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Date : 20110728


Dossier : IMM-7357-10

Référence : 2011 CF 946

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

MARTINEZ RODRIGUEZ, NANCY CAROLINA

 

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

 

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

 

défendeur

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               Mme Martinez Rodriguez, qui est citoyenne salvadorienne, a voulu rendre visite à sa tante au Canada. Elle s’est rendue à l’ambassade du Canada à Guatemala afin d’obtenir un visa de résident temporaire. L’agente des visas lui a dit que, pour ce faire, il fallait qu’elle consente à la perte de son statut de résidente permanente du Canada et à l'abandon de tout droit d’appel dont elle aurait éventuellement pu disposer par ailleurs. Jusqu’à ce moment-là, elle ne savait pas qu’elle était, selon les documents des autorités canadiennes, résidente permanente du Canada, étant donné qu’elle ne s’y était rendue que deux fois auparavant, munie chaque fois de visas de visiteur. Elle a signé le formulaire.

 

[2]               Par la suite, elle a tenté d'interjeter appel devant la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La SAI a conclu qu’elle n’avait pas compétence, puisque Mme Martinez Rodriguez avait perdu son statut de résidente permanente. C’est sur cette décision que porte la présente demande de contrôle judiciaire.

 

Les faits

 

[3]               Mme Martinez Rodriguez a accompagné ses parents au Canada en 1991, où ils ont obtenu le statut de résident permanent. Elle était alors âgée de six ans. Lorsque ses parents ont quitté le Canada pour retourner au El Salvador deux mois plus tard, elle les a accompagnés. Elle est revenue au Canada en 1998 et en 2000, chaque fois munie d’un visa de visiteur. L’année dernière, elle a présenté une demande pour obtenir un autre visa de visiteur temporaire en vue de visiter sa tante qui réside au Canada.

 

[4]               Cette fois-ci, l’agente des visas s’est rendue compte que Mme Martinez Rodriguez avait obtenu le statut de résidente permanente en 1991. Toutefois, il était évident qu’elle n’avait pas satisfait à l’obligation de résidence, étant donné qu’elle n’avait pas passé une seule journée au Canada au cours des dix années précédentes.

 

[5]               Est donc en cause l’article 31 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), plus précisément le paragraphe 3, lequel dispose :


 (1) Il est remis au résident permanent et à la personne protégée une attestation de statut.

 

(2) Pour l’application de la présente loi et sauf décision contraire de l’agent, celui qui est muni d’une attestation est présumé avoir le statut qui y est mentionné; s’il ne peut présenter une attestation de statut de résident permanent, celui qui est à l’extérieur du Canada est présumé ne pas avoir ce statut.

 

 

 

 

 

 

 

(3) Il est remis un titre de voyage au résident permanent qui se trouve hors du Canada et qui n’est pas muni de l’attestation de statut de résident permanent sur preuve, à la suite d’un contrôle, que, selon le cas :

 

 

a) il remplit l’obligation de résidence;

 

 

b) il est constaté que l’alinéa 28(2)c) lui est applicable;

 

c) il a été effectivement présent au Canada au moins une fois au cours des 365 jours précédant le contrôle et, soit il a interjeté appel au titre du paragraphe 63(4) et celui-ci n’a pas été tranché en dernier ressort, soit le délai d’appel n’est pas expiré.

 (1) A permanent resident and a protected person shall be provided with a document indicating their status.

 

(2) For the purposes of this Act, unless an officer determines otherwise

 

(a) a person in possession of a status document referred to in subsection (1) is presumed to have the status indicated; and

 

(b) a person who is outside Canada and who does not present a status document indicating permanent resident status is presumed not to have permanent resident status.

 

(3) A permanent resident outside Canada who is not in possession of a status document indicating permanent resident status shall, following an examination, be issued a travel document if an officer is satisfied that

 

(a) they comply with the residency obligation under section 28;

 

(b) an officer has made the determination referred to in paragraph 28(2)(c); or

 

(c) they were physically present in Canada at least once within the 365 days before the examination and they have made an appeal under subsection 63(4) that has not been finally determined or the period for making such an appeal has not yet expired.

 

 

[6]               Ainsi, selon ces dispositions, l’agente des visas ne pouvait remettre un titre de voyage à Mme Martinez Rodriguez, et on ne pouvait lui accorder un visa de résident temporaire en raison de son statut de résident permanent.

