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Date : 20110712

Dossier : IMM-6895-10

Référence : 2011 CF 857

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2011

En présence de Monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

ISURU PRASANNA

NANAYAKKARA-AGARAGE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Commission a le droit de tirer des conclusions raisonnables fondées sur l’invraisemblance, le bon sens et la rationalité et peut rejeter les éléments qui ne sont pas compatibles avec l’ensemble de la preuve (Alizadeh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 11 (QL/Lexis) (C.A.F.); Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL/Lexis) (C.A.F.); Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.F.)).

 

II.  Introduction

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire relative à une décision qui a été rendue le 29 octobre 2010 et dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de « réfugié au sens de la Convention » ou de « personne à protéger » au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR].

 

III.  Les faits

[3]               Le demandeur, M. Isuru Prasanna Nanayakkara-Agarage, citoyen du Sri Lanka, a soutenu que ses problèmes ont débuté lorsqu’il a prêté son téléphone cellulaire, qui était exploité à l’aide de cartes prépayées, à un jeune Tamoul qui travaillait comme chauffeur/cuisinier pour une entreprise à Monaragala, dans la province d’Uva. Le demandeur et ce Tamoul, du nom de Shankar, ont travaillé ensemble pendant environ six semaines.

 

[4]               Vers la mi-octobre 2008, Shankar a disparu. Le 2 mai 2009, l’armée sri lankaise a tué quatre combattants des Tigres de libération de l’Eelam tamoul [TLET] dans le sanctuaire de Yala, situé dans le district de Hambantota de la province du Sud, à proximité de l’endroit où le demandeur travaillait pendant l’été. Le demandeur a fait valoir que son numéro de téléphone s’est trouvé entre les mains de ces « assassins » et que, le 6 mai 2009, il a été arrêté par le Terrorist Investigation Department [TID] (service des enquêtes sur le terrorisme ) du Sri Lanka et interrogé sur les liens qu’il avait avec Shankar. Il a ajouté qu’il avait également été torturé. D’après ce que le demandeur savait, Shankar avait des contacts avec certaines personnes à « Ampara » (province de l’Est). Le demandeur a déclaré que la police lui avait dit qu’effectivement, Shankar communiquait avec des « assassins » des TLET.

 

[5]               Le demandeur a ajouté qu’il a été confronté à d’autres accusations et que, sous la torture, il a dû signer un document.

 

[6]               Le demandeur a expliqué qu’il avait été relâché le lendemain après avoir payé un pot‑de‑vin élevé. Son père a ensuite pris des mesures pour l’aider à quitter le Sri Lanka et, depuis ce temps, le père a lui-même reçu la visite de la police.

 

III.  La question en litige

[7]               La décision de la Commission est-elle raisonnable?

 

IV.  La norme de contrôle

[8]               Les questions de fait ou les questions mixtes de droit et de fait sont révisées au regard de la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190).

 

V.  Analyse

[9]               La Cour fédérale ne substituera pas son pouvoir discrétionnaire à celui de la Commission s’il était loisible à celle-ci d’en arriver à la conclusion qu’elle a tirée, malgré le fait que la Cour aurait pu tirer des conclusions différentes ou juger la preuve plausible. La Cour fédérale a clarifié la jurisprudence à ce sujet dans la décision Aguebor, susmentionnée :

[3]        Il est exact, comme la Cour l’a dit dans Giron, qu’il peut être plus facile de faire réviser une conclusion d’implausibilité qui résulte d’inférences que de faire réviser une conclusion d’incrédibilité qui résulte du comportement du témoin et de contradictions dans le témoignage. La Cour n’a pas, ce disant, exclu le domaine de la plausibilité d’un récit du champ d’expertise du tribunal, pas plus qu’elle n’a établi un critère d’intervention différent selon qu’il s’agit de « plausibilité » ou de « crédibilité ».

