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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110531

Dossier : IMM-1631-10

Référence : 2011 CF 630

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2011

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

ENTRE :

 

VERNESSA JN BAPTISTE

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) visant une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 2 mars 2010, dans laquelle cette dernière a conclu que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               La demanderesse sollicite l’annulation de la décision rendue par la Commission et le renvoi de la demande d’asile à un autre commissaire pour nouvel examen.

 

Le contexte

 

[3]               Vernessa Jn Baptiste (la demanderesse) est une citoyenne de Sainte-Lucie née le 1er mai 1981.

 

[4]               En 2000, la demanderesse s’était engagée dans une relation avec homme nommé Kenyatta James, qui était 15 ans plus vieux qu’elle. La demanderesse avait été agressée par M. James à plusieurs occasions, à compter de 2001.

 

[5]               En février 2004, alors que M. James se livrait à une agression sur la demanderesse, un voisin avait appelé la police. Les policiers avaient dit qu’il s’agissait d’une affaire familiale et que cela ne les concernait pas. La mère de la demanderesse avait aussi appelé les policiers au sujet de cet incident, mais ceux-ci ne se sont jamais présentés sur les lieux.

 

[6]               M. James est ensuite disparu pendant plusieurs mois. À son retour en août 2004, la demanderesse lui avait dit qu’elle ne voulait plus de lui dans sa vie. M. James avait alors poignardé la plaignante à la cuisse, et la plaignante avait dû être hospitalisée en raison de ses blessures. La mère et le père de la demanderesse avaient signalé l’incident aux policiers, qui leur ont répondu qu’ils connaissaient bien M. James, que ce dernier était un ami de certains policiers et qu’ils ne s’immisceraient pas dans la vie familiale de la demanderesse.

 

[7]               La demanderesse avait quitté Sainte‑Lucie pour venir au Canada en août 2004.

 

[8]               Au Canada, la demanderesse avait commencé à vivre avec un homme originaire de Sainte‑Lucie, qui lui avait dit qu’il l’aiderait pour son statut au regard de l’immigration. En juillet 2007, cet homme avait dit à la demanderesse qu’il retournait avec son épouse et ses enfants à Sainte‑Lucie. Il avait dit à la demanderesse qu’elle pouvait se [traduction] « compter pour morte » si elle devait retourner à Sainte‑Lucie et qu’il [traduction] « s’occuperait d’elle ».

 

[9]               Lorsque cet homme était retourné à Sainte‑Lucie, il avait dit à M. James qu’il était demeuré avec la demanderesse et M. James menaçait de [traduction] « s’occuper » de la demanderesse. La mère de la demanderesse avait une fois de plus contacté les policiers, mais n’avait reçu aucune réponse.

 

La décision de la Commission

 

[10]           La question essentielle, pour la Commission, était celle de la protection de l’État.

 

[11]           La Commission a souligné que la protection conférée par l’asile est de nature auxiliaire et que les demandeurs d’asile doivent fournir une preuve claire et convaincante que leur propre État n’est pas en mesure de les protéger. La Commission a conclu que l’État de Sainte‑Lucie est une démocratie parlementaire dotée d’un système judiciaire indépendant. Elle a aussi reconnu que la violence envers les femmes constitue un grave problème à Sainte‑Lucie, mais a conclu que le gouvernement y déploie de sérieux efforts pour répondre au problème, y compris les services d’aide aux victimes, la capacité des juges de délivrer des mesures de protection, la création, par la police, de l’équipe de soutien aux personnes vulnérables (l’ESPV) et le mécanisme de plaintes internes au sein du corps policier.  

 

[12]           La Commission a fait mention des agressions dont avait été victime la demanderesse, mais a conclu que cette dernière n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État. La Commission a conclu que la demanderesse aurait pu donner suite aux plaintes que sa mère avait formulées à la police, qu’elle pourrait obtenir une mesure de protection contre son ancien conjoint et que si elle n’obtient pas une réponse satisfaisante de la police, elle peut le signaler à l’unité de plaintes internes du corps de police.

 

Questions en litige

 

[13]           La demanderesse a soumis la question suivante à l’examen de la Cour :

            La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de révision en faisant fi d’éléments de preuve essentiels et/ou en utilisant de manière sélective la preuve documentaire dans le cadre de son analyse relative à la protection de l’État?

 

[14]           Je reformulerais ainsi les questions en litige :

            1.         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            2.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son analyse relative à la protection de l’État?

 

Les observations écrites de la demanderesse

 

[15]           La demanderesse soutient que la décision de la Commission n’est pas fondée sur la totalité de la preuve dont cette dernière était saisie.

 

[16]           La demanderesse avait été agressée à bon nombre d’occasions par son ancien conjoint. La mère de la demanderesse avait signalé les incidents à la police, mais celle-ci n’avait rien fait. La demanderesse avait sollicité la protection de l’État, qui ne s’est pas matérialisée. Elle était justifiée de demander de la protection à l’extérieur de Sainte‑Lucie.

