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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110531

Dossier : IMM-3000-10

Référence : 2011 CF 633

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2011

En présence de monsieur le juge O'Keefe

 

ENTRE :

 

LESLIE ROSHAN DIVAKARAN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

Dossier : IMM-3003-10

 

ET ENTRE :

 

LESLIE ROSHAN DIVAKARAN

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), qui vise deux décisions rendues par un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent) datées du 14 avril 2010. Dans ces décisions, ce dernier avait rejeté la demande fondée sur le paragraphe 25(1) de la Loi présentée par le demandeur, dans laquelle il demandait que sa demande de résidence permanente soit traitée depuis le Canada pour des motifs humanitaires (motifs CH) et relativement à laquelle l’agent avait conclu que le demandeur ne serait pas exposé au risque de persécution, au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il devait retourner au Sri Lanka.

 

[2]               Le demandeur sollicite une ordonnance annulant les décisions de l’agent et renvoyant l’affaire à un autre agent pour nouvel examen.

 

Le contexte

 

[3]               Leslie Roshan Divakaran (le demandeur) est un citoyen du Sri Lanka qui est arrivé au Canada le 12 décembre 2004 et qui a demandé l’asile.

 

[4]               Le demandeur est un homme tamoul du Nord du Sri Lanka. Le demandeur a allégué, devant la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), qu’il avait été contraint à travailler pour les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET) dans les années 1990 et qu’il avait été interrogé par l’armée pour son rôle au sein des TLET. Il a aussi allégué qu’il avait été arrêté, détenu et battu par l’armée en 2000 et que les TLET le recherchaient en mars 2004.

 

[5]               La Commission avait rejeté la demande d’asile du demandeur en août 2006. Elle a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à établir le bien-fondé de sa crainte ou le fait qu’il ait été détenu.

 

[6]               Le demandeur a ensuite déposé une demande CH et une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Il a reçu des décisions défavorables à ces demandes le 14 avril 2010.

 

Les décisions de l’agent

 

L’examen des risques avant renvoi

 

[7]               L’agent a d’abord examiné la décision de la Commission et a remarqué que cette dernière avait conclu que la crédibilité du demandeur était une question déterminante.

 

[8]               L’agent a reconnu les risques que le demandeur allègue courir en tant qu’homme tamoul, y compris la nécessité d’obtenir une permission pour résider à Colombo et les difficultés quotidiennes auxquelles il est exposé à Jaffna.

 

[9]               La principale préoccupation de l’agent était l’insuffisance de preuve. L’agent a conclu que la preuve ne permettait pas de conclure :

a)      que le demandeur avait auparavant été la cible de l’État, des TLET ou d’autres agents non gouvernementaux au Sri Lanka;

b)      que le demandeur serait probablement pris pour cible s’il devait retourner au Sri Lanka;

c)      que les autorités ont un intérêt envers le demandeur ou que l’on cherche à savoir où il se trouve;

d)      que les TLET ont les ressources ou la volonté de prendre pour cible le demandeur depuis leur défaite aux mains des forces gouvernementales du Sri Lanka;

e)      qu’en raison du fait qu’il ait été hors du pays pendant plusieurs années, le demandeur sera détenu et interrogé, ou pourrait attirer l’attention du gouvernement ou des paramilitaires, ou serait soupçonné par le gouvernement d’avoir des liens avec les TLET pour ce même motif.

 

[10]           L’agent a conclu que le demandeur pourrait être exposé au risque d’être victime d’extorsion à son retour au Sri Lanka, mais a conclu que la preuve n’indiquait pas qu’il s’agit de quelque chose qui se produit régulièrement ou que ces demandes d’extorsion soient liées à un acte de persécution. L’agent n’a pas conclu que cela équivalait à de la persécution

 

[11]           En fin de compte, l’agent a conclu qu’il n’existe pas plus qu’une simple possibilité que le demandeur soit exposé à la persécution ou à une menace à sa vie ou à des peines cruelles et inusitées.

