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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 


Date : 20110621

Dossier : IMM-4878-10

Référence : 2011 CF 738

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 juin 2011

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PAOLA ANDREA PULIDO DIAZ

alias Paola Andrea Pulido-Diaz

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) demande le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle Mme Diaz (la défenderesse) a obtenu la qualité de réfugié au sens de la Convention et que ses nombreux antécédents de condamnations au pénal aux États-Unis n’excluaient pas son admission au Canada.

 

II.         LE CONTEXTE

[2]               La défenderesse, une citoyenne de la Colombie, dit craindre d’être persécutée par les FARC. Elle dit qu’elle a été violée par 15 membres des FARC parce que sa mère avait refusé de donner de l’argent aux FARC.

 

[3]               Mme Diaz a fui aux États-Unis. Alors qu’elle était aux États-Unis, elle dit que les FARC ont continué de menacer sa mère et sa grand-mère. Lorsque ces dernières ont finalement fui elles aussi aux États-Unis, Mme Diaz était incarcérée par suite de l’une de ses nombreuses condamnations.

 

[4]               Mme Diaz a été expulsée des États-Unis vers la Colombie en 2002, mais elle est rapidement retournée aux États-Unis illégalement. Elle y est demeurée jusqu’en 2007, lorsqu’elle a de nouveau été expulsée vers la Colombie.

 

[5]               Cette fois, Mme Diaz a quitté la Colombie pour le Canada, encore une fois au moyen d’un faux passeport.

 

[6]               Durant son séjour aux États-Unis, Mme Diaz a été condamnée sept fois. Voici les détails relatifs à ces condamnations :

 

Date

Arrêtée par

Accusation

Condamnation

Peine

1

12 octobre 1996

Service de police de New York

menu larcin;

possession criminelle de biens volés

menu larcin

6 mois de détention

2

19 novembre 1998

Service de police de Bayonville (NJ)

vol

accusation rejetée

-

 

 

3

26 janvier 2001

Service de police de New York

vol qualifié;

 possession criminelle d’une arme au 4e degré

Plaidoyer de culpabilité de tentative de vol qualifié au 3e degré

6 mois et 4 jours de détention

4

12 février 2001

Service de police de New York

vol qualifié;

tentative de vol au premier degré

tentative de vol au premier degré

6 mois de détention

5

3 septembre 2004

Service de police de Doraville (GA)

conspiration criminelle;

faux

inconnue

-

 

 

6

9 octobre 2004

Service de police de Gwinnet City (GA)

vol à l’étalage

vol à l’étalage

3 ans de probation

7

19 février 2007

Service de police de Dekalb City (GA)

vol d’une carte de transaction financière

aucun verdict n’a encore été rendu

-

 

 

[7]               La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu’il y avait un risque raisonnable que Mme Diaz (et sa mère et sa grand-mère) soit persécutée par les FARC à son retour en Colombie. La Commission a conclu qu’il n’y avait pas de protection de l’État ni de PRI raisonnable.

 

[8]               La Commission a ensuite examiné la question de savoir si Mme Diaz était exclue en vertu de l’article 98 et de l’alinéa 1Fb) pour avoir commis un ou plusieurs crimes graves de droit commun.

 La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

F.         Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

     […]

 

     b)    Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;

 

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, article 1

 

[9]               La Commission a relativisé la gravité de certaines condamnations en évoquant des facteurs atténuants, comme le fait que Mme Diaz était mineure ou qu’elle avait été violée. Elle a mis de côté d’autres infractions au motif qu’elles ne satisfaisaient pas au critère de la [TRADUCTION] « pénalité seuil » de 10 ans – une allusion à l’alinéa 36(1)b) de la Loi.

 

III.       ANALYSE

[10]           L’interprétation de l’article 98 et de l’alinéa 1Fb) de la Convention sur les réfugiés est une pure question de droit à laquelle s’applique la norme de la décision correcte (Arevalo Pineda c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 454). La même norme s’applique au « caractère suffisant des motifs ». L’application des faits à ces dispositions est une question mixte de faits et de droit assujettie à la norme de la décision raisonnable (Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404).

