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Date : 20110621

Dossier : IMM‑4652‑10

Référence : 2011 CF 733

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 juin 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

ELIAS GIOVANI IPINA IPINA

DANIEL DE JESUS IPINA IPINA

 

 

 

demandeurs

 

‑ et ‑

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sont des frères et des citoyens du Guatemala. Ils demandent l’asile parce qu’ils craignent d’être persécutés par le gang Mara 18. Ils ont travaillé à la ferme de leur père jusqu’à ce que ce dernier reçoivent des appels téléphoniques provenant des maras au cours desquels ils lui ont demandé de l’argent et menacé de tuer les demandeurs. Le père a reçu trois appels téléphoniques, mais il a refusé de payer. À une occasion, quatre hommes armés de fusils ont interpellé les demandeurs. Et à une occasion également, le père s’est rendu au poste de police et les policiers lui ont alors dit qu’ils enquêteraient sur les appels. Les demandeurs ont quitté le Guatemala le 26 mars 2008 à la demande de leur père. Ils ont demandé l’asile au Canada en avril 2008. Les autres membres de la famille ont déménagé dans une autre partie du pays où ils étaient plus en sécurité, et ils n’ont pas subi de sévices.

 

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle présentée en vertu de l’art. 72 de la Loi sur l’immigration et de la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) relatifs à une décision, rendue le 23 juillet 2010, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

 

[3]               La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi à réfuter la présomption relative à la protection de l’État étant donné qu’ils n’ont fourni aucun élément de preuve clair et convaincant établissant que la protection offerte par l’État du Guatemala est inadéquate. En examinant la situation du pays, la Commission a reconnu que le Guatemala est toujours aux prises avec des problèmes sociopolitiques, mais que le gouvernement lutte contre la corruption et intensifie ses efforts pour endiguer la violence des gangs. La Commission a en outre conclu que les demandeurs auraient dû eux‑mêmes tenter d’obtenir la protection de l’État plutôt que de compter uniquement sur l’intervention de leur père. Enfin, elle a conclu à l’absence de lien avec les motifs de la Convention énoncés à l’art. 96 de la LIPR et que la crainte de persécution des demandeurs résultait de la criminalité courante; il s’agissait donc d’un cas visé par le sous‑al. 97(1)b)(ii) de la LIPR.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[4]               La présente demande soulève les questions suivantes :

1.      La Commission pouvait‑elle raisonnablement conclure que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État?

2.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le risque auquel étaient exposés les demandeurs était un risque généralisé?

 

ANALYSE

 

 

La norme de contrôle

 

 

[5]               Les questions relatives à la protection de l’État sont des questions mixtes de fait et de droit : Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 61 Admin. L.R. (4th) 313, au par. 38. Par conséquent, la norme de la décision raisonnable s’applique : Mamoon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 794, au par. 7.

 

La Commission pouvait‑elle raisonnablement conclure que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État?

 

[6]               La conclusion de la Commission quant à l’absence de lien avec un motif prévu par la Convention n’est pas contestée. La demande ne porte que sur le risque de persécution associé aux activités criminelles ayant cours dans le pays des demandeurs.

 

[7]               Les demandeurs font valoir qu’en l’espèce la Commission n’a pas convenablement analysé la question de la protection de l’État en ce qu’elle n’a pas tenu compte de la nature de l’agent persécuteur, le gang Mara 18, de l’étendue de ses pouvoirs et de ce qu’il a fait pour devenir influent, ni de la question de savoir si la protection de l’État pouvait « raisonnablement être assurée ». À cet égard, les demandeurs soutiennent que la Commission aurait dû tenir compte de la preuve portant directement sur la question, dont le rapport publié en 2010 par Human Rights Watch au sujet du Guatemala. 

 

[8]               Les demandeurs soutiennent en outre qu’étant donné que le père et les demandeurs avaient fait l’objet de menaces en raison du refus du père de verser les sommes d’argent demandées, il importait peu que l’un ou l’autre d’entre eux se soit présenté au poste de police pour déposer une plainte.

