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Date : 20110707

Dossier : T-1586-10

Référence : 2011 CF 844

[TRADUCTION CERTIFIÉE CONFORME, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 7 juillet 2011

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

ZHAO ZHANG

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29 (la Loi sur la citoyenneté), à l’encontre de la décision d’un juge de la citoyenneté, rendue en date du 4 août 2010, d’attribuer la citoyenneté à la défenderesse, au motif que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en concluant que la défenderesse satisfaisait à la condition prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté.

I. Le contexte

[2]               La défenderesse, une citoyenne de la Chine, est arrivée au Canada le 1er mars 1999 et y a été admise à titre de résidente permanente. Elle a présenté sa demande de citoyenneté canadienne le 6 mai 2008. Le 7 juillet 2010, elle a comparu devant le juge de la citoyenneté. Ce dernier a approuvé sa demande le 4 août suivant.

 

II. La décision faisant l’objet de l’appel

[3]               Sans y faire explicitement référence, le juge de la citoyenneté a appliqué le critère qualitatif de résidence défini par la juge Barbara Reed dans Re Koo (1992), [1993] 1 C.F. 286, 59 F.T.R. 27 (Koo). Il s’est donc demandé si le Canada était le pays où la défenderesse avait centralisé sa vie. Il a répondu par l’affirmative à cette question. Selon lui, la défenderesse avait passé beaucoup de temps au Canada avant la période de quatre ans pertinente et ses absences étaient attribuables exclusivement au travail de son mari au Japon. Il a fait observer que la défenderesse était chinoise et qu’elle n’avait pas d’autres liens avec le Japon. Il a aussi mentionné que son mari et ses deux filles sont canadiens et que son autre fille, maintenant décédée, avait vécu au Canada.

 

[4]               Le juge de la citoyenneté a aussi fondé sa conclusion sur le fait que la défenderesse possédait des placements, une automobile et une assurance au Canada et sur le fait qu’elle avait un permis de conduire de la Colombie‑Britannique, un compte dans une banque locale, une carte de membre des loisirs de Nanaimo, etc. Il a aussi tenu compte des efforts qu’elle avait déployés pour se voir reconnaître le droit d’exercer la profession de comptable agréé, du fait que l’entreprise de son mari était canadienne et de son engagement dans diverses organisations à Nanaimo.

 

III. La question en litige

Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur en concluant que la défenderesse satisfaisait à la condition prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté?

 

IV. Analyse

[5]               La condition de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté exige que l’auteur d’une demande de citoyenneté ait, dans les quatre ans ayant précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout :

Attribution de la citoyenneté

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

[…]

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante:

 

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

 

 

 

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

Grant of citizenship

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

 

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

[6]               La Cour a interprété le terme « résidence » de plusieurs façons. Ainsi, le juge en chef adjoint Arthur Thurlow a statué, dans Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208, 88 D.L.R. (3d) 243 (1re inst.) (Papadogiorgakis), qu’une personne qui avait centralisé son mode de vie au Canada pouvait quitter ce pays de façon temporaire sans cesser d’y être résidente aux fins de l’application de la Loi sur la citoyenneté. Par contre, dans Re Pourghasemi (1993), 62 F.T.R. 122, 19 Imm. L.R. (2d) 259 (1re inst.) (Pourghasemi), le juge Francis Muldoon a interprété la condition de résidence plus strictement et a statué que l’auteur d’une demande devait avoir été physiquement présent au Canada pendant au moins trois ans dans les quatre ans ayant précédé la date de sa demande. Dans Koo, précitée, la juge Reed a décrit le critère comme étant « celui de savoir si l’on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant vit régulièrement, normalement ou habituellement” ». Elle a dressé une liste non exhaustive de six questions qu’un juge peut se poser pour déterminer si le critère est rempli.

 

[7]               Bien que l’on dise parfois qu’il existe trois critères en matière de résidence – celui de Papadogiorgakis, celui de Pourghasemi et celui de Koo – le juge Richard Mosley a récemment affirmé dans Hao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 46, au paragraphe 19, qu’« en réalité, il n’y en a que deux : la présence physique rigoureuse ou la résidence, établie selon les facteurs qualitatifs de Koo ».

 

[8]               En l’espèce, le ministre ne prétendait pas que le juge de la citoyenneté n’avait pas appliqué le critère approprié pour déterminer la période de résidence – en d’autres termes, il ne prétendait pas que le critère quantitatif de la présence physique aurait dû être appliqué, par opposition au critère qualitatif de Koo. En fait, dans Lam c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 164 F.T.R. 177, 87 A.C.W.S. (3d) 432 (1re inst.) (Lam), le juge Lutfy a statué que le juge de la citoyenneté pouvait appliquer l’un ou l’autre des critères, pourvu que le critère choisi soit appliqué correctement. Un certain désaccord a surgi récemment au sujet de la question de savoir si plus d’un critère est permis (le juge Robert Barnes dans El Ocla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 533 (El Ocla), et le juge James O’Reilly dans Dedaj c. Canada, 2010 CF 777, 90 Imm. L.R. (3d) 138, ont conclu que le critère qualitatif défini dans Koo était le bon critère, alors que le juge Donald Rennie a statué, dans Martinez‑Caro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 640, que le bon critère était plutôt le critère quantitatif établi dans Pourghasemi), mais il n’est pas nécessaire que je tranche cette question en l’espèce.

