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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 Date: 20110729

Dossier : IMM-251-11

Référence : 2011 CF 966

Ottawa, Ontario, le 29 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Scott 

 

ENTRE :

 

JEAN PATRIQUE ORPHÉE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.                   INTRODUCTION

 

[1]               Le demandeur requiert la révision judiciaire de la décision de la Commission de l’immigration et des réfugiés (la Commission), rendue le 21 décembre 2010 aux termes de l’article 72(2)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LRC 2001, c 27) (la Loi). Dans cette décision, la Commission rejette la demande d’asile du demandeur et conclut qu’il n’a ni la qualité d’un réfugié, ni la qualité d’une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la Cour considère qu’il n’y a pas lieu d’intervenir.

 

II.        LES FAITS

 

[3]               Le demandeur est un citoyen d’Haïti. Son épouse y habite toujours ainsi que leurs enfants.

 

[4]               Au moment des évènements qui donnent lieu à sa demande d’asile, le demandeur travaille comme chauffeur de taxi. Il appartient également à l’Association des chauffeurs guides d’Haïti (l’Association).

 

[5]               Le 30 mars 2005, des inconnus armés tentent d’enlever le demandeur, son épouse et sa fille alors qu’ils prennent place à bord de leur véhicule. Ils s’enfuient et échappent à leurs assaillants.

 

[6]               Le 8 janvier 2009, le demandeur reçoit des menaces téléphoniques; on veut qu’il démissionne de l’Association. Un de ses collègues reçoit les mêmes menaces.

 

[7]               Le 1er février 2009, ce collègue est tué.

 

[8]               Le demandeur s’enfuit le 6 février 2009. Il se présente à la frontière canadienne le 7 février 2009 et y demande l’asile.

III.       LA DÉCISION DE LA COMMISSION

 

[9]               Dans sa décision, la Commission conclut que le demandeur n’a pas établi une crainte de persécution aux termes d’un des cinq motifs énoncés à la Convention des Nations Unies sur le Statut des Réfugiés. Elle détermine par ailleurs que le risque auquel il fait face, à Haïti, n’est pas personnalisé.

 

[10]           Le demandeur soutient qu’il est membre d’un « groupe social particulier » tel que définie dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, 103 DLR (4th) 1 [Ward]. La Commission rejette cette prétention parce que le risque encouru provient de sa participation dans l’Association. Or, selon la Commission, l’Association n’est ni « une association dont les membres s’associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu’ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association » ni un groupe « associé par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique ». De plus, la Commission retient, du témoignage du demandeur, qu’il entend changer de métier s’il retourne à Haïti.

 

[11]           Le demandeur craint également d’être persécuté pour ses opinions politiques. Il affirme que les armes utilisées par les bandits qui ont tenté de l’enlever en 2005 provenaient du gouvernement. La Commission rejette également ce motif car cette allégation ne constitue pas une opinion politique

 

[12]           La Commission étudie ensuite la protection de l’état haïtien aux termes l’article 97 de la Loi. Elle conclut que le demandeur fait face, à Haïti, à un risque généralisé aux termes de l’article 97(1)b). La Commission s’appuie sur la décision de madame la juge Tremblay-Lamer dans l’arrêt Prophète c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2008 CF 331, 167 ACWS (3d) 151 [Prophète].

 

IV.       LE DROIT APPLICABLE

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LRC 2001, c 27 :

Définition de « réfugié »

 

Convention refugee

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

 

Personne à protéger

 

Person in need of protection

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Personne à protéger

 

Person in need of protection

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

V.        LES QUESTIONS EN LITIGE ET LA NORME DE CONTRÔLE

 

[13]           Ce dossier soulève les questions suivantes

a.      Le demandeur est-il membre d’un « groupe social particulier » tel que défini dans l’arrêt Ward?

b.      Le risque qu’encourt le demandeur à Haïti est-il personnalisé?

 

[14]           La décision de la Commission voulant que le demandeur craint la persécution aux termes d’un des motifs prévus à la Convention se révise selon la norme de la décision raisonnable (voir Mia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 120, 94 ACWS (3d) 970 (QL) au para 16). Cette même norme s’applique à la deuxième question (Le risque qu’encourt le demandeur à Haïti est-il personnalisé?) (voir De Parada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 845, [2009] ACF no 1021 (QL) au para 19).

 

[15]           La Cour examine la justification, la transparence et l’intelligibilité de la décision, « ainsi qu[e] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 47).

 

VI.       L’ANALYSE

 

a) Le demandeur est-il membre d’un « groupe social particulier tel que défini dans l’arrêt Ward »?

 

La position du demandeur

 

[16]           Le demandeur soutient que la Commission erre en déterminant que l’Association ne répond pas à la définition de groupe social particulier au sens de l’arrêt Ward. Le demandeur rappelle sa participation active dans l’Association depuis 2000. Son emploi en tant que chauffeur de taxi et sa participation dans l’Association lui permettent de se réaliser et de satisfaire dignement à ses besoins et à ceux de sa famille en Haïti.

