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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110524

Dossier : IMM-5321-10

Référence : 2011 CF 592

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 mai 2011

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

LOPEZ GONZALEZ JAQUELINE (alias JACQUELINE LOPEZ GONZALEZ)

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse présente une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle la demande d’asile de la demanderesse a été rejetée. Cette décision de la Commission a été rendue le 16 août 2010. La question décisive concernait la protection de l’État.

 

Les faits

[2]               La demanderesse était âgée de 21 ans lors de l’audience devant la Commission, et elle est une citoyenne du Mexique.

 

[3]               À l’âge de 17 ans, la demanderesse a emménagé avec son ami de cœur et elle est par la suite tombée enceinte. Cela a créé une tension entre la demanderesse et sa belle-mère, laquelle était d’avis que le couple était trop jeune et que la demanderesse ne voulait que l’argent de son fils.

 

[4]               La demanderesse a accouché le 28 juillet 2006, mais le bébé n’était pas en santé et est mort le 21 octobre 2006. Son ami de cœur, Jose Antonio, a été bouleversé par la mort de son fils et s’est mis à harceler la demanderesse, l’a accusée d’avoir tué leur fils et l’a menacée de la tuer. La demanderesse a déposé une plainte auprès de la police à deux occasions, le 25 novembre 2006 et le 1er décembre 2006. La police a délivré une sommation lors des deux occasions, mais M. Antonio s’est caché.

 

[5]               Le comportement violent et menaçant n’a pas cessé, comptant approximativement 50 incidents qui se sont produits à la suite de la mort de l’enfant. La demanderesse n’a pas déposé d’autre plainte à la police. En raison de sa situation, la demanderesse a tenté de se suicider en janvier 2008, ce qui a causé son hospitalisation.

 

[6]               La demanderesse est arrivée au Canada le 3 mai 2008 et a présenté une demande d’asile le 30 juillet 2009.

 

La décision contestée

[7]               La Commission a conclu que la demande de la demanderesse était fondée sur son appartenance à un groupe social, soit les femmes en situation de violence basée sur le sexe. Cependant, la Commission a conclu, en se basant sur la totalité de la preuve qui lui était présentée, qu’il y avait une protection de l’État adéquate dont la demanderesse pourrait se prévaloir si elle retournait au Mexique le jour même.

 

[8]               La Commission a reconnu que la demanderesse se trouvait dans une situation malheureuse et qu’elle avait déposé, à deux occasions, une plainte auprès de la police au sujet des menaces. La Commission a rejeté les explications de la demanderesse, selon lesquelles elle n’avait pas déposé d’autres plaintes à la police, bien que le comportement abusif n’eût pas cessé, parce que les autorités n’avaient rien fait en réponse à ses deux plaintes. La Commission a conclu que la police avait réagi de façon appropriée en délivrant une sommation lorsque la demanderesse avait déposé ses plaintes. La décision de la demanderesse de ne pas chercher d’aide après 2006 était incohérente avec une crainte subjective et elle s’est trouvée à exclure la possibilité que l’État lui offre sa protection.

 

[9]               À la suite d’un examen des recours possibles pour les femmes qui se trouvent dans des situations semblables au Mexique, la Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas épuisé toutes les ressources à sa disposition pour obtenir une protection au Mexique et qu’elle n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État avec des preuves claires et convaincantes.

 

Analyse

[10]           Le cœur de l’argument de la demanderesse comporte deux volets : d’abord, que la Commission a erré en considérant que la demanderesse aurait pu solliciter de l’aide d’autres organisations. Son avocat soutient que ces organisations ne sont pas des « recours dont [elle] disposait pour assurer sa protection » et que leur existence ne constitue pas une substitution à la police; Flores Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2009] 1 R.C.F. 237, 2008 CF 491. La demanderesse soutient également que la seule action entreprise par la police, soit de délivrer des sommations, ne respecte pas la norme quant à une protection de l’État adéquate; Perez Mendoza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 119.

 

[11]           Dans un pays démocratique comme le Mexique, il y a une présomption que l’État est capable de protéger ses citoyens. Par conséquent, la charge revient au demandeur de réfuter cette présomption et de montrer, à l’aide de preuves claires et convaincantes, l’inhabilité de l’État à le protéger : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, au paragraphe 50; Hinzman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, aux paragraphes 43 et 44; Zepeda, au paragraphe 17; Flores Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] 4 R.C.F. 636, 2008 CAF 94, aux paragraphes 32 et 33. La jurisprudence est abondante en ce qui concerne la possibilité de la protection de l’État au Mexique, en particulier pour les femmes victimes de violence conjugale.

 

[12]           La jurisprudence montre que, sauf circonstances exceptionnelles où cela serait insensé pour le demandeur de le faire, comme, par exemple, lorsque le persécuteur est un agent de l’État, en raison de la corruption policière : Rodriguez Capitaine c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 98, ou que cela serait autrement inutile, le demandeur doit inclure une preuve qu’il a épuisé toutes les ressources possibles. Malgré l’importance de la jurisprudence en ce qui concerne la protection de l’État au Mexique, la Commission a tout de même la responsabilité d’évaluer la preuve qui lui est présentée, y compris la preuve qui pourrait montrer que l’État est incapable de protéger ses citoyens ou qu’il était raisonnable de la part du demandeur de ne pas solliciter la protection de l’État.

