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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110712

Dossier : T-1699-10

Référence : 2011 CF 868

 

[traduction certifiée conforme, non réviseé]

Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

 

 

ENTRE :

 

ROY LESLIE BOUDREAU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]                Le demandeur, M. Roy Leslie Boudreau, conteste la légalité de la décision (2010 CRTFP 100), rendue le 21 septembre 2010, par M. Dan Butler (l’arbitre), un arbitre désigné en application du paragraphe 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003 ch. 22 (la Loi), rejetant son grief à l’encontre du Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale) (l’employeur) pour cause d’absence de compétence. Pour les motifs exposés ci-dessous, il n’y a aucune raison d’annuler la décision contestée.

 

[2]               Le demandeur est un employé du ministère de la Défense nationale (MDN). Il est représenté par l’Association des chefs d’équipes des chantiers maritimes du gouvernement fédéral (le syndicat) agissant à titre d’agent négociateur. Entre 2002 et 2005, quatre plaintes de harcèlement ont été déposées contre le demandeur. Ces quatre plaintes ont toutes été traitées par l’employeur seulement après des délais assez longs : la plainte portée en 2002 a été rejetée en 2003, celle de 2003 a fait l’objet d’une enquête en 2005 et a été rejetée en 2007, et les plaintes déposées en 2004 et 2005 ont également été rejetées en 2007. Durant cette période, le demandeur a aussi reçu des menaces de mort.

 

[3]               Le supérieur du demandeur a commencé à se préoccuper de la santé de ce dernier, et lui a suggéré de tenter d’obtenir de l’aide médicale. Par la même occasion, le demandeur a été avisé qu’il serait préférable pour lui de ne pas retourner au travail. La demande de congé pour accident de travail du demandeur a été approuvée en septembre 2005. Il s’est absenté de son travail pour une période de 17 mois. Le 30 mars 2007, il a déposé un grief déclarant que l’employeur avait violé la Politique et lignes directrices sur la prévention et la résolution du harcèlement, DAOD 5012-0, ainsi que la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail du Conseil du Trésor (les Politiques sur le harcèlement).

 

[4]               Le 18 décembre 2007, le demandeur a rencontré l’employeur au deuxième palier de la procédure de grief;  le dossier n’a pas été réglé à sa satisfaction. Le syndicat a soumis le grief à l’arbitrage, ce qui a conduit à l’objection de l’employeur fondée sur des motifs de compétence que l’arbitre a ultimement accordée. Avant d’examiner les prétentions des parties et le raisonnement de l’arbitre, il vaut toutefois la peine d’examiner le cadre juridique.

 

[5]               L’article 208 de la Loi permet aux fonctionnaires de présenter des griefs dont les objets portent sur une grande variété de questions ayant trait à leurs conditions de travail. Cependant, en vertu de l’article 209 de la Loi, seulement certains griefs précis peuvent être soumis  à l’arbitrage. De façon habituelle, il y a  deux types de questions admissibles à la procédure de règlement de grief  qui peuvent être soumises à l’arbitrage : les mesures disciplinaires (y compris les congédiements ou rétrogradations résultant de mesures non disciplinaires) et les questions relatives à la convention collective.

 

[6]               L’article 209 prévoit ce qui suit :

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

 

 

 

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

 

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

 

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

 

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

 

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui-ci était nécessaire;

 

d) soit la rétrogradation ou le licenciement imposé pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, s’il est un fonctionnaire d’un organisme distinct désigné au titre du paragraphe (3).

 

(2) Pour que le fonctionnaire puisse renvoyer à l’arbitrage un grief individuel du type visé à l’alinéa (1)a), il faut que son agent négociateur accepte de le représenter dans la procédure d’arbitrage.

 

 

(3) Le gouverneur en conseil peut par décret désigner, pour l’application de l’alinéa (1)d), tout organisme distinct.

