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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110401

Dossier : T-1503-10

Référence : 2011 CF 404

Montréal (Québec), le 1er avril 2011

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

ENTRE :

 

RHÉAUME TREMBLAY

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire déposée à l’encontre de la décision de la présidente indépendante du tribunal disciplinaire déclarant le demandeur coupable de l’infraction disciplinaire à l’alinéa 40f) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. (1992), ch. 20 (la Loi sur le système correctionnel) d’avoir agi de manière irrespectueuse ou outrageante envers un agent au point de compromettre l’autorité de celui-ci ou des agents en général.

I. Faits

[2]               Le demandeur, M. Rhéaume Tremblay, est incarcéré à l’établissement Cowansville, un pénitencier à sécurité moyenne. Le 13 juin 2010, les agents correctionnels du pavillon dans lequel il était incarcéré reçoivent un appel les avisant que ce dernier a été aperçu dissimulant quelque chose dans ses poches. Un agent correctionnel l’intercepte alors qu’il monte les escaliers vers sa cellule. L’agent lui demande ensuite de vider ses poches, ce que le demandeur procède à faire. L’agent s’aperçoit alors que le demandeur tient quelque chose entre le pouce et l’index de sa main droite. Lorsqu’on lui demande ce qu’il tient dans sa main, le demandeur la porte à sa bouche pour avaler la substance.

 

[3]               Un rapport d’infraction et avis d’accusation est émis contre le demandeur en vertu de l’alinéa 40f) de la Loi sur le système correctionnel. Une audition disciplinaire a eu lieu les 4 et 31 août 2010. Au terme de cette audition, le tribunal disciplinaire déclare le demandeur coupable de l’infraction reprochée.

 

[4]               Dans sa décision, le tribunal disciplinaire indique qu’il s’agissait en l’occurrence d’une fouille et que le demandeur devait remettre l’objet dissimulé. En avalant celui-ci, il a agi de façon irrespectueuse et cela a compromis l’autorité de l’agent.

 

 

 

 

La présidente a-t-elle commis une erreur déraisonnable ou de droit en prononçant la culpabilité du demandeur pour l’infraction reprochée ?

 

[5]               La question qui se pose en l’espèce est une question mixte de fait et de droit puisqu’il s’agit de déterminer si le tribunal a apprécié la preuve à la lumière de l’alinéa 40f) de la Loi sur le système correctionnel. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Séguin c Canada (Procureur général), 2008 CF 551, au para 10).

 

[6]               L’infraction reprochée se lit comme suit :

Infractions disciplinaires

40. Est coupable d’une infraction disciplinaire le détenu qui :

 

f) agit de manière irrespectueuse ou outrageante envers un agent au point de compromettre l’autorité de celui-ci ou des agents en général.

Disciplinary offences

40. An inmate commits a disciplinary offence who:

 

 

(f) is disrespectful or abusive toward a staff

member in a manner that could undermine a

staff member’s authority.

 

 

[7]               En vertu du paragraphe 43(3) de la Loi sur le système correctionnel, la présidente du tribunal disciplinaire ne peut prononcer la culpabilité d’un détenu seulement si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présentée, que le détenu a bien commis l’infraction reprochée.

 

[8]                Le demandeur soutient que la trame factuelle de son dossier est similaire à celle de l’arrêt McCoy c Canada (procureur général), 2003 CAF 118 [McCoy]. Or, dans cet arrêt, l’appelant avait été accusé non pas, comme en l’espèce, de l’infraction reprochée à l’alinéa 40f) de la Loi sur le système correctionnel mais plutôt, de l’infraction décrite à l’alinéa 40g) qui s’en différencie justement parce que l’un de ses éléments constitutifs est l’incitation à la violence.

L'actus reus de l'infraction contenue à l'alinéa 40g) de la Loi consiste dans le fait de poser un geste qui n'est pas simplement irrespectueux, mais bien un geste qui est si irrespectueux qu'il va inciter la personne visée à faire usage de violence(…) (McCoy, précité, au para 10).

 

[9]               Le juge Létourneau avait conclu, au para 16, qu’il y avait absence totale de preuve sur cet élément essentiel de l’infraction qu’est l’incitation à la violence. Je ne vois donc pas comment cette jurisprudence pourrait s’appliquer par analogie à la présente affaire puisque l’infraction à laquelle a été condamné le demandeur en vertu de l’alinéa 40f) de la Loi sur le système correctionnel ne requiert pas qu’il y ait eu incitation à la violence. Dans le présent dossier, le seul élément à retenir est la définition tirée du dictionnaire et retenue par le juge de ce qui constitue une conduite irrespectueuse. Pour être irrespectueux, le geste ou le propos doit s’avérer « impertinent, insolent ou irrévérencieux ».

