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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110708

Dossier : T-325-10

Référence : 2011 CF 840

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON-RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2011

En présence de madame la juge Simpson

 

 

ENTRE :

 

CHRISTIANE MEIER

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LA PROCÉDURE

 

[1]               Christiane Meier (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire, au titre de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-1, d’une décision de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) datée du 22 janvier 2010 (la décision), par laquelle celle-ci a rejeté, au deuxième palier, la demande d’allègement quant aux intérêts présentée par la demanderesse au titre du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.)(la Loi). La demanderesse avait fondé sa demande sur des difficultés financières.

 

LES FAITS

 

[2]               La demanderesse est une mère monoparentale de trois enfants mineurs. Elle travaille à son compte comme coiffeuse et aide ménagère. La famille vit dans le petit village d’Errington, en Colombie‑Britannique.

 

[3]               En 2004, la demanderesse et son époux avaient investi 95 700,00 $ dans la société Kleincorp Mgmt. Inc. (Kleincorp), dont le propriétaire était Daryl Klein. Ils ont cependant perdu un montant total de 44 100,00 $ lorsque Kleincorp est devenue insolvable en 2006 et que celle-ci s’avéra être une chaîne de Ponzi.  

 

[4]               Kleincorp a produit des formulaires T5 rapportant des revenus d’intérêts prétendument versés à la demanderesse. Les formulaires faisaient état d’un revenu total de 89 325,55 $, dont 24 425,65 $ auraient été versés en 2004 et 64 926,90 $ auraient été versés en 2005. Cependant, la demanderesse n’a pas reçu ces sommes. On lui a versé des revenus d’intérêts, mais ceux-ci étaient substantiellement moindres que les montants qui figuraient sur les formulaires T5.

 

[5]               Le 27 juin 2007, la demanderesse a communiqué avec l’ARC pour lui demander de réviser la ligne 121 de ses déclarations de revenus des années 2004 et 2005, afin d’y soustraire les intérêts rapportés par Kleincorp, qui n’avaient, dans les faits, jamais été versés. L’ARC a rejeté sa demande d’ajustement par une lettre datée du 22 août 2007.

 

[6]               La demanderesse et son époux ont divorcé à un certain moment entre 2006 et août 2007. La demanderesse a vendu l’ancien foyer conjugal en août 2007. Il n’y avait cependant aucune valeur nette. Plus tard au cours de la même année, en novembre, la demanderesse a vendu un immeuble locatif pour la somme de 118 265,00 $. Le 13 février 2008, elle a utilisé 94 800,00 $ du produit de cette vente, ainsi qu’un prêt hypothécaire de 40 200,00 $ pour acheter une maison-mobile. Elle a aussi versé 4 000,00 $ pour rembourser le solde d’une carte de crédit qu’elle détenait conjointement avec son ancien époux. Le solde du produit de vente (19 465,00 $) a servi à subvenir aux besoins de sa famille.

 

[7]               En 2008, l’ARC a effectué une vérification des impôts de la demanderesse pour les années 2004, 2005 et 2006. La vérification a révélé que le comptable de l’époux de la demanderesse, qui avait préparé les déclarations de revenus de cette dernière, avait réclamé environ 30 000,00 $ en déductions pour entreprise qui n’étaient pas soutenues par des documents. La demanderesse a signé ses déclarations de revenus, sans les lire. Elle affirme qu’elle ne savait pas que des déductions avaient été demandées et reconnaît que celles-ci n’étaient pas valides. L’ARC ne soutient pas que la demanderesse ait sciemment produit une fausse déclaration. Le 9 septembre 2008, à la fin de la vérification, un avis de nouvelle cotisation (la nouvelle cotisation) a été établi, lequel faisait état d’un solde à payer de 20 970,81 $ pour l’année 2005 et de 1 581,87 $ pour l’année 2006. Il s’agit des premières et seules dettes d’impôt contractées par la demanderesse.

