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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110620

Dossier : T-2060-09

Référence : 2011 CF 721

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 juin 2011

EN PRÉSENCE DEMONSIEUR LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

 

KATHY DIMOVSKI

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d'une décision par laquelle l'Agence du revenu du Canada (ARC) a rejeté sa demande d'allègement de l'impôt dû en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) en raison de cotisations excédentaires versées à un régime enregistré d'épargne-retraite (REER). Le régime fiscal canadien prévoit que des intérêts et des pénalités sont exigibles à la suite de ce type de cotisations excédentaires. L'ARC n'a pas encore pris de décision quant aux intérêts et aux pénalités pour production tardive. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire ne vise que la décision de ne pas renoncer à l'impôt dû par la demanderesse.

 

[2]               La demanderesse, une célibataire de 49 ans, vit avec son père qui est veuf. Sa mère est décédée en décembre 2004. De 1988 à 2004, la demanderesse était la principale responsable des soins de sa mère. Le père de la demanderesse lui a donné 5 945 $, puis, en 2003, il lui a remis un autre 5 818,76 $ qu'il a retiré de son fonds enregistré de revenu de retraite (FERR). La demanderesse a déposé les deux sommes que son père lui a données dans un REER à une succursale de la Banque TD Canada Trust à Scarborough, en Ontario. La demanderesse a aussi fait des dépôts dans le REER en 2005, 2006, 2007 et 2008. C'est le dépôt de ces fonds dans le compte REER qui est au cœur de la demande que la Cour doit examiner.

 

[3]               Le 25 janvier 2007, l'ARC a écrit à la demanderesse l’informant que les cotisations qu’elle avait versées dans son REER dépassaient les limites prévues par la Loi de l'impôt sur le revenu. L'ARC l’a aussi informée qu'elle n'avait pas produit la déclaration T1-OVP requise pour payer l'impôt sur ses cotisations excédentaires. La lettre comportait également ce qui suit :

·         Une mise en garde portant que ses cotisations excédentaires étaient assujetties à un impôt de 1 % par mois (impôt de la partie X.1);

·         Un avertissement portant qu'elle était tenue de payer une pénalité pour déclaration tardive à l'égard de son T1-OVP;

·         Un avis l’informant qu’elle avait le choix de, soit retirer les cotisations excédentaires de son REER, ou produire une déclaration annuelle T1-OVP et payer l'impôt applicable.

 

[4]               La demanderesse n'a ni retiré les cotisations excédentaires de son REER, ni produit de déclaration T1-OVP et payé l'impôt applicable. Au contraire, elle a fait d’autres cotisations à un REER en 2007 et 2008.

 

[5]               Le 2 décembre 2008, l'ARC a envoyé une autre lettre à la demanderesse la mettant en garde que si elle ne produisait pas de déclaration T1-OVP, elle ferait l’objet d’une cotisation arbitraire. Dans une lettre datée du 26 janvier 2009, la demanderesse a répondu à l'ARC, lui demandant de faire l’objet d’une cotisation arbitraire. La demanderesse a aussi expliqué qu'elle ferait une demande d'allègement pour contribuables et qu'elle « [traduction] n'était pas au courant qu'il y avait une limite ou une restriction aux cotisations [faites à un REER] ».

 

[6]               Le 18 mars 2009, l'ARC a établi la cotisation de la demanderesse, concluant qu'elle devait payer un montant total de 8 880 $ au titre de l'impôt de la partie X.1 pour les années d'imposition 2003 et 2008. L'ARC a également conclu qu'elle devait 1 139 $ en pénalités pour production tardive et 1 940 $ en intérêts sur arriérés, pour un total de 11 959 $. La demanderesse a par la suite présenté une demande d'allègement pour les contribuables le 31 mars 2009. Elle a déclaré dans cette lettre qu'elle n'était pas au courant que les cotisations à son REER étaient assujetties à un plafond et que, de toute manière, la Couronne n'aurait pas perçu d'impôt à la suite de ses investissements puisque son revenu n’était pas assez élevé.

 

[7]               L’ARC a examiné la demande de la demanderesse à deux reprises. À l’issue du premier examen l'ARC a informé la demanderesse, dans une lettre datée du 11 août 2009, qu'elle avait décidé de ne pas renoncer au 8 880 $ d'impôt dû au titre de la partie X.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu. À la suite de ce premier refus, la demanderesse a retenu les services d'un avocat qui a demandé par écrit que la décision soit réexaminée.

