs auraient eu une raison légitime de craindre que le demandeur ne les dénonce. Selon la preuve documentaire, ces personnes n’hésitent pas à recourir à la violence pour se protéger. Si le demandeur avait eu réellement peur, il ne se serait pas présenté au banquet et aurait pris d’autres moyens pour fuir au lieu de simplement arrêter de répondre aux appels téléphoniques de menace.

 

[15]      De plus, le demandeur prétend ne pas avoir alerté le service de sécurité du gouverneur, parce qu’il ne voulait pas attirer l’attention. Il dit apprécier le gouverneur et lui faire confiance. Il affirme qu’il se serait mis en danger s’il avait prévenu le gouverneur. Il prétend maintenant qu’il court aussi un danger pour avoir refusé de prendre part au complot : la Commission estime que le témoignage du demandeur n’est pas logique.

 

[16]      Le demandeur a en outre attendu 23 jours pour quitter le Mexique – durant cette période, les conspirateurs ne lui ont causé aucun tort, même si sa seule précaution a été de se cacher.

 

[17]      En outre, il a demandé l’asile deux mois après son arrivée au Canada, parce qu’il voulait, selon les allégations, évaluer la situation; la Commission estime que le temps mis à demander l’asile trahit la fausseté de ses allégations.

 

[18]      Enfin, la Commission s’est reportée aux lettres de recommandation d’anciens employeurs que le demandeur a apportées au Canada. Ces lettres ont été écrites à l’automne 2008. Le fait qu’il a obtenu les lettres avant les événements allégués porte à croire qu’il avait l’intention dès le départ de chercher du travail au Canada.

 

[19]      Pour ces motifs, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance de la preuve, qu’il avait qualité de personne à protéger au titre de l’article 97.

 

IV.       QUESTIONS EN LITIGE, ARGUMENTS ET ANALYSE

 

1.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en n’évaluant pas adéquatement s’il existait un lien avec la définition de réfugié au sens de la Convention?

 

Norme de contrôle

 

[20]      Le défendeur rappelle à la Cour que l’existence d’un lien entre les actes de persécution et un motif énoncé dans la Convention est une question de fait qui relève de l’expertise de la Commission : Mia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n120. La norme de contrôle applicable est donc la décision raisonnable.

 

[21]      Le demandeur prétend que le point en litige est une question de droit. La Cour n’est pas de cet avis. La norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce comme dans toute affaire soulevant une question de droit portant sur la loi habilitante du tribunal. En l’espèce, il est question de l’interprétation des articles 96 et 97 de la LIPR. La norme de la décision raisonnable s’applique donc, comme l’a établi la juge Heneghan dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Gondara, 2011 CF 352 :

 

[24]   Une fois la norme de contrôle appropriée déterminée, il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour les jugements subséquents. Les conclusions de fait et les questions portant à la fois sur les faits et le droit commandent la norme de décision raisonnable. Cette norme s’applique aussi bien au processus décisionnel qu’à l’issue de la décision. Le contrôle des erreurs d’équité procédurale commande l’application de la norme de la décision correcte. On applique généralement la norme de la décision correcte aux erreurs de droit, à moins que le décideur n’interprète une loi dans son domaine d’expertise, comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7.

 

Argumentation du demandeur

 

[22]      Au paragraphe 9 des motifs, la Commission déclare, en une seule phrase, qu’un lien ne peut être établi entre les faits allégués et la définition de réfugié au sens de la Convention. Cette conclusion n’est pas étayée plus avant. Le demandeur soutient donc que la Commission n’a pas effectué une analyse approfondie fondée sur l’article 96. La crédibilité n’était pas en cause à cette étape du processus décisionnel, puisque la Commission s’était reportée aux faits allégués (le « récit allégué ») : par conséquent, la Commission aurait dû considérer les faits comme prouvés pour établir l’existence d’un lien. Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur de droit en n’analysant pas la situation du demandeur au regard de la définition de la Convention, étant donné que la demande d’asile était fondée sur des éléments politiques.