 

[8]               À la suite de la vérification, la demanderesse a perdu confiance envers le comptable de son époux et a engagé M. McGorman, son comptable actuel. Celui-ci a présenté, le 7 janvier 2009, une demande d’allègement pour le compte de la demanderesse, dans le but d’obtenir une renonciation aux intérêts dus par la demanderesse sur sa dette d’impôt ou une annulation ceux‑ci, pour des motifs de difficultés financières. 

 

[9]               La demanderesse a toujours produit ses déclarations de revenus à temps, et les années 2005 et 2006 sont les seules au cours desquelles elle ne se s’était pas acquittée de la totalité de son solde d’impôt à payer.

 

[10]           La demanderesse ne conteste pas la nouvelle cotisation. Elle vise seulement à obtenir un allègement quant aux intérêts.

 

LA DÉCISION AU PREMIER PALIER

 

[11]           L’ARC a rejeté la demande d’allègement présentée par la demanderesse au premier palier. La demande a été rejetée, car l’ARC était d’avis que la dette était attribuable aux déductions qui avaient été refusées et qu’elle n’était pas causée par l’insolvabilité de Kleincorp. De plus, l’ARC a conclu que la déclaration de revenus de la demanderesse pour l’année 2005 avait fait l’objet d’une première nouvelle cotisation le 17 octobre 2006 et qu’elle n’aurait pas pu se servir du produit de vente de l’immeuble locatif de novembre 2007 pour s’acquitter du solde qu’elle devait, qui s’élevait à 11 651,89 $ à ce moment-là. L’ARC a aussi mentionné que la demanderesse avait un RÉER d’une valeur d’environ 14 000,00 $ et qu’elle remboursait entièrement et à temps ses créanciers, et a donc conclu que la demanderesse n’avait pas réussi à démontrer qu’elle éprouvait des difficultés financières. Finalement, l’ARC a affirmé que les demandes d’allègement exigent, règle générale, que le contribuable ait établi un plan de versements mensuels convenable et que la demanderesse n’avait pris aucun arrangement en ce sens.

 

[12]           À la suite de la décision au premier palier, M. McGorman a présenté une demande au deuxième palier, le 19 août 2009. Le 25 septembre 2009, l’ARC a demandé à la demanderesse de fournir des renseignements financiers supplémentaires, que cette dernière a fournis le 24 octobre 2009 et qui étaient accompagnés d’une lettre dans laquelle elle expliquait sa situation.

 

LA DÉCISION AU DEUXIÈME PALIER

 

[13]           L’ARC a rejeté la demande au deuxième palier le 22 janvier 2010. La décision était fondée sur (i) l’omission de la demanderesse de s’acquitter de sa dette au moment de la vente de son immeuble locatif, (ii) le fait qu’elle n’ait pas liquidé son RÉER et (iii) son omission de conclure un plan de versement.

 

[14]           La décision était appuyée par un document de l’ARC nommé [traduction] « Document d’information sur l’allègement pour contribuables ». Celui-ci contenait le résumé des faits suivant :

[traduction]

La contribuable demande un allègement pour les années d’imposition 2005 et 2006 pour motif de difficultés financières. La contribuable est une mère monoparentale de trois enfants et subsiste avec un revenu modeste. Une partie importante de ses économies se sont envolées dans un investissement dans une entreprise frauduleuse et ses besoins essentiels grugent l’ensemble de ses revenus. La contribuable a vendu un immeuble locatif pour la somme de 118 265 $, a acheté une nouvelle résidence pour un montant de 94 800 $, a remboursé une somme de 4 000 $ sur une carte de crédit qu’elle détenait conjointement avec son ancien époux et a gardé le solde du produit de vente pour subvenir à ses besoins. Elle a obtenu un prêt hypothécaire de 40 200 $. Le représentant de la contribuable a affirmé qu’elle ne pouvait payer sa dette envers l’ARC, parce qu’elle avait eu besoin de tout l’argent pour acheter la maison et qu’elle ne peut se permettre de payer un loyer pour une maison. La contribuable ne rembourse pas le solde de ses cartes de crédit, a tenté d’emprunter de l’argent pour rembourser l’ARC, mais le prêt lui a été refusé, et veut retourner à l’école. Elle est travailleuse autonome, son revenu ne suffit pas à sa subsistance et est dans une situation financière précaire

 

[15]           M. George Matthews, l’auteur du document d’information, a conclu que :

[traduction]

La contribuable n’a pas fait preuve de négligence. Toutefois, elle a commis une erreur en ne remboursant pas sa dette à l’ARC avant de rembourser ses autres créanciers et de s’acheter une maison.

