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Date : 20110708

Dossier : IMM-132-11

Référence : 2011 CF 855

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 8 juillet 2011

En présence de Madame la juge Tremblay-Lamer

 

ENTRE :

 

MARIA DE LOURDES GONZALEZ DURAN

DAIRA VANESSA GONZALEZ

CESAR ANTONIO GONZALEZ

SANDRA NOEMI GONZALEZ DURAN

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi), à l’égard d’une décision datée du 8 décembre 2010 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) a rejeté les demandes des demandeurs en vue d’obtenir le statut de réfugiés et de personnes à protéger.


I. Les faits à l’origine du litige

[2]               Maria de Lourdes Gonzales Duran (la demanderesse principale), ses deux enfants, Daira et Cesar, et sa soeur, Sandra, qui sont tous des citoyens du Mexique, ont demandé la protection au Canada.

 

[3]               La demanderesse principale a demandé la protection au Canada, parce qu’elle se disait victime de mauvais traitements infligés par son ex-conjoint, Arturo. Les autres demandeurs ont fondé leurs demandes sur celle de la demanderesse principale.

 

[4]               La demanderesse principale a rencontré Arturo en 1993. Étant donné que tous les deux vivaient dans des villes différentes, ils se sont vu une ou deux fois par semaine pendant une période de six ans. Arturo a commencé à se montrer agressif, mais la demanderesse principale n’a pas reconnu les signes de cette agressivité lorsqu’ils ont commencé à se manifester. Au cours de l’été de 1999, la demanderesse principale a constaté qu’elle était enceinte. Comme il n’approuvait pas la grossesse, Arturo a donc abandonné la demanderesse principale. Le 6 avril 2000, Daira est née. La demanderesse principale a quitté la maison de ses parents pour aller vivre chez sa soeur.

 

[5]               En 2001, Arturo a repris contact avec la demanderesse principale. Il a commencé à aller la voir régulièrement et lui a avoué qu’il était marié à une autre femme.

 

[6]               En 2005, Maria est devenue enceinte du deuxième enfant du couple, Cesar. Vers cette époque, Arturo a quitté le Mexique pour aller aux États-Unis.

 

[7]               Vers le milieu de l’année 2006, Arturo est retourné au Mexique. Il s’est montré agressif, physiquement et verbalement, à l’endroit de la demanderesse principale, et a nié être le père de l’enfant. Ni Maria non plus que sa soeur n’ont fait de signalement à la police.

 

[8]               La demanderesse principale soutient qu’en mars 2009, Arturo a menacé d’enlever les enfants. Le 5 avril, il a gardé leur fille pendant deux jours sans le consentement de la demanderesse principale. Il a fait du chantage auprès de celle-ci afin de l’empêcher de mettre fin à leur relation et d’aviser la police. Il l’a prévenue qu’il avait des amis et des membres de sa famille qui faisaient partie de la police.

 

[9]               La demanderesse principale soutient qu’en novembre 2008, l’épouse d’Arturo a commencé à communiquer avec elle et les membres de sa famille. Elle lui téléphonait à la maison et au travail pour l’insulter. En avril 2009, l’épouse d’Arturo a insulté la fille de la demanderesse principale devant d’autres enfants à l’école.

 

[10]           La demanderesse principale a quitté le Mexique avec sa famille le 11 mai 2009 et ils sont venus directement au Canada pour solliciter la protection. Elle fait valoir que, étant donné qu’elle était partie, elle ne croyait pas qu’elle trouverait un endroit sûr au Mexique, puisqu’Arturo était vendeur et avait un réseau de connaissances partout au pays.

 

II. Les questions en litige

[11]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

            a) Le tribunal a-t-il commis une erreur en décidant que la demanderesse principale pouvait se prévaloir de la protection de l’État?

            b) Le tribunal a-t-il commis une erreur lors de l’application des directives concernant la persécution fondée sur le sexe?

 

III. Analyse

[12]           Il est clairement établi dans la jurisprudence que la question de la protection de l’État devrait être examinée au regard de la norme de la décision raisonnable (Corzas Monjaras et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 771, aux paragraphes 15 et 16; Hippolyte c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 82, aux paragraphes 22 et 23). La question de savoir si le tribunal a appliqué correctement les directives concernant la persécution fondée sur le sexe devrait également être révisée selon la norme de la décision raisonnable (Juarez c. Canada, 2010 CF 890, au paragraphe 12).

 

a) Le tribunal a-t-il commis une erreur en décidant que la demanderesse principale pouvait se prévaloir de la protection de l’État?

