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Date : 20110614

Dossier : IMM-4836-09

Référence : 2011 CF 692

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2011

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

EMMANUEL MIKE MBAKWE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’égard de la décision rendue le 5 mai 2008 (la décision) par un agent d’immigration (l’agent). L’agent a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (demande CH).

 

 

 

LE CONTEXTE FACTUEL

 

[2]               Le demandeur est un citoyen du Nigeria âgé de 57 ans. Il est arrivé au Canada le 24 avril 2000 et a présenté une demande d’asile fondée sur une crainte justifiée de persécution du fait de sa religion. Il est chrétien. Il a grandi à Owerri. Il soutient que son père était le chef d’un groupe païen qui pratiquait des sacrifices rituels. Au décès de son père, en 1988, on s’attendait à ce que le demandeur lui succède, mais il a refusé de le faire. Cette décision a été très mal vue par sa mère et par d’autres aînés de la communauté religieuse.

 

[3]               Le demandeur affirme qu’en 1990 il s’est installé à Kaduna où il a ouvert une librairie chrétienne. En 2001, durant une période de soulèvements religieux, sa librairie a été incendiée par des fondamentalistes musulmans. Ces mêmes « hommes de main religieux » l’ont enlevé et séquestré, mais le demandeur a acheté sa liberté. Il dit que s’il retourne dans n’importe quelle région du Nigeria, sa vie sera menacée par les fondamentalistes musulmans. Il dit également qu’il sera ostracisé parce qu’il sera perçu comme ayant abandonné ses enfants lorsqu’il s’est rendu au Canada et a perdu tout contact avec eux. À son avis, cela constitue un traitement inhumain.

 

[4]               Le demandeur a présenté différentes demandes depuis son arrivée au Canada, dont une demande d’asile qui a été, le 26 mars 2001, rejetée par la Section du statut de réfugié (SSR). Le tribunal saisi de cette demande a conclu que le demandeur n’était pas crédible. La preuve présentée dans son FRP différait complètement du témoignage produit à l’audience quant à la durée de la période pendant laquelle il aurait été séquestré par les hommes de main religieux, soit l’incident le plus important figurant dans sa demande. Le tribunal a conclu que le récit du demandeur était, en général, [traduction] « fabriqué de toutes pièces en vue d’obtenir la résidence [permanente] au Canada sans passer par la filière normale ».

 

[5]                La demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) présentée par le demandeur a été rejetée le 5 mai 2008. La demande d’ERAR a été entendue par le même agent qui a rendu la décision contestée en l’espèce.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[6]               La demande CH du demandeur était fondée sur des allégations de risque auquel il serait exposé s’il retournait au Nigeria ainsi que sur son degré d’établissement au Canada. L’analyse peut être divisée en quatre parties.

 

[7]               Tout d’abord, l’agent a examiné les allégations de risque au Nigeria. Il a noté que les risques énumérés par le demandeur dans sa demande CH avaient déjà été examinés dans le contexte de la demande d’asile de 2001 et de la demande d’ERAR de 2008, mais que les considérations relatives au risque dans le contexte d’une demande CH sont [traduction] « potentiellement plus larges ». L’agent a repris textuellement des passages de sa décision de rejeter la demande d’ERAR du demandeur; il a fait observer qu’il n’y avait aucun [traduction] « changement dans la situation existante au Nigeria qui exposerait [le demandeur] à un risque nouveau ou supplémentaire que la SSR n’avait pas encore envisagé » et qu’il n’y avait aucun changement majeur dans la situation du demandeur comme chrétien depuis le rejet de sa demande d’asile en 2001.

 

[8]               L’agent a conclu qu’il convenait d’accorder aux conclusions défavorables de la SSR quant à la crédibilité du demandeur [traduction] « un poids considérable » dans l’évaluation des motifs d’ordre humanitaire et qu’en fin de compte le témoignage du demandeur au sujet des hommes de main religieux et des soulèvements au Nigeria ne corroborait pas ses allégations de risque ni ne réfutait les conclusions de la SSR. L’examen des difficultés dans le cadre d’une demande CH exige un témoignage crédible, or ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

