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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110413

Dossier : IMM-4058-10

Référence : 2011 CF 456

Ottawa (Ontario), le 13 avril 2011

En présence de monsieur le juge Boivin 

 

ENTRE :

 

MARIA LUISA ESTEBAN ZEFERINO

MASSIEL MACEDO ESTEBAN

DIANA BERTHA MACEDO ESTEBAN

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (ci-après la Loi), à l’encontre d’une décision rendue le 17 juin 2010 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, section de la protection des réfugiés (ci-après le Tribunal). Dans cette décision, le Tribunal a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiées au sens de la Convention, ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

Contexte factuel

[2]               La demanderesse principale, Maria Luisa Esteban Zeferino, ainsi que ses deux filles, Massiel Macedo Esteban et Diana Bertha Macedo Esteban, sont d’origine mexicaine et sont arrivées au Canada en août 2007.

 

[3]               La demanderesse principale aurait vécu sous le joug d’un conjoint violent et contrôlant, monsieur Pablo Macedo Muñoz, de 1989 à juin 2007. Il est allégué que le 27 juin 2007, le conjoint de la demanderesse aurait été retrouvé gisant près de son véhicule alors qu’il s’était rendu à son lieu de travail. Il aurait été attaqué et serait décédé à l’hôpital des suites d’une blessure à la jambe causée durant cette attaque. La police soupçonnait un employé et le frère de la victime, monsieur José Victor Macedo Muñoz, d’être les auteurs de ce crime.

 

[4]               Suite à cet événement, monsieur José Victor Macedo Muñoz aurait indiqué à la demanderesse de déclarer à la police que son conjoint se serait blessé lui-même et qu’il n’avait pas d’ennemis. Monsieur Muñoz aurait également payé le médecin afin de procéder à l’enterrement le plus rapidement possible, mais le médecin avait confirmé à la demanderesse qu’il avait fait préalablement l’autopsie et que la victime était décédée suite à un coup de machette.

 

[5]               Les policiers présents auraient alors pris la déclaration de la demanderesse, mais ne l’auraient pas crue. Les policiers soupçonnaient toujours l’employé et le frère de la victime et ont invité la demanderesse à déposer une nouvelle déclaration si elle venait à obtenir de nouvelles informations ou si elle développait des soupçons envers quelqu’un. Si cela devait s’avérer, la police a affirmé qu’elle exhumerait le corps du défunt conjoint.

[6]               Dans le passé, le conjoint décédé de la demanderesse principale aurait été menacé par trois sources différentes de son vivant.

 

[7]               Depuis le décès de son conjoint, la demanderesse aurait craint des représailles de la part d’inconnus sur la personne de ses filles et souhaite que ses filles vivent dans un environnement sans violence.

 

[8]               Le 5 mars 2010, près de deux ans et demi après les événements, la demanderesse principale a fourni de nouvelles allégations pour ajouter un agent persécuteur et un motif de crainte. Essentiellement, la demanderesse principale a ajouté les éléments suivants :

·        Les membres de la famille de son ex-conjoint seraient des personnes violentes qui ne s’entendent ni entre elles ni avec leur voisinage. Monsieur José Victor Macedo Muñoz serait un violeur.

 

·        Les conflits familiaux concernent la gestion des terres que possède la famille. Le conjoint décédé de la demanderesse était l’administrateur de la propriété de sa famille.

 

·        Sur son lit de mort, monsieur Pablo Macedo Muñoz aurait demandé que l’on protège ses filles de son frère.

 

·        Lorsque le frère de la victime aurait dit à la demanderesse de dire à la police que la victime n’avait pas d’ennemis, il l’aurait également menacée.

 

·        La police n’aurait pas cru la demanderesse et lui aurait signifié que tout ceci était très suspect.

 

·        Il n’y aurait pas eu d’autopsie en raison de pressions exercées par monsieur José Victor Macedo Muñoz.

 

·        Ce dernier aurait amené la demanderesse principale chez un notaire afin qu’elle signe un document pour qu’il puisse la représenter en tout.