 

[9]               Le défendeur fait valoir, quant à lui, que rien ne permet de conclure à l’effondrement complet de l’appareil étatique au Guatemala. Les demandeurs n’ont d’aucune façon cherché à obtenir eux‑mêmes la protection de l’État; ils n’ont fait aucune démarche en ce sens. Ils n’ont aucunement tenté de communiquer avec la police lorsqu’ils ont fait l’objet de menaces. Ils ont attendu que leur père reçoive des appels de menace et qu’il aille au poste de police. Les policiers ont dit à leur père qu’ils feraient enquête. Les demandeurs ne se sont pas prévalus de la protection à laquelle ils avaient accès et ils ont fui le pays avant que la police ait pu mener une enquête.

 

[10]           Il incombe aux demandeurs d’établir, selon la prépondérance des probabilités, et en s’appuyant sur une preuve pertinente, digne de foi et convaincante, que leur pays d’origine n’est pas en mesure de leur offrir une protection adéquate : Sosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 275, au par. 23; Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Carrillo, 2008 CAF 94, 69 Imm. L.R. (3d) 309, au par. 20.

 

[11]           En l’espèce, la Commission a pris note de la preuve documentaire concernant les efforts déployés par le Guatemala en vue d’endiguer violence des gangs. La Commission a reconnu qu’il existait des problèmes de criminalité et de corruption dans ce pays et que les services de police et le système judiciaire comportaient des lacunes. Mais la Commission a aussi noté que des progrès étaient faits dans l’application de mesures visant à corriger la situation, consistant notamment à renvoyer des policiers et des agents correctionnels corrompus. La Commission a souligné le travail accompli par la Police nationale civile (PNC) avec les militaires en vue de combattre le crime. Des enquêtes concernant l’inconduite des policiers sont en cours, le PNC a offert à plus de 3000 cadets une formation en matière de droits de la personne, et dans les secteurs à haut taux de criminalité, le gouvernement a mis en place trois projets pilotes qui visent à augmenter les taux de poursuites dans ces secteurs et dans le cadre desquels des tribunaux siègent 24 h sur 24.

 

[12]           Je ne puis accepter l’argument des demandeurs selon lequel il n’y avait pas lieu de prendre en compte les mesures susmentionnées prises par l’État. La Commission pouvait en tenir compte lorsqu’elle a examiné la question de savoir si le Guatemala exerce un réel contrôle sur son territoire et dispose de forces de sécurité efficaces pour assurer le respect des lois et de la constitution du pays. À défaut d’effondrement complet de l’appareil étatique, les demandeurs avaient l’obligation de mettre à l’épreuve l’efficacité de la protection avant de mettre en doute son existence : Ramirez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1214, au par. 28.

 

[13]           En l’espèce, la Commission a statué que les demandeurs n’avaient pas pris tous les moyens raisonnables pour obtenir la protection de l’État étant donné que l’unique rapport fait à la police avait été effectué par leur père. Les demandeurs sont des adultes. Il était raisonnable que la Commission conclue qu’ils n’avaient pas épuisé tous leurs recours en vue d’obtenir la protection des autorités en choisissant de compter uniquement sur leur père pour qu’il le fasse en leur nom.

 

[14]           Les demandeurs s’appuient sur Torres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 234, au par. 29, où la Cour cite Mendoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 119, 88 Imm. L.R. (3d) 81, au par. 33, pour étayer l’argument voulant qu’une analyse adéquate de la protection de l’État doit tenir compte des caractéristiques particulières de l’agent de persécution pour déterminer si la protection pouvait être raisonnablement offerte :

La conclusion du tribunal selon laquelle le demandeur d’asile n’a pas pris de mesures pour obtenir la protection de l’État, ne porte un coup fatal à la demande que dans le cas où celui‑ci conclut également que la protection pouvait raisonnablement être offerte. Pour tirer une conclusion à cet égard, le tribunal est tenu d’examiner le caractère unique du pouvoir et de l’influence du persécuteur allégué sur la capacité et la volonté de l’État de protéger. [Souligné dans l’original.]