[9]               Premièrement, l’agent a commenté explicitement deux aspects du témoignage du demandeur : les raisons pour lesquelles il a quitté Owerri et Kaduna. Le demandeur avait déclaré que son refus d’assumer le rôle de grand prêtre à Owerri a mené à une altercation avec sa mère et les aînés du sanctuaire, d’une telle violence que sa mère l’avait aspergé d’eau bouillante. L’agent a toutefois précisé que cet incident est survenu en 1990, il y a plus de 18 ans. Rien n’indiquait que sa mère ou les aînés de la communauté l’avaient jamais poursuivi à Kaduna, ou qu’ils avaient toujours l’intention de s’en prendre à lui. Le demandeur a également allégué que son commerce de Kaduna avait été pillé et incendié. Il est toutefois noté dans la décision que le bâtiment apparaissant dans les photos fournies par le demandeur n’est manifestement pas une librairie; il n’existe aucun rapport de police ni de document montrant que le demandeur était propriétaire d’une librairie ou que celle‑ci avait été vandalisée. Vu l’ensemble de la preuve, l’agent a conclu que la preuve était insuffisante pour conclure que le demandeur risquerait de subir des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il retournait au Nigeria.

 

[10]           Deuxièmement, l’agent s’est penché sur la question de l’établissement du demandeur au Canada. Il a fait observer que le demandeur vivait au Canada depuis 2000, mais que son long séjour n’était pas attribuable à des circonstances indépendantes de sa volonté. Il avait travaillé fort et de façon constante, il avait investi dans le secteur immobilier et il était autonome financièrement. Il avait participé activement à des activités communautaires et suivi une formation relative à son emploi. L’agent a conclu cependant qu’il y avait peu d’éléments d’exception au regard de l’établissement du demandeur, puisque celui‑ci vivait au Canada depuis huit ans. L’agent a aussi fait remarquer que les compétences que le demandeur avait acquises pendant son séjour au Canada étaient transférables et qu’il trouverait probablement un emploi s’il retournait au Nigeria.

 

[11]           Troisièmement, l’agent a analysé l’allégation du demandeur selon laquelle il serait exposé à un danger psychologique et physique et risquerait d’être expulsé de sa communauté du Nigeria parce qu’il n’a eu aucun contact avec ses enfants et qu’il serait perçu comme les ayant abandonnés. Le demandeur a produit un témoignage contradictoire sur la question de savoir s’il avait ou non gardé le contact avec ses enfants pendant son séjour au Canada. Cette contradiction reste inexpliquée et met en question l’allégation du demandeur.

 

[12]           Enfin, l’agent a fait observer qu’à la suite d’une décision négative, le demandeur retournerait dans un pays dont il connaît bien la langue, la culture et les coutumes. L’absence de l’appui de sa famille au Nigeria, quoique stressante, ne lui causerait pas un préjudice indu. Le demandeur n’a pas de liens familiaux étroits au Canada, mais il a réussi à devenir autonome financièrement.

 

[13]            L’agent a finalement conclu que le demandeur n’a pas démontré qu’il était si enraciné au Canada que la rupture des liens avec sa communauté est ses placements financiers lui causeraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[14]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demande CH a été rejetée.

 

LES DISPOSITIONS PERTINENTES

 

[15]           Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes en l’espèce :

 

Objet en matière d’immigration

 

3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

 

[…]

 

c) de favoriser le développement économique et la prospérité du Canada et de faire en sorte que toutes les régions puissent bénéficier des avantages économiques découlant de l’immigration;

 

[…]

 

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

 

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

 

 

 

 

 

Objectives — immigration

 

 

3. (1) The objectives of this Act with respect to immigration are

 

[…]

 

(c) to support the development of a strong and prosperous Canadian economy, in which the benefits of immigration are shared across all regions of Canada;

 

 

[…]

 

Humanitarian and compassionate considerations

 

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative or on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[16]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

a)                  L’agent a‑t‑il commis une erreur en concluant que les motifs d’ordre humanitaire étaient insuffisants pour justifier, dans le cas du demandeur, une dispense de l’application des exigences de la Loi?

 

b)                  L’agent a‑t‑il fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait?

 

c)                  L’agent a‑t‑il omis de respecter un principe de justice naturelle?

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[17]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a jugé que l’analyse relative à la norme de contrôle n’a pas à être effectuée dans tous les cas. Au contraire, dans le cas où la norme de contrôle applicable à la question particulière dont la cour est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. C’est seulement dans le cas où cette recherche ne porte pas fruit que la cour de révision doit entreprendre une analyse relative à la norme de  contrôle applicable en fonction des quatre facteurs que celle‑ci comprend.

