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Date : 20110617

Dossier : IMM-7240-10

Référence : 2011 CF 705

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 juin 2011

EN P RÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

 

 

ENTRE :

 

JOSE ANIBAL DIAZ

 

 

demandeur

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), et visant une décision défavorable en date du 18 novembre 2010 par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

Les faits

[3]               En 1993, le demandeur a fui le Salvador pour se rendre aux États-Unis en raison des attaques continuelles des gangs à l’endroit de la population. Il est arrivé au Canada en novembre 2008 et a demandé l’asile; il voulait aussi faire venir son fils de 16 ans du Salvador, mais celui‑ci a été assassiné par les membres d’un gang le 24 octobre 2009, avant que sa demande d’asile du demandeur n’ait été entendue.

 

[4]               Le demandeur croit que, s’il est renvoyé au Salvador, il sera pris pour cible par les mêmes gangs qui ont maltraité sa famille. Il craint que les gangs tentent de l’extorquer ou que, croyant qu’il veuille venger la mort de son fils, ils le tuent pour l’en empêcher.

 

La décision de la Commission

[5]               La Commission a conclu que le demandeur avait témoigné de manière franche et qu’il n’y avait pas d’incohérences ou de contradictions graves ou importantes entre son témoignage et la preuve présentée. Son témoignage a été fidèle et convaincant, et la Commission a conclu qu’il avait fait une déposition fiable et digne de foi.

 

[6]               La question déterminante a toutefois porté sur l’existence d’un lien avec un motif prévu par la Convention.

 

[7]               La Commission a conclu que le demandeur ne craignait pas les gangs du fait de sa nationalité, de sa race, de sa religion ou ses de opinions politiques. La Commission s’est également demandé s’il était possible que le demandeur appartienne à un groupe social étant donné qu’il était « membre d’une famille qui a refusé de devenir membre d’un gang ». La Commission a toutefois conclu que le harcèlement ne saurait à lui seul constituer le fondement d’une appartenance à un groupe social particulier. Certes, on a fait valoir que « la famille » a été reconnue comme un groupe social particulier dans certains cas, mais pour cela, il faut que la personne persécutée au départ ait été prise pour cible en raison d’un motif prévu par la Convention. La Commission a conclu que ça n’était pas le cas du demandeur.

 

[8]               Le commissaire s’est appuyé sur l’analyse effectuée dans la décision Bojaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 9 Imm LR (3d) 299, 194 FTR 315, confirmée par Zefi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 636, 123 ACWS. (3d) 739, où la Cour a conclu que les victimes de vendettas familiales qui craignent de faire l’objet de représailles et d’être assassinées ne font pas partie d’un groupe social particulier du fait que leur crainte est fondée sur la criminalité, ce qui ne constitue pas une crainte de persécution fondée sur un motif prévu à la Convention (Palencia Larenas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 159, Vickram c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 457, 157 ACWS (3d) 609). Le cas de M. Diaz était analogue à ceux décrits dans ces décisions.

 

[9]               Après avoir conclu que la demande n’avait aucun lien avec un des motifs de la Convention, la Commission a analysé le cas du demandeur à la lumière de l’article 97 de la Loi.

 

[10]           La Commission a considéré le risque que le demandeur fasse l’objet d’extorsion, mais elle a estimé qu’il s’agissait là d’un risque général auquel le reste de la population était exposé (Sherman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 702, et Acosta c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 213).

 

[11]           La Commission s’est ensuite penchée sur le risque auquel sont exposées les personnes qui retournent dans un pays où il y a de la violence et où elles sont considérées comme riches, mais elle a conclu qu’il s’agissait d’un risque auquel sont généralement exposés d’autres individus dans ce pays, du fait que le risque d’être visé par une forme quelconque de criminalité est ressenti par la plus grande partie de la population (Prophète c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 31, 78 Imm LR (3d) 163, 387 NR 149). En fait, le cas particulier des Salvadoriens considérés comme riches a également été examiné dans Ventura De Parada c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 845, et la Cour est arrivée à la même conclusion que dans la décision Prophète. La Commission a mentionné en outre que ces décisions s’appliquaient non seulement aux cas d’extorsion, mais à tous les crimes, y compris la crainte que le gang qui a tué le fils du demandeur assassine aussi ce dernier.

