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Cour fédérale

 

Federal Court

 


                                                                                                                                 Date : 20110714

Dossiers : IMM-5359-10

IMM-5360-10

IMM-5361-10

IMM-5445-10

IMM-5742-10

Référence : 2011 CF 878

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 juillet 2011

En présence de madame la juge Snider

Dossier : IMM-5359-10

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

B031

 

 

 

défendeur

 

Dossier : IMM-5360-10

ET ENTRE :

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

B028

 

 

 

Défendeur

 

Dossier : IMM-5361-10

ET ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

B024

 

 

 

Défendeur

 

Dossier : IMM-5445-10

ET ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

Demandeur

et

 

 

 

B033

 

 

 

Défendeur

 

Dossier : IMM-5742-10

ET ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

B017

 

 

 

Défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Dans les présents motifs du jugement, il est question de cinq demandes de contrôle judiciaire concernant cinq étrangers qui sont arrivés au Canada à bord du « MV Sun Sea » en août 2010, ainsi que de trois décisions mettant en liberté les défendeurs. Les présentes demandes de contrôle judiciaire sont cinq des sept causes types représentant 61 demandes déposées par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre), à titre de demandeur, relativement à des décisions par lesquelles des commissaires de la Section de l’immigration (la SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ont ordonné la mise en liberté des étrangers.

 

[2]               Comme on le verra plus loin, la question déterminante, dans toutes ces demandes, est le caractère théorique.

 

[3]               Les décisions faisant l’objet du présent contrôle sont les suivantes :

 

·                    La décision (décision no 1) et l’ordonnance (ordonnance no1) datées du 14 septembre 2010, par laquelle un commissaire (le commissaire no 1) de la SI a ordonné la mise en liberté des défendeurs appelés B031 (No du dossier de la Cour IMM-5359-10), B028 (No du dossier de la Cour IMM-5360-10) et B024 (No du dossier de la Cour IMM-5361-10);

 

·                    La décision (décision no 2) et l’ordonnance (ordonnance no 2) datées du 16 septembre 2010, par lesquelles un commissaire (commissaire no 2) de la SI a ordonné la mise en liberté du défendeur appelé B033 (No du dossier de la Cour IMM-5445-10);

 

·                    La décision (décision no 3) et l’ordonnance (ordonnance no 3) datées du 1er octobre 2010, par lesquelles un commissaire (commissaire no 3) de la SI a ordonné la mise en liberté du défendeur appelé B017 (No du dossier de la Cour IMM-5742-10).

 

[4]               Les deux autres demandes, qui faisaient partie des sept causes types, ont été entendues en même temps. Les motifs du jugement et jugement, faisant droit aux contrôles judiciaires, ont été rendus à l’égard des nos de dossiers de la Cour IMM-5414-10 et IMM-5415-10 (voir : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. B046, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. B047, 2011 CF 877 (décisions appelées « B046, B047 »)).

 

[5]               À cause des éléments et du règlement communs de chacune de ces cinq affaires, j’ai décidé qu’il était plus expéditif de toutes les régler dans le cadre de la présente série unique de motifs.

 

[6]               Le « MV Sun Sea » est arrivé en eaux canadiennes le 13 août 2010, avec à son bord 492 migrants. Le débarquement et le traitement de ces personnes a été, comme l’a décrit l’un des commissaires de la SI, [traduction] « une tâche monumentale ».

 

[7]               On ne saurait passer sous silence le contexte unique des migrants qui se trouvaient à bord du Sun Sea. Il s’agissait censément de Tamouls originaires du Sri Lanka. Il y avait une possibilité sérieuse que certains d’entre eux avaient des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET), un groupe désigné comme une organisation terroriste au Canada; ces personnes seraient dans ce cas interdites de territoire au Canada. Un grand nombre des migrants n’avaient manifestement pas de documents permettant de confirmer l’identité qu’ils alléguaient, mais les agents qui ont perquisitionné à bord du « MV Sun Sea » ont découvert de nombreuses pièces d’identité non réclamées qui avaient été en partie détruites. Détail important, il y avait à bord un certain nombre d’enfants; il était important d’établir l’identité des enfants et de leurs parents afin d’éliminer la possibilité d’une traite d’enfants. Ces facteurs et d’autres, habituellement absents dans le cas de demandeurs d’asile arrivant par d’autres moyens, ont créé une situation dans laquelle le ministre a accordé beaucoup d’importance au fait que l’on établisse l’identité des personnes.

 

[8]               Pour tous les défendeurs dont il est question dans les cinq affaires en l’espèce, le souci premier aux yeux du ministre était l’identité. Dans tous les contrôles des motifs de détention qui avaient mené aux décisions de la SI, le ministre avait voulu que l’on poursuive la détention parce que cette identité n’avait pas été encore établie. Dans chaque affaire, le commissaire de la SI a ordonné la mise en liberté de la personne, sous réserve de certaines conditions. À la date de l’audition des présentes demandes de contrôle judiciaire, le ministre est convaincu de l’identité de chacun des défendeurs dans les présentes affaires.