209. (1) An employee may refer to adjudication an individual grievance that has been presented up to and including the final level in the grievance process and that has not been dealt with to the employee’s satisfaction if the grievance is related to

 

(a) the interpretation or application in respect of the employee of a provision of a collective agreement or an arbitral award;

 

(b) a disciplinary action resulting in termination, demotion, suspension or financial penalty;

 

(c) in the case of an employee in the core public administration,

 

(i) demotion or termination under paragraph 12(1)(d) of the Financial Administration Act for unsatisfactory performance or under paragraph 12(1)(e) of that Act for any other reason that does not relate to a breach of discipline or misconduct, or

 

 

 

 

(ii) deployment under the Public Service Employment Act without the employee’s consent where consent is required; or

 

(d) in the case of an employee of a separate agency designated under subsection (3), demotion or termination for any reason that does not relate to a breach of discipline or misconduct.

 

 

 

(2) Before referring an individual grievance related to matters referred to in paragraph (1)(a), the employee must obtain the approval of his or her bargaining agent to represent him or her in the adjudication proceedings.

 

(3) The Governor in Council may, by order, designate any separate agency for the purposes of paragraph (1)(d).

 

[7]               En vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi, l’agent négociateur doit accepter le renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel portant sur l’interprétation ou l’application de la convention collective. Par ailleurs, en ce qui concerne les questions qui peuvent faire l’objet d’un grief, mais qui ne peuvent être soumises à l’arbitrage, la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable en la matière est « définitive et obligatoire » (article  214 de la Loi), sous réserve d’une possibilité de contrôle judiciaire (Vaughan c. Canada, 2005 CSC 11).

 

[8]               En l’espèce, le grief présenté par le demandeur ne portait exclusivement que sur les Politiques sur le harcèlement. Après s’être rendu au dernier palier de la procédure de grief applicable en la matière, le syndicat a dans un premier temps qualifié les mesures prises par l’employeur comme des mesures « disciplinaires » et il a initialement présenté sa demande de renvoi à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi, lequel vise les mesures disciplinaires, comme nous l’avons déjà mentionné. Le syndicat a ensuite modifié sa demande de renvoi à l’arbitrage, présentant alors la question comme une matière visée par l’alinéa 209(1)a) de la Loi. Ce n’est qu’à ce stade que le syndicat a invoqué pour la première fois la clause 16.01 de la convention collective comme étant l’objet du grief.

 

[9]               La clause 16.01 de la convention collective prévoit ce qui suit :

[traduction] 16.01 L’Employeur doit prendre toutes les dispositions raisonnables en matière de santé et de sécurité au travail à l’égard des employés. L’Employeur recevra favorablement les suggestions en la matière présentées par l’Association et les parties s’engagent à se consulter en vue d’adopter et de mettre en application sans délai des procédures et des techniques raisonnables conçues ou destinées à éliminer ou à réduire le risque d’accident de travail. L’Association convient d’encourager ses membres à observer toutes les règles de sécurité, et à en faire la promotion, ainsi qu’à utiliser tous les équipements et mesures de protection appropriés.

 

[10]           Du point de vue du syndicat, la question débattue tout au long du processus de règlement de grief concernait les délais imposés par l’employeur pour faire enquête sur les plaintes de harcèlement portées contre le demandeur, ainsi que les conséquences qu’ont eues ces délais sur son état de santé. L’employeur n’a pas contesté cette description générale de la situation, mais il a fait valoir qu’elle ne changeait en rien l’objet sur lequel portait le grief, soit le fait que l’employeur avait omis de se conformer à des exigences précises quant à la tenue, au moment opportun, d’enquêtes sur le harcèlement.

 

[11]           Lors de l’arbitrage, l’employeur a donc soulevé l’absence de compétence comme objection préliminaire.

 

[12]           L’employeur a essentiellement soutenu que jamais durant le processus de règlement de grief son défaut de respecter la convention collective n’a été soulevé. Étant donné que les exigences précises prévues par les Politiques sur le harcèlement ne font pas partie de la convention collective, l’employeur a allégué que le syndicat tentait alors de modifier la vraie nature du grief décrivant la clause 16.01 de la convention collective comme étant l’objet du renvoi à l’arbitrage. Selon l’employeur, une telle modification n’était pas permise comme l’a déjà depuis longtemps établi la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 CF 109 (CA), au par. 5 (Burchill). En conséquence, l’affaire ne pouvait tomber dans le champ d’application du paragraphe 209(1) de la Loi et l’arbitre devait rejeter le grief au motif d’absence de compétence.