 

[8]               Un nouvel agent de l'ARC a été désigné pour effectuer le deuxième examen. L'agent a conclu que le refus d'allègement devrait être confirmé. Cette recommandation a été ultérieurement acceptée par le chef d'équipe du bureau de l'impôt de l'ARC à Sudbury, en Ontario, et par l'agent de l'ARC chargé de se prononcer en dernière analyse sur la demande de la demanderesse. Dans une lettre datée du 18 novembre 2009, l’ARC expliquait les facteurs à l'origine de la décision définitive de refuser sa demande d'allègement. L’ARC mentionnait également dans la lettre les points suivants à l’égard de Mme Dimovski :

·         Elle avait l'obligation de faire preuve de diligence raisonnable en ce qui a trait à ses cotisations à un REER, notamment en devant savoir qu’elle avait un plafond annuel déductible;

·         Elle n'a pas établi que les cotisations excédentaires à son REER résultaient de situations indépendantes de sa volonté;

·         Elle a fait les cotisations excédentaires à son REER

§         Malgré que l'ARC l’avait avisée à chaque année du maximum déductible au titre des REER ;

§         Même après avoir reçu la lettre datée du 25 janvier 2007 qui l'avertissait de ses cotisations excédentaires;

·         Elle n'a pas retiré de ses REER ses cotisations excédentaires.

 

[9]               C'est la décision communiquée dans la lettre du 18 novembre 2009 qui est visée par le présent contrôle judiciaire. Le 7 décembre 2009, l'ARC a envoyé à la demanderesse une autre lettre confirmant la décision du 18 novembre 2009.


Cadre législatif

[10]           Selon le paragraphe 204.1(2.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, un impôt spécial est dû sur les montants de cotisations excédentaires à un REER. Dans la présente affaire, pour chaque mois pertinent, à savoir 101 mois, la demanderesse doit payer un impôt égal à 1 % du montant des contributions excédentaires à un REER. De plus, la demanderesse est redevable des intérêts et de la pénalité pour la production tardive de ses déclarations relativement à ses cotisations excédentaires, comme la loi l’exige dans ces situations (déclaration T1-OVP). En conséquence, voici le détail de l'obligation fiscale de la demanderesse à la suite de ses cotisations excédentaires :

 

Année d'imposition

Impôt de la partie XI.1

Pénalité pour production tardive

Intérêts sur arriérés
(au 18 mars 2009)

2008

1 844 $

 

 

2007

1 898 $

266 $

152 $

2006

1 543 $

262 $

304 $

2005

1 473 $

250 $

468 $

2004

1 120 $

190 $

477 $

2003

1 003 $

171 $

539 $

Total

8 880 $

1 139 $

1 940 $

 

[11]           En vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, le ministre est autorisé à accorder un allègement de cet impôt spécial. L'article 204.1(4) dispose :

204.1(4) Le ministre peut renoncer à l’impôt dont un particulier serait, compte non tenu du présent paragraphe, redevable pour un mois selon le paragraphe (1) ou (2.1), si celui-ci établit à la satisfaction du ministre que l’excédent ou l’excédent cumulatif qui est frappé de l’impôt fait suite à une erreur acceptable et que les mesures indiquées pour éliminer l’excédent ont été prises.

204.1(4) Where an individual would, but for this subsection, be required to pay a tax under subsection 204.1(1) or 204.1(2.1) in respect of a month and the individual establishes to the satisfaction of the Minister that

(a) the excess amount or cumulative excess amount on which the tax is based arose as a consequence of reasonable error, and

(b) reasonable steps are being taken to eliminate the excess,

the Minister may waive the tax.

 

 

[12]           Le pouvoir discrétionnaire est limité par les termes clairs employés par le législateur. Il incombe au contribuable de convaincre le ministre que chacun des deux critères sont remplis; que la cotisation excédentaire est survenue en conséquence d'une erreur administrative et que des mesures raisonnables ont été prises pour éliminer l'excédent. En l’espèce, le décideur a conclu qu'aucun des critères n'avait été rempli et il a rejeté la demande d'allègement.

 

[13]           Le caractère raisonnable de cette décision est en cause.

 

[14]           Le ministre affirme que l'erreur ne fait pas suite à une erreur acceptable. Il n'y a pas eu d'erreur dans le calcul de sa limite de cotisation. La demanderesse ne s’est pas non plus fiée à tort à un avis de cotisation ou à des conseils donnés par le défendeur. Dans l'affaire Gagné c. Canada (Procureur général), 2010 CF 778, le juge Luc Martineau a analysé aux paragraphes 13 et 14 la portée et le contenu des contraintes législatives sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre :

Soulignons également que les expressions « erreur acceptable » et « mesures indiquées » ne sont pas définies dans la Loi, alors que la version anglaise du texte législatif utilise, dans les deux cas, le qualificatif  « reasonable ». Toutefois, dans l’affaire Kerr c. Canada (Agence du Revenu), 2008 CF 1073 aux paragraphes 37 et 38, cette Cour a conclu que le critère de l’ « erreur acceptable » doit être interprété comme imposant les mêmes exigences que la défense fondée sur la « diligence raisonnable », tel que celle-ci a été définie par la Cour d’appel fédérale dans Corporation de l’École Polytechnique c. Canada, 2004 CAF 127, 2004 CAF 127 au paragraphe 30.