 

La demande CH

 

[12]           La demande CH présentée par le demandeur a été examinée par le même agent. L’appréciation du risque qu’il a menée était similaire à celle qu’il avait effectuée dans le cadre de l’ERAR.

 

[13]           L’agent a conclu que toute discrimination ou tout harcèlement auquel le plaignant pourrait être exposé à titre de Tamoul ne serait pas de nature à constituer des difficultés inhabituelles ou excessives. L’agent a relevé que le demandeur pourrait devoir s’enregistrer s’il élit domicile à Colombo, mais a conclu que le demandeur pourrait résider à Jaffna avec sa belle-famille et que la preuve ne suffisait pas à établir que ceux-ci seraient pris pour cible par le gouvernement ou par les paramilitaires si le demandeur devait s'y établir. L’agent a reconnu que le demandeur pourrait devoir passer par des points de contrôle et s’enregistrer auprès de la police s’il devait retourner à Jaffna, mais a conclu que cela n’équivalait pas à une difficulté inhabituelle ou excessive.

 

[14]           L’agent a conclu que bien que le demandeur puisse être exposé à des demandes d’extorsion, il n’était pas convaincu que le demandeur serait étiqueté comme étant un riche homme d’affaires et n’a pas conclu que ce seul facteur justifiait que, à titre exceptionnel, sa demande soit traitée au Canada.

 

[15]           L’agent a tenu compte de l’emploi et du mariage du demandeur, mais a conclu que ces facteurs n’équivalaient pas à un degré d’établissement au Canada faisant en sorte qu’il subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il devait présenter une demande de résidence permanente à partir de l’étranger.

 

Les questions en litige

 

[16]           Les questions en litige sont les suivantes :

            1.         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            2.         L’agent a-t-il omis de tenir compte de la persécution cumulative lorsqu’il a traité la demande d’ERAR?

            3.         L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur ne serait pas exposé à la persécution s’il devait être victime d’extorsion?

 

Les observations écrites du demandeur

 

[17]           Le demandeur soutient que l’agent a aussi omis de tenir compte de l’effet de la persécution cumulative. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le UNHCR) a relevé que les hommes tamouls du Nord du Sri Lanka peuvent être exposés à la persécution pour des motifs cumulés. Le demandeur se fonde sur la décision Ozen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 521, dans laquelle la juge Eleanor Dawson avait accueilli une demande de contrôle judiciaire dans le cadre d’une affaire où la Commission s’était penchée sur cinq gestes distincts de discrimination, mais avait omis d’apprécier l’effet cumulatif de ceux-ci sur le demandeur. Le demandeur en l’espèce soutient que dans la décision relative à la demande CH, l’agent a reconnu que le demandeur pourrait être exposé à des tentatives d’extorsion, être confronté à des contraintes en matière de sécurité ainsi qu’à des vérifications policières, et qu’il serait contraint de s’enregistrer auprès des forces policières à Colombo. Cependant, l’agent pas reconnu tous ces risques lorsqu’il a rendu sa décision quant à l’ERAR et il n’a donc pas apprécié la possibilité de discrimination cumulative dans cette dernière décision.

 

[18]           Le demandeur soutient de plus que l’agent a commis une erreur en concluant qu’être victime du crime motivé par l’opportunisme qu’est l’extorsion ne constitue pas de la persécution ou des difficultés indues.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[19]           Le défendeur soutient que l’agent a tenu compte de la persécution cumulative. L’agent a explicitement mentionné dans la décision relative à la demande CH qu’il avait procédé à l’examen des allégations, tant [traduction] « individuellement que cumulativement ». L’agent n’a pas mentionné ce fait explicitement dans la demande d’ERAR, mais cela n’était pas nécessaire, puisque la preuve ne renfermait qu’un seul geste pouvant être considéré comme discriminatoire. Une analyse quant à la persécution cumulative n’était donc pas requise. La jurisprudence sur laquelle s’est fondé le demandeur quant à la persécution cumulative n’est pas convaincante, puisque celle-ci se rapportait à des cas où la preuve établissait qu’une série de gestes discriminatoires avaient été commis, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

