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Cour fédérale

Federal Court

 

 


Date : 20110407

Dossier : IMM-1832-11

Référence : 2011 CF 439

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 7 avril 2011

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

B456

 

 

 

défendeur

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               B456 est l’un des quelque 490 Tamouls sri‑lankais qui sont arrivés au Canada en août 2010 à bord d’un navire non documenté, le Sun Sea. Comme les autres, il a présenté une demande d’asile. Il n’avait en sa possession aucun document d’identité.

 

[2]               Il a été mis en détention et a fait l’objet d’examens des motifs de détention de trente jours. Grâce aux longues heures de travail diligent accomplies par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), son tissu de mensonges a finalement écarté. Il n’est rien de plus qu’un menteur éhonté. Il a établi indubitablement que, s’il n’est pas toujours un Tigre tamoul, il en a certainement été un. Il œuvrait dans l’aile navale armée des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET), une organisation terroriste. Il a été jugé interdit de territoire et a maintenant été déclaré interdit de territoire par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en application du paragraphe 34(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) en tant que membre d’une organisation qui se livre, s’est livrée ou se livrera, entre autres choses, à des actes terroristes.

 

[3]               En raison de cette décision, il n’a pas le droit de demander l’asile. Cependant, il a droit, et il en a fait la demande, à un examen des risques avant renvoi (ERAR) en application des articles 97, 112 et suivants de la LIPR.

 

[4]               Après que son identité a été établie, ainsi que son lien avec les Tigres tamouls (même s’il est vague au point d’en être exaspérant quant au moment de la fin de cette association), il est demeuré en détention. Dans l’examen remis en février, le commissaire responsable de l’affaire a considéré qu’il présentait un risque de fuite. Cependant, l’audience relative à sa détention du mois de mars a été entendue par un autre commissaire, qui a ordonné sa mise en liberté sous conditions.

 

[5]               Le ministre a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision et, par voie de requête, demande une ordonnance sursoyant à la mise en liberté. Sur consentement, un sursis provisoire a été accordé par le juge O’Keefe afin de donner le temps nécessaire pour obtenir les transcriptions pertinentes et se préparer convenablement pour l’audience qui s’est déroulée devant moi hier.

I. Les principes directeurs

[6]               Comme dans un grand nombre de requêtes en sursis ou en injonction interlocutoire, la partie requérante doit établir une question sérieuse, un préjudice irréparable et le fait que la prépondérance des inconvénients est en sa faveur (Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 NR 302 (CAF) et RJR-MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311).

 

[7]               Le deuxième principe directeur est qu’il doit y exister des raisons claires et convaincantes de s’écarter des décisions antérieures portant sur la détention. Ce principe a été établi par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2004 CAF 4, [2004] 3 RCF 572. S’exprimant au nom de la Cour, le juge Rothstein, tel était alors son titre, a répondu comme suit à une question certifiée :

Lors de tout contrôle des motifs de la détention effectué suivant les articles 57 et 58 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, la Section de l’immigration doit rendre une nouvelle décision quant à la question de savoir si une personne détenue devrait être maintenue en détention. Bien que le fardeau de preuve puisse être déplacé pour incomber au détenu une fois que le ministre a établi prima facie qu’il y a lieu de maintenir la détention, il incombe en fin de compte toujours au ministre, lors de tels contrôles des motifs de la détention, d’établir que la personne détenue constitue un danger pour la sécurité publique au Canada ou qu’elle risque de se soustraire à la justice. Cependant, les décisions antérieures ordonnant la détention d’une personne doivent être prises en compte lors de contrôles subséquents et la Section de l’immigration doit énoncer des motifs clairs et convaincants pour pouvoir aller à l’encontre des décisions antérieures.

 

 

[8]               Je crois qu’il est juste de dire qu’il y a une certaine incohérence quant au traitement des personnes qui se trouvaient à bord du Sun Sea. Leurs récits diffèrent, l’appréciation de ceux‑ci par différents décideurs peut différer et, de plus, différents juges ont tiré différentes conclusions dans l’examen des décisions, qu’elles aient été rendues à l’égard de requêtes en sursis, comme en l’espèce, ou en contrôle judiciaire. C’est très compréhensible, car on exerce une pression importante pour qu’une décision soit rendue avant le prochain examen des motifs de détention de 30 jours.

[9]               À titre d’exemple, il y a eu un désaccord quant à savoir si une question est sérieuse si elle est non frivole et non vexatoire, ou si une norme plus élevée est requise en ce sens qu’un sursis peut effectivement accorder ce qui a demandé sur le fond. Je me réfère à la décision du juge de Montigny dans Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c B157, dossier IMM-6862-10, rendue le 6 décembre 2010.

 

II. Décision

[10]           J’en suis arrivé à la conclusion qu’un sursis de la décision de mise en liberté de B456 devrait être accordé. Les parties conviennent que, dans ce cas, je devrais ordonner que la demande de contrôle judiciaire elle‑même soit entendue à bref délai. Je le ferai.