 

[18]           La première question en litige concerne la norme de contrôle applicable à une décision CH. La Cour d’appel fédérale a récemment statué dans Kisana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18, que la norme appropriée est celle de la raisonnabilité. Voir également Thandal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 489, au paragraphe 7.

 

[19]           La deuxième question vise l’évaluation de l’agent quant à la crédibilité du demandeur et la façon dont il a apprécié la preuve. Les conclusions relatives aux faits et à la crédibilité relèvent de l’expertise de l’agent et commandent, de ce fait, l’application de la norme de la raisonnabilité. Voir Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, 42 ACWS (3d) 886 (CAF); Aguirre c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571, aux paragraphes 13 et 14; et Dunsmuir, précité, aux paragraphes 51 et 53.

 

[20]           Lorsque le tribunal examine une décision selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse s’attachera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; et l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable dans le sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[21]           La troisième question en litige soulève des questions de justice naturelle et d’équité procédurale. Ces questions sont examinées selon la norme de la décision correcte. Un manquement à l’équité procédurale entraîne l’annulation de la décision. Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 129.

 

LES ARGUMENTS

            Le demandeur

Le renvoi entraînera pour le demandeur des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives

 

[22]           Le demandeur affirme qu’il est maintenant âgé. Il a grandement contribué au développement économique du Canada par son emploi au cours duquel il a fait preuve de diligence et de fiabilité. Il occupe un emploi stable, détient trois biens immobiliers, ce qui montre une saine gestion financière, et il est membre actif de sa communauté paroissiale.

 

[23]           Le demandeur fait valoir que l’agent a manqué à son obligation de prendre dûment en considération ces facteurs en évaluant le degré d’établissement du demandeur au Canada. Ainsi, l’agent a manqué aux règles d’équité procédurale.

 

 

 

 

Le défendeur

                        Le paragraphe 25(1) ne constitue pas une méthode de rechange pour immigrer au Canada

 

[24]           Le défendeur fait valoir que le paragraphe 11(1) de la Loi exige d’un étranger qu’il demande les visa et autres documents requis par règlement, préalablement à son entrée au Canada. Le paragraphe 25(1) de la Loi permet au ministre d’octroyer à un étranger le statut de résident permanent ou lever une obligation applicable s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire le justifient. La dispense prévue au paragraphe 25(1) ne doit pas servir de méthode de rechange pour immigrer au Canada. Dans Vidal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 13 Imm LR (2d) 123, [1991] A.C.F. no 63 (QL), le juge Barry Strayer de notre Cour a reconnu que ces exceptions constituent des avantages particuliers et discrétionnaires.

 

Compte tenu de l’ensemble de la preuve, la décision est  raisonnable

 

[25]           Le défendeur affirme que, dans le cadre d’une demande CH, il incombe au demandeur de démontrer que, dans sa situation, présenter la demande de visa de résident permanent à l’extérieur du Canada (tel qu’il est normalement requis) lui causerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Ce n’est que lorsque le demandeur s’est acquitté de ce lourd fardeau de preuve, qu’une exemption pour des motifs d’ordre humanitaire sera justifiée. Voir Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 94, aux paragraphes 11 et 12.

 

[26]           L’agent a reconnu que les risques allégués dans la demande CH étaient les mêmes que ceux allégués dans la demande d’asile ainsi que dans la demande d’ERAR. La situation au Nigeria n’a pas changé depuis 2001, année à laquelle le demandeur a présenté sa demande d’asile, ni depuis 2008, année à laquelle le demandeur a présenté sa demande d’ERAR. Sa propre situation comme chrétien n’a pas changé non plus. Le demandeur n’a présenté aucune preuve indiquant que quiconque au Nigeria l’avait poursuivi d’Owerri à Kaduna ou manifestait une intention constante de s’en prendre à lui parce qu’il avait refusé de devenir un grand prêtre pour se convertir plutôt au christianisme. De plus, la preuve photographique et documentaire était insuffisante pour établir que le demandeur était le propriétaire d’une librairie et qu’il était ciblé par des fondamentalistes musulmans. Le demandeur a également produit un témoignage contradictoire sur les relations avec sa famille au Nigeria et n’a pas expliqué cette contradiction.