 

[13]           Dans Mendoza c. Canada, 2010 CF 119, au paragraphe 33 [Mendoza], mon collègue, le juge François Lemieux, a énoncé un sommaire utile des principes de droit découlant de la jurisprudence relative à la protection de l’État :

À partir des décisions susmentionnées, je puise certains principes de droit applicables et je les résume comme suit :

1)         Il y a lieu de présumer que l’État est prêt à tenter d’assurer la protection de ses citoyens et est capable de les protéger (Ward).

2)         La preuve de la volonté de l’État de protéger ne peut être assimilée à une preuve de protection adéquate (Ward).

3)         Chaque cas est un cas d’espèce. Donc, bien que l’existence de la protection de l’État au Mexique puisse avoir été reconnue, peut-être même au niveau d’un État donné, cela n’empêche pas une cour de justice de conclure, en se fondant sur des faits différents, que le même État est incapable d’offrir une protection adéquate (Avila).

4)         On s’attend à ce que le demandeur d’asile prenne toutes les mesures raisonnables dans sa situation pour se prévaloir de la protection de l’État contre ses persécuteurs (Ward, Avila). Le demandeur qui ne le fait pas et qui soutient que la protection de l’État est insuffisante a la charge de présenter une preuve à cet égard et de convaincre le tribunal de son bien-fondé (Carillo).

5)         Cette exception à l’attente générale que les demandeurs d’asile s’adressent à l’État étaye le principe selon lequel le demandeur d’asile n’a pas à mettre sa vie en danger pour démontrer l’inefficacité de la protection de l’État (Ward, Avila).

6)         La conclusion du tribunal selon laquelle le demandeur d’asile n’a pas pris de mesures pour obtenir la protection de l’État ne porte un coup fatal à la demande que dans le cas où celui-ci conclut également que la protection pouvait raisonnablement être offerte. Pour tirer une conclusion à cet égard, le tribunal est tenu d’examiner le caractère unique du pouvoir et de l’influence du persécuteur allégué sur la capacité et la volonté de l’État de protéger (Ward, Avila, Heurtado-Martinez).

7)         Dans le même ordre d’idées, si le persécuteur allégué n’est pas un agent de l’État, le tribunal doit examiner la motivation de l’agent persécuteur et sa capacité à poursuivre le demandeur localement ou dans l’ensemble du pays, ce qui pose, le cas échéant, la question de l’existence d’un refuge interne et de sa raisonnabilité (Avila).

8)         La preuve pouvant être présentée pour démontrer que la protection de l’État n’aurait pu raisonnablement être assurée comprend : le témoignage des personnes qui sont dans une situation semblable à celle du demandeur, son propre témoignage au sujet de la protection de l’État et une preuve documentaire (Ward).

9)         La norme de preuve est celle de la prépondérance des probabilités (Carillo).

10)       La qualité d’une telle preuve sera proportionnelle au degré de démocratie d’un État (Avila).

11)       Le degré de démocratie peut diminuer si l’État tolère la corruption de ses institutions (Avila).

12)       La preuve des recours contre la corruption n’établit pas leur effet pratique (Avila). Afin de neutraliser l’impact de la corruption sur l’analyse de la preuve, la Commission doit établir l’effet pratique des recours en question.

13)       La preuve doit être pertinente, digne de foi et convaincante pour démontrer au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante (Carillo).

 

[14]           Les demandeurs font valoir que le tribunal a appliqué des exigences trop élevées à satisfaire pour réfuter la présomption relative à la protection de l’État. Étant donné que le Mexique est une démocratie en voie de développement, ils font valoir qu’il est plus facile de réfuter cette présomption. De plus, disent-ils, il n’y a aucun élément de preuve montrant que les femmes qui fuient la violence conjugale peuvent obtenir une protection adéquate de l’État en pratique et que le tribunal n’aurait pas dû se fonder sur les éléments de preuve concernant de simples efforts que l’État déploie pour offrir de la protection. Enfin, affirment-ils, il n’y avait pas lieu d’obliger la demanderesse principale à solliciter une protection de l’État qui n’est pas efficace simplement pour établir le caractère insuffisant de celle‑ci. Pour les raisons qui suivent, je ne suis pas d’accord avec les demandeurs.

 

[15]           Il est bien reconnu qu’il incombe au demandeur de présenter des éléments de preuve et de prouver selon la prépondérance des probabilités que la protection de l’État est insuffisante (Carillo c. Canada, 2008 CAF 94). Dans la présente affaire, ce qui est problématique, c’est l’absence de preuve réfutant la présomption relative à la protection de l’État et démontrant que celle-ci est insuffisante au Mexique.