 

[23]      Les problèmes du demandeur résultent de son refus d’assassiner un dirigeant politique (le gouverneur) à la demande d’un autre politicien. Le demandeur soutient donc qu’il s’agit d’une question politique, identique à celle se posant à M. Ward dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S 689 (Ward), lequel a refusé de tuer un prisonnier de l’Armée de libération nationale irlandaise. Dans les deux cas, le refus de tuer est une question politique, du moins aux yeux des conspirateurs. Par conséquent, le demandeur soutient que l’absence de lien n’était pas évidente et que la Commission a commis une erreur de droit en n’évaluant pas s’il était pertinent d’analyser la demande d’asile au regard de l’article 96. En effet, selon le demandeur, la Commission n’a même pas pris la peine de mentionner que c’est un sénateur d’État qui avait contacté le demandeur, ce qui montre à quel point elle a négligé l’aspect politique de sa situation.

 

Argumentation du défendeur

 

[24]      Le défendeur s’oppose à l’assertion du demandeur selon laquelle il était impliqué dans un conflit politique et que la Commission a commis une erreur en ne faisant pas une telle constatation dans le cadre d’une analyse approfondie fondée sur l’article 96. Le demandeur affirme que, comme divers acteurs politiques sont impliqués dans le complot allégué d’empoisonnement, le conflit était de nature politique et qu’un lien peut donc être établi avec ses opinions politiques.

 

[25]      Les victimes d’activités criminelles ne sont pas visées par la définition de réfugié au sens de la Convention, et la crainte qu’une personne nourrit à l’égard de criminels ne peut servir de fondement à la validité d’une demande d’asile : Ward, précité. En l’espèce, le défendeur estime que la Commission a raisonnablement conclu que le demandeur a été persécuté par des criminels cherchant à étendre leurs activités criminelles comme cartel de la drogue, et non en raison de ses opinions politiques. Le fait que des membres corrompus de la police ou du gouvernement ont pu participer au complot ne permet pas d’établir un lien avec la Convention : Bencic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 476, au paragraphe 18; Rivera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1292, au paragraphe 23.

 

[26]      Le défendeur soutient en outre que, dans Ward, la Cour suprême a précisé qu’une opinion politique, comme motif de craindre la persécution, s’entend au sens de « toute opinion sur une question dans laquelle l’appareil étatique, gouvernemental et politique peut être engagé. […] Le fait pour une personne d’être en dissentiment avec une organisation ne lui permettra pas toujours de chercher asile au Canada; le désaccord doit être fondé sur une conviction politique ». Le demandeur n’a pas prouvé que son refus d’empoisonner le gouverneur était motivé par des raisons politiques : le simple refus de prendre une vie humaine et de participer à des activités criminelles ne constitue pas une preuve de conviction politique.

 

[27]      Rien ne prouve qu’en refusant de prendre part au complot d’assassinat, le demandeur a engagé l’appareil étatique : Klinko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 327 (C.A.); Stefanov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 704; Zhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1026.

 

Analyse

 

[28]      La Cour ne voit aucune erreur susceptible de contrôle.

 

[29]      Le demandeur a déclaré que des politiciens étaient impliqués dans les événements allégués, mais il n’a pas prouvé que son refus de participer au complot avait une dimension politique.

 

[30]      Selon le demandeur, il existe un lien à caractère politique avec la définition de la Convention parce qu’un politicien lui a demandé de tuer le gouverneur. Même si c’était le cas, le défendeur a souligné que le politicien aurait agi de concert avec le cartel de la drogue. Selon le Formulaire de renseignements personnels (le FRP) du demandeur, le gouverneur est devenu la cible d’un complot d’assassinat parce qu’il a tenté de restreindre le commerce de la drogue. Le défendeur soutient que les conspirateurs nourrissaient un dessein criminel plutôt que politique et que, par conséquent, aucun lien ne peut être établi. Dans le contexte du Mexique, où de puissants cartels de la drogue sont engagés dans une lutte explosive continue avec le gouvernement, la distinction entre les enjeux criminels et politiques peut devenir floue.