 

[13]           Dans la présente affaire, la Commission, en tirant la conclusion au sujet de la protection de l’État, a tenu compte de tous les critères essentiels afin de rendre une décision informée, y compris la nature du crime, des menaces ou du harcèlement, l’identité du persécuteur, les efforts démontrés par la demanderesse pour obtenir la protection de la police, la réaction de la police ainsi qu’une analyse contextuelle générale de la documentation sur le pays concernant le caractère généralisé du problème, la capacité de la police à répondre de même que l’existence d’agences gouvernementales et non gouvernementales qui peuvent faciliter l’accès à la protection de l’État ou aux refuges pour les victimes de violence conjugale. La Commission a tenu compte de tous ces éléments.

 

[14]           C’est quant à ce dernier critère que la demanderesse a demandé instamment à la Cour d’user de son raisonnement rendu dans la décision Zepeda, dans laquelle la Cour a conclu que :

Or, j’estime que ces autres institutions ne constituent pas, en soi, des voies de recours. Sauf preuve du contraire, la police est la seule institution chargée d’assurer la protection des citoyens d’un pays et disposant, pour ce faire, des pouvoirs de contrainte appropriés. Par exemple, il est expressément mentionné dans la preuve documentaire que la loi ne confère à la Commission nationale des droits de la personne aucun pouvoir de contrainte (« Mexique : Situation des témoins des crimes et de la corruption, des femmes victimes de violences et des victimes de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle  »). [Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Exposé portant sur la recherche sur le pays d’origine.]

 

 

[15]           Dans la présente affaire, la conclusion de la Commission, selon laquelle la protection de l’État  était adéquate, ne dépendait pas de l’existence de ces agences. La Commission a conclu qu’en délivrant deux sommations pour l’arrestation du partenaire de la demanderesse, la police avait agi de façon adéquate. Bien que la Commission ait fait référence au rôle de ces agences dans une partie de son analyse de la nature et du degré de la capacité du Mexique d’apporter un soutien aux victimes de violence conjugale et qu’elle l’ait présenté comme étant un indice de la politique générale du Mexique en ce qui concerne ce problème, ce rôle étant d’agir soit comme facilitateur, soit comme fournisseur de la protection de l’État, cette référence ne constitue pas le fondement de la conclusion au sujet de la protection de l’État. L’existence ou la non-existence de ces agences a fait partie de l’évaluation contextuelle de la capacité de l’État à protéger ses citoyens. L’élément décisif qui a permis de tirer la conclusion au sujet de la protection de l’État a été le fait que la police avait réagi par suite des plaintes d’agression. Dans la présente affaire, bien que les sommations n’aient pas été efficaces en raison de la disparition de l’accusé, cela ne signifie pas que la réaction a été inadéquate. Le critère pour la protection de la police est, bien sûr, d’être adéquate; Carillo, au paragraphe 32. Le critère n’est pas le succès de l’appréhension, de la détention et de la condamnation.

 

[16]           Cela dit, la Commission a mal interprété la question comme étant « s’il aurait été objectivement déraisonnable pour la demandeure d’asile de demander la protection de l’État ». Cela n’était pas la question en litige parce qu’il y avait des éléments de preuve montrant que la demanderesse avait sollicité la protection de la police à deux occasions. Cette erreur de sens, toutefois, n’est pas décisive parce que la Commission note l’interaction de la demanderesse avec la police à trois reprises dans le cours de ses motifs.

 

[17]           Les décisions citées par la demanderesse ne sont pas analogues à la présente affaire. Mendoza concernait un demandeur qui s’était fait agresser par des hommes inconnus alors qu’il participait à une enquête sur la corruption. Bien que l’arrêt Zepeda concernât la violence conjugale, le facteur décisif reposait dans le fait que l’ancien époux de la demanderesse était un agent de police. Bien que cette affaire soit semblable à la présente affaire pour ce qui est du fait que la demanderesse avait porté plainte auprès de la police avant de fuir, il s’agit d’un précédent qui n’a guère d’application dans le présent contexte.

 

[18]           Aucun État, peu importe son engagement envers les valeurs démocratiques et envers le principe de la primauté du droit, ne peut garantir la sécurité de ses citoyens en tout temps. L’incapacité de l’État à fournir sa protection ne peut pas être établie, alors, sur son incapacité à appréhender le persécuteur. Cela ne signifie pas qu’une personne doit risquer sa vie pour montrer que l’État ne peut pas la protéger; cela irait complètement à l’encontre du principe. Dans la présente affaire toutefois, la Commission a tiré la conclusion que la réaction de la police avait été adéquate. Il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer cette conclusion en raison des preuves qui lui avaient été présentées.

 

[19]           L’avocat de la demanderesse a suggéré une question à certifier. La question demanderait la définition juridique des paramètres de ce qui constitue une protection de l’État adéquate. À mon avis, la question proposée ne franchit pas le seuil établi pour la certification. La réponse à cette question dépend grandement des faits. La jurisprudence ne nécessite pas d’être élucidée. De plus, le présent dossier n’est pas suffisamment détaillé et ne permettrait pas une analyse approfondie de la question. Outre les deux sommations et la fuite subséquente de l’assaillant, la demanderesse n’a pas sollicité l’aide de la police malgré les menaces qu’elle a reçues par la suite.

 

[20]           La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR statue comme suit : la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5321-10

 

INTITULÉ :                                       LOPEZ GONZALEZ JAQUELINE (alias JACQUELINE LOPEZ GONZALEZ) c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                              LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 mai 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee

POUR LA DEMANDERESSE

 

Tamrat Gebeyehu

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lee & Company

Immigration Advocacy, Counsel & Litigation

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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