 

[12]           La Commission a reconnu que le demandeur était exposé à des risques au Salvador. Elle a cependant conclu que ce risque n’était pas personnel, mais qu’il était au contraire général et que la plupart des Salvadoriens y étaient exposés.

 

Question en litige

[13]           Le demandeur soulève plusieurs questions, mais la Cour est d’avis qu’une seule de ces questions suffit à trancher l’affaire :

-     La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas personnellement exposé à un risque au sens de l’article 97 de la LIPR?

 

Norme de contrôle

[14]           La question ci-dessus concerne l’analyse de la preuve par la Commission. Pour cette raison, les conclusions de fait que la Commission a tirées doivent faire l’objet d’une grande retenue et être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9).

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas personnellement exposé à un risque au sens de l’article 97 de la LIPR?

[15]           Le demandeur fait valoir que la Commission ne doutait pas que le demandeur fût exposé à un risque au Salvador (décision, paragraphe 15), mais qu’elle a néanmoins conclu que le risque n’était pas personnel, car la plupart des autres Salvadoriens y étaient exposés. Plus loin, au paragraphe 19, la Commission écrit : « […] Bien que vous puissiez être pris pour cible personnellement, vous ne seriez que la victime de l’horrible problème de la criminalité généralisée qui sévit au Salvador. Le risque auquel vous êtes exposé est le même risque qu’encourent la majorité des autres résidents du pays, et votre cas n’est donc pas particulier ». Le demandeur soutient que dans les cas de ciblage précis, il existe un risque personnel, et il invoque Martinez Pineda c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 365. Par conséquent, la décision de la Commission est invalide puisque la conclusion qu’elle a tirée n’est pas justifiable et contredit sa constatation selon laquelle le demandeur pourrait être personnellement pris pour cible au Salvador.

 

[16]           Pour sa part, le défendeur allègue que, pour l’application de l’article 97 de la Loi, c’est au demandeur qu’il incombe de démontrer qu’il est personnellement exposé à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou de peines cruels et inusités s’il est renvoyé au Salvador.

 

[17]           Le défendeur souligne que la Commission a soigneusement soupesé et apprécié la preuve objective sur la situation qui règne au Salvador et qu’elle a constaté que la violence imputable aux gangs était répandue et généralisée et que personne n’était à l’abri de cette violence. Par conséquent, la Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que le demandeur n’avait pas démontré que le risque auquel il était exposé était un risque personnel plutôt qu’un risque général.

 

[18]           La Cour n’est pas d’accord avec la thèse du défendeur. Dans le cas qui nous occupe, la Commission a jugé que le demandeur était crédible et que son témoignage était digne de foi et fiable. La Commission a reconnu, au paragraphe 15 de sa décision, que le demandeur était exposé à un risque, et, au paragraphe 19, qu’il était personnellement pris pour cible. Aucune explication ne justifie ces conclusions. Est-ce parce que, en raison de l’assassinat du fils du demandeur, des membres d’un gang le tueraient craignant qu’il se venge de cette mort? Ou est-ce parce que les allégations du demandeur ont été jugées crédibles? Lorsque la crédibilité d’un demandeur n’est pas mise en doute, la Commission est tenue d’apprécier rigoureusement le risque personnel auquel il est exposé afin de procéder à une analyse complète de sa demande d’asile au titre de l’article 97 de la LIPR, Aguilar Zacarias c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2011 CF 62, paragraphe 17.

 

[19]           La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’était pas exposé à un risque plus grand que d’autres Salvadoriens ne peut se justifier, car la Commission avait déjà reconnu qu’il était exposé à un risque et qu’il était personnellement pris pour cible. Cette conclusion n’appartient pas aux issues acceptables comme il est dit dans l’arrêt Dunsmuir au paragraphe 47.

 

[20]           L’intervention de la Cour est justifiée. Aucune question n’a été proposée pour certification et l’affaire n’en soulève aucune.

 

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande est accueillie. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il procède à un nouvel examen.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-7240-10

 

INTITULÉ :                                                   Jose Anibal Diaz et le ministre de

                                                                        la Citoyenneté et de l’Immigration

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Calgary

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 15 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 17 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Bjorn Harsanyi

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Brad Hardstaff

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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