 

[9]               Les défendeurs soutiennent que, comme ils ont été mis en liberté, les demandes de contrôle judiciaire sont maintenant théoriques et n’ont pas à être entendues. Pour les motifs qui suivent, je conviens que les demandes sont maintenant théoriques, car la question de l’identité n’est plus un sujet de litige entre les parties. De plus, je n’exercerai pas le pouvoir discrétionnaire dont je dispose pour les entendre.

 

[10]           L’arrêt de principe concernant le caractère théorique est Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342, 33 CPC (2d) 105 (Borowski). Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a donné des conseils sur l’application de la doctrine du caractère théorique, notamment à l’égard du moment où les tribunaux doivent exercer leur pouvoir discrétionnaire pour s’écarter de la pratique habituelle qui consiste à ne pas trancher de questions hypothétiques ou abstraites. La Cour suprême a conclu que, en règle générale, un tribunal ne devrait pas rendre jugement dans les cas où sa décision sera sans effet pour trancher une controverse qui touche (ou peut toucher) les droits des parties.

 

[11]           Pour décider si une question est théorique ou non, la Cour suprême du Canada, au paragraphe 16 de ses motifs dans l’arrêt Borowski, précité, a décrit une analyse en deux temps. En premier, le tribunal doit se demander s’il subsiste un litige actuel. Si le litige n’existe plus, la question sera considérée comme théorique. En second lieu, si la question est théorique, le tribunal décide alors s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre quand même l’affaire. Pour exercer ce pouvoir discrétionnaire, il est nécessaire de prendre en considération les trois facteurs  qui suivent : 1) l’existence d’un débat contradictoire entre les parties, 2) l’économie des ressources judiciaires, et 3) la nécessité pour le tribunal de ne pas empiéter sur la fonction législative.

 

[12]           Le ministre reconnaît qu’étant donné que l’identité des défendeurs n’est plus un litige actuel, le différend d’ordre factuel qui opposait les parties a disparu. Cependant, le ministre demande instamment à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire et d’entendre les affaires.

 

[13]           Je conviens que la question qui constituait le fondement de la demande du ministre à l’égard des présents contrôles judiciaires n’existe plus. Le ministre cherchait à maintenir les défendeurs en détention dans le but exprès d’établir leurs identités; celles-ci ont maintenant été établies. Il n’y a plus de litige actuel.

 

[14]           Voyons maintenant les facteurs énumérés dans l’arrêt Borowski, précité, pour décider s’il convient que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour entendre quand même ces affaires.

 

[15]           En ce qui concerne le premier facteur, je conviens qu’il existe toujours une relation contradictoire entre les parties. La question sous-jacente et l’interprétation de l’article 248 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) dans les cas où il existe des motifs de maintenir la détention en vertu de l’alinéa 58(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). L’article 248 énumère un certain nombre de facteurs qu’il faut prendre en considération lorsqu’il a été conclu qu’il existe des motifs de détention. Le ministre adopte un point de vue très restrictif quant à la manière dont il faut interpréter l’article 248 du Règlement lorsqu’il est d’avis que l’identité d’un étranger n’a pas été établie, mais qu’elle devrait l’être (voir l’alinéa 58(1)d) de la LIPR). En revanche, les défendeurs ont un point de vue plus général. Je m’attends à ce que, dans les 54 affaires qui restent, les défendeurs adopteront la même position que les défendeurs en l’espèce, laissant intact le débat contradictoire.

 

[16]           Le deuxième facteur tient à l’« économie des ressources judiciaires ». Ce facteur a été décrit par la Cour suprême dans l’arrêt, Borowski, précité, au paragraphe 36 :

De même, il peut être justifié de consacrer des ressources judiciaires à des causes théoriques qui sont de nature répétitive et de courte durée. Pour garantir que sera soumise aux tribunaux une question importante qui, prise isolément, pourrait échapper à l'examen judiciaire, on peut décider de ne pas appliquer strictement la doctrine du caractère théorique. […] Le simple fait, cependant, que la même question puisse se présenter de nouveau, et même fréquemment, ne justifie pas à lui seul l'audition de l'appel s'il est devenu théorique. Il est préférable d'attendre et de trancher la question dans un véritable contexte contradictoire, à moins qu'il ressorte des circonstances que le différend aura toujours disparu avant d'être résolu.