 

[15]           En l’espèce, la Commission a conclu que :  

En l’espèce, le demandeur d’asile principal indique que la Mara 18 a essayé d’extorquer de l’argent à son père en menaçant de tuer le demandeur d’asile principal et le second demandeur d’asile. La Mara 18 est l’un des puissants gangs qui sont devenus une menace nationale pour les pays d’Amérique centrale. Le Guatemala enregistre actuellement 100 homicides par tranche de 100 000 habitants, et nombre de ces homicides seraient associés aux gangs de rue.

 

[16]           La Commission a tenu compte des moyens que prend actuellement le Guatemala pour contrôler les gangs de rue, en prenant notamment note de la politique nationale de prévention de la violence chez les jeunes (National Policy on Prevention of Youth Violence) et des interventions d’organismes non gouvernementaux comme le CEIBA (qui cible les jeunes qui sont à risque). Cela montre que la Commission comprenait la nature du gang Mara 18. Comme c’était le cas dans la décision Mendoza, précitée, cela montre aussi que l’État manifeste sa volonté de protéger ses citoyens. Même si la Commission avait commis une erreur en procédant à l’examen des caractéristiques de l’agent de persécution dans la section de son analyse portant sur le Risque généralisé plutôt que dans la section portant sur la Protection de l’État, il ne fait pas de doute, à la lecture de l’ensemble de la décision, qu’elle était au courant de ces questions, et qu’elle a procédé à un examen adéquat de la preuve documentaire. C’est au vu de la totalité de la preuve qu’elle est arrivée à la conclusion qu’il était possible d’obtenir la protection de l’État. Voir aussi : Montemayor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 977, par. 22.

 

La Commission a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le risque auquel étaient exposés les demandeurs était un risque généralisé?

 

[17]           Les demandeurs soutiennent qu’ils étaient personnellement, et plus que la population en général, exposés à un risque de persécution, vu les nombreuses menaces de mort que leur père a reçues à la suite de son refus de payer les sommes exigées. À cet égard, la Commission, disent‑ils, a commis une erreur en concluant que les demandeurs n’étaient pas des personnes à protéger au sens du sous‑al. 97(1)b)(ii).

 

[18]           Pour que l’on considère que leur vie est menacée ou qu’ils sont exposés à des traitements ou peines cruels et inusités au sens du par. 97(1) de la LIPR, les demandeurs doivent être personnellement exposés à un risque que ne court pas de manière générale le reste de la population : Menendez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 221, 14 Admin L.R. (5th 151), au par. 20. La Commission a conclu que la Mara 18 constitue un danger pour toutes les personnes qui vivent au Guatemala et que les demandeurs n’étaient pas seuls dans cette situation. Il ressort de la preuve documentaire, dont il est question ci‑dessus, que les actes de violence commis par les gangs sont un réel problème pour l’ensemble de la population du  Guatemala. Aucune preuve au dossier ne permet de penser que les demandeurs avaient été ciblés pour une raison particulière. La Commission pouvait donc raisonnablement conclure que le risque auquel les demandeurs étaient exposés était un risque généralisé. 

 

[19]           Les demandeurs sont malvenus de s’appuyer sur Pineda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 365, 65 Imm. L.R. (3d) 275. Dans Pineda, le demandeur avait été ciblé à de nombreuses reprises par un gang de rue en El Salvador. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Rien ne donne à penser que les demandeurs ont été traités différemment des autres Guatémaltèques qui sont confrontés aux actes violents de la Mara 18.

 

[20]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4652‑10

 

INTITULÉ :                                                   ELIAS GOVANI IPINA IPINA

                                                                        DANIEL DE JESUS IPINA IPINA

 

                                                                        ‑ et ‑

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 22 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE MOSLEY

 

DATE :                                                           Le 21 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Clifford Luyt

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Samantha Reynolds

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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