 

[13]           Dans sa réponse, le syndicat a fait valoir que le renvoi à l’arbitrage n’avait pas modifié la nature du grief. L’essentiel de la preuve du demandeur reposait sur le stress indu et la maladie qui l’avaient accablé et sur son absence forcée du travail pour une période de 17 mois parce que l’employeur n’avait pas respecté ses politiques en matière de harcèlement.  Ce défaut de respecter ses politiques contrevenait à la convention collective et le renvoi à la clause 16.01 n’avait pas modifié les questions de droit et de fait dont il fallait disposer, mais avait simplement rendu explicite ce qui dès le départ était implicite. Quoi qu’il en soit, le syndicat a fait valoir que l’employeur n’avait soumis aucun élément de preuve tendant à établir qu’il avait subi un préjudice en raison du renvoi à la clause 16.01 de la convention collective.

 

[14]           Le syndicat a tenté d’établir une distinction avec l’affaire Burchill, précitée, en disant que le renvoi à l’arbitrage ne soulevait pas une nouvelle question, comme c’était essentiellement le cas dans Burchill, précitée. L’état de santé du demandeur avait plutôt été soulevé tout au long du processus de règlement de grief. L’employeur n’avait donc pas été privé de l’occasion de comprendre l’objet sur lequel portait grief. Le syndicat a également fait valoir que les tribunaux ont accordé une grande latitude aux fonctionnaires dans la rédaction de leurs griefs, et que les tribunaux et les arbitres ont toujours conclu qu’une affaire ne devrait pas être gagnée ou perdue pour un vice de forme. Le syndicat s’est largement fondé sur les directives de la Cour suprême du Canada formulées dans l’arrêt Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. Syndicat des employés et employées de fonction publique de l’Ontario, section locale 324, 2003 CSC 42, aux par. 67 à 71 (Parry Sound).

 

[15]           La Cour est maintenant appelée à trancher la question de savoir si l’arbitre a commis une erreur susceptible de contrôle en accueillant l’objection de l’employeur et en rejetant le grief pour cause d’absence de compétence. Les deux parties ont essentiellement repris aujourd’hui les arguments qu’elles avaient présentés à l’arbitre. À cet égard, il est reconnu que la Commission des relations de travail dans la fonction publique et ses arbitres jouissent d’un degré très élevé d’expertise en du droit du travail, dont les questions visées par l’article 209 de la Loi. Il est d’ailleurs admis par les deux parties que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable (parce qu’il s’agit de questions mixtes de fait et de droit, ou de fait seulement). Voir Robillard c. Canada (Procureur général), 2008 CF 510, au par. 23.

 

[16]           Selon l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick (2008 CSC 9, au par. 47), le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. Mais, il tient également à la question de savoir si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. En l’espèce, la Cour estime que la conclusion de l’arbitre selon laquelle le syndicat avait tenté de modifier la nature du grief  est étayée par la preuve. En outre, l’arbitre a clairement expliqué son raisonnement suivant lequel il n’avait pas compétence aux termes de l’article 209 de la Loi et il a rendu une décision qui appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[17]           Le demandeur fait valoir à la Cour que l’approche « stricte » que la Cour d’appel fédérale avait favorisée, en 1980, dans l’affaire Burchill avait été remplacée par une approche « souple » approuvée par la Cour suprême du Canada, en 2003, dans l’arrêt Parry Sound, qui a reconnu « le consensus général chez les arbitres que, dans la mesure du possible, un grief ne devrait pas être gagné ni perdu pour un vice de forme, mais plutôt en raison de son bien-fondé » (Parry Sound, précité, au par. 68).