 

[20]           Bien que l’agent ait reconnu que le demandeur pourrait faire l’objet d’extorsion à l’aéroport, l’agent a conclu que cela n’équivalait pas à de la persécution ou à une difficulté excessive, puisqu’il ne s’agit que d’une possibilité, que tous les Sri-Lankais pourraient en faire l’objet et que cela n’est pas lié à un acte de persécution. L’agent n’était pas convaincu, dans la décision relative à la demande CH, que le demandeur serait étiqueté comme une personne riche. Cette conclusion était raisonnable au vu de la preuve.  

 

Analyse et décision

 

[21]           Première question en litige

      Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            Comme je l’ai mentionné dans la décision Hnatusko c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 18, aux paragraphes 25 et 26, les conclusions d’un agent appelé à trancher une demande CH ou une demande d’ERAR portent sur des questions mixtes de fait et de droit et appellent la retenue de la Cour.

 

[22]           Cependant, toutes les questions d’équité procédurale soulevées concernant un agent d’ERAR seront tranchées selon la norme de la décision correcte (voir Parshottam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 355, [2009] 3 R.C.F. 527; Khosa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CSC 12, au paragraphe 43).

 

[23]           Deuxième question en litige

            L’agent a-t-il omis de tenir compte de la persécution cumulative lorsqu’il a traité la demande d’ERAR?

            La Cour d’appel fédérale et la Cour ont toutes les deux conclu qu’une série d’incidents de discrimination qui ne constituent pas de la persécution lorsqu’ils sont examinés individuellement peuvent équivaloir à de la persécution lorsqu’ils sont examinés cumulativement (voir Retnem c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 132 N.R. 53 (CAF); Ampong c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 35, au paragraphe 42).

 

[24]           Le défendeur soutient que, lorsque l’agent a traité la demande d’ERAR, celui-ci avait seulement conclu qu’il y avait une preuve suffisante pour étayer le risque que le demandeur puisse faire l’objet d’extorsion à l’aéroport et que ce seul fait ne peut constituer une persécution cumulative. 

 

[25]           Je conclus que l’agent avait omis de tenir compte de la persécution cumulative. À titre d’exemple, l’agent avait reconnu dans la décision relative à la demande CH que le demandeur pourrait devoir s’enregistrer auprès de la police et être interrogé par les agences de sécurité de l’État s’il désirait élire domicile à Colombo, ou devoir passer par des points de contrôle et s’enregistrer auprès de la police s’il désirait s’établir à Jaffna.

 

[26]           Ces conclusions de fait ne figuraient pas dans la décision d’ERAR. Puisque les deux décisions ont été rendues la même journée par le même agent, ces conclusions auraient dû faire partie de la décision d’ERAR et l’agent aurait dû examiner la question de savoir si le demandeur était exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution en raison de ces gestes discriminatoires.

 

[27]           Je ne peux pas savoir si l’agent aurait conclu, dans l’analyse quant à l’ERAR, qu’il pouvait y avoir persécution cumulative s’il avait tenu compte de tous les autres incidents de discrimination.

 

[28]           Par conséquent, compte tenu des erreurs de droit susmentionnées, je dois accueillir la demande de contrôle judiciaire portant sur la demande d’ERAR et la demande CH. Si l’ERAR est entaché d’une erreur, il faut en venir à la même conclusion pour la décision relative à la demande CH.

 

[29]           En raison de ma conclusion, je n’ai pas besoin de traiter de la dernière question.

 

[30]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a souhaité me soumettre, pour certification, une question grave de portée générale.

 


JUGEMENT

 

[31]           LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que les décisions de l’agent sont annulées et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

 

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 ch. 27

 

72.(1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3000-10

 

INTITULÉ :                                       LESLIE ROSHAN DIVAKARAN

 

-         et –

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 31 mai 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Melissa Mathieu

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Micheal Crane

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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