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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 Date : 20110805


Dossier : DES-7-08

Référence : 2011 CF 977

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 août 2011

En présence de monsieur le juge Blanchard

 

ENTRE :

 

AFFAIRE intéressant un certificat

déposé conformément au paragraphe 77(1) de la 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR);

 

 

 

 

ET le renvoi d’un certificat à la Cour fédérale conformément au paragraphe 77(1) de la LIPR;

 

 

 

ET Mohamed Zeki MAHJOUB

 

 

 

 

 

 

  MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Le 2 mai 2011, la Cour a rendu ses motifs de l’ordonnance concernant l’examen le plus récent des conditions de détention de M. Mahjoub. Le 16 mai 2011, la défense publique au nom de M. Mahjoub a présenté les questions suivantes à des fins de certification comme questions d’importance générale en vertu de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) :

 

  [traduction]

 

  QUESTION 1 : L’analyse de la Cour en ce qui concerne le danger dans des contrôles antérieurs de détention ou examens antérieurs des conditions réalisés en fonction d’une procédure jugée comme inconstitutionnelle par la Cour suprême du Canada dans Charkaoui, [2007] 1 RCS 350 peut-elle être valablement considérée comme pertinente dans le contexte d’un examen des conditions réalisé en vertu de la nouvelle loi?

 

  QUESTION 2 : L’analyse de la Cour dans les contrôles de la détention antérieurs et l’examen antérieur des conditions réalisé en fonction d’une procédure que la Cour suprême du Canada a jugé inconstitutionnelle dans Charkaoui, [2007] 1 RCS 350, peut-elle servir de ligne directrice sur des principes relatifs à la proportionnalité des conditions de détention ou sur des questions de danger dans un examen ultérieur et nouveau des conditions en vertu de la nouvelle loi?

 

  QUESTION 3 : Une analyse se rapportant au danger dans le contexte d’un examen des conditions en vertu du paragraphe 82(4) et de l’alinéa 82(5)b) de la LIPR peut-elle être fondée sur la nature des allégations des ministres et non sur les preuves d’un danger ou d’une conclusion de danger en fonction des preuves au dossier devant lui, sur des arguments soulevant l’absence de motifs appuyant la conclusion de danger?

 

  QUESTION 4 : Dans le contexte des conditions qu’un juge doit imposer en vertu du paragraphe 82(4) et de l’alinéa 82(5)b) de la LIPR, le fardeau de la justification de toute condition qui viole les droits constitutionnels de la personne repose-t-il sur les ministres portant le fardeau de la preuve et le critère dans Oakes?

 

  QUESTION 5 : Le juge qui préside un contrôle de la détention ou un examen des conditions en vertu de l’article 82 de la LIPR doit-il effectuer le contrôle conformément aux principes présentés aux sous-paragraphes (1), (2) et (8) du paragraphe 13 des motifs de l’ordonnance de la Cour pendant une procédure?

 

 

 

La loi

 

  • [2] L’alinéa 74d) de la LIPR prévoit ce qui suit :

 

 

d) le jugement consécutif au contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel en Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci.

(d) an appeal to the Federal Court of Appeal may be made only if, in rendering judgment, the judge certifies that a serious question of general importance is involved and states the question.

 

 

 

  • [3] La Cour d’appel fédérale dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89, au paragraphe 11, a établi le seuil de la certification d’une question comme suit : « Y a-t-il une question grave de portée générale qui permettrait de régler un appel ? » La Cour a poursuivi en disant au paragraphe 12 de ses motifs :

Le corollaire de la proposition selon laquelle une question doit permettre de régler l’appel est qu’il doit s’agir d’une question qui a été soulevée et qui a été examinée dans la décision d’instance inférieure. Autrement, la certification de la question constitue en fait un renvoi à la Cour fédérale. Si une question se pose eu égard aux faits d’une affaire dont un juge qui a entendu la demande est saisi, il incombe au juge de l’examiner. Si la question ne se pose pas, ou si le juge décide qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la question, il ne s’agit pas d’une question qu’il convient de certifier.