 

·        Ce document ferait en sorte que la demanderesse principale peut être dépossédée de tous ses biens.

 

·        Le notaire lui aurait prodigué certains conseils dont celui de se rendre au Canada et d’y demander refuge.

 

·        La famille de son ex-conjoint aurait voulu que les démarches soient entamées afin que l’ex-beau-frère de la demanderesse principale, monsieur José Victor Macedo Muñoz, obtienne l’autorité parentale sur ses filles.

 

[9]               Ainsi, la demanderesse principale craindrait que ses filles ne soient enlevées, ou qu’elles puissent être tuées, pour un motif relié à l’attribution de terres appartenant à la famille de son défunt conjoint et parce que monsieur José Victor Macedo Muñoz est le principal suspect dans le décès de ce dernier.

 

La décision contestée

[10]           Dans sa décision, le Tribunal a pris en considération les directives du Président concernant  « Les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe », de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), mars 1993, mises à jour en novembre 1996, lors de la prise de décision.

 

[11]           Le Tribunal a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles en ce qui concerne leur crainte reliée à une question de terres. De l’avis du Tribunal, cette partie du témoignage a été ajoutée afin d’embellir l’histoire de la demanderesse principale (Décision du Tribunal, au para 24).

 

[12]           En ce qui a trait au reste du récit, le Tribunal a conclu que les demandeurs n’avaient pas déployé d’efforts afin de demander la protection des autorités et échouaient à démontrer, de façon claire et convaincante, que les autorités mexicaines ne pouvaient leur accorder une protection adéquate (Décision du Tribunal, para 26 et 45).

 

[13]           Le Tribunal a d’abord déterminé que l’histoire des demandeurs n’était pas crédible, principalement en raison de la disparité existante entre le récit contenu dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP), l’entrevue et les modifications apportées au FRP (pièce P-10, Modification de la Question 31 du FRP, déposée à la Commission le 4 mai 2010, p 150-157 du dossier de la Commission).

 

[14]           Le Tribunal n’a pas trouvé crédible que la demanderesse principale n’ait pas mentionné dans son FRP le fait qu’elle craignait monsieur José Victor Macedo Muñoz pour une question reliée à la possession des terres familiales. Elle a également souligné que si la demanderesse principale avait fui le Mexique avec ses filles dans le but de fuir monsieur José Victor Macedo Muñoz, elle l’aurait indiqué dans son FRP. Elle a plutôt indiqué craindre des inconnus.

 

[15]           De plus, le Tribunal n’a pas trouvé crédible que la demanderesse principale n’ait pas mentionné sa peur de monsieur José Victor Macedo Muñoz lors de son entrevue réalisée 17 jours après son admission au Canada. À la question « Qui craignez-vous? », la demanderesse a répondu qu’elle craint les fils de Jorge Salinas, Luis Chachahuate, ainsi que la police, car son conjoint avait eu des problèmes avec ces personnes. La demanderesse n’avait pas mentionné, au cours de l’entrevue, craindre monsieur José Victor Macedo Muñoz à cause de problèmes liés à la possession des terres familiales.

 

[16]           La demanderesse a témoigné à l’effet qu’elle avait peur que les autorités canadiennes révèlent qu’elle craigne monsieur José Victor Macedo Muñoz et que cette crainte était la source de son silence. Le Tribunal n’a pas adhéré à cette explication et l’a jugée non crédible. Le Tribunal a déterminé que si la demanderesse principale craignait réellement monsieur José Victor Macedo Muñoz, elle l’aurait mentionné à l’agent d’immigration afin d’étayer sa crainte. Le fait que la demanderesse ait attendu près de deux ans et demi afin de soumettre de nouveaux motifs ne renforce en rien sa crédibilité.