 

[10]           Il ne revient pas à la Cour de substituer ses propres conclusions à celle du tribunal disciplinaire. En l’espèce, la présidente du tribunal disciplinaire a jugé que le demandeur avait agi de manière irrespectueuse parce qu’il n’a pas remis à l’agent qui procédait à sa fouille un élément non identifié qu’il tenait dans ses mains et qui aurait pu s’avérer illicite, mais l’a plutôt avalé, empêchant ainsi l’agent de procéder au contrôle qu’il pouvait légalement effectuer. Cette conclusion ne va pas à l’encontre de la définition retenue dans l’arrêt McCoy, précité. Elle fait partie des issues possibles et acceptables compte tenu des faits et du droit. L’intervention de la Cour n’est donc pas justifiée.

 

[11]           Le demandeur soutient également que la preuve ne supporte pas l’élément constitutif de l’infraction prévue à l’alinéa 40f) de la Loi sur le système correctionnel selon lequel les agissements sont tels qu’ils compromettent l’autorité de l’agent correctionnel. En outre, l’autorité de l’agent ou des agents en général ne peut être compromise que si d’autres détenus sont présents lors de la perpétration de l’infraction, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

 

[12]           Dans l’arrêt MacDonald c Canada (Procureur général),2007 CF 798, un détenu était accusé d’avoir compromis l’autorité de l’agente correctionnelle ayant déposé l’accusation parce qu’il avait ri d’elle alors qu’il se rendait à sa cellule afin de subir le comptage des détenus. Compte tenu des circonstances spécifiques de l’affaire, la juge Simpson a déclaré, au para 24:

L’accusation écrite a été considérée comme étant une preuve digne de foi par la présidente de l’audience et, donc, comme étant une preuve admissible. À mon avis cependant, les faits qui y sont décrits ne sont pas suffisants pour établir hors de tout doute raisonnable qu’une infraction prévue à l’alinéa 40f) de la Loi a été commise. Entre autres choses, l’accusation écrite ne contenait aucun renseignement au sujet des circonstances entourant l’infraction. Par exemple, si aucun autre détenu ne s’était trouvé à proximité pour entendre le rire du demandeur, il aurait été impossible de conclure que ce rire avait compromis l’autorité de l’agente ayant déposé l’accusation. (Je souligne)

 

[13]           Or, à la lecture de ce passage, il s’avère manifeste que la juge Simpson n’a pas voulu que la présence des autres détenus devienne un condition sine qua non à une condamnation en vertu de l’alinéa 40f) de la Loi sur le système correctionnel. En l’espèce, elle s’est exprimée en obiter sur une situation qui pouvait compromettre l’autorité d’un agent correctionnel dans un contexte bien spécifique, où l’accusé avait ri de l’agente correctionnelle alors en devoir. Cet obiter ne liait aucunement le tribunal.

[14]           De plus, cette situation ne s’applique pas aux faits de la présente affaire puisque le demandeur est accusé d’avoir compromis l’autorité d’un agent correctionnel parce qu’il a entravé une fouille en avalant une substance qu’il tenait dans ses mains et non parce qu’il a ri à voix haute de ce dernier. Dans les circonstances d’une fouille, l’autorité d’un agent peut être compromise si le détenu n’obtempère pas et ce, peu importe le fait que d’autres détenus soient présents ou non.

 

[15]           Dans la présente affaire, le tribunal disciplinaire a conclu que le demandeur avait compromis l’autorité de l’agent correctionnel en avalant la substance qu’il tenait dans ses mains, entravant ainsi la fouille effectuée et ce, bien qu’aucun autre détenu n’était présent.

 

[16]           Cette conclusion n’est pas déraisonnable. Elle fait partie des conclusions acceptables en regard des faits et du droit et ne nécessite pas l’intervention de la Cour.

 

[17]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1503-10

 

INTITULÉ :                                       RHÉAUME TREMBLAY c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               29 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      1er avril 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Royer

POUR LE DEMANDEUR

 

Véronique Forest

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Daniel Royer

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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