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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110614

Dossier : T-1441-10

Référence : 2011 CF 688

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2011

En présence de monsieur le juge Scott

 

 

ENTRE :

 

MATTHEW BOWDEN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

A.     Introduction

 

[1]        Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 14 juillet 2010 par l’arbitre de grief au troisième palier de Service correctionnel Canada (SCC), qui a rejeté le grief déposé par Matthew Bowden (le demandeur) à l’égard de son transfèrement non sollicité de l’établissement de Joyceville à l’établissement de Millhaven.

 

 

 

B.           Les faits

 

[2]        Le demandeur est un délinquant primaire âgé de 33 ans qui purge une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre au deuxième degré. Alors qu’il était incarcéré à l’établissement de Joyceville, le demandeur a été impliqué dans un réseau de jeu. À la suite d’une enquête, la position du demandeur sur l’échelle de réévaluation du niveau de sécurité (ERNS) a été haussée à 26,5, une cote de sécurité moyenne située dans la « gamme discrétionnaire » qui permettait de le classer en tant que détenu à sécurité maximale. En raison de son nouveau classement, le 5 février 2010, le demandeur a fait l’objet d’un transfèrement non sollicité à l’établissement de Millhaven.

 

[3]        Le demandeur a déposé trois griefs au sujet de l’enquête menée sur le réseau de jeu, de sa réévaluation et de son transfèrement. Tous les trois griefs ont été rejetés, que ce soit au 2e ou au 3e palier de la procédure. Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, l’unique grief en litige est la décision, rendue au 3e palier, de rejeter le grief du demandeur en ce qui concerne son transfèrement.

 

[4]        Depuis le dépôt de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur a fait l’objet d’un reclassement en tant que détenu à sécurité minimale et, le 6 novembre 2010, il a donc été transféré de nouveau, cette fois dans un établissement à sécurité moyenne. En conséquence, le défendeur soutient que la présente demande est théorique, et que la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre l’affaire.

 

Pour les motifs qui suivent, la Cour a décidé d’exercer son pouvoir discrétionnaire et n’entendra pas l’affaire, car celle-ci est théorique.

 

 

C.           Les questions en litige et la norme de contrôle

 

[5]        Deux questions ont été soumises à la Cour :

 

1.                   La présente demande de contrôle judiciaire est-elle théorique?

2.                   Si la demande de contrôle judiciaire est théorique, la Cour devrait-elle quand même exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre l’affaire?

 

D.           Les observations des parties

 

[6]     Le demandeur a fait valoir que l’affaire n’était pas théorique, car il resterait toujours une tache dans son dossier en raison du fait qu’on avait haussé sa cote de sécurité pour ensuite la déclasser. La Cour devait par conséquent entendre la présente demande de contrôle judiciaire qui, en l’espèce, d’après l’avocat du demandeur, tenait davantage d’un certiorari. Selon les dires de l’avocat du demandeur, une question d’intérêt public était en jeu, puisque le Service correctionnel du Canada pourrait recourir dans d’autres cas à une procédure similaire, soit hausser la cote de sécurité d’un détenu et procéder au transfèrement de celui-ci, puis revenir sur sa décision et soutenir que l’affaire est théorique, empêchant ainsi la Cour de contrôler ses décisions.

 

[7]        Le défendeur a allégué que, puisque la présente demande de contrôle judiciaire se limitait au transfèrement non sollicité du demandeur dans une prison à sécurité maximale, et ne portait pas sur la modification de sa cote sur l’ERNS ni sur l’enquête menée au sujet du réseau de jeu, l’affaire était théorique. Étant donné que le demandeur a depuis lors fait l’objet d’un nouveau transfèrement dans un établissement à sécurité moyenne, la décision de la Cour ne pourrait avoir aucune incidence concrète sur les droits du demandeur et serait un exercice purement théorique.

 

[8]        Le défendeur a ajouté que, si l’affaire était théorique, la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre l’affaire. Il a soutenu qu’aucune question d’intérêt public n’était en jeu, et que le demandeur disposerait toujours de moyens efficaces de faire valoir ses droits en cas de décision de transfèrement non sollicité dans l’avenir.

 

E.            Analyse

 

a)      La présente demande de contrôle judiciaire est-elle théorique?

 

[9]        Pour déterminer si une affaire est théorique, il faut se demander si un différend concret et tangible est en jeu, ou si l’affaire est débattue dans l’abstrait (Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342, au paragraphe 16 [Borowski]).

 

[10]      La seule question à trancher pour la Cour consiste à savoir si le décideur a commis une erreur en ordonnant le transfèrement non sollicité. Les questions entourant la cote du demandeur sur l’ERNS et la nature de l’enquête sur le réseau de jeu ne sont pas visées par la présente demande.

 

[11]      Même si la Cour devait trancher que le SCC a commis une erreur en procédant au transfèrement du demandeur dans un établissement à sécurité maximale, sa décision n’aurait aucun effet dans la pratique. Le demandeur a déjà fait l’objet d’un nouveau transfèrement dans une prison à sécurité moyenne. Étant donné que le fondement du litige n’existe plus, la question soumise à la Cour est effectivement théorique.

 

b)      La Cour devrait-elle quand même exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre l’affaire?

 

[12]      La conclusion selon laquelle il n’existe pas de litige actuel ne met pas pour autant fin à l’affaire. Comme mentionné dans l’arrêt Borowski, précité, la Cour peut choisir de juger une question théorique si elle estime que les circonstances le justifient. Ainsi que l’a déclaré la juge Layden-Stevenson dans sa décision dans l’affaire Dorsey c. Établissement de Millhaven, 2002 CFPI 1085, au paragraphe 7, ce pouvoir discrétionnaire est néanmoins « à exercer de façon judiciaire selon les principes établis ». Elle a ensuite entrepris d’expliquer que les raisons d’être de la politique en matière de causes théoriques tiennent « à l’exigence du débat contradictoire, à l’économie des ressources judiciaires et à la nécessité pour les tribunaux d’être bien conscients de leur fonction prétorienne ».

 

[13]      À la lumière de ces motifs, la Cour n’est pas convaincue que la question devrait être instruite en dépit de son caractère théorique. Bien qu’on puisse faire valoir qu’un contexte contradictoire existe toujours entre les parties, l’issue de la présente affaire n’aura aucun effet sur les droits du demandeur. Je souscris à l’affirmation de l’avocat du défendeur selon laquelle le demandeur disposera encore de moyens efficaces de faire valoir ses droits si d’autres problèmes devaient se poser durant son incarcération. En outre, l’affaire ne soulève aucune question de portée générale. Il s’agit d’un principe juridique établi, qui ne justifie pas la dépense de ressources judiciaires dans le contexte. Qui plus est, rien ne prouve que le SCC recourrait à la pratique alléguée par le demandeur.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que, pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée sans dépens.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette, traductrice

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1441-10

 

INTITULÉ :                                       MATTHEW BOWDEN

 

                                                            c.

 

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 14 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Brian A. Callender

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Peter Nostbakken

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Brian A. Callender

Avocat

Kingston (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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