 

[31]      Cette distinction n’est pas pertinente aux yeux de la Cour. Même si le conflit qui oppose les conspirateurs et le gouverneur revêt une dimension politique, le demandeur a reconnu être étranger au conflit. Il n’a pas prouvé qu’il avait refusé de participer au complot en raison de ses opinions politiques.

 

[32]      Il appert que la Commission n’a vu aucun lien manifeste avec la Convention et, pour ce motif, n’a pas approfondi ce point.

 

[33]      Par ailleurs, la Cour ne voit pas en quoi cette erreur aurait modifié l’issue de la présente affaire, vu la conclusion défavorable tirée quant à la crédibilité. La Commission aurait pu considérer les faits comme établis pour juger de l’existence possible d’un lien, mais, dans l’analyse fondée sur l’article 96 qui aurait suivi cette première étape, elle se serait nécessairement demandé si les événements allégués s’étaient réellement produits. Si la Commission ne pouvait croire ou accepter que le demandeur avait travaillé pour le gouverneur ou qu’on faisait pression lui pour qu’il empoisonne cet homme, l’élément politique de son récit ne lui aurait été d’aucune utilité puisque la Commission aurait quand même douté de la vraisemblance même du récit.

 

[34]      La Cour ne voit donc aucune raison d’intervenir à l’égard de cette question.

 

2.      Était‑il raisonnable pour la Commission de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité?

 

Norme de contrôle

 

[35]      La conclusion en matière de crédibilité est une question de fait qui commande la déférence et doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53; Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 42 A.C.W.S. (3d) 886; [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.), au paragraphe 4; Gatore c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 702, aux paragraphes 27 et 28.

 

Argumentation du demandeur

 

[36]      Le demandeur a souligné que la conclusion défavorable de la Commission quant à la crédibilité repose non pas sur sa conduite durant le témoignage ou les contradictions relevées dans son récit, mais bien sur l’invraisemblance perçue de son récit.

 

[37]      Le demandeur a ensuite cité de la jurisprudence où il est question de conclusions d’invraisemblance. Ces décisions établissent que les demandeurs d’asile doivent être présumés dignes de foi en l’absence de preuve contraire et que le tribunal peut tirer des conclusions défavorables quant la crédibilité fondées uniquement sur l’invraisemblance du récit seulement dans les cas les plus évidents et lorsqu’il fournit des motifs très convaincants à l’appui de ses conclusions. Lorsqu’il se fonde uniquement sur l’invraisemblance du récit pour juger de la crédibilité, le tribunal doit, dans sa décision, préciser les faits lui paraissant invraisemblables et donner des motifs très clairs. Les tribunaux qui tirent des conclusions sur la crédibilité en se fondant uniquement sur des l’invraisemblance du récit doivent procéder avec prudence et fournir de solides motifs à l’appui. Le demandeur a cité une abondante jurisprudence qui confirme cette règle : Isakova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 149, aux paragraphes 10 à 12; Ortiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 690, aux paragraphes 4 à 8; Boteanu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 299, au paragraphe 8; Divsalar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 653, aux paragraphes 22 à 24; Anwar c. Canada (MCI), 2002 CFPI 1077, au paragraphe 51; Holmik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1745, au paragraphe 19; Roozbahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1524, aux paragraphes 18, 26 et 27; Contreras c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 708, aux paragraphes 30 et 31; Sadeora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 430, aux paragraphes 14 et 15; Xu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 274, aux paragraphes 17 et 18; Gjelaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 37, au paragraphe 4; Hassan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1136, aux paragraphes 16 et 17.

 

[38]      L’avocat du demandeur a fait la description et la critique des motifs de la Commission. La description est claire. Dans sa critique, l’avocat souligne qu’au paragraphe 13 des motifs, la Commission formule des hypothèses au sujet de la conduite probable des cartels de la drogue qui ne sont étayées par aucune preuve documentaire. Il affirme que la Commission a injustement présumé que la seule action raisonnable que le demandeur aurait pu prendre, après qu’on lui eut demandé de prendre part au complot d’empoisonnement, était de fuir le pays sans délai. Aux dires du demandeur, la commissaire a formulé une remarque sarcastique déplacée, au paragraphe 18, en faisant référence à « l’incroyable danger » auquel le demandeur était exposé. L’avocat reproche à la Commission d’avoir rejeté les explications fournies par le demandeur pour justifier le temps mis à demander l’asile et d’avoir omis de mentionner le fait très pertinent de l’attaque contre le convoi du gouverneur survenue le 22 février 2009.