 

[17]           Compte tenu des conclusions de non-crédibilité, le Tribunal n’a pas accordé de valeur probante au rapport psychologique déposé sous la pièce P-11 le jour de l’audience au Tribunal (Pièce P-11, Psychological Report : Maria Luisa Esteban Zeferino, par la docteure Marta Valenzuela, daté du 5 mai 2010 aux pp. 187 à 195 du Dossier du Tribunal).

 

[18]           De plus, le Tribunal a conclu que les demandeurs n’avaient pas satisfait à l’obligation qu’elles avaient de demander la protection des autorités mexicaines.

 

[19]           En effet, le Tribunal a noté que la police soupçonnait fortement monsieur José Victor Macedo Muñoz du meurtre de monsieur Pablo Macedo Muñoz. Les policiers ont par ailleurs invité la demanderesse principale à déposer une déclaration écrite ultérieure, si elle advenait à avoir de nouveaux soupçons. Lorsque questionnée afin de savoir pourquoi elle n’avait jamais demandé la protection de la police, la demanderesse principale a répondu que la police mexicaine est corrompue. Elle basait son affirmation sur des événements remontant à l’année 1994, durant laquelle son conjoint et monsieur José Victor Macedo Muñoz auraient assassiné un individu. Ils auraient par la suite donné de l’argent à la police et n’auraient pas été inquiétés depuis.

 

[20]           Le Tribunal estime que les explications fournies par la demanderesse principale quant aux motifs pour lesquels elle n’a jamais déposé de plainte contre son ex-beau-frère, Jose Victor, ne constituaient pas une preuve claire et convaincante de l’absence de protection de l’État, ni ne réfute la présomption établie par la jurisprudence à l’effet que les États sont capables de protéger leurs citoyens.

 

[21]           Le Tribunal a ensuite complété une analyse de la preuve documentaire portant sur le Mexique, et a mentionné le Cartable national de documentation sur le Mexique (voir CISR, Ottawa, Cartable national de documentation sur le Mexique, 2 octobre 2009). Elle en est venue à la conclusion que le Mexique est une démocratie dont le gouvernement en général respecte les droits de ses citoyens.

 

[22]           Le Tribunal a également étudié la preuve contradictoire et spécifie que la Commission nationale des droits humains (CNDH) estime que des membres des forces de polices locales et étatiques sont impliqués dans des kidnappings, de l’extorsion ou de la collaboration avec le crime organisé. Cependant, le Tribunal a également spécifié que le gouvernement du Mexique a mis sur pied des programmes d’envergure de formation sur les droits humains pour les forces de l’ordre en général. Le Tribunal a également examiné la réforme des tribunaux de 2008, ainsi que la législation récente à l’effet que le personnel policier se doit de rencontrer un niveau supérieur de formation sur la question des droits humains et autres procédures.

[23]           En conséquence, le Tribunal a conclu que la demande des demandeurs devait être rejetée.

 

Dispositions législatives pertinentes

[24]           Les dispositions suivantes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés s'appliquent à la présente procédure :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

Question en litige

[25]           Dans le présent contrôle judiciaire, la seule question en litige est la suivante : Les conclusions du Tribunal relatives à l’absence de crédibilité et de la protection d’État sont-elles raisonnables?

 

Norme de contrôle

[26]           La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick  2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au para 51, reconnaît « …qu’en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement … ».

 

[27]           En ce qui concerne les questions touchant à l’évaluation de la crédibilité, la Cour n’interviendra que si le Tribunal a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu’il soit tenu compte des éléments dont elle disposait (Aguebor c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), (1993), 160 NR 315, 42 A.C.W.S. (3d) 886).

 

[28]           Quant aux conclusions du Tribunal en matière de protection d’État, elles sont révisables sous la norme de la raisonnabilité (voir Huerta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 586, [2008] ACF no 737, au para 14).

 

 

 

Analyse

[29]           La demanderesse principale soutient que c’est par crainte de retourner au Mexique qu’elle n’avait pas mentionné lors de son entrevue avec l’agent et dans son FRP initial le contenu de la pièce P-10 soumis le 4 mai 2010, soit ses craintes d’être tuée et persécutée ainsi que ses deux filles par l’agent persécuteur principal. La demanderesse soumet que ses explications auraient dû être objectivement appréciées par le Tribunal en tenant compte du syndrome de la femme battue et du rapport psychologique de la docteure Marta Valenzuela.