 

 

 

  • [4] La question doit transcender les intérêts immédiats des parties à l’égard du litige et examiner des questions particulièrement importantes ou de portée générale. De plus, le processus de certification ne doit pas être utilisé comme moyen d’obtenir des jugements déclaratoires de la Cour d’appel sur des questions appropriées qu’il n’est pas nécessaire de décider pour disposer d’un cas et qui ne doit pas être considérées comme le processus de référence établi par la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985 ch. F-7. Voir : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Liyanagamage (CAF), [1994] A.C.F. no 1637 (QL), (1994), 176 N.R. 4, aux paragraphes 4 à 6.

 

 

  • [6] Une question sérieuse d’importance générale découle des questions de l’affaire, pas des motifs du juge. En ce sens, le processus de certification diffère du processus normal d’appel. On demande à la Cour d’assumer une [traduction] « fonction de gardien » et le critère de certification est strict; toute question certifiée doit respecter les critères. Voir : Varela c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, aux paragraphes 22 à 29.

 

Questions proposées à des fins de certification par M. Mahjoub 

  • [7] Je passe maintenant aux questions à des fins de certification proposées.

 

QUESTION 1 : L’analyse de la Cour en ce qui concerne le danger dans des contrôles antérieurs de détention ou examens antérieurs des conditions réalisés en fonction d’une procédure jugée comme inconstitutionnelle par la Cour suprême du Canada dans Charkaoui, [2007] 1 RCS 350 peut-elle être valablement considérée comme pertinente dans le contexte d’un examen des conditions réalisé en vertu de la nouvelle loi?

 

QUESTION 2 : L’analyse de la Cour dans les contrôles de la détention antérieurs et l’examen antérieur des conditions réalisé en fonction d’une procédure que la Cour suprême du Canada a jugé inconstitutionnelle dans Charkaoui, [2007] 1 RCS 350, peut-elle servir de ligne directrice sur des principes relatifs à la proportionnalité des conditions de détention ou sur des questions de danger dans un examen ultérieur et nouveau des conditions en vertu de la nouvelle loi?

 

  • [8] L’examen en question a été réalisé après la décision de la Cour suprême du Canada dans Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 RCS 350 [Charkaoui I] et dans Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38 [Charkaoui II]. Les deux questions ci-dessus sont fondées sur la prémisse erronée selon laquelle la procédure se rapportant aux contrôles de détention a été jugée comme inconstitutionnelle par la Cour suprême du Canada dans Charkaoui I. La décision de la Cour suprême du Canada dans Charkaoui I visant à radier certaines parties du régime de certificat de sécurité n’a pas eu d’incidence sur les principes juridiques à appliquer à un contrôle de détention. En outre, en analysant les conditions de libération de M. Mahjoub, la Cour ne s’est pas appuyée sur la partie du système législatif que la Cour suprême a jugé inconstitutionnelle. Son analyse se rapportant au danger découlant de contrôles de détention antérieurs réalisés en fonction des dispositions précédentes est par conséquent pertinente. Par conséquent, les questions ne sont pas des questions qu’il convient de certifier puisqu’elles ne découlent pas des questions de l’affaire. Les questions proposées ne seront donc pas certifiées.

 

QUESTION 3 : Une analyse se rapportant au danger dans le contexte d’un examen des conditions en vertu du paragraphe 82(4) et de l’alinéa 82(5)b) de la LIPR peut-elle être fondée sur la nature des allégations des ministres et non sur les preuves d’un danger ou d’une conclusion de danger en fonction des preuves au dossier devant lui, sur des arguments soulevant l’absence de motifs appuyant la conclusion de danger?