 

[39]      Le demandeur allègue que ses actions durant le dernier mois qu’il a passé au Mexique n’ont rien d’invraisemblable en soi. Toutes les conclusions de la Commission sont en fait de lourds jugements portant sur le comportement que le demandeur aurait eu ou aurait dû avoir dans les circonstances et des hypothèses quant au sort qu’il connaîtrait aux mains des criminels et des agents de police corrompus. En matière de conclusions sur la crédibilité, une telle approche n’est pas conforme aux règles établies par la jurisprudence précitée.

 

[40]      Le demandeur allègue en outre que la Commission a commis une erreur en ne tenant aucun compte de plusieurs faits très pertinents :

 

·        La première demande faite au demandeur pour qu’il tue le gouverneur provenait non pas des cartels de la drogue, mais bien d’un politicien d’État influent, le sénateur Fernando Rodriguez Moreno (lui‑même victime des pressions des cartels de la drogue pour éliminer le gouverneur).

 

·        Le demandeur s’est caché aux domiciles de plusieurs amis établis dans trois villes différentes, et non chez un seul ami vivant dans la même ville que lui, tel qu’il est indiqué dans la décision.

 

·        Si le demandeur a hésité à demander l’asile, c’est uniquement parce qu’il espérait retourner au Mexique où il était un chef cuisinier réputé; il a décidé de rester au Canada seulement lorsqu’il a appris que le gouverneur avait été attaqué le 22 février 2009 et que l’un de ses gardes du corps avait été tué.

 

[41]      Le demandeur soutient que la décision de la Commission doit être annulée pour ces motifs.

 

Argumentation du défendeur

 

[42]      Le défendeur soutient que la décision de la Commission est raisonnable et bien fondée. Aucune erreur susceptible de contrôle n’a été mise au jour par le demandeur. Il fait partie des options raisonnables s’offrant à la Commission de conclure que le demandeur n’est pas crédible. Fait important, le demandeur n’a pas démontré la véracité des éléments factuels essentiels de sa demande d’asile sur lesquels repose son récit. Il n’a pas prouvé qu’il avait été engagé pour coordonner le banquet du gouverneur. De plus, le temps qu’il a mis à venir au Canada et le fait qu’il avait préparé des lettres de recommandation plusieurs mois avant de quitter le Mexique laissent supposer qu’il est venu au Canada pour y travailler, et non pour sauver sa vie.

 

[43]      Le défendeur maintient aussi que la Commission a tiré une conclusion raisonnable quant à la crédibilité compte tenu du récit invraisemblable présenté par le demandeur, faisant valoir que la décision est bien motivée. Le défendeur rappelle à la Cour qu’il est loisible à la Commission d’apprécier les allégations du demandeur d’asile à la lumière de sa propre perception du comportement humain (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 470) ainsi qu’en se fondant sur la raison et le bon sens (Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 415). La Commission donne des motifs clairs et indique clairement les éléments invraisemblables qui l’ont laissée perplexe. Selon le défendeur, les conclusions tirées par la Commission font partie des issues raisonnables possibles.

 

[44]      Le défendeur a cité plusieurs décisions à l’appui de différents aspects de la règle selon laquelle la Commission peut raisonnablement juger de la crédibilité d’un demandeur à partir de son impression face au témoignage. Bien qu’elle ne s’applique pas expressément à la décision particulière en cause, la jurisprudence confirme néanmoins que la Commission est clairement autorisée en droit à tirer des conclusions quant à la crédibilité comme celle tirée en l’espèce.

 

[45]      Le défendeur a ensuite réitéré les éléments invraisemblables de la demande d’asile : le comportement du demandeur au banquet, qui n’est pas celui d’une personne effrayée; le temps mis à quitter le pays et à demander l’asile, et le fait qu’il avait préparé des lettres de recommandation avant de partir pour le Canada. Tous ces facteurs, qui ont été mentionnés par la Commission, démontrent le caractère raisonnable de la décision.