 

[9]               Le ministre a fait valoir simplement en l’espèce que le juge de la citoyenneté n’a pas appliqué correctement le critère qualitatif de Koo. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit à laquelle la norme de contrôle de la raisonnabilité devrait être appliquée (El Ocla, précitée, au paragraphe 11). Comme je le démontrerai plus loin, le critère de Koo n’a pas été appliqué de manière raisonnable en l’espèce et, en conséquence, il n’est pas nécessaire que je me prononce sur la question préliminaire de savoir si un critère différent aurait dû être appliqué.

 

[10]           Comme je l’ai indiqué précédemment, le critère défini dans Koo consiste à se demander si l’on peut affirmer que le Canada est l’endroit où l’auteur de la demande de citoyenneté « vit régulièrement, normalement ou habituellement ». Les six questions qui peuvent aider à le savoir ont été formulées dans les termes suivants par la juge Reed :

1) la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s’absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

 

2) où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

 

3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote‑t‑elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu’elle n’est qu’en visite?

 

4) quelle est l’étendue des absences physiques (lorsqu’il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables) ?

 

5) l’absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l’étranger)?

 

6) quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont‑elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

 

 

[11]           En ce qui concerne la première question, le ministre souligne que la défenderesse n’a pas en fait été physiquement présente au Canada pendant une période prolongée avant la période de quatre ans pertinente. En conséquence, il fait valoir que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en affirmant que la défenderesse avait passé [traduction] « beaucoup » de temps au Canada avant la période pertinente. Il souligne que la défenderesse a, dans les faits, été physiquement présente au Canada pendant seulement 1 568 jours (soit un peu moins de 4,5 ans) durant une période de 11 ans.

 

[12]           Je conviens avec le ministre que la manière dont le juge de la citoyenneté a traité cette question est particulièrement préoccupante. Je constate que la défenderesse a écrit, à la question 9 du Questionnaire sur la résidence, qu’elle avait travaillé de novembre 2001 à mars 2006 à Tokyo, au Japon; c’est donc dire qu’elle a passé près de 3,5 ans à l’extérieur du Canada à des fins professionnelles. En outre, le tableau intitulé [traduction] « Relevé des jours passés par Zhao Zhang au Canada », dont disposait aussi le juge de la citoyenneté, indique que la défenderesse a passé seulement 821 jours au Canada entre son arrivée le 1er mars 1999 et mai 2004, ou environ deux ans et trois mois sur une période de cinq ans. J’ai de la difficulté à comprendre comment, dans ces circonstances, on peut dire que la défenderesse a [traduction] « passé beaucoup de temps au Canada avant la période de quatre ans ».

 

[13]           En ce qui concerne la deuxième question, le ministre soutient que le juge de la citoyenneté a omis de tenir compte du fait que la défenderesse n’avait aucune famille au Canada : ses filles allaient à l’école au Japon, son mari travaillait au Japon, ses parents et son frère habitaient en Chine et sa sœur vivait à Seattle.

 

[14]           Je suis également d’accord avec le ministre sur ce point. Le juge de la citoyenneté a mentionné que les filles de la défenderesse étaient nées au Canada, sans toutefois tenir compte du fait qu’elles allaient à l’école au Japon et que la défenderesse n’avait à l’époque aucun membre de sa famille proche au Canada puisque ses parents et son frère habitaient en Chine et sa sœur, à Seattle.

 

[15]           Pour ce qui est de la troisième question, le ministre conteste la conclusion du juge de la citoyenneté selon laquelle les périodes de présence physique de la défenderesse au Canada indiquaient que celle‑ci revenait dans son pays et non qu’elle était en visite. Le ministre rappelle que la défenderesse a travaillé au Japon de novembre 2001 à mars 2006 et que ses voyages au Canada coïncidaient le plus souvent avec les vacances d’été ou de Noël de ses enfants. Je reconnais que ces faits sont préoccupants également.

 

[16]           En ce qui concerne la cinquième question, je suis d’accord avec le ministre : le juge de la citoyenneté a omis de tenir compte du fait que les absences de la défenderesse du Canada pendant la période pertinente n’étaient pas seulement temporaires, mais étaient de nature structurelle.

 

[17]           Pour ce qui est de la sixième question, le ministre fait valoir que les indices passifs de résidence mentionnés par le juge de la citoyenneté – permis de conduire, placements au Canada, etc. – sont insuffisants pour démontrer l’existence d’attaches importantes avec le Canada. Selon le ministre, le juge de la citoyenneté aurait dû comparer les attaches de la défenderesse avec le Canada et ses attaches avec le Japon.

 

[18]           Je suis d’accord avec le ministre que la simple existence d’indices « passifs » comme des déclarations de revenu, la souscription à une assurance médicale et la possession de comptes de banque n’est pas suffisante en soi pour démontrer l’existence d’attaches réelles (Hernando Paez c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 204, au paragraphe 18).

 

[19]           Il ressort donc clairement de la décision que le juge de la citoyenneté n’a pas apprécié correctement les faits et les éléments de preuve pertinents. Sa conclusion selon laquelle la défenderesse avait centralisé sa vie au Canada était déraisonnable.

 

[20]           Pour ces motifs, l’appel doit être accueilli. La décision du juge de la citoyenneté est annulée et la demande de citoyenneté canadienne de la défenderesse est rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que l’appel est accueilli. La décision du juge de la citoyenneté est annulée et la demande de citoyenneté canadienne de Mme Zhang est rejetée.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-1586-10

 

INTITULÉ :                                                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION c.

                                                                        ZHAO ZHANG

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 5 juillet 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 7 juillet 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hilla Aharon

POUR LE DEMANDEUR

 

Zhao Zhang

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

s.o.

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

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