 

[27]           Le défendeur soutient que l’agent a examiné tous les éléments de preuve. Il a énuméré les éléments de preuve constituant le fondement de sa décision et a cité à plusieurs reprises les observations du demandeur. Il ne semble pas que l’agent ait tiré des conclusions de fait erronées, abusives ou arbitraires, sans tenir compte de la preuve, comme le soutient le demandeur.

 

 

[28]           L’agent a examiné le degré d’établissement au Canada du demandeur. Il a conclu, au vu de la preuve, que le choix de s’établir au Canada appartenait au demandeur; rien n’empêchait celui‑ci de retourner au Nigeria. Les difficultés associées à son déracinement sont une conséquence de son choix de s’établir dans un pays dans lequel il n’a pas le statut de résident permanent.

 

Le mémoire supplémentaire du défendeur

 

[29]           Le défendeur ajoute que, dans les demandes déposées en 2001 et en 2005, le demandeur a indiqué que sa mère était décédée. Manifestement, il ne risque pas d’être persécuté par celle‑ci.

 

[30]           Le défendeur indique l’existence de contradictions supplémentaires dans la preuve du demandeur au sujet de la relation avec ses enfants. Dans des documents produits en 2001 et en 2005, le demandeur dit ne pas connaître les adresses de ses enfants; dans un autre document datant de 2005, il a indiqué la ville du Nigeria où habitaient ses enfants; dans une lettre de 2008, il a affirmé que tous ses enfants avaient quitté le Nigeria. Dans chaque cas, le demandeur a omis d’indiquer la source des renseignements au sujet de ses enfants. L’agent n’a pas commis d’erreur en concluant que la preuve du demandeur concernant la relation avec ses enfants et le degré de contact entre eux était contradictoire.

 

ANALYSE

 

[31]           À mon avis, le demandeur a présenté un dossier particulièrement faible aux fins du contrôle. Ses prétentions constituent de simples affirmations et manquent de fondement.

 

Erreur de droit

 

[32]           Le demandeur affirme qu’il s’est acquitté de son fardeau de démontrer l’existence de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[33]           Le demandeur toutefois exprime simplement son désaccord avec la décision en cause. À l’examen de la décision, il ressort clairement que le processus décisionnel de l’agent fait preuve de justification, de transparence et d’intelligibilité, et que ses conclusions appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. En d’autres termes, il est possible d’être en désaccord avec la décision, mais celle‑ci ne s’écarte pas pour autant de l’éventail des issues acceptables au sens de l’arrêt Dunsmuir. Même si une décision favorable aurait pu être raisonnable d’après les faits, elle ne serait pas pour autant déraisonnable. Voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59.

 

Établissement

 

[34]           Le demandeur semble croire que la décision est déraisonnable du fait qu’il a réussi assez bien à s’établir au Canada et qu’il ne veut plus quitter le pays. Or, comme l’indique l’agent dans la décision, il ne s’agit pas de savoir si le demandeur apporterait ou apporte vraiment une contribution positive à la collectivité canadienne. Le degré d’établissement est seulement l’un des facteurs à prendre en compte pour déterminer l’existence de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Manifestement, l’agent prend en compte le degré d’établissement et applique le bon critère.

 

[35]           Le demandeur affirme que l’agent n’a pas tenu suffisamment compte du degré d’établissement au Canada. Il n’y a cependant pas rien dans la décision au soutien de cette affirmation. Le degré d’établissement a fait l’objet d’un examen approfondi et équitable. Là encore, le demandeur est simplement en désaccord avec les conclusions de l’agent, mais cela ne suffit pas pour constituer un motif de contrôle judiciaire.

 

Manquement à l’équité procédurale

 

[36]           Le demandeur dit que l’agent a manqué à l’équité procédurale parce qu’il n’a pas suivi les considérations de politique figurant dans le Guide de traitement des demandes au Canada (IP5) [traduction] « en ne tenant pas compte des questions pertinentes ».