 

Analyse

 

[46]      Le demandeur n’a donné à la Cour aucune raison valable d’intervenir à l’égard de la conclusion sur la crédibilité. La jurisprudence citée par le défendeur est claire : la Commission a compétence pour juger de la crédibilité en se fondant sur ses observations durant le témoignage. Dans les motifs, la Commission explique clairement comment elle est parvenue à sa conclusion. Ayant examiné la transcription de l’audience, la Cour conclut que la Commission a relaté fidèlement le témoignage du demandeur, quoique de façon moins détaillée.

 

[47]      S’il est vrai, comme le soutient le demandeur, que la Commission ne nomme pas chacun des facteurs pertinents qui auraient pu être mentionnés, les faits qui ont été [traduction] « omis » selon le demandeur ne sont pas, de l’avis de la Cour, d’une telle importance qu’ils auraient modifié l’issue de la présente affaire si la Commission en avait tenu compte. En fait, la transcription de l’audience montre que la Commission a effectivement examiné ces facteurs, mais qu’elle n’a simplement pas jugé qu’ils corroboraient le récit du demandeur.

 

[48]      La Cour revient sur les faits qui auraient été omis et sur leur incidence éventuelle en l’espèce :

 

·        La première demande faite au demandeur pour qu’il tue le gouverneur provenait non pas des cartels de la drogue, mais bien d’un politicien d’État influent, le sénateur Fernando Rodriguez Moreno (lui‑même victime des pressions des cartels de la drogue pour éliminer le gouverneur).

 

Même si ce fait est véridique, il ne corrobore pas le récit du demandeur et ne prouve pas non plus qu’il s’agissait d’opinions politiques au sens de la Convention.

 

·        Le demandeur s’est caché aux domiciles de plusieurs amis établis dans trois villes différentes, et non chez un seul ami vivant dans la même ville que lui, tel qu’il est indiqué dans la décision.

 

Le FRP et le témoignage de vive voix ne donnent pas une description précise de la période pendant laquelle le demandeur s’est caché. Même si la Commission n’a pas décrit parfaitement la chronologie de cette période, la Cour ne croit pas que les détails de cette partie du récit constituent le fondement premier sur lequel repose la conclusion défavorable quant à la crédibilité. Comme la Commission a relevé beaucoup d’autres éléments invraisemblables dans le récit, le fait que le demandeur s’est caché a peu de poids dans la décision.

 

·        Si le demandeur a hésité à demander l’asile, c’est uniquement parce qu’il espérait retourner au Mexique où il était un chef cuisinier réputé; il a décidé de rester au Canada seulement lorsqu’il a appris que le gouverneur avait été attaqué le 22 février 2009 et que l’un de ses gardes du corps avait été tué.

 

La Commission avait connaissance de cette allégation, car elle a interrogé le demandeur à ce sujet durant l’audience (dossier du demandeur, aux pages 233 et 234). Le fait que les motifs n’en font pas mention signifie seulement que la Commission a rejeté cette explication, comme le montrent clairement les commentaires formulés à l’audience.

 

[49]      Les faits omis n’étant pas déterminants, la Cour n’a aucune raison d’intervenir.

 

V.        CONCLUSION

 

[50]      À la lumière de la preuve présentée, la conclusion générale de la Commission quant au manque de crédibilité du demandeur est raisonnablement fondée sur les éléments invraisemblables relevés dans le récit du demandeur et sur l’absence d’éléments de preuve corroborants. Par conséquent, il était raisonnable d’accorder un poids minime à la preuve documentaire et rien, en l’espèce, ne justifie l’intervention de la Cour.


JUGEMENT

LA COUR STATUE comme suit :

1.                  La demande est rejetée.

 

2.                  La présente demande ne soulève aucune question de portée générale.

 

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-29-11

 

INTITULÉ :                                       EVARISTO DIEGO BALLESTER PEREZ

                                                            c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 juillet 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Scott

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 22 août 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

William Sloan

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Evan Liosis et Thomas Cormie

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William Sloan

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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