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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20110517

Dossier : IMM-6305-10

Référence : 2011 CF 566

Ottawa (Ontario), le 17 mai 2011

En présence de monsieur le juge Shore 

ENTRE :

 

OSWALDO OROZCO BLANQUEZ

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au préalable

[1]               Il revient à la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés (Commission) de jauger de la crédibilité du demandeur. À cet effet, cette Cour a confirmé à plusieurs reprises que les omissions, les incompatibilités et les contradictions relevées entre les déclarations au point d’entrée, le Formulaire de renseignements personnels (FRP), le témoignage devant la Commission et autres documents personnels déposés en preuve peuvent mener la Commission à déterminer que la crédibilité d’une portion ou de la totalité du témoignage d’un demandeur s’en trouve affectée.

II.  Procédure judiciaire

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission, rendue le 18 octobre 2010, selon laquelle le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention tel que défini à l’article 96 de la LIPR, ni la qualité de personne à protéger selon l’article 97 de la LIPR et ce, en raison de son manque de crédibilité.

 

III.  Faits

[3]               Le demandeur, monsieur Oswaldo Orozco Blanquez, est né le 30 juin 1970 et est un citoyen mexicain. Il allègue avoir été personnellement ciblé par des membres de la mafia mexicaine, la Maña.

 

[4]               Voici les faits tels qu’allégués par le demandeur : monsieur Blanquez travaillait chez Eaton Controls, au département du contrôle de la qualité, dans la ville de Reynosa, dans l’État de Tamaulipas au Mexique, lorsqu’il a reçu un premier appel téléphonique de menaces, le 3 septembre 2008. Le 16 septembre 2008, après de nombreux autres appels de menaces, le même individu aurait exigé la somme de 15 000 $. Monsieur Blanquez aurait alors parlé de son problème à un collègue, monsieur Luis Nieto Cid, qui lui aurait avoué vivre une situation semblable. Le demandeur aurait quitté son travail en date du 19 septembre 2008, car il continuait à recevoir des appels de menaces.

 

[5]               Le 2 octobre 2008, messieurs Blanquez et Cid auraient été enlevés par un groupe d’hommes armés conduisant quatre camionnettes. Les individus auraient entraîné les deux collègues dans un endroit isolé, où ces derniers auraient été battus et menacés, puis abandonnés, après avoir reçu des consignes sur l’endroit et le moment où déposer le montant d’argent exigé. Le lendemain, les deux hommes auraient amassé la somme de 5 000 $ qu’ils auraient déposée à l’endroit indiqué le jour précédent avant de fuir la ville de Reynosa pour se rendre à Rio Bravo. Le 13 octobre 2008, ils seraient revenus à Reynosa afin de porter plainte auprès du ministère public, avant de retourner se cacher dans la ville de Rio Bravo.

 

[6]               Le demandeur a quitté le Mexique le 12 novembre 2008 pour le Canada, où il a demandé l’asile le jour même.

 

IV.  Décision faisant l’objet de la demande

[7]               Après avoir observé et entendu le témoignage du demandeur et suite à une analyse détaillée de l’ensemble de la preuve, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas été crédible sur les points fondamentaux de sa demande d’asile. Plusieurs contradictions et omissions ont ressorti de la preuve présentée par le demandeur et celui-ci fut incapable de justifier celles-ci de manière satisfaisante devant la SPR. Plus spécifiquement, la SPR a noté les points suivants :

a.       La plainte à la police déposée en preuve (Plainte à la police du 13 octobre 2008, Dossier de la SPR aux pp 48-49) comporte de nombreux détails, mais ne fait pas mention de la somme de 5 000 $ que messieurs Blanquez et Cid auraient déposée par la suite de leur enlèvement;

b.      La plainte ne fait pas non plus mention du fait que, suite au présumé enlèvement, ils auraient été éjectés du véhicule sur un terrain isolé et, par la suite, battus puis menacés par des agresseurs armés;

c.       Les notes prises au point d’entrée par l’agent d’immigration (annexe 1 – Renseignements de base - IMM 5474, Dossier de la SPR aux pp 68 à 76) ne mentionnent pas l’enlèvement dont il aurait été victime ni la rançon qu’il aurait versé. Le demandeur a pourtant donné plusieurs informations à propos des appels d’extorsion qu’il aurait reçus et l’agent d’immigration a écrit plus de 13 lignes au verso du questionnaire afin de noter ces informations (Dossier de la SPR à la p 71);

d.      Il a été jugé invraisemblable que les agresseurs n’auraient jamais indiqué de détails sur le lieu et le moment de dépôt de l’argent entre le 16 septembre 2008 et le 2 octobre 2008, alors que le demandeur allègue avoir reçu plusieurs appels de menaces lui demandant de verser de l’argent;

e.       Par ailleurs, la SPR a conclu que le demandeur a ajusté son témoignage, lorsque questionné à savoir pourquoi son passeport n’avait pas été volé par ses agresseurs en même temps que ses autres documents d’identité, alors qu’il devait l’avoir souvent sur lui en raison des impératifs de son travail.

 

[8]               Pour toutes ces raisons, la SPR a jugé le demandeur non crédible et a rejeté sa demande.

 

V.  Question en litige

[9]               Est-ce que la décision de la SPR est entachée d’une erreur de fait ou de droit justifiant l’intervention de la Cour?