 

[37]           Il est difficile de savoir ce que le demandeur entend par cette affirmation non étayée. Quoi qu’il en soit, l’agent a examiné à fond les facteurs favorables relatifs à l’établissement du demandeur au Canada et les a jugés insuffisants pour conclure à l’existence de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Lors de l’audition de la présente affaire tenue devant moi à Calgary, le 14 février 2011, le demandeur a avancé un nouvel argument qui ne figurait pas dans les observations écrites, selon lequel, pour ce qui est de l’absence de preuve concernant l’ostracisme culturel, l’agent avait le devoir ou l’obligation d’obtenir, de son propre chef, ou de communiquer avec le demandeur et lui demander de fournir des renseignements indépendants et objectifs sur ce sujet.

 

[38]           L’avocate du demandeur n’a pas fourni de jurisprudence à l’appui, et j’estime que cet argument irait à l’encontre de la position adoptée par notre Cour selon laquelle, dans le cadre d’une demande CH, il incombe au demandeur de fournir les éléments de preuve qu’il veut que l’agent prenne en considération. Voir, par exemple, Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, au paragraphe 5. Ce principe a été suivi par notre Cour dans de nombreuses décisions, notamment Rizvi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 463; Sharma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1006; Monteiro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1322; Samsonov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1158; Hamzai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1108; Liniewska c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 591; Ruiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 465; Nguyen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 236; et Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (CAF).

 

[39]           De plus, le Guide de traitement des demandes au Canada (IP5) publié par Citoyenneté et Immigration Canada mentionne également cette conclusion, par exemple à la section 5.7 qui est ainsi libellée :

Il incombe entièrement au demandeur de décrire précisément dans ses observations les difficultés auxquelles il ferait face s’il n’obtenait pas la dispense demandée. L’agent n’a pas à demander des renseignements sur les considérations d’ordre humanitaire et n’est pas tenu de convaincre le demandeur que de tels motifs n’existent pas. Il revient au demandeur d’invoquer toute circonstance d’ordre humanitaire qu’il juge pertinente dans son cas.

 

 

[40]           En l’espèce, le problème ne découle pas de l’absence de preuve concernant l’ostracisme culturel et social au Nigeria. Le demandeur n’a pas démontré au moyen d’une preuve crédible comment et pourquoi il risquait personnellement d’être frappé d’ostracisme s’il retournait au Nigeria et présentait dans ce pays la demande de résidence permanente au Canada.

 

Questions à certifier

 

[41]           Le demandeur a présenté les questions suivantes aux fins de certification :

[traduction]

Lorsqu’est présentée une demande de mesures spéciales en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, si l’agent de réexamen a des doutes relativement à la « question principale » spécifique à un pays particulier, soulevée par le demandeur, et à l’égard de laquelle il ne possède pas la connaissance requise, l’agent a‑t‑il l’obligation de se renseigner sur le sujet avant de rendre sa décision?

 

Lorsqu’il analyse des éléments de preuve qui sont postérieurs à la décision de la Commission de rejeter une demande d’asile, et donc « nouveaux », dans son appréciation des nouveaux renseignements, l’agent d’ERAR doit‑il prendre en considération des facteurs tels que la nature des renseignements, leur utilité pour le dossier et les répercussions sur le demandeur? L’agent a‑t‑il l’obligation de mener une recherche indépendante sur le sujet semblable à celle de la Réponse à la demande d’information présentée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié?

 

Si l’agent applique son appréciation de ces « nouveaux » facteurs dans la demande d’ERAR à l’évaluation des risques/des difficultés dans la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, en tant qu’expert dans le domaine, l’agent ne devrait‑il pas fonder valablement son appréciation sur les renseignements documentaires objectifs ayant été examinés et appliqués valablement au dossier?

 

[42]           Ces questions ne répondent pas au critère applicable à la certification en ce qu’elles constituent manifestement une tentative du demandeur d’inverser le fardeau de la preuve dans une demande CH malgré l’existence de précédents selon lesquels il est clair en droit que « le demandeur a le fardeau de prouver toute allégation sur laquelle il fonde sa demande pour des raisons humanitaires ». Voir Owusu, précitée, au paragraphe 5. En l’espèce, le demandeur exprime simplement son désaccord avec une décision qui découle raisonnablement de son défaut de produire suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de sa demande CH.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que

 

1.                  La demande est rejetée.

 

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4836-10

 

INTITULÉ :                                       EMMANUEL MIKE MBAKWE

                                                           

                                                            et

                                                           

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT               Le juge Russell

ET JUGEMENT                               

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 14 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Roxanne Haniff-Darwent

 

POUR LE DEMANDEUR

Camille Audain

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Darwent Law Office

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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