 

[11]           Peu importe le critère à appliquer, le ministre a établi plusieurs questions sérieuses.

 

[12]           Dans la décision rendue le 3 février 2011, le commissaire se projetait vers le prochain événement important dans la rencontre de B456 avec les autorités canadiennes, à savoir une enquête qui était prévue le 27 avril. En conséquence, il se projetait quelque deux mois et demi plus tard.

 

[13]           Depuis ce moment, l’enquête a été devancée et il a été déclaré interdit de territoire. Cette décision n’est pas contestée.

 

[14]           L’effet de cette décision est des plus importants. L’objectif à long terme de B456 est de devenir un résident permanent et, donc, de se trouver dans une situation où il pourra parrainer son épouse et ses enfants, qui sont toujours au Sri Lanka. Cependant, dans la situation actuelle de l’affaire, l’effet de l’article 21 et de l’alinéa 112(3)a) de la LIPR signifie qu’il ne pourra jamais devenir un résident permanent et, par conséquent, il n’est pas en mesure de parrainer sa famille.

 

[15]           Trois recours s’offrent à lui, dont deux ont été examinés par le commissaire. Les documents de l’ERAR lui ont été signifiés. Même si rien n’est coulé dans le béton, on peut s’attendre à ce qu’une décision soit rendue dans trois mois. Même s’il a gain de cause dans l’ERAR, il serait autorisé à demeurer au Canada, mais il ne pourrait pas devenir un résident permanent.

 

[16]           Il existe deux façons possibles qui pourraient permettre à B456 de devenir un résident permanent. La première est par l’application du paragraphe 34(2) de la LIPR, qui dispose :

(2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

(2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

 

 

[17]           Il existe une preuve anecdotique selon laquelle, compte tenu du volume de telles demandes, de l’enquête qui doit être menée et du fait que le ministre doit personnellement rendre une décision, une telle demande peut être pendante pendant plusieurs années avant qu’une décision soit rendue.

 

[18]           L’autre recours consiste à présenter une demande de résidence permanente au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire en application de l’article 25 de la Loi. Les demandes en vertu du paragraphe 34(2) et de l’article 25 sont très différentes (Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile c Ramadan Agraira, 2011 CAF 103 et Segasayo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 173, [2010] ACF no 205 (QL), confirmée par 2010 CAF 296, [2010] ACF no 1343, (QL).

 

[19]           Une autre question sérieuse est qu’il n’existe aucune raison claire et convaincante de s’écarter de la décision de février. Le calendrier prévu pour la prochaine étape importante, maintenant l’ERAR plutôt que l’enquête, est sensiblement le même. Le commissaire a également examiné la demande en vertu du paragraphe 34(2), qui n’a toujours pas été déposée, et a supposé que B456 ne serait pas renvoyé du Canada avant que la décision du ministre soit rendue. Une telle demande n’a pas l’effet juridique en vertu de la Loi ou du Règlement de donner lieu à un sursis. En outre, aucune pratique en ce sens n’a été établie. Voir Smith c. Canada (Procureur général) 2009 CF 228, [2010] 1 RCF 3. Si B456 a gain de cause dans sa demande d’ERAR, il sera vraisemblablement mis en liberté. Dans le cas contraire, la demande en vertu du paragraphe 34(2) peut alors devenir pertinente.

 

[20]           Le commissaire a également commis une erreur en déclarant [traduction] : « Je crois que maintenant que l’enquête est terminée, votre renvoi du Canada n’est pas aussi imminent que l’a laissé entendre l’avocat du ministre. Par conséquent, je conclus que j’ai des raisons claires et convaincantes de m’écarter de la décision du commissaire Tessler du 3 février 2011 ».

 

[21]           Ce point de vue est manifestement erroné. En février, l’enquête était pendante. S’il n’était pas déclaré interdit de territoire, sa demande d’asile serait alors réactivée. S’il n’avait pas gain de cause, il aurait tout de même le droit de présenter une demande d’ERAR. Ce n’est qu’après l’ERAR qu’il serait prêt à être renvoyé. Maintenant que le processus a été accéléré dans son intégralité, le risque que B456 soit renvoyé du Canada est plus imminent qu’il ne l’était en février.

 

[22]           Le commissaire a également mal compris l’ERAR. En pratique, après que la décision est rendue, le demandeur est convoqué à une entrevue personnelle pour recevoir la décision. Si la décision est défavorable, le demandeur est interrogé pour que l’on évalue la possibilité qu’il obtempère à la mesure de renvoi et, si l’agent n’est pas convaincu, il est alors arrêté. Même si cela correspond à la pratique, la décision a été rendue bien avant l’avis de convocation et ne peut pas être modifiée si le demandeur omet de se présenter. Le commissaire était d’avis qu’il avait tous les motifs de comparaître, car son but ultime était de devenir un résident permanent et que ce n’était qu’en comparaissant qu’il pouvait savoir si la décision est favorable. Si la décision est favorable, il peut en être informé par d’autres moyens et, même si elle est favorable, cela ne l’aide pas à demander le statut de résident permanent.