 

[17]           Le ministre fait remarquer que les présentes demandes sont les causes types d’un groupe de 61 instances gérées de manière spéciale et qui soulèvent toutes des questions semblables. En particulier, une question commune est l’interprétation et l’application de l’article 248 du Règlement dans les cas où il existe des motifs de maintien en détention sous le régime de l’alinéa 58(1)d) de la LIPR, dans le contexte d’une arrivée massive de réfugiés au Canada. Le ministre soutient que cette question n’a pas déjà été examinée par la Cour fédérale dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

 

[18]           Je conviens que, à défaut d’autre chose, il s’agit là d’un solide argument en faveur de l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire. Cependant, il y a d’autres facteurs dont il faut tenir compte. Premièrement, il semble que le ministre a réglé l’identité d’un grand nombre de ces migrants. Si les enquêtes du ministre, qui se poursuivent actuellement, mettent au jour de nouveaux motifs pour procéder à de nouvelles arrestations ou maintenir des personnes en détention (comme l’interdiction de territoire pour raisons de sécurité, des soupçons d’abus des droits de la personne ou d’autres motifs), le ministre peut demander que les personnes en question soient mises en détention pour ces motifs. Toute décision de ma part à propos du sens de l’article 248 du Règlement serait inutile dans chacune des 61 affaires restantes où l’identité n’est plus en litige entre les parties.

 

[19]           Deuxièmement, dans la décision B046, B047, précitée, l’un des points litigieux que le ministre a soulevés était le fait de savoir si le commissaire de la SI, dans sa décision commune concernant les deux défendeurs, avait mal interprété l’article 248 du Règlement. Dans la décision B046, B047, précitée, l’identité était encore un litige actuel et, malgré les arguments contraires des défendeurs, j’ai conclu que la question n’était pas théorique. Dans ces affaires, j’ai relevé des erreurs dans la décision commune du commissaire de la SI, encore qu’elles ne concernaient pas l’interprétation faite par ce dernier de l’article 248 du Règlement. Cependant, pour arriver à une conclusion sur la question qui m’était soumise, j’ai analysé l’article 248 du règlement. Après avoir passé en revue les dossiers qui m’ont été soumis dans les présentes cinq affaires, je ne puis croire que leur issue, si on réglait les questions en litige, mènerait à des conseils différents ou à une interprétation différente au sujet de cet article. Étant donné que la question de l’interprétation législative n’était pas déterminante, j’ai refusé de certifier une question dans la décision B046, B047, précitée.

 

[20]           Je suis consciente que les parties préféreraient obtenir le point de vue de la Cour d’appel fédérale sur le sujet; moi aussi. La seule façon d’atteindre cet objectif serait de certifier une question. Cependant, vu la disparition du fondement factuel de ces affaires, la décision que la Cour d’appel a rendue dans l’affaire XXXX c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CAF 27, 18 Admin LR (5th) 68, m’amène à conclure qu’il y a peu de chances qu’elle consente à entendre l’appel.

 

[21]           En résumé, l’audition des présents contrôles judiciaires ne permettrait pas d’obtenir les conseils demandés pour les 54 affaires qu’il reste à examiner.

 

[22]           La troisième question est celle de savoir si une décision de la présente Cour, en l’absence d’un litige touchant les droits des parties, serait considérée comme un empiètement sur la fonction législative du gouvernement. En l’espèce, je ne crois pas que ce serait le cas. Dans les circonstances, toutefois, il ne s’agit pas là d’un point particulièrement pertinent ou important.

 

[23]           Compte tenu de tous les facteurs pertinents, je conclus qu’il n’existe pas d’argument solide en faveur de l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, et je refuserai de le faire. Les demandes de contrôle judiciaire seront rejetées.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  Les demandes de contrôle judiciaire dans chacune des affaires suivantes sont rejetées :

a)                  Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. B031 (No du dossier de la Cour IMM-5359-10);

 

b)                  Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. B028 (No du dossier de la Cour IMM-5360-10);

 

c)                  Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. B024 (No du dossier de la Cour IMM-5361-10);

 

d)                  Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. B033 (No du dossier de la Cour IMM-5445-10); et

 

e)                  Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. B017 (No du dossier de la Cour IMM-5742-10).

 

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Judith A. Snider »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIERS :                                      IMM-5359-10; IMM-5360-10; IMM-5361-10;

                                                            IMM-5445-10; IMM-5742-10

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. B031, B028, B024, B033, B017

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 JUIN 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 14 JUILLET 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Banafsheh Sokhansanj et Marina Stefanovic

 

POUR LE DEMANDEUR

Douglas Cannon

POUR LES DÉFENDEURS

B024, B028 AND B031

 

Rod Holloway

POUR LES DÉFENDEURS

B017 et B033

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Elgin, Cannon & Associates

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DÉFENDEURS

B024, B028 ET B031

Legal Services Society

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES DÉFENDEURS

B017 et B033

 

 

 

 

 

 

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