 

[30]           Le défendeur soutient que, comme l’a souligné le Tribunal dans ses motifs (Décision du Tribunal, aux para 16, 18 et 20), l’agent persécuteur en la personne de monsieur José Victor Macedo Muñoz et le nouveau motif de crainte n’avaient jamais été soulevés auparavant, que ce soit au point d’entrée au Canada lorsque les demandeurs y ont demandé asile, ni lors de l’entrevue à cet égard avec un agent d’immigration tenue dix-sept (17) jours après leur arrivée au pays ou dans leur FRP initial complété et signé en octobre 2007 avec l’aide de leur avocate de l’époque.

 

[31]           Cette Cour a confirmé à plusieurs reprises que tous les faits importants d’une revendication devaient apparaître dans un FRP et que l’omission de les mentionner pouvaient affecter la crédibilité d’une portion ou de la totalité d’un témoignage. En outre, la SPR est en droit d’examiner la teneur du FRP avant et après sa modification, et peut tirer des conclusions défavorables sur la crédibilité si des questions qu’elle considère comme importantes ont été ajoutées au FRP lors d’un amendement tardif (Taheri c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 FCT 886, [2001] ACF no 1252, aux para 4 et 6; Grinevich c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1997) 70 ACWS (3d) 1059, [1997] ACF no 444).

[32]           Il est loisible au Tribunal de jauger la crédibilité de la demanderesse principale et de tirer des inférences défavorables au sujet des disparités entre sa déclaration telle que mentionnée au FRP initial, celle contenue dans les notes d’entrevue, la déclaration au narratif modifié du FRP, et dans le témoignage viva voce, pour lesquelles la demanderesse principale n’a pas fourni d’explications satisfaisantes, vraisemblables ou crédibles dans les circonstances (He c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1994), 49 ACWS (3d) 562, [1994] ACF no 1107). En l’espèce, et la Cour est d’accord avec la procureure du défendeur, la preuve démontre que l’histoire et le récit des demandeurs a changé au cours des deux dernières années. 

 

[33]           Quant au rapport psychologique, la demanderesse soutient que le Tribunal aurait dû d’abord lire le rapport psychologique du docteur Valenzuela et en tenir compte dans l’appréciation de la crédibilité de la demande d’asile, même dans l’évaluation de la pertinence des omissions aux notes d’entrevues, dans le premier FRP avant qu’il ne soit amendé par la pièce P-10. Les demandeurs prétendent que le rapport psychologique fait état de la vulnérabilité de la demanderesse principale et cet état pouvait affecter sa capacité à témoigner.

 

[34]           Or, le défendeur soumet que le Tribunal a pris connaissance du contenu du rapport psychologique et a apprécié cet élément de preuve dans le contexte de ce dossier. Le défendeur souligne que la conclusion négative de crédibilité tirée par le Tribunal ne repose pas sur des lacunes relevées lors du témoignage de la demanderesse à l’audition de la Commission. Les lacunes ne portent pas sur des trous de mémoire, ni sur des hésitations à répondre aux questions, des erreurs de dates ou d’autres difficultés dont fait mention le rapport psychologique.

 

[35]           La Cour est en accord avec la procureure du défendeur car c’est au Tribunal qu’il appartenait d’apprécier la valeur probante du rapport psychologique en relation avec les autres éléments de preuve d’autant plus que le rapport psychologique fait état de l’état actuel de Madame Esteban Zeferino et qu’il n’y a pas de conclusions quant à son état en 2007. 