 

Dans cette perspective, une personne qui invoque une erreur de fait raisonnable doit :

 

…établir qu’elle s’est elle-même méprise quant à la situation factuelle : il s’agit là du test subjectif. Évidemment, la défense échoue en l’absence d’une preuve que la personne qui l’invoque a, de fait, été induite en erreur et que cette erreur a mené au geste posé. Elle doit ensuite établir que son erreur était raisonnable dans les circonstances : il s’agit là du test objectif.

 

 

[15]           À l’évidence, la demanderesse a été mal conseillée tout au long de l’affaire. On a laissé entendre qu'un spécialiste en déclarations de revenus de l'ARC qui l'aurait aidée l’avait incitée à faire sa première cotisation excédentaire. Sur ce point, la preuve n'est pas claire et pourrait, dans tous les cas, n'expliquer qu'une des cinq années durant lesquelles les cotisations excédentaires ont été faites. La demanderesse a reçu de mauvais conseils de la part de la banque, qui cherchait à obtenir ses fonds, ainsi que de son comptable qui lui a dit que le problème était réglé alors qu'il ne l'était pas. Je reconnais qu’elle n’a pas eu l'intention de faire des cotisations excédentaires. Elle n'a pas non plus tiré profit ou bénéficié de la cotisation excédentaire puisqu’il n’y a pas réellement eu une réduction de ses revenus. Ce qui s’est produit est vraiment fâcheux.

 

[16]           Toutefois, le caractère raisonnable ne dépend pas de l'innocence et de l'absence d'intention. Bien que ces facteurs subjectifs fassent partie des considérations dont le ministre peut tenir compte, c'est le caractère raisonnable de l'erreur ‑ évaluée objectivement ‑ qui est en cause, et la preuve de la demanderesse est faible à cet égard.

 

[17]           Le régime fiscal canadien est fondé sur le principe de l'auto-cotisation, ce qui signifie qu'il appartient à tous les contribuables de mener leurs affaires financières d’une manière conforme à la Loi de l'impôt sur le revenu : R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S 627. Il appartenait à la demanderesse de s'assurer qu'elle ne faisait pas de contributions excédentaires à son REER et son incompréhension de la loi ne constitue pas une erreur raisonnable. Le système d'imposition est certes complexe et pour s’y retrouver, les contribuables doivent s’attendre à demander conseil.

 

[18]           La Loi de l'impôt sur le revenu offre une échappatoire aux particuliers qui, comme la demanderesse, ont fait des cotisations excédentaires. Inexplicablement, la demanderesse n'a pas profité de la période de grâce d'un an dont elle disposait et pendant laquelle elle pouvait retirer ses cotisations excédentaires. La demanderesse a été informée, dans une lettre datée du 25 janvier 2007, de ses cotisations excédentaires et de la nécessité de les retirer. Malheureusement, la demanderesse n'a pas tenu compte de ces renseignements et elle a même empiré sa situation en faisant d'autres cotisations en 2007 et 2008. Objectivement, il n’est pas raisonnable pour la demanderesse d’avoir ignoré les lettres d'avertissement, d’avoir laissé s'écouler la période de grâce d'un an sans retirer ses cotisations et d’avoir fait d'autres cotisations excédentaires, et de tels agissements ne respectent pas la norme de diligence raisonnable.

 

[19]           La norme qui permet d’évaluer la décision du ministre est celle de la raisonnabilité, laquelle tient, plus particulièrement, à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Beaucoup de détails sont inquiétants dans la présente affaire : le temps exceptionnel que l'ARC a mis à répondre à la demanderesse et à communiquer avec elle; l’obligation pour la demanderesse d’appeler au Manitoba pendant les heures d'affaires pour obtenir un complément d'information; ainsi que le ton employé dans la correspondance provenant du défendeur qui ne correspond pas à celui dont on peut s'attendre de la part d'une organisation gouvernementale. Le plus troublant est sans doute que la contribuable n'aurait jamais payé d'impôt sur ce montant d'argent puisque son revenu n’est vraiment pas assez élevé. Elle n'a d’aucune façon tiré profit de la situation ni réduit le montant d’impôt dû.

 

[20]           Ces considérations ne sont pas pertinentes lorsqu’il s’agit d’examiner l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 204.1(4). Il n’appartient pas non plus à la Cour de commenter les priorités choisies par l'ARC. Il était loisible au ministre de conclure que la cotisation excédentaire n'était pas le résultat d'une erreur acceptable et que la contribuable n'a pas fait les démarches pour éliminer les cotisations excédentaires une fois qu'elle a été mise au courant.

 

[21]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[22]           Aucuns dépens ne sont adjugés.

 


ORDONNANCE

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-2060-09

 

INTITULÉ :                                       KATHY DIMOVSKI c. AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto

 

DATE DE L'AUDIENCE :               le 19 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 20 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

KATHY DIMOVSKI

POUR LA DEMANDERESSE

 

Laurent Bartleman

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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