 

[23]           En ce qui concerne la question du préjudice irréparable, le commissaire a reconnu que B456 présente un risque de fuite, mais que les conditions imposées atténuaient ce risque. Son frère qu’il avait perdu de vue depuis longtemps a déposé une caution de 5 000 $ ainsi qu’un billet à ordre pour une somme supplémentaire de 30 000 $, ce qui est très important compte tenu de ses ressources limitées, en dehors de la valeur nette dans sa maison.

 

[24]           Je remets en question le caractère raisonnable de cette appréciation, mais je n’ai pas à tirer la même conclusion. Il se peut très bien que le commissaire soit plus imprégné de bonté humaine que je le suis. Devrait-on supposer qu’une personne qui a menti comme un arracheur de dents et qui n’a pas communiqué avec son frère pendant 20 ans tiendra sa promesse envers son frère de respecter les conditions de sa mise en liberté?

 

[25]           Même si un préjudice irréparable peut être formulé de plusieurs façons, il y a un préjudice irréparable en ce sens que B456 présente un risque de fuite. Il existe également un intérêt public important dans l’application de la Loi comme l’ont souligné le juge Mosley dans Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c B188, IMM‑6390‑10 et le juge Zinn dans Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c B017, IMM‑6541‑10. Il y a un intérêt public en ce qui concerne le fait de traiter efficacement les opérations de passage de clandestins à grande échelle. Cela s’applique également à la prépondérance des inconvénients. Il est de loin préférable de préserver le statu quo ante jusqu’à ce que le bien‑fondé de la demande de contrôle judiciaire soit examiné. L’audience sera entendue à bref délai et B456 a légalement droit à un autre examen des motifs de détention, qui pourrait avoir lieu dès la semaine prochaine.

 

[26]           L’avocat de B456 a soutenu que la façon dont une personne arrive au Canada ne devrait rien changer. Je suis en désaccord. Même si toutes les audiences liées aux personnes à bord du Sun Sea sont naturellement axées sur le droit de l’immigration et des réfugiés, on ne saurait oublier que le Sun Sea est un navire et que la compétence en matière d’amirauté de notre Cour est également en litige. La Colonial Courts of Admiralty Act, 1890, 53 & 54 Vic, c 27 (R.-U.), confère à notre Cour la compétence sur les prises et les navires participant à la traite des esclaves. Un navire non documenté comme le Sun Sea, qui a violé une pléthore de lois internationales et canadiennes, est confronté à une présomption réfutable qu’il se soit livré à la piraterie ou à la traite des esclaves. Les amiraux anglais ne voyaient pas d’un bon œil de telles activités. Nous ne devrions pas non plus.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE que :

1.         Il est fait droit à la requête en sursis.

2.         La mise en liberté du défendeur est sursise jusqu’à la première des deux échéances suivantes : la décision dans la demande de contrôle judiciaire du ministre sur le fond ou la prochaine audience d’examen des motifs de détention en vertu de la loi du défendeur.

3.         La demande d’autorisation est accordée et la demande de contrôle judiciaire est réputée avoir commencé.

4.         L’audience aura lieu le jeudi 26 mai 2011, elle commencera à 9 h 30, au 701, rue West Georgia, 3e étage, dans la ville de Vancouver, province de la Colombie‑Britannique, pour une durée d’au plus trois (3) heures.

a.         Le dossier doit comprendre les dossiers de requête, ainsi que des documents supplémentaires, le cas échéant, dont le tribunal doit envoyer des copies certifiées aux parties et au greffe de la Cour au plus tard le 15 avril 2011.

b.         D’autres affidavits, le cas échéant, doivent être signifiés et déposés par le demandeur au plus tard le 19 avril 2011.

c.         D’autres affidavits, le cas échéant, doivent être signifiés et déposés par le défendeur au plus tard le 26 avril 2011.

d.         Les contre‑interrogatoires, le cas échéant, sur affidavits doivent être terminés au plus tard le 2 mai 2011.

e.         Le mémoire additionnel du demandeur, le cas échéant, doit être signifié et déposé au plus tard le 6 mai 2011.

f.          Le mémoire supplémentaire du défendeur, le cas échéant, doit être signifié et déposé au plus tard le 11 mai 2011.

g.         La transcription des contre-interrogatoires, le cas échéant, doit être déposée au plus tard le 11 mai 2011.

5.         Le demandeur doit signifier et déposer une requête visant l’obtention d’une ordonnance de confidentialité en application de l’article 151 des Règles des Cours fédérales pour qu’elle soit tranchée par le juge chargé de la gestion de l’instance ou le juge présidant l’audience.

6.         Tant que la requête visant à obtenir une ordonnance de confidentialité n’est pas tranchée, la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire ainsi que tous les documents déposés ou signifiés en ce qui concerne les présentes doivent être scellés et considérés comme confidentiels.

 

 

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1832-11

 

INTITULÉ :                                       MCI c. B456

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 6 avril 2011

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 7 avril 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Banafsheh Sokhansanj

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Shepherd I. Moss

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Shepherd I. Moss

Avocat

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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