 

[16]           Il a aussi mentionné :

[traduction]

Le R et D (le relevé des revenus et des dépenses) démontre clairement l’incapacité de la demanderesse, si l’on se fonde sur ses revenus, de verser quelque somme que ce soit à titre de remboursement de la dette. Bien qu’elle ait tenté, sans succès, d’obtenir un prêt, elle détient cependant des actifs qu’elle pourrait liquider afin de rembourser la dette, tels qu’un RÉER et une valeur nette sur la maison.

 

[17]           Finalement, la recommandation, qui a mené à la décision, se lisait comme suit :

[traduction]

Rejetée

La contribuable ne peut effectuer de remboursement sur la partie impôt de la dette; par conséquent, nous ne pouvons accepter sa demande d’allégement en ce qui concerne les intérêts. La contribuable avait l’occasion de s’acquitter de la dette après la vente de son immeuble locatif, mais s’est plutôt servie de ce montant pour s’acheter une nouvelle maison. Elle détient aussi un RÉER de 14 000 $, dont elle pourrait se servir pour s’acquitter de la totalité de la dette.

 

[18]           Dans son affidavit signé le 6 août 2010, M. Matthews a fourni les motifs suivants pour justifier la décision :

[traduction]

a)                  la demanderesse ne se qualifie pas pour l’allègement fondé sur les difficultés financières ou l’incapacité de payer, puisqu’elle n’a pris aucun arrangement de versement avec l’ARC pour régler la partie impôt de sa dette au titre de la Loi;

 

b)                  la demanderesse possède les fonds nécessaires, sous forme d’actifs tels qu’un REÉR, pour rembourser sa dette d’impôt;

 

c)                  la demanderesse avait les fonds nécessaires pour s’acquitter de sa dette d’impôt après la vente de son immeuble locatif (soit, l’immeuble vendu en novembre 2007) et cette dette aurait dû être réglée avant l’achat de sa nouvelle maison.

 

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

 

[19]           La norme de contrôle applicable aux décisions relatives à l’allègement d’un contribuable est celle de la raisonnabilité, voir Canada Agence du revenu c. Telfer, 2009 CAF 23, 386 N.R. 212, au paragraphe 2.  

 

DISCUSSION

 

[20]           À mon avis, la décision était déraisonnable pour les motifs suivants :

 

a)      Bien que l’ARC ait reconnu que le relevé des revenus et des dépenses et de la valeur nette du patrimoine de la demanderesse (le relevé) démontrait de manière évidente que celle-ci n’avait pas les moyens d’effectuer des paiements pour réduire sa dette fiscale, l’ARC a invoqué le fait que la demanderesse n’avait pu établir un plan de versement pour motiver la décision.

b)      Le relevé établissait aussi, sans équivoque, que la demanderesse ne pouvait subsister avec son seul revenu mensuel. Ses dépenses mensuelles étaient approximativement 1 700,00 $ supérieures à son revenu mensuel. Il était donc évident qu’elle ait dû se servir de ses actifs et du crédit pour subvenir aux besoins de sa famille. Dans les circonstances, il n’était pas raisonnable que l’ARC la critique au sujet du remboursement de ses cartes de crédit. Il ne fait aucun doute qu’elle devait s’acquitter de son solde de crédit, puisqu’elle utilisait sa carte de crédit pour payer l’épicerie ainsi que les autres biens essentiels.