 

[4]        Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu’est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire […]

 

[10]           Si le récit est vrai, pourquoi un individu qui avait des liens avec des assassins faisant partie des TLET ou avec des personnes associées à l’« ennemi » au milieu d’une guerre civile utiliserait-il le téléphone cellulaire d’une autre personne? En réponse, le demandeur a dit que c’était une question de coût. Shankar n’avait pas les moyens d’acheter le téléphone, mais il pouvait payer les frais correspondant aux minutes. La Commission a jugé que cette explication n’était pas satisfaisante. Si Shankar communiquait avec les TLET, ce qui signifie qu’il risquait d’être repéré, il n’utiliserait probablement pas un numéro de téléphone qui permettrait de le trouver, ce qui serait le cas avec un téléphone emprunté au fils de l’ami de son employeur.

 

[11]           Le fait que le demandeur a été mis en liberté montre que les autorités ne pensaient pas sérieusement qu’il était membre des TLET ou qu’il avait des liens avec eux.

 

[12]           Le demandeur a allégué que la police et le TID le recherchaient activement. Vers la même période, il a pu obtenir un visa de séjour canadien et un passeport sri lankais valides et quitter le pays avec un groupe d’étudiants, dont l’un provenait du collège qu’il fréquentait, pour assister à une conférence au Canada.

 

[13]           Afin de monter à bord de l’avion, le demandeur a franchi la zone de sécurité et ses pièces d’identité ont alors été examinées. La Commission a conclu qu’il aurait été impossible pour le demandeur de franchir la zone de sécurité de l’aéroport s’il avait été recherché par le TID.

 

[14]           Selon un rapport du Home Office du Royaume-Uni :

[traduction]

… Tous les passagers doivent remplir une fiche de départ et se mettre ensuite en file d’attente au bureau de l’agent d’immigration. Les passagers doivent présenter leur passeport, leur fiche de départ et leur carte d’embarquement à l’agent d’immigration, qui glisse le passeport dans le lecteur de la base de données du système de contrôle frontalier du département d’immigration et d’émigration... Après avoir franchi le système de contrôle de l’immigration, les passagers se rendent dans la grande salle de départ. D’autres contrôles de sécurité sont effectués lorsque les passagers arrivent à la porte d’embarquement... Le personnel des compagnies aériennes effectue ensuite une autre vérification des cartes d’embarquement avant l’entrée des passagers dans la salle d’attente.

 

(Pièce A-3 : Cartable national de documentation sur le Sri Lanka, 13 août 2010, onglet 2.7, Royaume-Uni (R.-U.). 18 février 2010. Home Office. Country of Origin Information Report : Sri Lanka, au paragraphe 33.03).

 

[15]           La Commission a décidé que la vraisemblance du récit du demandeur au sujet de son arrivée au Canada était également douteuse. Selon le demandeur, sa participation au JAX Youth Leader’s Exchange Program (programme d’échange de jeunes dirigeants JAX) à Hamilton, en Ontario (du 2 au 14 août), était simplement un moyen de quitter le Sri Lanka. La Commission s’interrogeait sérieusement au sujet de la description que le demandeur avait faite de sa participation à cet événement et de l’aide qu’il avait obtenue et qui avait facilité son intégration (au paragraphe 21). (Il y a lieu de s’interroger sur la mesure dans laquelle une organisation serait prête à permettre à une personne qui n’en est pas membre de participer à un programme, au risque de mettre en péril son existence et d’attirer l’attention sur chacun de ses membres.)

 

VI.  Conclusion

[16]           Pour tous les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire du demandeur soit rejetée. Il n’y a aucune question à faire certifier.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-6895-10

 

INTITULÉ :                                                   ISURU PRASANNA NANAYAKKARA-AGARAGE c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 6 juillet 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE SHORE

 

DATE JUGEMENT :                                    Le 12 juillet 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Viken G. Artinian

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Michel Pépin

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Allen & Associés

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal, (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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