 

[16]           Dans la présente affaire, ni la demanderesse principale non plus que sa soeur n’ont tenté d’obtenir l’aide de la police au Mexique. Elles soutiennent avoir agi ainsi parce que la demanderesse principale s’était fait dire qu’Arturo avait un cousin qui travaillait pour la police. Cependant, comme l’a souligné le tribunal, la demanderesse principale n’a pu fournir le nom du cousin ou l’endroit où il travaillait au sein de la police, ni présenter le moindre élément de preuve établissant qu’Arturo avait des liens avec celle-ci. En conséquence, les demandeurs ne se sont pas déchargés du fardeau qu’ils avaient de convaincre le tribunal que la protection était inefficace et inadéquate. Il ne suffit pas pour une partie demanderesse d’invoquer uniquement des documents faisant état de lacunes au sein du système judiciaire si elle n’a pris aucune mesure pour se prévaloir de la protection de l’État (Alvarez c. Canada (MCI), 2010 CF 197, au paragraphe 22).

 

[17]           De plus, le tribunal n’est pas tenu de mentionner chaque élément de preuve sur lequel il se fonde dans sa décision, surtout lorsqu’il appert clairement des motifs qu’il a tenu compte de l’ensemble de la preuve pertinente dans laquelle la faiblesse du régime de protection de l’État au Mexique est reconnue et dans laquelle les failles sont relevées, de même que les améliorations que le gouvernement a apportées (Monjaras c. Canada (MCI), 2010 CF 771).

 

[18]           Le tribunal n’était pas convaincu selon la prépondérance des probabilités que la protection offerte par l’État était inadéquate. Il estimait que les demandeurs n’avaient pas démontré que, s’ils avaient pris des mesures actives pour s’en prévaloir, ils n’auraient pu obtenir la protection de l’État au Mexique. Cette conclusion constitue un résultat possible et acceptable, compte tenu des faits et du droit. En conséquence, l’intervention de la Cour fédérale n’est pas justifiée.

 

b) Le tribunal a-t-il commis une erreur lors de l’application des directives concernant la persécution fondée sur le sexe?

[19]           Les demandeurs font valoir que le tribunal a commis une erreur en mentionnant les directives concernant la persécution fondée sur le sexe, mais en omettant de mener une analyse liée au sexe qui soit significative lorsqu’il en est arrivé à sa décision et qu’il a évalué la protection de l’État. Encore là, je ne souscris pas à cet argument.

 

[20]           Dans ses motifs, le tribunal a relevé certaines incohérences en ce qui a trait au degré de protection que l’État offrait aux victimes de violence fondée sur le sexe. Il a reconnu que la violence faite aux femmes était répandue et qu’il y restait [traduction] « beaucoup de travail à faire pour prévoir des interventions officielles dans les cas de violence fondée sur le sexe au Mexique ».

 

[21]           Cependant, le tribunal a également souligné que la documentation montrait qu’au cours des dernières années, il y avait eu un changement progressif de l’attitude de l’État et du gouvernement fédéral et qu’un plus grand nombre de mécanismes étaient mis en oeuvre afin d’assurer une intervention plus efficace. De plus, le tribunal a mentionné que la mise en oeuvre de nouvelles dispositions législatives « permet aux victimes de demander une ordonnance de protection ou de non-communication et confère à la police le pouvoir de retirer l’agresseur du domicile ainsi que de l’interdire de s’approcher de la résidence de la victime, de son lieu de travail, du domicile de ses proches, de l’école qu’elle fréquente et des autres endroits où elle se rend régulièrement, [...] permet aux policiers de saisir des armes à feu et assure aux victimes la prestation d’une aide immédiate ». Le tribunal a aussi souligné que l’État avait mis en place un programme le 7 mars 2008 pour l’éradication de la violence faite aux femmes.

 

[22]           Dans l’ensemble, les motifs de la décision du tribunal montrent que celui-ci a tenu compte de l’aspect lié au sexe des allégations des demandeurs, mais qu’il a néanmoins conclu que l’intervention de l’État à l’égard des problèmes précis de violence fondée sur le sexe était plus efficace. Compte tenu de la preuve, cette conclusion est raisonnable et il n’appartient pas à la Cour fédérale de réévaluer la preuve et de substituer sa propre conclusion à celle du tribunal.

 

[23]           Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire relative à la décision du tribunal est rejetée.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire relative à la décision du tribunal soit rejetée.

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-132-11

 

INTITULÉ :                                                   MARIA DE LOURDES GONZALEZ DURAN et al. c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 6 juillet 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DU JUGEMENT :                             Le 8 juillet 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peggy Lee

POUR LES DEMANDEURS

 

Hilla Aharon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Elgin, Cannon & Associates

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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