c)      L’état démontre aussi que la demanderesse et sa famille vivaient bien en deçà du seuil de la pauvreté. En 2008, le seuil de la pauvreté pour une famille vivant dans un petit village était bien supérieur au revenu de la demanderesse, qui était de 11 807,04 $. Dans ces circonstances, il était déraisonnable pour l’ARC de laisser entendre que la demanderesse pouvait liquider son REER pour rembourser sa dette fiscale. Il était évident qu’elle aurait besoin de cet argent pour fournir de la nourriture et un toit à ses enfants.

d)      L’ARC a aussi critiqué à maintes reprises la demanderesse d’avoir utilisé le produit de la vente de son immeuble locatif pour s’acheter une « maison » ou une « résidence ». Cette « résidence » était une maison-mobile de 1 200 pieds carrés pouvant loger 4 personnes. Il s’agissait, à mon avis, d’un achat totalement raisonnable, puisqu’il s’agissait de l’option la plus économique pour s’assurer que sa famille puisse se loger.

e)      L’ARC a laissé entendre qu’elle avait obtenu une valeur nette sur sa « résidence », mais l’Agence savait aussi que la demanderesse a essuyé un refus lorsqu’elle avait demandé une augmentation de son prêt hypothécaire pour rembourser sa dette fiscale. Cela signifiait que l’ARC avait réellement conclu que la demanderesse aurait dû vendre sa maison-mobile et louer un logement pour que sa famille puisse y vivre, même si la preuve démontre qu’il s’agissait d’une solution beaucoup plus dispendieuse que ses versements hypothécaires mensuels de 252,90 $. L’ARC croyait essentiellement que la demanderesse aurait dû passer de la pauvreté à l’extrême pauvreté et que, tant que celle-ci ne franchissait pas ce seuil, elle ne renoncerait pas à ses intérêts. Cette position était, compte tenu des circonstances de la présente affaire, manifestement déraisonnable.

f)        Finalement, bien que la dette d’impôt ait découlé de déductions incorrectes, il semble que la demanderesse ait été imposée sur des revenus d’intérêts provenant de Kleincorp qu’elle n’a pas réellement reçu. Cela signifie qu’elle a payé un surplus d’impôt et que la nouvelle cotisation surestimait sa dette. Il était déraisonnable pour l’ARC de ne pas tenir compte de ce fait lorsqu’elle a rendu sa décision.

 

CONCLUSION

 

[21]           Pour l’ensemble de ces motifs, j’ai conclu que la décision de l’ARC était déraisonnable.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que :

 

(i)                  La demanderesse, qui se représentait elle-même, est remboursée pour les dépenses liées aux décisions rendues au premier et au deuxième palier, y compris les honoraires exigés par M. McGorman pour préparer et documenter ses deux demandes d’allègement quant aux intérêts, ainsi que toute dépense associée à sa comparution à la Cour (telle que l’essence). Elle a aussi droit à 300,00 $ à titre de compensation pour le temps qu’elle a passé à travailler avec son comptable, pour la préparation pour l’audience ainsi que pour sa comparution. Si les parties ne peuvent s’entendre quant au montant, elles peuvent toujours communiquer avec le greffe et je fixerai le montant devant être versé.

(ii)                La demande d’allègement quant aux intérêts au deuxième palier présentée par la demanderesse fera l’objet d’un nouvel examen par un employé de l’ARC autre que George Matthews. Le nouvel examen pourrait être tenu à un autre bureau de l’ARC, si nécessaire.

(iii)               La demanderesse bénéficiera d’une période raisonnable pour mettre à jour sa demande d’allègement quant aux intérêts, afin qu’elle puisse fournir des renseignements à jour quant à l’état de sa dette d’impôt et aux intérêts qu’elle a réellement reçus de Kleincorp, pour que l’ARC puisse juger si la demanderesse a été imposée sur des montants qu’elle n’a pas reçus. Si cela devait être le cas, cela devrait, au minimum, avoir une importance quant au caractère approprié de l’allègement quant aux intérêts.

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-325-10

 

INTITULÉ :                                       Christiane Meier c. L’Agence du revenu du Canada

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Nanaimo (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Simpson

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 juillet 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christiane Meier

 

LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Whitney Dunn

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Christiane Meier

Errington (Colombie-Britannique)

LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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