 

  • [9] Au paragraphe 33 de ses motifs d’ordonnance, la Cour a écrit : « D’après le dossier dont je dispose, et vu la nature des allégations contre M. Mahjoub, je ne peux accueillir la demande de libération, à toutes fins pratiques inconditionnelle, de M. Mahjoub ». Il est évident que la Cour s’est appuyée sur toutes les preuves présentées jusqu’à ce jour pour rendre sa décision, et non sur les allégations des ministres, comme le soutient M. Mahjoub. Dans le contexte d’un contrôle de détention provisoire, on ne peut pas s’attendre à ce qu’une décision soit rendue à propos d’un « danger à la sécurité du Canada » avant que toutes les preuves aient été présentées et avant qu’une conclusion définitive sur le bien-fondé soit tirée. La question proposée ne découle pas des circonstances de l’affaire. Elle ne sera par conséquent pas certifiée.

 

QUESTION 4 : Dans le contexte des conditions qu’un juge doit imposer en vertu du paragraphe 82(4) et de l’alinéa 82(5)b) de la LIPR, le fardeau de la justification de toute condition qui viole les droits constitutionnels de la personne repose-t-il sur les ministres portant le fardeau de la preuve et le critère dans Oakes?

 

  • [10] Au paragraphe 23 de ses motifs, la Cour a écrit : « Il revient aux ministres d’établir la nécessité de maintenir les conditions rigoureuses de la mise en liberté ». L’avocat de M. Mahjoub a soulevé la question de savoir si les conditions étaient proportionnelles au risque, mais n’a pas soutenu que toute condition imposée doit être individuellement assujettie aux critères de l’arrêt Oakes (R. c Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103). La question proposée n’a été ni soulevée ni réglée dans la décision faisant l’objet d’un contrôle. Par conséquent, il ne s’agit pas d’une question qu’il convient de certifier. En outre, la Cour suprême dans Charkaoui I, aux paragraphes 121 et 123, a conclu que le système général de détention en vertu de la LIPR, y compris les contrôles de détention et les examens des conditions de libération, est conforme à la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [la Charte]. Le critère dans Oakes constitue une ligne directrice visant à aider la Cour à décider si une disposition législative qui viole la Charte peut être justifiée en vertu de l’article 1 de la Charte.Il n’y a rien dans la loi qui appuie la proposition selon laquelle chaque condition de libération doit respecter le critère dans Oakes. La question proposée ne sera par conséquent pas certifiée.

 

 

QUESTION 5 : Le juge qui préside un contrôle de la détention ou un examen des conditions en vertu de l’article 82 de la LIPR doit-il effectuer le contrôle conformément aux principes présentés aux sous-paragraphes (1), (2) et (8) du paragraphe 13 des motifs de l’ordonnance de la Cour pendant une procédure?

 

  • [11] Au paragraphe 20 de ses motifs de l’ordonnance, la Cour a adopté les principes et appliqué le cadre législatif établi dans Charkaoui I pour examiner les conditions de libération de M. Mahjoub. Dans cette question proposée, M. Mahjoub insiste encore sur l’adoption d’une analyse qu’il a proposée au cours de l’examen. Il a soutenu que l’examen serait réalisé conformément à certains principes, dont les principes suivants :

    1. [traduction] « que les conditions adaptées d’après l’alinéa 82(5)(b) de la LIPR ne soient imposées que s’il est constaté qu’un acte préjudiciable grave sera commis […] [d’après] « une conviction fondée sur des critères objectifs, que l’individu commettra une infraction » ».

    2. La crainte pour des motifs raisonnables « doit viser un risque de danger grave et imminent ».

  1. [traduction] « Le danger pour la sécurité du Canada doit être grave et considéré comme sérieux d’après une interprétation vaste et équitable, et conformément aux normes internationales qui exigent que soit faite la preuve d’une menace potentiellement grave mettant la nation en danger. »

 

  • [12] La Cour a rejeté l’approche qu’a proposée M. Mahjoub en faveur d’une procédure d’examen des conditions de libération que la Cour suprême du Canada a établie dans Charkaoui I. La question proposée cherche à rouvrir la question elle-même que la Cour suprême du Canada a précisément abordée. Dans Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), [2002] 1 RCS 3, la Cour suprême a reconnu que « danger pour la sécurité du Canada » est difficile à définir et obtenir des directives sur la façon dont le concept doit être interprété. Au paragraphe 85 de ses motifs, la Cour a écrit :