 

[18]           La Cour souligne que les décisions arbitrales citées par la Cour suprême dans l’arrêt Parry Sound, précité, établissent que « celui-ci [le grief] doit toutefois être interprété libéralement de sorte que le grief véritable puisse être tranché » (Re Blouin Drywall Contractors Ltd. and United Brotherhood of Carpenters and Jeiners of America, Local 2486, (1975) 8 OR (2d) 103 (CA), p. 108) et que, comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Parry Sound, précité, au par. 69, ces décisions arbitrales sont aussi fondées sur l’idée que les exigences procédurales ne devraient pas être rigoureusement appliquées dans les cas où l’employeur ne subit aucun préjudice. La Cour ne voit aucun problème de cohérence avec ces principes et ce que la Cour d’appel fédérale a décidé dans l’affaire Burchill, précitée, dans la mesure où le renvoi à l’arbitrage au titre de l’article 209 de la Loi ne modifie pas la nature du grief initial déposé par un employé ou par l’agent de négociation en vertu de l’article 208 de la Loi ou de la convention collective.

 

[19]           La Cour est d’avis que les règles en matière d’équité procédurale dictent qu’un employeur ne devrait pas avoir à se défendre en arbitrage sur des questions dont la caractérisation est  très différente de celle en litige au cours de la procédure de règlement de grief. Il ne s’agit pas d’une simple formalité, mais d’un aspect fondamental au bon fonctionnement du système de règlement des différends en matière de conflits de travail au sein de l’administration publique fédérale. Voir l’affaire Burchill, précitée, au par. 5, Canada (Conseil du Trésor) c. Rinaldi, [1997] A.C.F. no 225 (CF 1re inst.), au paragraphe 28, et Shofield c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F.no 784, 2004 CF 622, cité avec approbation et analysé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Shneidman c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2007 CAF 192, aux par. 26 à 28.

 

[20]           La Cour a déjà souligné qu’il existe une ligne de démarcation très nette entre les affaires qui peuvent être soumises à l’arbitrage et celles qui ne peuvent l’être sous le régime de la Loi (les articles 208 et 209). En conséquence, les décisions judiciaires portant sur des griefs présentés sous le régime d’autres lois fédérales ou provinciales régissant les relations de travail doivent être abordées avec beaucoup de circonspection, puisqu’il est possible dans ces cas que l’étendue des questions susceptibles d’être renvoyées à l’arbitrage soit plus large. Cela dit, il n’est pas contesté que les Politiques sur le harcèlement ne font pas partie de la convention collective. Dans ce cadre, compte tenu de la différence de traitement réservée aux affaires susceptibles d’être renvoyées ou non à l’arbitrage sous le régime de l’article 209 de la Loi, il appert qu’un élément essentiel de ce système repose sur l’interdiction faite aux fonctionnaires de modifier la nature de leurs griefs durant leur processus de règlement ou à l’occasion de leur renvoi à l’arbitrage. Autrement, les fonctionnaires dont le grief porte sur un objet non susceptible d’être soumis à l’arbitrage sous le régime de l’article 209 de la Loi le modifieraient de façon à ce que l’arbitre acquière la compétence pour en disposer. 

 

[21]           Dans l’affaire Shneidman, précitée, dont la décision date de 2007, c’est-à-dire quatre ans après celle rendue dans l’affaire Parry Sound, précitée, la Cour d’appel fédérale s’exprime ainsi aux paragraphes 24, 26, 27, 28 et 29 :

[…]

 

[24]      J’estime toutefois qu’il fallait, avant d’examiner la portée du grief, se demander si Mme Shneidman avait « porté » jusqu’au dernier palier, au sens du texte introductif du paragraphe 92(1) de la LRTFP, un grief concernant la violation des droits prévus à l’article 17.02 de la convention collective. Peu importe que le libellé du grief soit suffisamment large pour inclure une plainte de violation de la convention collective ou non, la plainte ne pourra être renvoyée à l’arbitrage – et à la compétence de l’arbitre – que si elle a été portée au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Or, ni l’arbitre ni la juge Simpson ne se sont posé la question préliminaire suivante : les prétentions soumises à l’arbitre par Mme Shneidman avaientelles été portées jusqu’au dernier palier? Après avoir examiné cette question, je ne vois aucune raison de modifier la conclusion de la juge Simpson selon laquelle l’arbitre a commis une erreur en exerçant sa compétence à l’égard de la plainte de Mme Shneidman, laquelle alléguait que les droits qui lui étaient conférés par la convention collective avaient été violés.