 

[7]               En vue de contourner cet obstacle, elle a signé un document, en anglais, intitulé : « Acceptation de la décision sur l’obligation de résidence et abandon du droit d’appel entraînant la perte du statut en vertu de l’alinéa L46(1)b). » Ce document comportait deux parties, qu’elle a toutes deux signées. La première s’intitulait : « Acceptation volontaire de la décision de non-respect de l’obligation de résidence » et la seconde : « Abandon volontaire du droit d’appel de la décision concernant l’obligation de résidence au titre de l’article  28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. » L’article 28 énonce certaines obligations en matière de résidence. Aux termes de celui-ci, Mme Martinez Rodriguez aurait dû passer au moins 730 jours au Canada au cours des cinq dernières années. Toutefois, l'agent peut constater qu’il y a des considérations d’ordre humanitaire qui justifient le maintien du statut de résident permanent, malgré le manquement à l’obligation de résidence.

 

[8]               L’article 46 de la LIPR énonce les faits qui emportent perte du statut de résident permanent. Par exemple, l'alinéa 46(1)b), dispose :

(1) Emportent perte du statut de résident permanent les faits suivants :

 

b) la confirmation en dernier ressort du constat, hors du Canada, de manquement à l’obligation de résidence;

(1) A person loses permanent resident status

 

[…]

 

(b) on a final determination of a decision made outside of Canada that they have failed to comply with the residency obligation under section 28;

 

[9]               Enfin, le paragraphe 63(4) de la LIPR dispose :

(4) Le résident permanent peut interjeter appel de la décision rendue hors du Canada sur l’obligation de résidence.

(4) A permanent resident may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision made outside of Canada on the residency obligation under section 28

 

 

Discussion

 

[10]           L'on pourrait se demander quelle est l’utilité d’interjeter appel devant la SAI, étant donné qu’aux termes de l’article 28 de la LIPR Mme Martinez Rodriguez a perdu son statut de résident permanent. La réponse se trouve au paragraphe 67(1) de la LIPR qui dispose :

(1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

 

 

 

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

 

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

 

 

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

(1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

 

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

 

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

 

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

[11]           En l’espèce, contrairement à ce qui s'est produit dans d’autres affaires, la commissaire de la SAI n’a pas décliné compétence au motif qu’aucune décision n’avait été rendue. Ce moyen a été débattu devant elle, et la décision Tosic, SAI No de greffe TA507793, s'était prononcée dans ce sens.

 

[12]           Il faut bien comprendre que, selon moi, il y a une décision qui a été rendue hors du Canada en application de l’al. 46(1)b) de la LIPR. Si Mme Martinez Rodriguez n’a pas [TRADUCTION] « accepté la décision sur l’obligation de résidence […] en vertu de l’alinéa 46(1)b) » à quoi a-t-elle consenti?

 

[13]           La question qui se pose en l'espèce est de savoir si Mme Martinez Rodriguez a donné son consentement. En décidant qu’elle avait perdu le statut de résident permanent, et qu’elle n’avait donc pas compétence, la SAI a en substance conclu que ses moyens n'étaient pas fondés. Cette décision a été rendue sans qu'il soit donné à la demanderesse la possibilité de se faire entendre, dans le cadre d’une nouvelle audition.

 

[14]           Selon Mme Martinez Rodriguez, elle ne comprenait pas l’anglais, et, elle ne savait donc pas ce qu’elle signait. Certes, rien ne montre dans les notes du STIDI qu’on lui ait indiqué que, en abandonnant son droit d’appel, non seulement elle reconnaissait son manquement à l’obligation de résidence, mais également elle renonçait à tout droit d’invoquer des considérations d’ordre humanitaire, quelles qu’elles soient. Si elle avait su qu’elle possédait ce statut, elle aurait fort bien pu prendre d'autres dispositions. Il est vrai que ses parents auraient dû le lui dire, mais on n’aurait jamais dû lui accorder des visas de résident temporaire en 1998 et en 2000. L’agente des visas, chargée de ses demandes, aurait dû l’informer de son statut de résident permanent.

 

[15]           Même si la présente affaire n'est pas de nature contractuelle, le droit civil et la common law donnent un éclairage sur la notion de consentement.

 

[16]           L’article 1399 du Code civil du Québec énonce que :

1399. Le consentement doit être libre et éclairé.

 

 

Il peut être vicié par l'erreur, la crainte ou la lésion.

 

1399. Consent may be given only in a free and enlightened manner.

 

It may be vitiated by error, fear or lesion.