 

[36]           En matière de protection d’État, l’arrêt Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CAF 94, [2008] ACF no 399, au para 38, définit la charge, la norme et la qualité de la preuve d’une allégation d’insuffisance ou d’inexistence de la protection d’un État envers un de ses citoyens :  

[38] Le réfugié qui invoque l'insuffisance ou l'inexistence de la protection de l'État supporte la charge de présentation de produire des éléments de preuve en ce sens et la charge ultime de convaincre le juge des faits que cette prétention est fondée. La norme de preuve applicable est celle de la prépondérance des probabilités, sans qu'il soit exigé un degré plus élevé de probabilité que celui que commande habituellement cette norme. Quant à la qualité de la preuve nécessaire pour réfuter la présomption de la protection de l'État, cette présomption se réfute par une preuve claire et convaincante de l'insuffisance ou de l'inexistence de ladite protection.

 

 

[37]           La jurisprudence a maintes fois reconnu que lorsqu’il s’agit d’un État démocratique, comme le Mexique, l’obligation qui incombe au demandeur d’obtenir la protection de l’État augmente. Celui-ci doit établir qu’il a tenté d’épuiser tous les recours s’offrant à lui en vue d’obtenir la protection nécessaire (voir Kadenko c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] ACF no 1376, 68 ACWS (3d) 334).

 

[38]           Les demandeurs ont soutenu qu’elles n’ont pas demandé la protection de l’État puisqu’elles avaient peu confiance en la protection qu’elles obtiendraient. En effet, une quantité abondante de preuves documentaires fait état de la corruption des forces policières au Mexique. Cependant, la Cour spécifie que cette même preuve démontre qu’il existe d’autres recours qui s’offraient à elles.

 

[39]           Il a notamment été reconnu dans la décision Sosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2009 CF 275, [2009] ACF no 343, au para 22, que le Mexique est un État démocratique, que la protection de l’État est disponible et que les demandeurs ne sont pas dispensés de faire d’autres démarches si la protection ne peut être assurée au niveau local :

[22] Peu importe les lacunes qui peuvent exister dans le système de justice pénale mexicain, il n'en demeure pas moins que le Mexique est une démocratie qui fonctionne, dotée d'un appareil étatique en mesure d'assurer une certaine protection à ses citoyens. Le fait que la protection ne puisse être assurée au niveau local ne dispense pas le demandeur de faire d'autres démarches.

 

 

[40]           Les demandeurs n’ont fait ni demande, ni tentative, ni pris aucune initiative pour solliciter la protection du Mexique (Décision du Tribunal, aux para 26, 30 et 34). 

 

[41]           Dans ses motifs, le Tribunal a relevé le fait que la police soupçonnait fortement monsieur José Victor Macedo Muñoz du meurtre du conjoint de la demanderesse et avait pris la déclaration de cette dernière. Ne l’ayant pas crue, la police l’a invitée à faire une autre déclaration si elle venait à avoir de nouvelles informations ou si elle avait des soupçons et si cela était le cas, la police a affirmé qu’elle exhumerait le corps du défunt (Décision du Tribunal, aux para 6, 7 et 27).

 

[42]           Dans l’affaire Tejeda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 438, [2008] ACF no 552, au para 6, impliquant un ressortissant du Mexique, la juge Tremblay-Lamer précisait qu’à défaut de solliciter la protection, il est difficile de reprocher à un décideur d’avoir conclu que la présomption n’a pas été réfutée :

[6] Il est difficile de reprocher à un décideur d'avoir conclu que le demandeur d'asile n'a pas réfuté la présomption de disponibilité de la protection de l'État lorsqu'il "n'a fait aucun effort pour se réclamer de la protection de l'État" (Skelly c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1503, 2004 CF 1244, au paragraphe 51).

 

[43]           Étant donné les faits de la présente cause et la preuve au dossier, il n'est pas justifié que la Cour intervienne. Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Il n'y a pas de question à certifier.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que

1.      La présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

2.      Aucune question ne sera certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4058-10

 

INTITULÉ :                                       MARIA LUISA ESTEBAN ZEFERINO et al

                                                            c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 13 avril 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alain Joffe

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Christine Bernard

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bureau d'avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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