 

 

[…]

 

[26]      Pour renvoyer une plainte à l’arbitrage, l’employée s’estimant lésée doit avoir informé son employeur de la nature exacte de ses doléances tout au long de la procédure interne de grief : Canada (Conseil du Trésor) c. Rinaldi, [1997] A.C.F. no 225, au paragraphe 28 (C.F. 1re inst.) (Rinaldi). Comme le juge Thurlow (alors juge en chef de la Cour fédérale) l’a écrit dans Burchill c. Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.F.), seuls les griefs qui ont été présentés et examinés à tous les paliers internes de la procédure de règlement des griefs peuvent être soumis à l’arbitrage :  

 

 

À notre avis, après le rejet de son seul grief présenté au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, le requérant ne pouvait présenter à l’arbitrage un nouveau grief ou un grief différent, ni transformer son grief en un grief contre une mesure disciplinaire entraînant le congédiement au sens du paragraphe 91(1). En vertu de cette disposition, seul un grief présenté et réglé conformément à l’article 90 ou visé à l’alinéa 91(1)a) ou b) peut être envoyé à l’arbitrage. À notre avis, puisque le requérant n’a pas énoncé dans son grief la plainte dont il aurait voulu saisir l’arbitre, à savoir que sa mise en disponibilité n’était, en vérité, qu’une mesure disciplinaire camouflée, rien ne vient donner à l’arbitre compétence pour connaître du grief en vertu du paragraphe 91(1). Par conséquent, l’arbitre n’a pas compétence.

 

 

(Voir aussi Schofield c. Canada (Procureur général), 2004 CF 622)

 

[27]      Lorsque le grief est suffisamment détaillé à première vue, l’employeur sera au courant de la nature de celuici à tous les paliers. Par contre, lorsque, comme en l’espèce, le grief n’indique pas clairement à première vue les motifs d’illégalité sur lesquels elle s’appuiera, l’employée doit préciser, à chaque étape de la procédure interne de grief, la nature exacte de sa plainte si elle entend renvoyer l’affaire à l’arbitrage.

 

 

[28]      Les deux parties tirent profit de cette obligation d’information. L’employeur doit comprendre la nature des allégations afin d’être en mesure d’y répondre de façon appropriée. Quant à l’employée, l’obligation d’information lui permet de comprendre ainsi les motifs pour lesquels l’employeur a rejeté son grief. En fait, cette obligation a été considérée comme un élément fondamental du processus de conciliation prévu par la LRTFP : Rinaldi, au paragraphe 22.

 

 

[29]      En l’espèce, même si l’on pouvait soutenir que le libellé du grief de Mme Shneidman était suffisamment large pour englober des violations des garanties contractuelles d’une procédure régulière, une personne qui lirait le grief ne saurait pas qu’elle a l’intention d’alléguer que son droit d’être accompagnée d’un représentant syndical en vertu de l’article 17.02 de la convention collective avait été violé. Mme Shneidman a reconnu implicitement ce fait lorsque, une semaine avant l’audition du grief par l’arbitre, elle a écrit à la Commission des relations de travail dans la fonction publique pour l’informer de son intention de soulever la question de la violation de la convention collective au début de l’audition.

 

[…]

                                                          (Non souligné dans l’original)

 

[22]           En tenant pour fondée l’objection soulevée par l’employeur, l’arbitre a aussi expressément examiné l’argument présenté par le syndicat selon lequel la jurisprudence met en garde contre l’application d’une approche trop technique ou exigeante en matière de rédaction ou de poursuite des griefs. Bien qu’il ait admis que les griefs ne devraient pas être tranchés en fonction de détails techniques non pertinents, l’arbitre a exprimé l’avis qu’il n’était pas trop exigeant dans les circonstances de la présente affaire d’exiger pendant la procédure de règlement de grief une identification plus claire de la question de fond comme question concernant les obligations de l’employeur en matière de santé et de sécurité au travail en vertu de la clause 16.01 de la convention collective. Encore une fois, cette conclusion peut se justifier au regard des faits et du droit.