 

[17]           Le demandeur prétend que l’Association est un groupe social particulier parce que ses membres choisissent volontairement de devenir chauffeurs de taxis. Les buts de l’Association ne se limitent pas uniquement à une vocation commerciale ou pécuniaire mais ils visent aussi la dignité humaine de tous ses membres. Le fait de détenir un emploi permet aux membres de l’Association de se réaliser et d’assumer financièrement leurs besoins. Le demandeur soutient, de plus, que toute personne humaine doit être capable d’exercer librement son emploi. Il ne doit pas être contraint de changer de métier en raison de menaces.

 

La position du défendeur

 

[18]           Le défendeur répond que la qualité de réfugié, au sens de la Convention, s’apprécie en soupesant la nature des menaces qui pèsent contre un individu et non selon les motifs perçus par le demandeur d’asile. Le défendeur s’appuie sur l’arrêt Zolfagharkhani c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 3 FC 540, 155 NR 311 (FCA) au para 13. Selon le défendeur, le demandeur a admis, à l’audience, que les menaces visaient à lui extorquer de l’argent. L’extorsion est un acte criminel qui n’a aucun lien avec les motifs énoncés à la Convention.

 

[19]           Le défendeur rappelle les trois catégories de regroupement de personnes précisées par la Cour suprême dans l’arrêt Ward : celles qui possèdent une caractéristique innée ou immuable, celles qui s’associent pour des raisons essentielles à la dignité humaine et celles qui s’associent du fait d’un ancien statut volontaire devenu immuable en raison de sa permanence historique. Le défendeur soutient que l’Association n’est ni basée sur une caractéristique innée ou immuable, ni essentielle à la dignité humaine. Le défendeur souligne également que le demandeur entend changer de métier s’il devait retourner à Haïti. Le défendeur cite aussi l’arrêt Mortera c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 71 FTR 236, 45 ACWS (3d) 720 au para 3, dans lequel on précise que les individus fortunés ou financièrement aisés ne répondent  à la définition de membres d’un groupe social particulier du seul fait de leur statut financier.

 

 

 

L’analyse

 

[20]           Pour réussir dans sa demande de révision judiciaire, le demandeur doit nous convaincre que la Commission erre lorsqu’elle conclut que l’Association n’est pas un groupe social particulier au sens de l’arrêt Ward. Le métier de chauffeur de taxi ne constitue pas une caractéristique innée ou essentielle à la dignité humaine. Le demandeur admet, de plus, qu’il changerait de métier s’il doit retourner à Haïti. Cet aveu confirme le caractère volontaire de son choix d’emploi à titre de chauffeur de taxi. Sa participation dans l’Association n’a aucun impact sur sa dignité humaine. L’Association ne peut donc constituer un « groupe social particulier » au sens de Ward malgré les conditions de vie difficiles à Haïti et le chômage chronique qui y perdure.

 

b)         Le risque qu’encourt le demandeur à Haïti est-il personnalisé?

 

La position du demandeur

 

[21]           Le demandeur soutient que sa crainte découle de son métier de chauffeur de taxi et non pas seulement parce qu’on pense qu’il a de l’argent. Le demandeur affirme que le meurtre de son collègue l’a convaincu de s’enfuir sans son épouse et ses enfants. De plus, il soutient avoir déposé des éléments de preuve documentaires et témoigné pour établir que le meurtre et les menaces dont il fait l’objet résultent de son emploi à titre de chauffeur de taxi.

 

 

 

La position du défendeur

 

[22]           Le défendeur prétend que la Commission peut raisonnablement conclure que le risque auquel s’expose le demandeur s’il retourne à Haïti en est un généralisé et non pas personnalisé. Le défendeur cite l’arrêt Paz Guifarro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 182, [2011] ACF no 222 (QL), dans lequel on rappelle la décision de De Parada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 845, [2009] ACF no 1021 (QL) au para 22. On y affirme qu’un risque élevé pour un sous-groupe de la population ne constitue pas un risque personnalisé si l’ensemble de la population est exposé au même risque, quoique mois fréquemment. Selon le défendeur, les conclusions de la Commission sont raisonnables, le demandeur a tout simplement prouvé qu’il appartient à une couche de la société haïtienne qui possède plus de biens et conséquemment, plus sujette à recevoir des menaces d’extorsion.

 

L’analyse

 

[23]           La Cour considère que la décision de la Commission ne contient ni erreur d’appréciation des faits, ni du droit applicable en l’espèce. En effet, les éléments de preuve au dossier nous amènent aisément à conclure que la Commission applique correctement les principes de l’arrêt Ward précité. La participation du demandeur à l’Association et son statut de chauffeur-guide de taxi n’en font pas une personne à protéger au sens de la Convention puisqu’il n’est pas exposé à un risque différent et personnalisé (voir Prophète précité et Étienne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 64, 154 ACWS (3d) 1171 (QL)).

 

VII.     CONCLUSION

La présente demande de révision judiciaire est rejettée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.                   La Cour rejette la demande de révision judiciaire.

2.                   Ce dossier ne soulève aucune question d’intérêt général.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-251-11

 

INTITULÉ :                                       JEAN PATRIQUE ORPHÉE c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               20 juillet 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      29 juillet 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Styliani Markaki

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Marilyne Trudeau

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Styliani Markaki, avocate

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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