 

[17]           La demanderesse soutient de plus que la Commission n’avait pas apprécié la question de savoir si les efforts sérieux du gouvernement de Sainte‑Lucie pour lutter contre la violence familiale avaient donné des résultats positifs. La Commission ne s’est pas penchée sur la réalité des victimes à Sainte‑Lucie. Dans la même veine, la Commission a commis une erreur en ne traitant pas de la preuve documentaire qui allait à l’encontre de ses conclusions. La Commission avait l’obligation d’expliquer pourquoi elle avait préféré la preuve qui étayait ses conclusions plutôt que celle qui s’y opposait.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[18]           Le défendeur soutient que la Commission avait compris que la demanderesse fondait sa demande d’asile sur son appartenance à un groupe social donné, soit, les femmes menacées de violence.

 

[19]           Le défendeur soutient que la Commission a tenu compte de toute la preuve dont elle était saisie. Celle-ci n’a pas à faire mention de chacun des éléments de preuve documentaire, mais seulement de ceux qui vont à l’encontre de ses conclusions. 

 

[20]           Il incombait à la demanderesse de démontrer qu’elle avait épuisé toutes ses avenues de protection avant de demander l’asile au Canada. Cependant, la demanderesse n’avait jamais contacté les policiers elle‑même. La Commission avait raisonnablement conclu que, bien qu’il y ait des lacunes, l’État de Sainte‑Lucie offre une protection adéquate. La Commission a mentionné que les policiers ont grandement amélioré leur réponse au cas de violence familiale et qu’il est possible d’obtenir des mesures de protection du tribunal de la famille ainsi que des services de soutien aux victimes. 

 

Analyse et décision

 

[21]           La première question en litige

            Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            Lorsque la jurisprudence a déjà arrêté la norme de contrôle devant s’appliquer à une question, la cour de révision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 57).

 

[22]           Il est de jurisprudence constante que les questions concernant le caractère adéquat de la protection de l’État sont des questions mixtes de fait et de droit, qui sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable (voir Hinzman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 38).

 

[23]           Lorsqu’elle procède au contrôle judiciaire d’une décision de la Commission selon la norme de raisonnabilité, la Cour ne doit pas intervenir, à moins que la Commission ait tiré une conclusion qui n’est pas justifiée, transparente et intelligible, et qui n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des éléments de preuve dont elle disposait (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[24]           La deuxième question en litige

La Commission a-t-elle commis une erreur dans son analyse relative à la protection de l’État?

            Dans la présente affaire, l’analyse de la protection de l’État menée par la Commission était raisonnable.

 

[25]           La Commission avait reconnu que la famille et le voisinage de la demanderesse s’étaient adressés, au nom de celle-ci, à la police, mais avait souligné que la demanderesse ne s’y était jamais elle-même adressée.

 

[26]           La demanderesse soutient que la Commission n’avait pas tenu compte de toute la preuve documentaire. La Commission n’est pas tenue de faire référence à chaque document dont elle est saisie, pourvu qu’elle reconnaisse, dans sa conclusion, les éléments de preuve allant à l’encontre de celle‑ci (voir Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (CFPI)).

 

[27]           La demanderesse énonce que la Commission n’a pas tenu compte du document intitulé Shadow Report for St. Lucia on the Convention on the Elimination of All Forms of Discrimination Against Women (CEDAW), un rapport de 2006 qui traitait de la question de la violence envers les femmes. Le rapport mentionne que plusieurs cas de violence envers les femmes ne sont pas traités de manière efficace par les policiers. Le rapport souligne aussi que les lois en vigueur ne sont pas bien appliquées.

[28]           Je ne peux conclure que la Commission a fait fi du contenu de cet article. La Commission a reconnu que la violence envers les femmes demeurait un problème grave à Sainte‑Lucie. Elle a relevé qu’il y avait de la corruption au sein du corps de police de Sainte‑Lucie ainsi que des délais pour obtenir des mesures de protection. Cependant, la Commission avait conclu que plusieurs améliorations avaient été apportées dans la manière de traiter la violence familiale au cours des dernières années. La Commission a souligné que l’ESPV a permis d’améliorer de 24 p. 100 la réponse de la police en ce qui à trait aux crimes sexuels dont les victimes sont des femmes ou des enfants, que la réaction de la police à la violence familiale s’est « améliorée de façon significative » grâce à la formation de sensibilisation offerte aux policiers et à l’ESPV, ainsi que les victimes de violence familiale peuvent solliciter la protection du pouvoir judiciaire, sous la forme d’une mesure de protection délivrée par le tribunal de la famille.  

[29]           De plus, l’on doit reconnaître que l’asile est de nature prospective. La preuve documentaire examinée par la Commission fait ressortir que des changements favorables ont eu lieu au cours des dernières années et continuent d’avoir lieu à Sainte‑Lucie. Les mauvais traitements dont la demanderesse avait été victime se sont produits entre 2001 et 2004. Par conséquent, je conclus que la conclusion de la Commission portant que la demanderesse bénéficierait d’une protection de l’État adéquate si elle devait retourner à Sainte‑Lucie maintenant était raisonnable et qu’elle appartenait aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[30]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[31]           Aucune des parties n’a souhaité soumettre à mon examen une question grave de portée générale aux fins de certification.

 


JUGEMENT

 

[32]           LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi  sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

72.(1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1631-10

 

INTITULÉ :                                       VERNESSA JN BAPTISTE

 

                                                            - et -

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 31 mai 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Odeleye

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Ada Mok

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Richard Odeleye

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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