 

[11]           La décision de la Commission est problématique à plusieurs égards. Le plus fondamental des problèmes est le fait que la Commission a omis d’appliquer les principes énoncés dans l’arrêt Jayasekara, précité, qui est l’arrêt de principe sur les exclusions en vertu de l’alinéa 1Fb).

 

[12]           À cet égard, la Commission a omis d’appliquer les faits du crime au droit criminel canadien. Elle ne s’est pas demandé quel serait le résultat si ces faits étaient présentés à un tribunal canadien. Au lieu de cela, la Commission a cherché des dispositions pénales équivalentes à celles visant les infractions américaines. Cela a amené la Commission à examiner les éléments juridiques de chaque disposition américaine plutôt que de centrer son analyse sur la question de savoir quelles dispositions pénales canadiennes s’appliqueraient aux faits de chaque affaire américaine.

 

[13]           La Commission a commis une erreur relativement au [TRADUCTION] « seuil de dix ans » lorsqu’elle a pris en compte la durée de la peine effectivement infligée aux États-Unis plutôt que la durée des peines qui pourraient être infligées au Canada. La Commission a mal appliqué ou mal compris l’arrêt Hill c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1987] ACF no 47, qu’elle a considéré comme étayant cette analyse relative au seuil. Dans l’arrêt Hill, précité, la Cour d’appel fédérale n’a pas traité de l’alinéa 1Fb).

 

[14]           La Commission a commis une autre erreur lorsqu’elle a examiné des questions contextuelles. L’arrêt Jayasekara, précité, rejette précisément l’inclusion de la situation personnelle dans l’analyse relative aux crimes graves. Des facteurs comme l’âge, la situation économique ou une tragédie (tel un viol) ont pu être pertinents au regard de la détermination de la peine aux États‑Unis, mais ils n’ont rien à voir avec la gravité de l’infraction elle-même. La prise en compte de ces facteurs lors de l’évaluation de la gravité de l’infraction donne une image déformée des infractions elles-mêmes (Jayasekara, précité).

 

[15]           Bien qu’il ne soit pas nécessaire de tirer une conclusion quant à la question de la crainte bien fondée – puisqu’il y a d’autres motifs justifiant l’annulation de la décision –, la Cour a de sérieuses réserves à l’égard de cette conclusion. La conclusion est indûment brève, et elle ne tient aucun compte de la crédibilité malgré l’existence de divergences entre les notes prises au point d’entrée et les deux formulaires de renseignements personnels de la défenderesse.

 

[16]           Enfin, les motifs en l’espèce ne sont pas suffisants. Il n’est pas seulement difficile, mais impossible de deviner la logique appliquée relativement à l’alinéa 1Fb). La question n’est pas claire de savoir si la conclusion relative à la « gravité » était fondée sur la durée de la peine infligée, l’absence de dispositions législatives canadiennes équivalentes ou l’incidence primordiale des difficultés que Mme Diaz avait éprouvées.

 

IV.       CONCLUSION

[17]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée, et l’affaire est renvoyée pour faire l’objet d’un nouvel examen par un tribunal différemment constitué.

 

[18]           Le demandeur avait proposé une question à certifier à laquelle la défenderesse ne s’était pas objectée. Compte tenu des présents motifs, la question proposée est théorique, et je ne vois aucune autre question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée, et l’affaire est renvoyée pour faire l’objet d’un nouvel examen par un tribunal différemment constitué.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4878-10

 

INTITULÉ :                                       MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                            et

 

                                                            PAOLA ANDREA PULIDO DIAZ

                                                            alias Paola Andrea Pulido-Diaz

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 29 mars 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 21 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gordon Lee

 

POUR LE DEMANDEUR

 

D. Clifford Luyt

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

D. CLIFFORD LUYT

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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