 

 

VI.  Dispositions législatives pertinentes

[10]           Les dispositions suivantes de la LIPR s'appliquent à la présente procédure :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieux de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

VII.  Prétention des parties

[11]           Le demandeur soumet que la SPR aurait injustement miné sa crédibilité et aurait commis une erreur en omettant de se prononcer sur le motif invoqué au soutien de sa crainte de persécution. Il ajoute que la SPR a injustement miné sa crédibilité en rejetant ses explications au sujet des contradictions et omissions soulevées, et notamment quant au fait qu’elles seraient dues à son état de nervosité.

 

[12]           Quant au défendeur, il soumet qu’il est de jurisprudence constante qu’il est loisible à la SPR de tirer une inférence négative quant à la crédibilité d’un revendicateur en raison des omissions, incompatibilités et contradictions relevées entre les déclarations prises au point d’entrée, le FRP, le témoignage devant la SPR et les documents personnels soumis en preuve, d’autant plus lorsqu’elles portent sur les éléments centraux de la revendication tee qu’en l’espèce. Le défendeur soumet que l’état de nervosité du demandeur ne peut pas expliquer l’ensemble des lacunes relevées par la SPR dans la preuve présentée, notamment quant aux éléments manquants dans la plainte qu’il aurait déposée et quant au fait qu’il se serait fait voler seulement certains documents d’identité.

 

VIII.  Norme de contrôle

[13]           Une jurisprudence constante au sein de la Cour fédérale est à l’effet que la question de l’appréciation de la crédibilité du demandeur est une question de faits à laquelle s’applique la norme de la décision raisonnable (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 16 NR 315, 42 ACWS (3d) 886 (CAF) au para 4). Aux fins de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, la Cour ne pourra agir que lorsque la décision de la SPR sera jugée déraisonnable, en raison du degré de déférence élevé dû aux conclusions de fait tirées par un tribunal spécialisé.

 

IX.  Analyse

[14]           Cette Cour a maintes fois réitéré qu’il appartient à la SPR, en tant que tribunal spécialisé, d’apprécier la crédibilité d’un demandeur d’asile et la preuve présentée au soutien de sa demande. En l’absence de démonstration par le demandeur que les inférences tirées par la SPR ne pouvaient pas raisonnablement l’être, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire (Aguebor, ci-dessus ; Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 767, 148 ACWS (3d) 118 au para 18).

 

[15]           Après avoir relevé les omissions et les contradictions présentes dans le dossier, la SPR a examiné les explications données par le demandeur, et a notamment conclu :

a.       Il est invraisemblable que les omissions d’éléments dans la plainte aient été dues à l’arrogance des policiers de la ville de Reynosa. Les policiers n’avaient aucun intérêt à ne pas inscrire dans la plainte toutes les informations qui auraient été fournies;

b.      Si les éléments quant à l’enlèvement avaient effectivement été mentionnés à l’agent d’information, celui-ci les auraient vraisemblablement inscrites. De plus, un interprète n’aurait eu aucun intérêt à ne pas traduire un point central de la déclaration;

c.       Il était invraisemblable que les agresseurs n’aient indiqué au demandeur le lieu et le moment du dépôt du montant d’argent qu’une fois au moment de l’enlèvement, malgré le fait que plusieurs autres appels de menaces auraient été faits entre le 16 septembre et le 2 octobre 2008;

d.      Le demandeur a tenté d’ajuster son témoignage devant la SPR quant au fait que les agresseurs lui ont volé tous ses documents, sauf son passeport;

e.       Si l’enlèvement a eu lieu, ce n’était pas dans les circonstances telles que relatées par le demandeur;

f.        Il était invraisemblable que l’ensemble des lacunes dans les documents et le témoignage étaient dues à la nervosité du demandeur.

 

[16]           En l’espèce, il appartenait à la SPR, en tant que tribunal spécialisé, d’évaluer les explications fournies par le demandeur au sujet des invraisemblances et des contradictions qui apparaissaient dans la preuve. Il revient à la SPR de jauger de la crédibilité du demandeur et de tirer des inférences défavorables quant aux omissions et contradictions contenues dans la déclaration au point d’entrée et dans le témoignage viva voce, lorsqu’elles portent sur des éléments centraux de la revendication et pour lesquelles aucune explication satisfaisante, vraisemblable ou crédible n’a été fournie. De plus, les éléments centraux d’une revendication doivent apparaître dans un FRP; c’est également le cas pour la déclaration au point d’entrée. Cette Cour a confirmé à plusieurs reprises que l’omission de mentionner les éléments centraux peut affecter la crédibilité d’une portion ou de la totalité d’un témoignage :

[23]      La jurisprudence indique que des divergences entre la déclaration au point d'entrée et le témoignage d'un demandeur sont suffisantes pour justifier une conclusion de non-crédibilité lorsqu'elles portent sur des éléments centraux d'une demande : Nsombo c. Canada (M.C.I.), IMM-5147-03; Shahota c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 1540; Neame c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 378.

 

(Chen, ci-dessus).

 

[17]           La SPR a raisonnablement déterminé que le demandeur n’était pas crédible et qu’elle ne pouvait donc pas faire droit à la demande d’asile.

 

X.  Conclusion

[18]           Étant donné les faits de la présente cause, il n'est pas justifié que la Cour intervienne et pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question à certifier.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6305-10

 

INTITULÉ :                                       OSWALDO OROZCO BLANQUEZ

                                                            c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 10 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 17 mai 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Claude Brodeur

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Marilyne Trudeau

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Claude Brodeur, avocat

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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