Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110629

Dossier : IMM-5528-10

Référence : 2011 CF 796

Ottawa (Ontario), ce 29e jour de juin 2011

En présence de l’honorable juge Lemieux

ENTRE :

Marie Nicole OCEAN

 

Demanderesse

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Vue d’ensemble

[1]          Ce contrôle judiciaire, présenté en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27, (la Loi) par Marie Nicole Ocean (la demanderesse), recherche l’annulation de la décision rendue le 18 août 2010 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal). Le tribunal a refusé de reconnaître à la demanderesse, une citoyenne d’Haïti, le statut de réfugiée au sens de la Convention ou celui de personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi. La demande d’asile de cette dernière était fondée sur ses opinions politiques et son appartenance à un groupe social particulier.

 

[2]          Le procureur de la demanderesse invoque un seul moyen à l’encontre de la décision du tribunal. Il plaide que ce dernier  a erré en droit dans son analyse de l’article 96 en assujettissant à cet article des éléments propres à l’article 97. Il avait invoqué devant le tribunal la décision récente de l’honorable Yvon Pinard dans Dezameau et al. c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 559, pour convaincre celui-ci que la demanderesse rencontrait les exigences de la Convention, ayant une crainte raisonnable de persécution en Haïti étant membre d’un groupe social particulier : les femmes qui retournent en Haïti après un long séjour à l’étranger et craignent le viol auprès des hommes haïtiens. Devant cette Cour, le procureur de la demanderesse ajoute la décision récente de l’honorable Luc Martineau dans Josile c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 39.

 

II.  La décision du tribunal

[3]          Le tribunal a jugé la demanderesse crédible sauf sur un point qui n’a aucune importance en l’espèce, soit la date de sa fuite pour les États-Unis craignant les membres du Corps d’intervention et du maintien de l’ordre (« CIMO »). Elle a vécu dans ce pays du 8 août 1999 jusqu’au 6 mars 2008, date de son arrivée au Canada.

 

[4]          Après avoir questionné la demanderesse sur la nature de sa crainte des membres du CIMO, le tribunal estime que son témoignage « démontre que sa crainte est fondée sur des problèmes de criminalité, purement et simplement » et rappelle que la jurisprudence « est constante à l’effet que les personnes victimes de criminalité ne sauraient être considérées comme des membres d’un groupe social particulier » s’appuyant sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans Klinko c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 327.

 

[5]          En réponse à la question du tribunal de connaître sa crainte advenant son retour en Haïti aujourd’hui, elle déclare que :

. . . la situation en Haïti, depuis son départ, va de mal en pis. Les femmes n’ont aucune protection, elles sont violées et, à son retour, les gens sauront qu’elle n’est pas de Haïti et pourraient donc venir lui réclamer de l’argent. Elle précise qu’elle craint les choses qui se produisent dans la rue, et ajoute qu’il n’y a pas de santé et que les gens vivent dans des tentes dans les rues. Elle précisera que ses enfants qui, selon elle, vivaient dans le luxe – ce sont ses propres termes – ne pourraient pas s’habituer à vivre dans des endroits sans électricité, sans médecins, où il n’existe pas de bonnes écoles. Même lorsque le tribunal lui fera remarquer que ce n’est pas sur l’ensemble du territoire que les gens dorment sous des tentes, notamment à Jérémie, la demandeure déclarera qu’elle ne connaît pas cet endroit mais, selon elle, tout le monde dort sous des tentes de peur qu’un séisme se reproduise dans le pays.

                                                                      (Je souligne.)

 

 

 

[6]          De ce témoignage, le tribunal conclut :

. . . il ne serait cependant pas raisonnable de juger que sa crainte, telle qu’exprimée, ait un lien quelconque avec la Convention et que les exigences qu’elle recherche en fassent « une personne à protéger », dans la mesure où l’insécurité, le manque d’infrastructures et le défaut d’électrification constituent les traits dominants d’une situation de pauvreté dont sont victimes, indistinctement et de manière générale, les couches sociales les plus défavorisées du pays, voire certaines composantes de la population qui pourraient être considérées comme relativement aisées.