 

Ces réserves exprimées, nous convenons que, dans le contexte des dispositions régissant l’expulsion, il faut interpréter l’expression « danger pour la sécurité du Canada » d’une manière large et équitable, et en conformité avec les normes internationales. Nous reconnaissons que l’expression « danger pour la sécurité du Canada » est difficile à définir. Nous convenons aussi que la conclusion qu’il existe ou non un « danger pour la sécurité du Canada » repose en grande partie sur les faits et ressortit à la politique, au sens large. Tous ces éléments militent en faveur de l’application d’une approche large et souple en matière de sécurité nationale et, comme nous l’avons déjà expliqué, d’une norme de contrôle judiciaire caractérisée par la retenue. Si la ministre peut produire une preuve étayant raisonnablement la conclusion que l’intéressé constitue un danger pour la sécurité du Canada, les tribunaux ne doivent pas intervenir et modifier sa décision.

[Non souligné dans l’original]

 

 

 

L’examen en litige a été réalisé conformément à l’approche prescrite par la Cour suprême du Canada. La Cour a décidé qu’il était inutile de réexaminer cette question puisque l’approche et les principes applicables ont déjà été décidés par la Cour suprême. Comme il a été mentionné ci-dessus, la jurisprudence enseigne que, si le juge décide qu’il est inutile d’examiner une question afin du disposer du cas, la question n’est pas une question qu’il convient de certifier, voir Zazai, ci-dessus, au paragraphe 12. Par-dessus tout, la question proposée à des fins de certification ne transcende pas le contexte particulier duquel elle découle. De plus, la question qu’on cherche à certifier vise à réviser la question de savoir ce qui constitue un « danger pour la sécurité du Canada » en dépit du fait que cette question a été abordée et réglée par la Cour suprême. Le processus de certification n’est pas utilisé comme moyen d’obtenir de la Cour d’appel des jugements déclaratoires sur des questions appropriées qu’il n’est pas nécessaire de décider pour disposer du cas. La question proposée est par conséquent une question qu’il ne convient pas de certifier et elle ne sera pas certifiée. 

 

Conclusion

 

[13]  J’ai examiné minutieusement les écritures des parties au sujet des questions à certifier ci-dessus. Je conclus que M. Mahjoub n’a pas soulevé de questions sérieuses d’importance générale qui serait déterminante dans l’affaire comme le prévoit l’alinéa 74d) de la LIPR.

 

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE que la demande visant à certifier les questions proposées est rejetée. Monsieur Mahjoub n’a pas soulevé de questions sérieuses d’importance générale qui seraient déterminantes dans l’affaire comme le prévoit l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  DES-7-08

 

INTITULÉ :  Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

  et le ministre de la Sécurité publique c.

  Mohamed Zeki Mahjoub

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE DE CERTIFICATION

DES QUESTIONS PRÉSENTÉES PAR

M. MAHJOUB LE 16 MAI

2011 :  LE JUGE BLANCHARD

 

DATE DE L’ORDONNANCE :  Le 5 août 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Me David Tyndale

Me Sharon Stewart-Guthrie

Me Daniel Engel

Me Nimanthika Kaneira

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Me Johanne Doyon

Me Yavar Hameed

Me David Kolinsky

 

Me Gordon Cameron

Me Anil Kapoor

 

POUR LE DÉFENDEUR 

 

 

 

 

AVOCATS SPÉCIAUX

 

 


 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DEMANDEURS

Doyon & Associés Inc.

 

Desrosiers, Joncas, Massicotte

 

Hameed & Farrokhzad

Me David J.M. Kolinsky

Avocat

 

Me Gordon Cameron

Me Anil Kapoor

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

  POUR LES AVOCATS SPÉCIAUX

 

 

 

 

 

 

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