 

 

[17]           Soulignons également l'observation incidente de Lord Denning dans l’arrêt Lloyd’s Bank c. Bundy, [1975] 1 QB 326, à la page 339 :

[TRADUCTION] Tout bien considéré, je dirais que tous ces cas présentent un fil conducteur. Ils sont fondés sur le « déséquilibre du rapport de forces ». Dans ce contexte, le droit anglais accorde réparation à celui qui, sans avoir obtenu un avis impartial, conclut un contrat à des conditions qui sont très injustes ou transfère un bien en échange d’une contrepartie qui est scandaleusement insuffisante, sa capacité de négociation étant sérieusement diminuée par l’ampleur de ses propres besoins ou souhaits ou par sa propre ignorance ou infirmité, ce à quoi s’ajoutent les influences ou pressions exagérées qui sont exercées sur lui par l’autre ou au profit de l’autre. Quand je dis « exagérées », je ne veux pas dire par là que le principe dépend de la preuve d’un quelconque acte répréhensible.

 

[18]           Je ne voudrais pas donner à penser que l’agente des visas a exercé des pressions exagérées sur Mme Martinez Rodriguez. Dans ses notes, elle a indiqué que les réservations de vol se trouvaient dans le dossier. On ne sait pas si le billet était remboursable. Je ne voudrais pas non plus donner à penser que l’agente des visas a exercé une influence excessive. Néanmoins, Mme Martinez Rodriguez a signé le formulaire « sans avis impartial », perdant ainsi son statut de résident permanent. Qu’elle ait ou non valablement donné son consentement n’est pas une question sur laquelle il revient à la Cour de se prononcer. Elle est du ressort de la SAI.

 

[19]           La SAI craint que donner foi à de possibles vices de consentement déconsidèrerait le système d’immigration. Voici ce que la commissaire a indiqué :

Dans l’arrêt Sabour, la SAI s’est dite d’avis que « conclure que la demanderesse a conservé son droit d’appel et sa résidence permanente reviendrait à priver l’acceptation de la décision sur l’obligation de résidence et la renonciation au droit d’appel de portée juridique après que son signataire en eut tiré un avantage. Une telle conclusion porterait atteinte à l’intégrité du système canadien d’immigration en permettant à un résident permanent qui n’a pas respecté l’obligation de résidence de l’article 28 de la Loi mais qui souhaite venir rapidement au Canada de contourner l’obstacle qui constitue son manquement pour ensuite reprendre le processus de détermination de son statut, après son arrivée au Canada ». Le même raisonnement s’applique en l’espèce.

 

[20]           Avec respect, et même s’il est probable que l’agente des visas a pensé qu’elle faisait une faveur à Mme Martinez Rodriguez, étant donné qu’elle ne pouvait se munir d’un titre de voyage en raison de son statut de résidente permanente, si la seule solution était de renoncer à ce statut, on n’aurait pas dû lui donner cette possibilité. Il aurait fallu la renvoyer au El Salvador, et lui donner la pleine possibilité d’examiner les solutions possibles et de demander conseil. La renonciation à la résidence permanente est une étape très importante dans la vie d’une personne, qui ne doit pas être prise à la légère.

 

[21]           Même s’il ne fait aucun doute qu’elle a manqué à son obligation de résidence, il incombe à la SAI, et non à la présente Cour, de rechercher s’il y a  des considérations d’ordre humanitaire qui justifient qu'il n'en soit pas tenu compte.

 

Questions certifiées :

 

[22]           Le ministre n’a pas proposé la certification d’une question grave de portée générale.

 

Conclusion :

 

[23]           Vu que je suis en désaccord avec certaines décisions de la CISR rendues dans l'une ou l'autre langue officielle, tant sur la question de savoir s'il y avait une décision qui pouvait lui être déférée que sur celle de savoir si la signature du formulaire gouvernemental emporte toujours abandon du droit d’appel, l’exposé des présents motifs est simultanément mis à la disposition du public dans les deux langues officielles, conformément à l’article 20 de la Loi sur les langues officielles.

 

ORDONNANCE

 

PAR LES MOTIFS EXPOSÉS CI-DESSUS;

LA COUR: ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, en date du 29 novembre 2010, SAI No MB0-05866; annule la décision rendue par la SAI, et renvoie l’affaire à un tribunal différemment constitué de la SAI aux fins d’un nouvel examen.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur                                             


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7357-10

 

INTITULÉ :                                       Martinez Rodriguez c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 14 juillet 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      le 28 juillet 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jean-François Bertrand

 

POUR LA DEMANDERESSE

Daniel Latulippe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bertrand, Deslauriers

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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