 

Considérant les raisons ainsi invoquées par la demanderesse, le tribunal estime qu’elles ne peuvent être considérées comme de la persécution au sens de l’arrêt Adjei c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 680 (C.A.).

 

[7]          Par la suite, le tribunal aborde son analyse de l’article 97 de la Loi, qu’il n’est pas nécessaire de résumer ici parce que la demanderesse n’a pas contesté les conclusions du tribunal sur cet aspect.

 

[8]          Le tribunal se penche sur l’argument qui lui a été soumis au sujet de l’arrêt Dezameau, ci-dessus, qui, selon le tribunal :

édicte que les femmes haïtiennes qui disent craindre la persécution en raison de la violence qui sévit dans leur pays font partie d’un groupe social particulier au sens de l’article 96 de la LIPR puisque, selon l’honorable Juge, le viol constitue, au sens de la jurisprudence canadienne, un crime dont seraient victimes les femmes du fait de leur sexe. Tout en déclarant ce principe dans sa décision, le juge Pinard précise cependant ce qui suit, au paragraphe 29 :

 

« This is not to say that membership in a particular social group is sufficient to result in a finding of persecution. »

                                                                      (Je souligne.)

 

 

 

[9]          Le tribunal poursuit ainsi son analyse :

[18]     Ceci, de l’avis du tribunal, est éloquent en ce qui concerne le fait que la simple appartenance à un groupe social particulier ne saurait, à elle seule, suffire à juger qu’il y aurait de la persécution au sens de l’arrêt Adjei [renvoi omis]. Il est donc indéniable qu’il revient à la demandeure d’apporter la preuve qu’il pourrait y avoir des raisons sérieuses de croire qu’elle puisse être persécutée au sens de l’article 96 de la LIPR pour l’un des motifs de la Convention. L’honorable Juge ajoutera, au demeurant, cette précision au paragraphe 29 de la décision Dezameau :

 

« The evidence provided by the applicant must still satisfy the Board that there is a risk of harm that is sufficiently serious and whose occurrence is “more than a mere possibility”. »

 

 

 

[10]      En application de l’arrêt Dezameau, le tribunal précise et conclut :

. . . la demandeure a été très claire dans la démonstration de sa crainte de persécution : elle a dit explicitement qu’elle craignait à la fois tout le monde, les gens de la rue, mais également les membres du CIMO . . . Elle a aussi précisé qu’elle ne voulait pas que ses enfants se retrouvent, contrairement à leur mode de vie, dans des situations d’inconfort auxquelles ils n’ont jamais été habitués, . . .

 

[20]     Le tribunal estime, en conséquence, nonobstant l’argumentaire soulevé par le conseil de la demandeure, que cette dernière n’a pas été en mesure, durant son témoignage, de démontrer de façon crédible que sa crainte de persécution puisse avoir pour fondement la violence à l’égard des femmes en Haïti. Elle a surtout exprimé une crainte de retour dans ce pays à cause des conditions de vie difficiles liées à l’état de pauvreté et de sous-développement de Haïti, situation à laquelle sont confrontées toutes les couches sociales d’un pays du Tiers-monde comme Haïti.

 

 

 

III.  Analyse

 

[11]      La jurisprudence a établi (1) que l’interprétation que fait un tribunal des articles 96 et 97 de la Loi est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte et (2) dans le cas des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable.

 

[12]      Je souscris à l’approche du juge Pinard dans Dezameau, ci-haut, et du juge Martineau dans Josile, ci-dessus. Dans ces deux causes, comme celle devant la Cour, la question était de savoir si le tribunal avait erré en droit dans sa considération de l’article 96 de la Loi.