 

[23]           Même si l’arbitre a reconnu que la question concernant l’état de santé du demandeur était parmi les questions soumises dans le cadre de la procédure de règlement de grief, cela ne suffisait pas à lui attribuer compétence. L’arbitre a accepté la proposition selon laquelle les préoccupations de santé d’un employé puissent être traitées dans certains cas comme question visée par les dispositions d’une convention collective comme dans le cas de la clause 16.01 (à la condition que ces préoccupations aient été soulevées dans le cadre de la procédure de règlement des griefs). Il a souligné que dans l’affaire Galarneau et al c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 70, une telle proposition avait été favorablement accueillie par un autre arbitre. Il a cependant conclu à juste titre que les conclusions tirées par l’arbitre dans Galarneau, précitée, ne signifiaient pas que tout grief contenant une allégation de préjudice pour la santé d’un fonctionnaire donnerait nécessairement lieu à une question d’interprétation des dispositions sur la santé et la sécurité d’une convention collective. Une conclusion en ce sens dépend de la nature du grief et des faits particuliers de l’espèce.

 

[24]           Quoi qu'il en soit, il était loisible à l’arbitre de conclure, dans le cas particulier qui l’occupait, que les faits invoqués par le syndicat et le fonctionnaire (maintenant le demandeur) laissaient croire que l’essence du grief ne touchait pas la santé et la sécurité au travail. De la façon dont le grief était libellé, son objectif visait le délivrance d’une ordonnance enjoignant à l’employeur de se conformer à ses propres exigences de politique sur le harcèlement, et le dédommagement demandé par le fonctionnaire reposait sur les effets négatifs du manquement allégué de l’employeur de l’avoir fait. L’arbitre n’était pas persuadé que l’employeur a compris ou aurait dû comprendre que ses obligations en matière de santé et de sécurité au travail visées par la clause 16.01 de la convention collective étaient en litige, et cette question n’a certes pas été abordée explicitement par le fonctionnaire ou par l’agent négociateur durant la procédure de règlement de grief. Sa conclusion peut se justifier au regard des faits et du droit.

 

[25]           L’arbitre n’a commis aucune erreur de droit. La question en litige porte simplement sur la qualification de l’objet véritable du grief. Il était loisible à l’arbitre de conclure que le grief portait essentiellement que l’employeur avait omis de se conformer à certaines exigences de la politique sur la tenue, au moment opportun, d’enquêtes en matière de harcèlement. Vu que les Politiques sur le harcèlement ne font pas partie de la convention collective, la question de leur application ne pouvant faire l’objet d’un grief en application de l’alinéa 209(1)a) de la Loi. En dernière analyse, l’arbitre a conclu de façon raisonnable que le fait d’accepter d’entendre le grief sur le fond à titre de question concernant la clause 16.01 équivaudrait à fermer les yeux sur le type de reformulation du grief qui, de l’avis de la Cour d’appel fédérale dans Burchill, ne devrait pas survenir.

 

[26]           La Cour ne voit aucun vice entachant la conclusion logique d’absence de compétence tirée par l’arbitre. Le demandeur et le syndicat peuvent ne pas être d’accord avec les conclusions tirées par l’arbitre et sa décision, comme bon leur semble. Toutefois, l’arbitre a pris en compte l’ensemble des arguments dont il a été saisi, les a analysés et a rendu une décision qui appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.   

 

[27]           Pour tous ces motifs, la présente demande doit être rejetée. Compte tenu du résultat, le défendeur a droit aux dépens . La Cour accepte la suggestion avancée dans cette éventualité par l’avocat du défendeur lors de l’audience, selon laquelle des dépens fixes devraient être taxés. En conséquence, un montant de 3 500 $ (somme que la Cour considère comme raisonnable) est alloué au défendeur.

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens fixes au montant de 3 500 $ en faveur du défendeur.

 

 « Luc Martineau »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-Jacques Goulet, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1699-10

 

INTITULÉ :                                       ROY LESLIE BOUDREAU c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 12 juillet 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald A. Pink, c.r.

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Richard E. Fader

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pink Larkin

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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