[13]      Dans Dezameau, le groupe social identifié était les femmes haïtiennes qui reviennent en Haïti après une absence prolongée de leur pays et craignent de devenir la cible de bandes criminelles, d’auteurs d’enlèvements et de violeurs potentiels en raison de leur sexe. Au paragraphe 41, le juge Pinard s’exprime ainsi :

     Pour tous les motifs qui précèdent, j’en arrive à la conclusion que la Commission a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu qu’un risque général de préjudice empêchait la demanderesse de prétendre être victime de persécution. La Commission a commis une erreur également, en droit et en ce qui touche aux faits, lorsqu’elle a conclu que le viol ne représente pas un risque lié au sexe en Haïti ou que le viol est un risque général auquel tous les Haïtiens sont exposés. Enfin, la Commission n’a pas pris en considération le risque que court la demanderesse d’être violée en raison de son appartenance au groupe social dont elle a allégué l’existence : les femmes qui retournent en Haïti après avoir vécu en Amérique du Nord.

 

 

 

[14]      En autres mots, le tribunal a utilisé sa conclusion sur l’existence d’un risque de violence répandu pour réfuter l’affirmation qu’il existe un lien entre le groupe social auquel la demanderesse appartient et le risque de viol.

 

[15]      Le juge Pinard a aussi énoncé ce qui suit :

[29]     Il ne faut pas croire pour autant que l’appartenance à un groupe social particulier suffit pour conclure à la persécution. La preuve produite par la demanderesse doit encore convaincre la Commission qu’il existe un risque de préjudice suffisamment grave dont la survenance représente « davantage qu’une simple possibilité ».

 

 

 

[16]      Comme l’a exprimé le juge Martineau au paragraphe 36 de Josile :

. . . Si la Commission avait admis qu’un risque de viol est ancré dans l’appartenance de la demanderesse à un certain groupe social, l’examen aurait dû donner lieu à une décision sur la question de savoir s’il y avait « plus qu’une simple possibilité que la demanderesse risque d’être victime de ce préjudice en Haïti. »

 

 

Si la réponse était « oui », l’étape suivante aurait été de déterminer si l’État pouvait la protéger.

 

[17]      La procureure du défendeur prétend que l’argument soulevé par la demanderesse est théorique dans le sens qu’il n’y avait aucun fondement dans la preuve devant le tribunal pour appuyer les prétentions faites devant cette Cour. Je suis d’accord avec elle pour les raisons suivantes.

 

[18]      En l’espèce, le tribunal n’a pas erré en droit comme les tribunaux dans Dezimeau et Josile. Le tribunal a accepté les principes énoncés dans ces deux arrêts. Plus particulièrement, il n’a pas transféré son raisonnement de l’article 97 à l’article 96. Ce que le tribunal a conclu était que le fondement ou le cœur de la revendication de la demanderesse sous l’article 96 n’était pas fondé sur sa crainte d’être persécutée du fait de son appartenance à un groupe social particulier, celui des femmes haïtiennes retournant au pays après une longue absence craignant le viol en raison de leur sexe. Le fondement de sa crainte de retour s’appuyait sur une crainte de nature différente. Ma lecture des notes sténographiques de l’audience en l’espèce confirme que la décision du tribunal sur ce point était raisonnable.

 

[19]      J’estime que la conclusion du tribunal est semblable à celle qui était devant le juge James O’Reilly dans Frederic et al. c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 1100, où il a tranché, au paragraphe 11 :

      Je souligne également que, même si les questions à trancher dans la présente affaire sont délicates et justifient, dans des circonstances appropriées, un examen sérieux de la part de la Commission et de la Cour, il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où il y avait lieu de les analyser dans tous les détails. Comme je l’ai mentionné, l’argument selon lequel la crainte de violence sexuelle éprouvée par une femme peut justifier sa demande d’asile ne constituait pas le fondement de la demande de Mme Frederic. Par conséquent, la preuve présentée à la Commission n’était pas aussi abondante qu’on aurait pu s’y attendre, et les observations sur ce point n’étaient pas aussi détaillées que cela aurait été le cas si la question avait résidé au cœur de la demande d’asile.

 

 

 

[20]      Pour les motifs susmentionnés, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[21]      Aucune question de portée générale n’a été proposée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 18 août 2010 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est rejetée.

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5528-10

 

INTITULÉ :                                       Marie Nicole OCEAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 18 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Lemieux

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 29 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Luc R. Desmarais                          POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Diane Lemery                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Luc R. Desmarais                                                         POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.